13 ans… Cela peut paraître une éternité, surtout lorsque l'on supporte le Racing. En effet, 2001 fut le dernier sacre de l'Academia, mais hier soir les coéquipiers de Diego Milito avaient l'occasion de rompre la malédiction devant leur public avec la réception de Godoy Cruz où LO était présent sur place, dans l'Estadio Presidente Peron. Entre pétards, fumigènes, feux d'artifices, gazages, chants surpuissants et passion démesurée, récit d'une journée (et d'une nuit) complètement folle à Avellaneda…

Une après-midi ciel et blanche

15h30, il fait 28 degrés en ce doux printemps à Buenos Aires. Nous sommes à cinq heures du coup d'envoi et nous embarquons, à quelques rues de l’obélisque, en plein centre-ville, dans le bus numéro 24 en direction de la ville d’Avellaneda située dans la proche banlieue sud. Ce dernier est déjà bondé d'hinchas du Racing, les vitres tiennent bon malgré les assauts et les chants retentissent déjà. On sent que c'est un jour spécial, un jour pas comme les autres, un jour où seul le football a le pouvoir de nous faire vivre d'une manière différente.

Cela fait 13 ans que le Racing attend cela, après un incroyable come-back et cinq victoires consécutives, les hommes de Diego Cocca peuvent remporter le huitième titre de Champion d'Argentine de l'histoire du club. « Tu t'imagines d'où on revient quand même ? J'arrive pas à y croire. Début octobre, après la défaite à domicile face à Rafaela plus personne ne comptait sur nous. On a pas fait de bruit mais sur les huit derniers matchs on en a remporté sept et voilà que si on gagne ce soir on est Champion. Incroyable. » lâche Juan, 32 ans et hincha du Racing depuis son plus jeune âge. Plus nous nous rapprochons d'El Cilindro de Avellaneda, plus la circulation devient difficile et même l'autoroute est complètement bouchée. Des bus entiers de fans de l'Academia déboulent et certains se sont même entassés sur des vans ou encore des camions pour rejoindre le stade. Les rues sont toutes bleu ciel et blanc entre drapeaux, pots de fumées et maillot tournant au-dessus de la tête. On ne sait plus où donner de la tête. « Iil y a un match de l'équipe nationale aujourd'hui ? » s'interroge même une petite dame à côté de nous dans le bus. « No senora, es el Racing ! » répond fièrement un hincha installé derrière. 45 minutes plus tard, nous arrivons dans ce qui semble être l'avenue principale d’Avellaneda, l’avenue Belgrano. Les maillots du Racing sont présents partout, le centre-ville est bondé, les vendeurs ambulants de produits dérivés du club sont au taquet avec déjà des produits à l'effigie du titre 2014 et des centaines voire des milliers de personnes font la traditionnelle « previa » (l’avant-match souvent à base de « asados » et alcools : vins, fernets cocas ou bières).

16h30, à quatre heures du match, on emprunte alors la direction du stade à quelques rues de l’avenue Belgrano, toujours énormément de monde, on n’imagine même pas ce que cela va donner durant le match d'autant plus quand on sait que le Racing possède l'une des meilleures hinchada du pays. Les portes du stade viennent tout juste d'ouvrir et le dilemme s'impose : On entre ou on profite encore un peu des environs ? Au vu du chaos qui règne pour entrer dans la popular, fief de la Guardia Imperial, la Barra-Brava locale, on se dit qu'il vaut mieux entrer assez rapidement pour ne pas avoir de mauvaises surprises tellement la situation est compliquée a gérer pour les organisateurs qui voient déferler des vagues bleu ciel et blanc. En entrant dans l'Estadio Presidente Peron, surprise : ce dernier est déjà rempli au trois quarts et ressemble plus à une cocotte-minute prête à exploser qu'à un stade de football désormais alors que la Barra n’a pas encore fait son apparition. Les premiers chants mettent l’ambiance : Tout d'abord quelques mots d'amour pour le plus grand rival et voisin Independiente « Independiente la concha, la concha, la concha de tu madre » (On vous épargne la traduction) puis un chant assez significatif de la situation du Racing résonne très fort dans le Cilindro « Tenes que salir campeon este es el año ustedes poniendo huevo y yo alentando hace mucho tiempo que la vuelta yo quiero dar este año academia no me podes fallar ». En français : « Tu dois être champion, cette année, c’est la bonne. Posez vos couilles nous on vous supporte, ça fait longtemps que je veux qu’on triomphe, cette année, Academia, tu ne peux pas me décevoir ». Le décor est planté.

On ne gagne presque jamais rien mais on est toujours là et on ne lâche rien. Supporter le Racing ça se transmet par le sang,

Chaos d’avant-match

Il est 18 heures et ce que l'on commençait à craindre se confirme : Le stade est plein comme un œuf mais il reste beaucoup de monde dehors, ça pousse très fort et certains parviennent à rentrer en force dans le stade, ce qui crée un mouvement de foule et un bordel sans nom. Certains escaladent les murs pour passer au deuxième anneau. Dehors la Police joue de la matraque et du gaz lacrymogène pour rétablir l'ordre… Un chaos qui durera près de 15 minutes mais fort heureusement sans conséquences. « Tu sais, ça peut paraître complètement débile de voir des scènes comme ça mais faut comprendre que le Racing génère une passion démesurée. Nous sommes sûrement la hinchada la plus fanatique du pays, regardes, on ne gagne presque jamais rien mais on est toujours là et on ne lâche rien. Supporter le Racing ça se transmet par le sang, moi, mon grand-père était du Racing, mon père aussi. Je me souviens qu'il m'emmenait déjà au stade à l'âge de 3 ans et aujourd'hui mes deux filles sont présentes avec moi pour ce match primordial. Et si tu ajoutes à cela le rôle social qu'a le club dans la ville et bien tu as une grande partie de la réponse... » nous confie Alfredo, 52 ans. Une demi-heure plus tard, nous assistons à une scène assez cocasse quand les joueurs de Godoy Cruz entrent en reconnaissance du terrain. La hinchada du Racing décide d'impressionner ses hôtes du soir et le stade saute comme un seul homme et s’époumonent à la gloire des siens. La réaction des joueurs de Mendoza ? Prendre le téléphone et filmer la scène en restant bouche-bée « Ils sont là en touriste ou ils vont vraiment nous faire chier ? » s'interrogent un hincha juste devant nous. Nous-même n'avons pas la réponse : Godoy n’a plus rien à jouer en championnat mais n’étant pas dans la meilleure situation au Descenso (13ème au classement), on ne sait pas trop comment cette équipe, séduisante à voir jouer avec son duo Ayovi-Ramirez devant mais irrégulière, va aborder la rencontre.

19 heures, chose inhabituelle mais à laquelle on pouvait s'attendre, la Guardia Imperial fait son entrée une heure et demie avant la rencontre et entonne le chant à la mode au Racing cette saison « Los momentos que vivi, todo lo que yo deje, por seguir a la Academia, nadie lo puede entender, yo no se como explicar que te llevo hasta en la piel. Sos la droga que en las venas me inyectaron al nacer, se me parte el corazón, cada vez que vos perdes me pongo de la cabeza y otra vez te vengo a ver. Muchachos, traigan vino, juega la Acadeq que esta hinchada esta de fiesta y hoy no podemos perder…Muchachos, Traigan vino juega la Acade, me emborrarcho bien borracho si el rojo se va a la B » en VF : « Les moments que j’ai vécus, tout ce que j’ai laissé pour suivre l’Academia, personne ne peut comprendre, je ne peux pas expliquer que je t’ai dans la peau. Tu es la drogue qu’on m’a injecté à ma naissance, mon cœur se brise chaque fois que tu perds, je deviens fou et je reviens te voir. Messieurs, ramenez du vin, l’Academia joue, cette hinchada fait la fête et aujourd’hui on ne peut pas perdre… Messieurs, ramenez du vin, l’Academia joue, je me bourre la gueule si Independiente va en deuxième division » dans une ambiance qui devient complètement dingue. Viens ensuite l'échauffement, Saja entre sous une énorme ovation alors que le portier de Godoy Cruz prend quelques noms d'oiseaux, tout le monde s'impatiente mais a une nouvelle fois l'occasion de pousser une bonne gueulante quand leur onze favori apparaît pour s'échauffer. Les « Militooo, Militooo », l'idole de retour cette saison, descendent des quatre coins du stade et donnent la chair de poule, le match approche et l'ambiance ne redescendra plus…

« Para ser campeon, hoy hay que ganar »

L’entrée des joueurs est spectaculaire, enfin spectaculaire n'est peut-être pas assez fort. Cela dépasse toutes nos attentes, les tribunes latérales se couvrent de ballons aux couleurs bleues ciel et blanches et le virage déploie une énorme bâche où est mentionnée «  La Guardia Impérial » accompagnée de feux d'artifices, pétards et pots de fumées qui envahissent le terrain au son du fameux « Racing, mi buen amigo » d'une puissance phénoménale.

Quelques minutes plus tard, 3 autres bâches représentant chacune les 3 sections de la Barra (Guardia Imperial, Racing Stones, La barra del 95) recouvriront le haut du virage. A peine le temps de réaliser ce que l'on vient de vire que les ciels et blancs prennent rapidement le contrôle du ballon et étouffent une équipe de Godoy Cruz qui nous paraît fébrile. La première banderille est envoyée dès la 8ème minute par Bou, bien décalé par Diego Milito, mais Moyano est vigilant. Deux minutes plus tard, Milito trouvera à son tour Moyano sur sa route ce qui a le don de surchauffé les supporters du Racing « Para ser campeon, hoy hay que ganar » (Pour être champion, aujourd'hui il faut gagner) s'égosillent-ils. Peu après le quart d'heures de jeu, le Racing continue d'exercer une pression monstrueuse sur l'équipe visiteuse mais Bou butte une nouvelle fois sur le portier du club de Mendoza. Godoy Cruz a laissé passer l'orage et la rencontre se hache quelques peu, les fans du Racing quant à eux continuent d'assurer une magnifique ambiance mais restent attentifs au score de River Plate qui joue dans le même temps à Quilmes. L'équation est simple, si River ne gagne pas le Racing sera champion quoiqu'il arrive mais si les Millionarios s'impose il faut aussi s'imposer ou au minimum faire un nul pour avoir le même nombre de points et assurer une finale dans ce Championnat. Il faut ensuite attendre la 36ème minute pour voir Milito se procurer sa deuxième occasion mais là encore Moyano, héroïque en cette première période, intervient. L'arbitre siffle la pause sur le score de 0-0.

Il me semble que River n'est pas champion, c'est le Racing, c'est le Racing oui Monsieur

Au retour des vestiaires le Racing reprend sa marche en avant et entame la seconde période comme il avait démarré la première et cette fois-ci cela va s'avérer payant. Après un show de Diaz sur la côté droit, ce dernier adresse un centre parfait sur la tête de Centurion qui ajuste Moyano. 1-0 et on vous laisse profiter du chaos qui règne dans le stade…

Une belle revanche pour Centurion, ce gamin de Avellaneda de retour lui aussi cette saison après un exil au Genoa complètement raté. Dès lors, c'est de la folie furieuse et on a l'impression que plus rien ne peut arriver au Racing, la Guardia Imperial nous régale de tout son répertoire et verra Bou manquer le break à la 75ème minute.

Les dernières minutes du match sont beaucoup plus pesantes surtout quand le stade apprend que River Plate a ouvert le score à Quilmes et l'ambiance en pâtit forcément. Les larmes coulent sur les visages des fans du Racing quand d'autres choisissent d'enchaîner clopes sur clopes, un vent glacial tombera sur El Cilindro à la 84ème quand Fernandez sera un peu court pour l'égalisation mais désormais plus rien y fait, c'est bel et bien l'année du Racing et les hinchas le savent, torse-nu et maillot tournant autour de la tête, ils célèbrent ce sacre d'une manière a vous en donner des frissons avec le classique « Cada dias te quiero mas ».

La démesure

Coup de sifflet final, dans un délire complet. Après 13 ans d'attente le Racing l'a fait, le Racing est champion d'Argentine ! Tout le monde se précipite sur Diego Milito, grand artisan de cet exploit et auteur de six buts dans ce tournoi, pour le porter en triomphe. Ce dernier, en larmes, déclarera « avoir accompli un de ses rêves les plus fous ». La remise du trophée est accompagnée du traditionnel « Dale campeon » (Allez champion) et un chant un brin provocateur envers le rival River Plate « Me parece que River no sale campeón, sale Racing, sale Racing sí señor » (Il me semble que River n'est pas champion, c'est le Racing, c'est le Racing oui Monsieur). Le stade se vide tranquillement mais la folie ne fait que commencer. Car la Barra du Racing a une idée folle : regagner le centre-ville à pied ! 10 km en empruntant l’autoroute. Nous nous retrouvons avec eux à pied sur l'autoroute pendant une heure de trente de marche accompagnée de pétards et d'artifices, au milieu des voitures. Au bout du chemin, l’Obélisque où la fête ne fait que commencer. Elle durera toute la nuit. L'Obélisque de Buenos Aires… Là où tout a commencé quelques heures plus tôt. Fin d’une journée que seul le football argentin a le secret de nous délivrer…

Le clip du champion

 

Par Bastien Poupat à Buenos Aires pour Lucarne Opposée

Bastien Poupat