×

Avertissement

Impossible de trouver un utilisateur avec l'Id : 305

Quatre ans que les deux voisins ennemis ne s'étaient plus retrouvés pour disputer le Clásico de Barrio entre San Lorenzo et Huracán. Le hasard ayant tellement bien fait les choses, en 1915, San Lorenzo remportait le premier Clásico de l'histoire 3-1, ce Clásico fêtait donc son centenaire ce dimanche au Nuevo Gasometro. Récit d'une histoire qui n'a fait que se répéter.

Soutenez le projet Lucarne Opposée - Chili 2015

Il y a des jours où l'on se lève avec une certaine excitation. En Europe cela peut arriver quelques fois, en Amérique du Sud et surtout en Argentine, cela arrive tous les week-ends. Mais celui-là était particulier, encore plus que les autres. Dans un football argentin qui n'a d'égal au niveau de la passion, nous savions d'ores et déjà que ce dimanche serait unique. Unique il l'a été. Dimanche 15 mars 2015, c’était le jour des retrouvailles si particulières entre les deux voisins ennemis de Boedo et Parque Patricios, deux quartiers collés au cœur de Buenos Aires, qui abritent deux clubs, San Lorenzo et Huracán. Après quatre ans d'attente pendant lesquels Huracán végétait en Primera B Nacional alors que San Lorenzo s'offrait la première Copa Libertadores de son histoire, c'était le jour J. Pour les 100 ans de ce Clásico de Barrio, la hinchada de San Lorenzo avait prévu les choses en grand, direction Bajo Flores où se trouve le stade du Ciclón pour le vérifier.

13h00. 5 heures avant le début de la rencontre, le rendez-vous est pris à la Ciudad Deportiva de San Lorenzo où toutes les Peñas (sections de supporters) s'étaient donnés rendez-vous pour la traditionnel previa d'avant match. A notre arrivée, les alentours du Nuevo Gasometro sont déjà noirs de monde et on se demande bien ce que cela va donner à quelques minutes du coup d'envoi. Sur place, nous rejoignons la Peña de Córdoba « Nous avons fait trois bus depuis Córdoba. Ce match, c'est le match de l'année, personne ne voulait le louper » lâche Mario avant d'ajouter « Un Clásico ça ne se joue pas ça se gagne. Peu importe la manière, on doit l'emporter ». Les bases sont posées. Alors que les discussions vont bon trains, que la viande cuit tranquillement sur les grilles des parillas (barbecues) et que le Fernet et la bière coulent à flot, quelques incidents éclatent en dehors entre quelques supporters d'Huracán venus brancher leurs homologues de San Lorenzo malgré  l'interdiction de déplacement des supporters visiteurs en Argentine toujours en vigueur. « Tu vois, comme toujours, pour deux trois imbéciles, il y a toujours cette interdiction pour les fans visiteurs. Ça me rend triste car où est le charme de ce Clásico sans les supporters d'Huracán en face de nous ? », s'interroge Pablo dégustant son morceau de viande.

L'apéro puis l'asado terminés, tous les esprits sont désormais focalisés sur la rencontre de ce début de soirée. Unanimement, tout le monde est très confiant pour El Ciclón « Ils reviennent de la B et aujourd'hui font les malins avec une Coupe d'Argentine. Nous, c'est pas une petite Coupe qu'on a dans la galerie. On va les battre 3-1 comme il y a 100 ans car ils seront toujours inférieurs à nous et ça l'histoire le prouve » s'amuse Juan. Alors que nous sommes désormais à trois heures du match, les premiers chants commencent à résonner, les premiers fumigènes allumés et les mots d'amour pour le rival fusent dans une ambiance qui monte aux fils des minutes.

Les chants ne s'arrêteront plus. Durant deux heures et demie, accompagnés de breuvages locaux, les fans de San Lorenzo continueront de chanter, de sauter et de délivrer tout leur amour pour Huracán. A une demi-heure du coup d'envoi nous décidons d'entrer en compagnie de la Butteler, la Barra-Brava de San Lorenzo, dans une atmosphère qui devient complètement folle.

 

La souffrance avant la délivrance

A l'entrée des joueurs le Nuevo Gasometro s'embrase complètement. Le Recibimiento est impressionnant accompagné d'un chant toujours plein de romantisme pour Huracán avant qu'un détonnant « Soy de Boedo » ne retentisse, comme pour affirmer la suprématie d'un club mais aussi d'un quartier tout entier.

La Popular de San Lorenzo est pleine à craquer. Il y a d'ailleurs sûrement plus de personnes que cette tribune ne peut en recevoir. Nous sommes donc tout en bas du virage, ne voyons quasiment rien du match mais qu'importe ! Alors que San Lorenzo entre plutôt bien dans cette rencontre, dès le premier quart d'heure de jeu c'est Toranzo qui reçoit le ballon derrière la ligne médiane, étrangement pas attaqué, il accélère avant de placer un superbe intérieur du pied qui vient battre Torrico. 0-1. « J'arrive pas à y croire. On peut pas perdre aujourd'hui » hurle en larme une demoiselle à nos côtés. De quoi doucher la hinchada de San Lorenzo ? Non, bien au contraire. Dans la foulée toute la Popular saute sur place et entonne un « Pose tes couilles San Lorenzo, aujourd'hui nous ne pouvons pas perdre ». Le stress, la souffrance dureront un petit quart d'heure seulement avant que le gamin de Boedo, l'idole absolu de San Lorenzo, lui qui joue depuis l'âge de 5 ans au club et qui fête son 34ème anniversaire n'entre en piste et égalise. Frappant de rage et d'amour le logo de San Lorenzo situé sur le maillot au niveau de son cœur, Leandro Romagnoli vient fêter son but devant la Popular qui est en fusion. Un partout, ce Clásico de Barrio est définitivement lancé. L'ambiance redevient complètement folle. Folle, elle le sera encore plus quand juste avant la pause San Lorenzo obtient un corner. A la réception de ce dernier, Caruzzo jaillit et donne l'avantage au Ciclón, c'est l'explosion.

Même pendant la mi-temps, les chants ne s'arrêtent pas. Le célèbre « Que te pasa quemero », un classique contre les rivaux d’Huracán, continue d'embraser tout le stade. Repris du titre « para no olvidar » de la star Andres Calamaro les paroles sont sans équivoques « Que t’arrive-t-il Quemero (Huracán) ? Tu es toujours en train d’attendre, que t’arrive-t-il Quemero ? Dans le quartier de La Quema, ils sont tous en train de pleurer. Les années passent, les joueurs ainsi que les dirigeants mais ils ne se rendent pas compte que le problème ce sont tes supporters. Ils ne supportent pas quand Huracán perd oh oh. Ils n’étaient pas là quand l’équipe est descendue en 2ème division oh oh. Ils ne font pas face quand ils voient San Lorenzo. Je sais que ça fait mal, je sais que c’est moche mais à ton hinchada, il lui manque des couilles. »

A peine le temps de se rendre compte que les joueurs sont revenus sur la pelouse que la deuxième période démarre. Dès la 57ème minute, Romagnoli, encore lui, accélère et est déséquilibré dans la surface, penalty. Les joueurs d'Huracán hurlent au scandale car selon eux une faute similaire sur Abila n'avait pas été sanctionnée en première période. Monsieur Laverni ne reviendra pas sur sa décision et Mauro Matos exécutera la sentence. 3-1, l'atmosphère dans le stade en devient indescriptible.

 

La joie avant la consternation

Les fans de San Lorenzo se lâchent complètement et continuent d'entonner leur magnifique et très varié répertoire. Considérés comme les géniteurs de la plupart des chants en Argentine, la Butteler, Barra-Brava de San Lorenzo se targue d’être « l’école des tribunes » argentines et exhibe fièrement une bâche avec ces inscriptions. Difficile de dire le contraire une nouvelle fois aujourd'hui : l’ingéniosité et la créativité de la hinchada de San Lorenzo n’a pas d’égal dans le monde. Maradona lui-même l’avait reconnu. Romagnoli, monstrueux en cette fin d'après-midi laisse sa place sous une ovation et dorénavant à chaque transmission du Ciclón, les « olé » fusent. La Popular s'amusera même à faire une minute de silence pour Huracán en plein match ! En fin de match, comme un excès de passion que l'on peut souvent voir en Argentine, un supporter entrera sur le terrain pour en découdre avec Apuzzo, entraîneur d'Huracán, qui avait eu des déclarations assez provocatrices dans la semaine avant le Clásico. Ce fanfaron sera très rapidement maîtrisé et sera même radié par le club de la liste des socios du club. Monsieur Laverni siffle la fin de la rencontre dans une ambiance exceptionnelle, la communion entre les joueurs et le public de San Lorenzo est magnifique. 100 ans après, El Ciclón s'impose à nouveau 3-1 face à Huracán et reste le patron du Clásico de Barrio.

A la sortie du stade le quartier est en ébullition, les chants continuent de résonner dans les rues et quelques supporters de San Lorenzo ne peuvent retenir leurs larmes. Sur notre chemin la Police bloque totalement un accès pour sortir de la Popular, nous ne comprenons pas tout de suite pourquoi. Malheureusement, nous le comprendrons une fois rentré à la maison. Après Belgrano la saison dernière, où un supporter avait fait une chute mortelle depuis une tribune, ce drame s'est reproduit ce dimanche au Nuevo Gasometro. Un jeune supporter de 24 ans, Pablo Giménez, membre de Los Cuervos Del Sur, est décédé d’une chute de 50 mètres depuis la Tribuna Sur. Durant sa chute, il a percuté de plein fouet Esteban Otero âgé de 33 ans et son fils de 4 ans qui se situaient à proximité des toilettes. Le père a été admis à l’hôpital dans un état grave mais son pronostic vital n'est plus engagé tandis que le fils ne souffre que de traumatismes légers. Une victoire à nouveau ternie par un drame. C'est aussi ça la réalité argentine…

LO dédie cet inside à Pablo Gimenez et envoie toutes ses condoléances à la famille du défunt.

Par Bastien Poupat à Buenos Aires pour Lucarne Opposée