Il a fait le tour du monde, placé le Bosque au centre de la planète football, Diego Maradona a dirigé sa première séance d’entraînement au Gimnasia. Mais au-delà de la folie passagère, la mission de sauver une institution locale s’annonce relevée et une question plane : Diego peut-il le faire ? Éléments de réponse.

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L’annonce avait déjà suscité bien des réactions, l’officialisation n’a fait que renforcer l’excitation, la présentation a tout fait basculer dans la folie. Pour la première fois depuis près d’une décennie, Diego Maradona s’installe sur un banc argentin. Avec une mission des plus délicates qu’il faudra commencer à accomplir une fois la folie de l’arrivée digérée.

Folie furieuse

Sept-cent médias accrédités, trois mille nouveaux socios en trois jours, des images qui ont fait le tour du monde toute la semaine et soulignent la folie qui a embrasé Le Bosque et ses environs (de l’homme à la tronçonneuse à celui qui se fait tatouer Diego sur le crâne) : l’arrivée de Diego Maradona au Gimnasia restera sans aucun doute l’un des moments de l’année 2019 en Argentine. Ils sont en effet près de 20 000 à s’agglutiner au Bosque, chantant « Maradó, Maradó », attendant le moment. Lorsqu’il sort de la gueule du loup, Diego Maradona fait alors s’embraser le stade dans une jolie folie douce qui ira jusqu’à émouvoir l’icone nationale.

Club du peuple

Il faut dire que l’arrivée de Diego de ce côté de La Plata n’est pas un simple détail, la symbolique est forte et dépasse même la simple guéguerre qui l’oppose à Juan Sebastián Verón, président du club d’en face. S’il n’a pas le palmarès du rival Estudiantes contre qui il se bat depuis plus d’un siècle, le Gimnasia n’est pas un club anonyme du paysage argentin. Fondé en 1887 en tant que Gimnasia y Esgrima, le club s’adonne d’abord à la pratique de la gymnastique et de l’escrime (d’où son nom) avant de se lancer dans le football. Un sujet qui sera et est toujours l’objet d’une guerre intense avec Quilmes, fondé six mois plus tard, pour savoir qui peut se prévaloir du titre de doyen du football argentin. Reste que sans le Gimnasia, jamais Estudiantes n’aurait vu le jour. Nous sommes en 1905 lorsqu’est fondé le deuxième club de La Plata par des joueurs issus du Gimnasia. Ce dernier, à l’origine un club de la classe haute de la ville devient rapidement celui des ouvriers des abattoirs (d’où le surnom Triperos – tripiers) alors qu’Estudiantes devient majoritairement celui des étudiants en médecine (d’où le surnom Pincharratas – disséqueurs de rats). La lutte entre les deux devient alors rapidement une affaire de lutte des classes et si Estudiantes va rapidement devenir un géant, marqué notamment par les trois Libertadores de la fin des années soixante, le Gimnasia, son titre de champion amateur (1929) et ses trois petits titres de D2 (1944, 1947 et 1952), peut se prévaloir d’une popularité bien plus importante que le rival. En 2006, une étude menée montre que le Gimnasia est le club qui compte le plus de sympathisants à La Plata (20.6%, précédant ainsi Boca et Estudiantes). Si le montage financier restera une inconnue, l’on sait que le tout a été organisé par Chirstian Bagarnilk, l’homme fort et controversé du football argentin, l’arrivée de Diego au Bosque n’est donc pas une gageure.

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Diego pour l’esprit, les adjoints pour le jeu

Reste tout de même la principale interrogation, celle du terrain. El Pibe de Oro avait déjà dirigé dans les années quatre-vingt-dix, lors de sa suspension pour dopage, d’abord du côté du Deportivo Mandiyú (douze matchs, une seule défaite mais une période marquée par le 2-2 face au River de Francescoli, un match qui sera notamment marqué par la performance XXL d’un gamin de 18 ans nommé Marcelo Gallardo), puis du côté du Racing (onze matchs, deux victoires dont une à la Bombonera). Mais ce n’est véritablement qu’à la fin de sa carrière qu’il a vraiment embrassé celle d’entraîneur, en commençant par le poste le plus dangereux de tous : sélectionneur de l’Argentine. Que retiendra-t-on de son passage avec l’Albiceleste ? Un plongeon sous la pluie un soir de victoire agonique face au Pérou qui validait le ticket pour la Coupe du Monde 2010 pour le côté pile, des déclarations excessives, des cadres exclus au motif qu’ils ne devaient pas lui faire d’ombre (Zanetti, Cambiasso, Riquelme), des humiliations reçues en Bolivie (1-6) et face à l’Allemagne (0-4) et une profonde incohérence tactique pour le côté face.

Car il est un fait établi, si contrairement à ce que l’on peut penser, Diego est un chantre de travail – à son arrivée aux Dorados, il a exigé l’ensemble des vidéos des matchs disputés par l’équipe avant son arrivée afin de l’étudier – les aspects tactiques ne sont pas ses meilleurs atouts. Si ses Dorados évoluaient en 4-4-2 avec deux attaquants devant, un jeu important sur les côtés et surtout une volonté de rester parfaitement ordonné (certains y voient un côté Gustavo Alfaro à Boca), l’organisation, la stratégie tactique est surtout à la charge de son adjoint, que ce fut Bilardo qui le chapeautait à la tête de la sélection (et qu’il a fini par rapidement ne plus écouter) ou Luis Islas du côté des Dorados, ou comme ce sera le cas avec Sebastián Méndez, l’homme qui avait fait de Godoy Cruz un candidat au titre et qui sera l’adjoint principal de Diego aux côtés de son adjoint de l’époque, Adrián González. L’apport du D10S n’est pas tactique, il est ailleurs et est finalement symbolisé notamment par cet intermède d’entraîneur « émérite » à Riestra, où il ne prenait évidemment aucune décision mais jouait un rôle de « conseiller spirituel ». Car c’est un fait, Maradona touche au mystique.

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Pour être performant, Diego a besoin d’être dans des clubs qui ne lui sont pas supérieurs en termes de dimension. Et si, comme on l’a vu, le Gimnasia n’est pas un club anodin du football argentin, son image n’est pas plus grande que celle de Diego. Ce fut ainsi le cas à Al Fujairah en D2 émiratie (qu’il a failli faire monter), ou du côté des Dorados (qu’il a failli faire monter). Ce dernier passage est l’illustration parfaite de ce que Diego entraîneur amène. À son arrivée, le club de Sinaloa est bon dernier de la deuxième division mexicaine. Non pas par sa tactique mais surtout par son aura et sa proximité avec les joueurs, Maradona va tout retourner. De la victoire inaugurale 4-1 (première du championnat alors pour le club alors qu’on joue la huitième journée) jusqu’à la finale pour l’accession dans l’élite face à San Luis, il transforme un club moribond en phénomène national. Jorge Córdoba, qui a côtoyé le mythe aux Dorados l’a ainsi raconté à El Dia : « il a généré quelque-chose d’incroyable. De son arrivée jusqu’à son départ, les médias du monde entier étaient tout le temps présents. Les Dorados étaient connu non seulement au Mexique mais aussi dans le monde entier. Les matchs étaient retransmis en Argentine. Ce qu’il a généré est immense, personne d’autre ne pourrait en faire autant ». Les matchs à domicile se jouent devant trois fois plus de spectateurs, l’effet s’est évidemment répercuté sur les autres clubs de la ligue. S’il change le club et son aura, lui offrant quelque-chose de plus, cette part de mystique qui peut faire la différence, Maradona s’attache aussi à changer les joueurs, avec qui il noue une relation quasi-filiale, allant jusqu’à leur offrir des cadeaux (auteur d’un triplé face à Cafetaleros, Vinicio Angulo s’était vu offrir une montre, aux Émirats, Diego récompensait également ses joueurs), mais n’hésitant pas à les inviter au restaurant pour unir davantage son groupe, son cercle. Les équipes de Diego sont une famille, elles sont soudées jusqu’au bout, l’apport de Diego est donc avant tout mental.

Mission impossible ?

À l’heure où le Gimnasia se retrouve à devoir se battre pour survivre, l’aura de Diego ajouté à cette volonté d’unir un groupe seront des atouts non négligeables. À sa prise de fonction, D10S se retrouve avec une équipe bonne dernière au promedio, ce classement sur trois championnats (les trois derniers en termes de points pris par match sur les trois saisons seront relégués), une équipe qui se retrouve avec déjà onze points à remonter sur les deux premiers non relégables que sont Banfield et Colón. Il a dix-huit journées pour y parvenir, mais une chose est sûre, s’il a déjà annoncé à ses joueurs qu’il n’était pas « un magicien, il faudra travailler pour gagner des matchs » ou encore que « celui qui ne court pas, ne jouera pas », alors que ces batailles pour la survie se jouent principalement dans la tête, le Lobo part désormais avec un avantage sur ses concurrents directs. Rien ne dit évidemment que D10S accomplira une mission qui s’annonce délicate, mais il suffit de voir le Bosque ce week-end pour mesurer déjà à quel point l’atmosphère générale autour du club a changé. Le premier rendez-vous du club est prévu ce dimanche face au Racing, le champion sortant et dernière expérience de club au pays de Diego entraîneur. Le nouveau coach du Lobo a prévu de passer son lundi à visionner les vidéos du Lobo et a annoncé qu’à partir de mardi il donnera ses idées de jeu aux joueurs, le travail peut désormais débuter. « On va se battre avec les pibes. Si Dieu le veut, le Gimnasia se sauvera » a-t-il enfin déclaré. Une chose est sûre, demandez aux hinchas triperos présents au Bosque ce week-end, tous vous diront que Dieu était présent sur le terrain.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.