Pour la première fois depuis bien longtemps, on a eu le droit à un plateau de choix en demi-finale de la Liga Águila. Pour la deuxième fois consécutive l'Atlético Nacional et Millonarios s'affrontaient en phase finale, cette fois-ci c'était en demie, et encore une fois les joueurs de Medellín se sont imposés.

Quelques jours après la catastrophe qui a décimé la Chape, l'Atlético Nacional recevait Millonarios en quart de finale retour de la Liga Águila II 2016. C'était en décembre dernier et los Verdolagas avaient fait la loi. Cette fois ci les deux équipes se retrouvaient un tour plus loin avec toujours cette rivalité entre les deux équipes les plus populaires du pays. À quoi ressemble un match entre ces deux grands colombiens. Direction Medellín.

Pour comprendre l'antagonisme entre les deux équipes, depuis le début du professionnalisme en Colombie mais qui a monté progressivement il faut bien voir deux choses. D'une part la rivalité est géographique, entre la capitale d'un côté et la deuxième ville du pays de l'autre. Deux villes, deux régions différentes, les gens de la capitale, les « rolos » comme on les appelle contre les « paisas » les personnes de Medellín et plus largement du département d'Antioquia. Habitant à Medellín depuis toujours, Victor m'explique « les habitants de Bogotá sont vus comme des personnes plus froides et moins ouvertes » avant d'opposer « nous ici on est un peu plus chaleureux, on aime bien recevoir les gens » puis d'avouer « personnellement je trouve que cette opposition est un peu bête, on est tous Colombiens ». Effectivement, les heures les plus sombres de la ville semblent bien lointaines, pas de sentiment d'insécurité quand on se balade dans les rues de la ville. D'autre part, depuis 1996 une nouvelle opposition est apparue, financière. En effet, depuis 1996, Carlos Ardila Lülle est le propriétaire du club de Medellín. Pour vous donner une idée du personnage, il est également le propriétaire d'une des deux chaines les plus regardées du pays, RCN, du soda colombien, Postobón mais il a aussi des entreprises dans agro-industrie et la construction. Une des plus grandes fortunes de Colombie. De l'autre côté, Millonarios traverse une crise financière importante et a toutes les peines du monde à trouver une stabilité financière depuis la fin des années 80. Cette nouvelle rivalité n'a pas échappé à Victor qui me dit « ils nous envient parce qu'on a de l'argent, on peut faire venir des bons joueurs et leur payer un bon salaire » mais il nuance « avant l'arrivée du nouveau propriétaire, on était fort aussi, on avait gagné des titres ». Vous l'aurez compris, depuis le premier affrontement entre les deux, le 3 octobre 1948 à Bogotá (victoire 4- 3 des visiteurs, le Nacional s'appelait à l'époque l'Atlético Municipal, en 1951 le club a changé de nom pour l'actuel), les deux équipes se battent pour une suprématie régionale, qui semble plus importante néanmoins pour les joueurs de la capitale comme en témoigne ce comité de départ samedi à l'aéroport El Dorado :

 

 

Aux abords de l'Atanasio Girardot, l'antre des deux équipes de la ville, on se rend rapidement compte que ce match n'est pas comme les autres. Cinq heures et demie avant le début du match, des supporters commençaient déjà à se regrouper dans la rue principale pour accéder au stade, la « 70 ». Autour du stade il y en avait d'autres attablés dans les nombreux bars et descendaient déjà quelques boissons alcoolisées. Des vendeurs essayaient aussi de revendre les derniers billets. Pour info, la place en tribune nord qui valait 40 000 pesos colombiens (soit 12€ environ) est passée à 60 000 pesos (faites la conversion vous-même). Évidemment beaucoup de maillot vert et blanc ou noir dans les rues de la ville. Par contre pas un maillot de Millonarios. Aucun espace n'était réservé pour les supporters visiteurs. À une heure et demie du coup d'envoi, les alentours du stade étaient remplis. Certains entraient déjà à l'intérieur mais la plupart de la « hinchada » du Nacional a profité du match Deportivo Cali-America pour se poser à table et boire quelques verres. Peut-être aussi pour s'abriter de l'orage qui s'est abattu sur la ville depuis le milieu de l'après-midi et qui ne semble pas vouloir s'arrêter.

À l'intérieur du stade difficile de trouver une place, malgré la pluie le public a répondu présent, avec ces fameuses « capotas » pour se protéger et s'asseoir sans pour autant être trempé jusqu'aux os. Dans les travées, les inscriptions sont rappelées, « tifo première mi-temps et rouleaux et lumière deuxième mi-temps ». Finalement c'était l'inverse avec à l'entrée des joueurs des supporters chauds bouillants alignés avec des extincteurs trafiqués pour lâcher une fumée verte et blanche. Au moment des hymnes, comme à Bogotá, l'hymne national est peu chanté au contraire de l'hymne d'Antioquia repris par tout le stade. Et comme les supporters de Millonarios, le même geste (main droite tendue, pouce et index qui se rejoignent et les trois autres doits tendus) quand le drapeau vert et blanc du département a fait son apparition sur les écrans géants du stade. Paradoxalement alors qu'on pensait que les supporters allaient se lancer avec les hymnes, l'ambiance est retombée progressivement, comme douchée. Il faut dire que la pelouse détrempée a empêché toute volonté de jouer au football donc impossible de s'enflammer. Par endroit impossible de faire une passe à cinq mètres ou une conduite de balle. Seul la tribune sud, les « barras bravas » mettent l'ambiance avec notamment le groupe « Bogotá verdolaga » qui s'en donne à cœur joie et déploie même une bâche en plein match. Dans le deuxième acte avec l'arrêt de la pluie, les voix ont commencé à se faire de plus en plus pressantes. Parmi les chants évidemment quelque uns qu'on ne peut pas traduire mais que vous devinez facilement. Alors qu'on se dirigeait tranquillement vers la séance de tirs-aux-buts suite à ce 0-0 sur l'ensemble des deux matches (score nul et vierge au Campin en milieu de semaine), Juan Pablo Nieto a trouvé la tête de Rodin Quiñones qui est venue s'écraser sur la barre. À l'affut Dayro Moreno est venu crucifier ses anciens partenaires. Coaching gagnant puisque les deux premiers étaient entrés dans les dix dernières minutes. Il n'en fallait pas moins pour réveiller la bête Atanasio qui a s'est mise à trembler sous nos pieds. Effondrés, les joueurs de Millos sont en plus rentrés au vestiaire sous des « une minute de silence pour Millos… » évidemment bruyants avec quelques pistolas et signe de la main en guise d'au revoir. Et quand on demande à certains supporters quel est le plus important entre sortir Millonarios ou aller en finale, Victor assume « sortir Millonarios, parce que c'était une finale avant l'heure. Mais bon maintenant il y a la finale contre le Deportivo Cali ». Son de cloche un peu différent pour le chauffeur de taxi qui m'a emmené au stade, chauffeur qui portait évidemment le maillot du Nacional (un maillot d'il y a quelques années quand la Liga portait le nom du soda colombien) qui précise « le plus important c'est d'aller en finale, le titre ».

À la sortie du stade, certains supporters prennent la direction du métro. Ils ont raté le spectacle de la « 70 » que les supporters ont pris d'assaut. Au milieu de la foule, quelques pétards sont jetés en l'air. Sinon la majorité des supporters s'est calée pour une bière ou plus si affinité. La particularité de cette rue est d'être jonchée de bars et discothèques. La soirée ne fait que commencer et il faut garder la forme, la semaine prochaine il y a finale contre le Deportivo Cali avec peut-être au bout, un seizième titre de champion.

Par Pierre Gerbeaud, à Medellín pour Lucarne Opposée

Pierre Gerbeaud
Pierre Gerbeaud
Rédacteur Colombie pour Lucarne Opposée