Le championnat à peine repris que le gouvernement péruvien annonce sa suspension temporaire. Une décision forte et lourde de sens.

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Depuis le 22 mai et la déclaration du Président de la République, Martín Vizcarra, quant à la reprise graduelle du sport, la Fédération Péruvienne de Football s’est lancée corps et âme dans une élaboration de protocoles sanitaires stricts et une planification spartiate afin de retrouver le sport roi dans les meilleures conditions possibles. La FPF avait présenté au gouvernement son plan de reprise étalé sur deux mois avec, dans un premier temps, des exercices individuels, des entrainements en petits groupes puis avec toute l’équipe au complet. Le retour de la compétition devait se faire en respectant une série de protocoles sanitaires incluant les tests de dépistage du COVID-19 de l’ensemble des joueurs professionnels et du staff. Au niveau des infrastructures, il avait été établi que l’ensemble des matchs restants de la saison allaient se disputer à Lima dans sept stades prédéfinis où aucun club ne jouera « à domicile » et évidement sans public. C’est ainsi qu’on pouvait voir sur les réseaux sociaux les différents clubs de première division se féliciter du retour du football en montrant leur dévouement à respecter les protocoles avec des séries de photos de joueurs passant les fameux test PCR, puis embarquer dans un avion charter affrété spécialement pour rejoindre la capitale avec l’espoir de remporter le graal.

Le calendrier était enfin dévoilé avec un premier match d’ouverture le vendredi 7 aout, UniversitarioAcademia Cantolao à l’Estadio Nacional, suivi du reste des rencontres les samedis et dimanches. Tout était enfin en place pour assister au retour tant attendu du football au Pérou et donner au peuple un semblant d’euphorie dans un pays meurtri par la pandémie. Malheureusement, une série d’événements va consumer les espoirs de voir le ballon rouler sur les pelouses péruviennes.

Le cas Binacional

Le 5 août, soit deux jours avant la reprise du championnat, on apprend que huit personnes du club Deportivo Binacional, six joueurs et deux membres du staff, sont infectés par le coronavirus. Le club n’aurait pas fait passer de test avant le départ de leur ville de Juliaca, mais seulement à leur arrivée en bus à Arequipa avant de prendre un avion pour Lima. Tout ce beau monde a donc voyagé avec une ou plusieurs personnes infectées. À leur arrivée dans la capitale côtière, quatre joueurs de l’équipe ont eu la bonne idée d’aller déjeuner dans une cevicheria alors que le protocole mis en place interdisait toute sortie en dehors de leur lieu de concentration. Premier faux pas et première sanction du club qui sépare ces quatre joueurs du reste de l’équipe en plus des contaminés. La FPF ne souhaite rien laisser passer et décide de suspendre le match entre Binacional et Alianza Lima qui devait se jouer dimanche. L’Alianza Lima entame alors une procédure pour réclamer les trois points. Nous sommes à quelques jours de la reprise et la tension est palpable au sein des clubs du championnat.

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90 minutes pour mourir

Vendredi 7 aout, retour du football au Pérou après plus de cent-cinquante jours. Une retransmission spéciale depuis l’Estadio Nacional débute dès les premières heures de l’après-midi pour présenter ce match entre Universitario, qui fête ses 96 ans, et l’Academia Cantolao. À la télévision, les journalistes expliquent l’ensemble des protocoles prévus en s’appuyant des images du stade où une armée d’employés de la fédération habillés en blouse avec masque et visière protectrice termine de désinfecter l’endroit. À l’arrivée des équipes, la température de chaque joueur est contrôlée, la distance sociale est scrupuleusement respectée. Puis les joueurs sortent sur le terrain pour le traditionnel échauffement et les remplaçants, masqués, prennent place dans les premiers rangs de la tribune en respectant toujours une distance de deux sièges entre chaque personne. Avant le début du match, seuls les capitaines de chaque équipe se présentent avec les arbitres pour la photo d’avant match. Le ballon est une énième fois désinfecté. Le jeu peut commencer, le football reprend enfin ses droits. Enfin, pour seulement quatre-vingt-dix minutes.

Car dehors, c’est une autre histoire. Alors que le Nacional est devenu une bulle aseptisée, une horde de « supporters » cremas se rassemble avec banderoles et tambours pour soutenir leur club de cœur. Malheureusement, en pleine pandémie et en plein état d’urgence, cet élan d’euphorie n’est pas du tout du goût des autorités. À la fin d’un match nul et vierge, lui aussi aseptisé, entre les deux équipes, l’IPD, l’Institut Péruvien du Sport, organe gouvernemental, se fend d’un communiqué qui fait trembler l’ensemble des acteurs du football. Pour ne pas avoir respecté les protocoles de distance sociale de la part d’une partie de la population aux alentours du stade, l’IPD suspend le reste des matchs du championnat. Peu après, le premier ministre Walter Martos appuie l’IPD et affirme que la Liga 1 est suspendue tant que les protocoles de distanciation sociale ne pourront pas être garantis.

La FPF doit maintenant prouver qu’elle peut organiser un tournoi de football tout en faisant respecter les protocoles sur et en dehors le terrain. Un vrai casse-tête s’annonce et on se demande si le football reviendra vraiment en 2020. Cette décision arrive dans un moment critique où le pays est en proie à une apparition constante de nouveaux cas de coronavirus avec une saturation des hôpitaux et une pénurie d’oxygène. Le football risque à nouveau de passer au second plan et beaucoup de questions vont maintenant éclore. Qui se tient responsable de cette suspension ? Quel est le sort des clubs qui ont respecté les protocoles, mais qui restent bloqués sans jouer à Lima ? Verra-t-on à nouveau un match de football au Pérou cette année ?

 

Images FPF

Romain Lambert
Romain Lambert
Parisien expatrié sur les terres Inca, père d’une petite franco-péruvienne, je me passionne pour le football de Lima à Arequipa en passant par Cusco. Ma plus forte expérience footballistique a été de vivre le retour de la Blanquirroja à une coupe du monde après 36 ans d’absence.