La FIFA et la CONMEBOL sont donc intervenues et ont pris le contrôle de l’AUF. Ce que les présidents de club et le diffuseur du championnat appellent un « coup d’état de l’étranger » est salué par tous les autres acteurs du football uruguayen, joueurs, joueuses, arbitres… La fin de la bataille approche, et il va y avoir des victimes.
Le dimanche 29 juillet, dans l’émission Punto Penal, c’est un Wilmar Valdez dépité, au bord des larmes, que l’on voit apparaître. Le président en exercice de l’AUF, favori à sa propre succession pour l’élection du mardi suivant, admet alors qu’il doit renoncer à se présenter pour des raisons familiales. Après un mois de campagne, de réunion avec les clubs, c’est la surprise. La suite de l’histoire nous apprendra qu’il renonce suite à une sorte de chantage, puisqu’il aurait admis lors d’une discussion enregistrée à son insu, avoir pris un pourcentage sur le contrat d’illumination du stade Franzini et/ou avoir favorisé un contrat de vidéo-surveillance à reconnaissance faciale à la demande du ministère de l’intérieur… Que du beau. Bref, en ce mardi 31 juillet, il ne reste plus que deux candidats en lice, Eduardo Abulafia et Arturo Del Campo. Del Campo aurait pu éventuellement être un candidat sérieux, sauf qu’il a participé à la fuite des enregistrements de Valdez, forme de chantage, et qu’il est donc démonétisé pour de nombreux clubs. Ne reste plus qu’Eduardo Abulafia. Profitant du scenario, il va être à une voix près d’être président de l’AUF.
Pourtant, c’est un homme au profil atypique, très proche de Paco Casal, businessman, ancien agent, possédant via sa société Tenfield les droits de diffusion du championnat et ayant possédé pendant longtemps des droits liés à la sélection (sponsoring, organisation d’amicaux). Paco Casal, et son acolyte Enzo Francescoli, sont depuis quelques mois très critiqués par les joueurs du championnat et de la sélection, puisqu’il semblerait que tout ce qu’ils achètent à la fédération soit bien sous-payé. Et pourtant, ils ont donc été très proche de réussir à couronner un proche à la tête de l’AUF. Pourquoi ? Parce que l’AUF, depuis sa fondation en 1900, ne laisse de voix qu’aux présidents des clubs professionnels de première division (et une voix pour tous les clubs de deuxième). C’est l’autre nœud du problème sur lequel nous reviendrons, mais Casal a donc réussi à se mettre dans la poche dix voix, dont les affidés traditionnels (Racing, El Tanque Sisley, Cerro…) mais aussi, et c’est plus surprenant, de quelques clubs que l’on pourrait croire plus sérieux comme le Defensor. Abulafia a bien obtenu la majorité simple, ce qui est déjà un exploit, mais pas la majorité qualifiée de 12 voix sur 17 qui aurait permis qu’il soit élu. L’homme de Casal président, c’eût été la grève des joueurs et des arbitres (ils l’avaient annoncé clairement) mais aussi éventuellement aussi un non-renouvellement de Tabárez (Casal et le Maestro ne s’appréciant guère). Il n’a pas été élu pour deux raisons : Tout d’abord, un club a représenté le bon sens dans cette affaire : le Club Nacional de Football. Le Bolso a réussi à convaincre Peñarol (qui était prêt à voter Abulafia suite au rapprochement d’Ignacio Alonso avec ce dernier) de reporter le vote définitif de trois semaines au vu des circonstances. Le bon sens est donc venu du Nacional, l’excuse est venue de la CONMEBOL. Un président de fédération fait automatiquement parti du « bureau » de la CONMEBOL, mais il doit y être validé par un comité d’éthique. Or, la CONMEBOL n’apprécie pas particulièrement Casal et Tenfield, puisque ces derniers étaient partis civil contre la CONMEBOL et FOX SPORTS dans les affaires de corruptions ayant fait tombés de nombreuses têtes dans le football sud-américain. Et comme Abulafia semble avoir un casier judiciaire long comme le bras, avec de gros ennuis auprès du fisc, la CONMEBOL en a profité pour ne pas valider sa candidature auprès du comité d’éthique. Il aurait donc été un président élu non-reconnu par la fédération sud-américaine. Cela fait quand même tâche, puisqu’il est toujours chargé par la présidence uruguayenne d’organiser le comité de candidature du pays pour la Coupe du Monde 2030… Pas l’idéal, pour un homme ayant des démêlés avec le Fisc et étant peu apprécié de la CONMEBOL, mais qui est proche du Frente Amplio, comme Casal, et cela semble être un diplôme suffisant…Mais l’on se perd… Bref, grâce notamment au Nacional qui préfère ce jour-là attendre la réponse de la CONMEBOL sur l’éthique d’Abulafia (dont on connait déjà l’acabit), le vote est reporté de trois semaines, jusqu’au 22 août. Trois semaines plus tard, il n’y a plus aucun des trois candidats de départ puisque Valdez a démissionné, et qu’Abulafia et Del Campo n’ont pas été validé par la CONMEBOL… D’autres lurons entrent dans la danse, comme Ignacio Alonso, ou Óscar Curutchet.

Page de Tenfield parlant des « conspirateurs » (Lugano, mutuelle des arbitres et des joueurs)
Le Coup ne fait pas rire
Oui, mais voilà, patatras, à une heure de l’élection prévue mardi, la FIFA et la CONMEBOL émettent un communiqué : pas d’élection, pas de nouveau président, l’instance internationale prend le contrôle. En direct, sur Tenfield, on voit le commentateur chargé de l’AUF auprès de la chaîne, Daniel Banchero, informer les présidents des clubs en direct utilisant le terme « coup d’État », et indiquant que la FIFA va nommer le Gregorio Álvarez (dirigeant uruguayen durant la dictature) de l’AUF. Pendant que les présidents crient à l’ingérence de l’étranger, de ces corrompus de la FIFA, on apprend que l’instance est intervenue à la demande des syndicats de joueurs, d’arbitres et de l’organisation du football de l’intérieur, l’OFI, non reconnu en tant que membre de l’AUF. Pourquoi la FIFA se permet-elle d’intervenir aussi directement dans le processus électoral d’une fédération ? Parce que, depuis 2013, la FIFA avait mis en demeure l’AUF de changer son mode de gouvernance. Pour schématiser, l’AUF est beaucoup plus proche du fonctionnement d’une ligue comme la LFP ou la Premier League, que comme celle d’une fédération. Seuls les clubs professionnels ont voix au chapitre, le football amateur et féminin n’y est pas représenté par exemple, et n’y a pas de droit de vote. Cela a généré le problème au départ, car il suffisait à Casal d’acheter quelques présidents ou quelques clubs pour noyauter la bête. Durant les dernières années, dès qu’un club avait des difficultés à payer des salaires, on appelait l’ami Casal qui prêtait quelques centaines de milliers de dollars en l’échange d’une certaine fidélité lors des votes. Mais cela ne pouvait plus continuer. L’OFI, football amateur de l’intérieur, représente ainsi 148 000 affiliés tout en étant exclu de tout processus décisionnel et organisationnel de l’AUF, qui ne représente à lui-seul que 8 600 affiliés. Cela, la FIFA avait déjà prévenu l’AUF qu’elle ne pouvait plus l’accepter et que de nouveaux statuts devaient être adoptés. C’était il y a cinq ans, et rien n’a été fait.

La FIFA va donc avoir été les coudées franches pour réformer les statuts de l’AUF pour en faire une vraie fédération, et peut-être aussi pour enquêter sur le passé. C’est du moins ce que demande le communiqué des joueurs de la sélection et des joueurs du championnat. Ils appuient en effet la FIFA et réclament un nécessaire et immédiat audit sur la politique de signatures d’accord de l’AUF sur les vingt dernières années, pour y découvrir les irrégularités qu’il y a pu avoir… Encore une fois, Casal et Tenfield sont pointés du doigt. De l’autre côté du Styx, on retrouve non seulement Tenfield/Casal, qui parlent de conspirateurs et de coup d’État, mais aussi la majorité des présidents de club ainsi que, étrangement, la Ministre des Sports. Là, le danger guette. Les clubs veulent faire appel de la prise de contrôle par la FIFA, auprès du TAS, ce qu’ils auraient fait par l’intermédiaire du président intérimaire Welker. Si le ministère des sports s’en mêle, l’AUF pourrait tout aussi bien être désaffilié. En cas de refus du TAS, María Muñoz la Ministre souhaiterait faire reconnaître par les tribunaux uruguayens que l’AUF, Association « civile » dans le sens qu’elle est gérée sous l’égide de l’État, ne peut être sous contrôle d’un organisme international. Si elle fait cela, il y a fort à parier que la FIFA désaffiliera l’AUF. La rumeur veut que la désaffiliation aurait déjà pu être prononcé mais la FIFA souhaite attendre la fin du mondial féminin U17 en novembre pour ne pas avoir à le déplacer à deux mois de la compétition.
La suite
La FIFA va sans doute nommer dans les prochains jours un groupe pour diriger les changements de statuts. On parle de Sebastián Bauzá, dont se serait une sacrément belle revanche puisque ce dernier, président de l’AUF de 2010 à 2014, avait été viré suite à un coup d’État, géré en sous-main par Tenfield, alors que Bauzá remettait en cause les acquis de Casal au sein de l’AUF. On parle aussi de Lugano, qui est le traitre en chef d’après Tenfield. Dans tous les cas, la cassure est nette, béante, immense. Tucci, président de River Plate, a ainsi indiqué à Ovación que le courrier de la mutuelle des arbitres et des joueurs est inacceptable et qu’ils iront jusqu’à arrêter le championnat s’il le faut. La menace a changé de camp. Les réunions dans les clubs vont être tendues… Côté politique, il faudra suivre la réaction du Président de la République, et ex-président du club de Progreso, Tabaré Vázquez, qui devra éventuellement se positionner soit du côté des joueurs, des arbitres, de l’OFI et d’une majorité des Uruguayens et accepter la prise de contrôle de la FIFA, soit du côté des « amis », du « milieu », de Paco Casal et des présidents de club, et enfoncer l’Uruguay dans l’obscurité.
Communiqué commun des internationaux et de la mutuelle des joueurs



