Avec quatre points d’avance à deux journées de la fin, Plaza avait son destin entre ses mains avant de jouer le Wanderers à Montevideo. Et comme en 2016, l’équipe d’Espinel n’a pas flanché, et devient un peu plus que le Leicester uruguayen...

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Un drôle de parcours que celui de Plaza Colonia… Après avoir longtemps végété en deuxième division, le club avait été promu en 2015, avait gagné le Clausura 2016 au Campeón del Siglo contre le Peñarol de Diego Forlán (joueur), avant de descendre en 2017, de remonter en 2018, d’être menacé de descente en 2020… et de rebondir pour le moins fortement en 2021 ! Le club bénéficie d’une structure stable avec Carlos Manta, président de la SAD qui gère la partie football du club, mais qui le gère assez bien et de façon « locale », avec aucun transfert douteux, aucun salaire mirobolant. La devise du club est devenue « que rien ne manque mais que rien ne soit en trop ». Quand on voit certains clubs à sociétariat, Manta ferait presque de la SAD un modèle de gestion. Comme quoi, quel que soit le statut juridique, c’est la volonté qui compte. L’équipe est notamment composée d’une quinzaine de joueurs du département même de Colonia ou des départements limitrophes, avec un vrai avantage pour la recrue d’ancien qui souhaite revenir sur leur terre comme Álvaro Flaco Fernández ou Cristian Cebolla Rodríguez, mais aussi de vrai succès dans la formation comme Facundo Waller (parti au Mexique), Kevin Dawson (parti à Peñarol) ou Leandro Suhr (toujours au club). Puis durant le championnat 2020, Eduardo Espinel est revenu, lui qui avait été l’entraîneur champion du Clausura 2016 (mais qui est aussi un ancien jour du club) et l’équipe qui avait du mal à trouver une stabilité s’est remis en marche. Rigueur défensive extrême, vitesse offensive avec deux points véloces, et c’est reparti. L’équipe a fait un excellent Clausura 2020 (cinquième, seize buts encaissés sur quinze matchs) et a terminé à trois points de la Sudamericana. L’équipe a perdu quelques éléments lors du mercato (Facundo Píriz), a recruté Cebolla Rodríguez, et est repartie pour un championnat sur le thème d’une défense de fer, mais en même temps du beau jeu. Combiner les deux est possible. Rapidement, Plaza a pris les commandes d’un championnat malgré une défaite contre Nacional (la seule pour le moment) et un nul contre Peñarol au Campeón del Siglo. À côté, presque que des victoires. Côté statistique, Plaza n’a encaissé que sept buts (dont deux contre Nacional) et en a marqué dix-huit, soit presque deux fois moins que Liverpool, quatrième, et ses trente-cinq buts… Et pourtant les matchs de Plaza sont agréables. L’équipe a beau jouer souvent à cinq derrière, les deux joueurs de couloirs savent jouer et monter au bon moment. Au milieu, l’endroit le plus essentiel dans ce schéma car l’équipe peut y être en infériorité, Leonai Souza joue pour deux, aux côtés de joueurs comme Fernández qui est toujours, à trente-six ans, ce joueur aussi fin techniquement, qui lui a permis notamment de jouer un quart de finale de Coupe du Monde...En attaque, Nicolas Dibble est redevenu le Dibble de 2016. Et donc Plaza pouvait, en battant Wanderers, gagner à nouveau un tournoi court cinq ans après (et aussi enchaîner une troisième tournoi court d’affilé pour une « petite » équipe, c’est à dire hors Nacional et Peñarol). Ce tournoi lui assure une place pour définir le championnat à la fin de l’année avec soit une place en Sudamericana à minimum, soit une place en phase de poule de Libertadores comme l’a magnifiquement démontré Rentistas l’année dernière.

Le match contre Wanderers ne restera pas dans l’histoire du football même s’il restera dans la mémoire de nombreux colonienses. Wanderers n’a jamais su par quel bout prendre le match, entre la volonté de dominer et la peur d’être pris en contre par une équipe qui commence déjà à être connu comme le loup blanc. L’équipe de Carreño n’a pas choisi de voie, n’a pas proposé grand-chose, et a donc été pris sur l’autre arme de Plaza : les ballons aériens. Avant cela, Dibble se procure une occasion de la tête, et trouve la transversale sur une frappe un peu molle mais retombant au bon moment. Peu avant la mi-temps, Camargo envoie un long coup-franc depuis le milieu de terrain. Après une première remise de la tête, le ballon arrive sur Fernández qui remet délicatement le ballon dans l’axe sur Emilio Zeballos qui trompe De Arruabarrena de la tête. Ouverture du score logique et qui va avoir la qualité d’enflammer un peu le match avec une période de domination de vingt minutes pour le Wanderers, qui se matérialise par quelques occasions, un arrêt de Santiago Mele, puis un centre d’Araujo sorti par la main d’Olivera, ce qui aurait dû logiquement valoir un penalty pour les Bohemios. Las, l’arbitre assistant n’a rien vu, Araujo disjoncte et prend deux jaunes coup sur coup pour contestation. La chance est du côté de Colonia. Alors que le match semble plié, Nicolas Dibble montre pourquoi Plaza Colonia est une équipe intéressante à suivre : elle s’amuse dans les espaces. Il a une première occasion, sans doute celle de l’année en Uruguay, sur laquelle il va laisser de Arruabarrena sur le cul deux fois, avant de frapper sur la base du poteau. Un vrai festival. Dans la foulée, Dibble part de nouveau sur une magnifique passe au moment idéal de Leonai Souza dans le dos des défenseurs. Il se présente seul face au gardien, l’élimine à nouveau, et cette fois-ci double la mise comme un bon U15 lors d’un Challenge Orange de mi-temps. Il peut enlever son maillot et pleurer. Il emporte avec Plaza Colonia le deuxième tournoi de l’histoire du club.

Pour rapidement évacuer la performance de Wanderers, l’équipe est quand même très décevante avec un milieu à cinq qui devrait avoir du ballon et des possibilités mais qui n’a rien montré. On n’a pas beaucoup vu Quagliata par exemple, qui aurait dû avoir un rôle plus protagoniste face à une équipe défendant à cinq. Ce que je dis est aussi vrai pour les latéraux Pais ou Veglio. L’erreur d’arbitrage a un peu tué la fin de match, même si après soixante-dix minutes c’était bien Plaza qui menait. Côté Plaza Colonia, la semaine prochaine et le résumé de l’Apertura permettra un débrief complet de l’effectif mais on voit déjà les principaux éléments. Un Santiago Mele roi d’une défense à cinq imprenable. Un Leonai Souza aussi bon à la récupération qu’à la passe vers l’avant. Ils peuvent n’être que trois au milieu puisque Souza joue de numéro 5 (récupérateur en Uruguay, on dirait 6 en Europe) et de numéro 10. Devant, Dibble et Diogo apportent un danger permanent sur la défense adverse en alternant : pour Diogo le poids du contact, pour Dibble la vitesse et les espaces où qu’ils soient. Protocole sanitaire oblige, l’équipe a dormi à Montevideo avant de prendre le bus et d’être reçue par les habitants de la ville lundi après-midi. Le match contre Rentistas va être difficile ce week-end mais Plaza a quatre points d’avance à seize matchs de la fin du championnat comme il n’y aura pas d’Intermedio pandémie oblige. On espère que l’équipe prendra tout cela au sérieux parce que gagner un Apertura c’est bien, mais être champion… c’est autre chose.

Pour le reste…

Avant tout cela, les deux grands ont évidemment joué pour « conserver la pression » sur Plaza. Peñarol, avec à nouveau une équipe bis, s’est imposé contre Progreso avec un beau but d’Álvarez Martínez entré en deuxième mi-temps. Peñarol est l’autre grand gagnant de cet Apertura en Uruguay avec au final une troisième place à deux points du grand rival Nacional malgré de nombreux matchs en milieu de semaine et une très belle performance en Sudamericana. Un peu comme pour toutes les autres équipes : si l’effectif reste le même, le Clausura va être passionnant.

Le vrai choc de la journée était un NacionalLiverpool qui avait créé des étincelles lors du tournoi 2020. Nacional a ouvert le score à la cinquième minute par Corujo sur corner, alors que toute l’équipe noire et bleue avait suivi Bergessio par peur de son coup de tête. Nacional domine le début du match avec une immense activité de Trezza et Ocampo, qui finissent tout deux par prendre un jaune à la demi-heure de jeu et par s’éteindre petit à petit. Nacional aurait alors pu plier mais Liverpool n’a jamais réussi à passer le milieu de terrain bolso bien reculé. Cela a donné soixante minutes sans action franche hormis celle de Nacional en contre. Liverpool n’a incroyablement pas tiré une seule fois au but, malgré la possession de balle. Drôle de match, mais victoire importante pour Nacional qui à défaut de gagner le tournoi tente de sauver la tête de son entraîneur et d’éviter d’appliquer cet axiome qui veut que les deux grands doivent soit gagner au niveau national, soit bien figuré au niveau continental, soit virer leur entraîneur.

Pas grand-chose à dire des autres matchs, sinon que Torque et Fénix se sont remis à l’endroit, et que bizarrement le match du samedi après-midi n’a pas été de première division, et cela est très rare. Tenfield, qui a la main sur la programmation, a fait jouer un match de première division à l’heure du déjeuner (RentistasSud América), un match qui n’enthousiasme pas les foules, puis le vrai choc de cette journée : Danubio  - Defensor. Car on ne parle pas mais se joue cette année sans doute la deuxième division la plus relevée de la riche histoire uruguayenne, avec Danubio, Defensor, Cerro, Rampla Juniors, Racing… et Atenas de San Carlos, dirigé par le toujours aussi blond Diego Forlán. Cela fait potentiellement de nombreux matchs très intéressants et il y a eu en effet des très beaux matchs le jeudi, jour habituel de la deuxième division, où les rencontres s’enchaînent au Charrúa sans public mais pour être tous diffusés sur VTV. Cela donne des scènes cocasses, avec quinze minutes entre chaque match et des joueurs qui arrivent tout habillés tout prêts, qui s’échauffent dix minutes, et en voiture Simone. Cela n’était donc pas le cas samedi, avec un match à un horaire de week-end et une belle affiche… qui a évidemment accouché d’une souris, avec une purge bien fermée et une victoire de Defensor (1-0) sur un but de Matías Cabrera à la dernière minute du match. Pour ce qui est du classement, à mi-saison, ce sont le Racing et la surprise Albion qui sont aux deux premières places pour la montée directe, et le Defensor qui ne s’en sort pas trop mal depuis l’arrivée de Leonel Rocco qui est troisième pour le barrage. Rampla est en grosse difficulté (avant-dernier) tout comme Villa Teresa, dernier au classement.

Dernier point dans ce résumé définitivement trop long : du public va revenir dans les stades dès cette semaine ! Peñarol a reçu l’autorisation exceptionnelle du gouvernement pour recevoir du public pour le quart retour de Sudamericana. 5000 socios vont être tirés au sort avec un algorithme complexe combinant l’ancienneté et le prix payé pour les places (les socios ayant une place dans les loges étant privilégiés). Il faudra évidemment être vacciné, ce qui a créé un conflit avec quatre socios qui ont décidé de ne plus l’être pour protester contre l’obligation à venir d’être vacciné pour accéder au stade. Ils ont protesté avec véhémence au siège du club, engueulant une secrétaire qui n’y était pas vraiment pour grand-chose…

Les buts de la journée

 

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Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba