Alors qu’on ne cesse d’entendre et lire diverses analyses sur les incidents survenus avant le coup d’envoi de Brésil – Argentine, faisons le point sur quelques éléments qui mériteraient une attention particulière.
Avant de nous lancer dans l’analyse et les faits, il convient de débuter par quelques précisions.
- Le premier danger dans l’analyse consiste à faire attention à ne pas appliquer le prisme européen (comme pour tout d’ailleurs). On l'abordera plus bas, notamment dans le fameux débat sur les parcage qui agitent plusieurs médias français, il est des spécificités à connaître et des parallèles à ne surtout pas faire.
- Lorsque l’on parle des supporters présents dans un stade : il faut distinguer les hinchas (des supporters comme vous et moi) des barras (des criminels). Rien ne laisse penser que nous avions affaire à des barras derrière les buts au Maracanã, quelques éléments laissent d'ailleurs penser que ce sont plus probablement des hinchas (même si, comme il n’y aura jamais d’enquête, on ne le saura jamais).
- Enfin, dans tout ce qui va suivre, il n’est et ne sera jamais question de choisir un camp (en l’occurrence le Brésil ou l’Argentine), ça a beau être dans l’air du temps, l’analyse peut se faire sans opposer le camp du bien et celui du mal. Il n’est pas non plus question de verser dans l’angélisme. Si tout démarre par un affrontement entre supporters, l’analyser au prisme de la violence des tribunes sud-américaines est une erreur. Elle existe, c’est une évidence, on en témoigne régulièrement et elle ne cesse d'être présente, en particulier en dehors des stades (il y a eu des morts ces dernières semaines, notamment au Brésil, il y en a encore trop en Argentine). Mais dans ce qui suit, il est simplement question de pointer un système à la dérive.
Maintenant que ces précisions sont faites, prenons donc le temps de rappeler ce qui surprend bien des commentateurs de cet épisode : il n’y a jamais de parcage visiteur lors des matchs de sélection, en particulier au Brésil. Les publics sont toujours mélangés, la CONMEBOL l'a d'ailleurs rappelé dans son communiqué, à raison. Même s'ils peuvent parfois exister, les parcages visiteurs ne sont pas l'usage. Cela s'accompagne du fait qu'il n’y a donc pas forcément d’encadrement spécifique des supporters visiteurs, pas de notion d’isolement, d'accompagnement ou de gestion des masses pour les canaliser et les conduire vers une zone du stade à l'écart des autres. Ce n'est bien évidemment pas le cas pour les clubs, notamment lors des matchs continentaux, mais telle est la tradition pour les sélections (une fois encore, même si parfois ils sont mis en place). S'étonner que ce ne fut pas le cas au Maracanã, que ce ne soit pas la norme, montre une profonde méconnaissance de la spécificité sud-américaine sur ce plan et peut laisser planer quelques doutes quant à la pertinence de l'analyse qui en découlera. Reste qu'en tribune, même en l'absence de parcage officiel, les gens finissent généralement par se regrouper, ce qui donne aussi des sortes de « kops » ou zones plus denses au cœur des supporters locaux. Cela donne aussi des photos assez belles, comme celles que nous avions prises en finale de la Copa América 2015 où les langues albicelestes venaient zébrer la marée rouge chilienne. Il n’y avait d'ailleurs eu aucun problème en tribunes, ni dans les rues, les supporters des deux camps entrant en même temps dans le stade.
Même illustration en 2019, où nous avions vécu la Copa América depuis les tribunes, là aussi, tout le monde se mélangeait.
Pour revenir à cette semaine, durant le match, on voit clairement qu’il y a des Argentins aux quatre coins du stade, placés au milieu des Brésiliens et qu’il ne se passe rien. Les images diffusées à la mi-temps sont nombreuses à le démontrer. Il y a une zone plus dense en Argentins, celle derrière le but, mais d'une part elle n'est pas exclusivement argentine, d'autre part, elle n'est pas la seule dans le stade. Ce n'est donc pas un parcage, la tradition qui s'applique notamment au Brésil et dans certains stades, est respectée. Alors, inévitablement, il arrive des moments où ça peut chauffer. En 2019, nous étions au cœur du principal « kop » argentin présent dans le stade, juste derrière le but. Le match était tendu et il y a quelques échanges un peu chauds, même après la rencontre avec même quelques échanges de bourre-pif. Mais, comme souvent, cela s'est rapidement calmé, parfois tout seul, parfois avec l'intervention et la médiation des stadiers.
Dans le cas du Maracanã. Plusieurs moments sont notables. D’abord, il y a évidemment une étincelle. La question de savoir qui l'a allumée n'est finalement qu'anecdotique au regard du débat qui devrait être mené. Reste qu'on est dans un échange de coups finalement assez classique, qui se calme généralement au bout de quelques minutes. Ce qui est d’ailleurs le cas, puisqu’il y a ensuite une sorte de pause, ce n’est pas encore redevenu serein, mais l’intensité semble retomber, notamment avec la présence de stadiers. C’est alors qu’arrive la fameuse police militaire. Celle qui fait que tout s’embrase. Pourquoi ? Car la police tape sans regarder, comme d’habitude. On évacue des femmes et des enfants argentins et brésiliens (preuve du mélange et non d’un « kop » de supporters argentins ou d’un virage de barras). Et la police tape fort (comme d’habitude). Génère une panique qui aurait pu avoir de plus lourdes conséquences avec un mouvement de foule.
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S'il n'y a pas eu de drame plus grand, c'est qu'il y a un point de bascule : l’intervention des joueurs argentins. D’une part, cette action ajoute un élément de plus pour penser qu’il n’y a pas d’implication des barras (sinon, les joueurs n’y seraient probablement pas allés, Dibu n’aurait pas sauté sur un policier par exemple). D’autre part, car c'est cette intervention met fin au tabassage en règle qui s'opérait alors. Le match est alors retardé, il finit par se jouer, ce qui prête aussi à discussion, bien que personne n'en discute après coup. Car au final, le constat n’est pas fait.
Alors est-il temps de le faire en pointant un élément central : la violence policière et l’inaction des instances. Que les instances assument le fait qu’il n’y ait pas de parcage n’est pas le débat. Que l’on veuille imposer un modèle européen au regard de ce qu’il s’est passé n’a aucun sens, d'autant que même lors les parcages existent, la violente répression policière s'opère (voir plus bas). Le fait que ces instances n’agissent pas contre cette police, pire, ne la pointent pas du doigt, pose problème. D’autant que cet énième débordement entre dans un contexte bien particulier.
On ne remontera pas jusqu’à 2012 et le scandale de la finale de Sudamericana arrêtée à la pause après que les joueurs argentins se sont faits tabasser par la police dans les vestiaires (certains ayant même été menacé par des armes à feu), on s'attardera uniquement sur deux moments marquants de cette saison, deux moments qui se sont justement passé à Rio et au Maracanã.
En huitièmes de finale, le jour du match retour, des hinchas d'Argentinos Juniors ont été agressés en pleine rue par des torcidas de Flu qui avaient parfaitement organisé l'affaire, le tout sous le regard de la police locale qui n'est pas intervenue. Plus tard, la police militaire officiant dans le stade a chargé les hinchas d’Argentinos dans les tribunes du Maracanã. La CONMEBOL n’a rien fait, n’a rien dit.
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En finale, tout le monde a vu les débordements qui ont touché les hinchas de Boca, hinchas, pas barras (puisque la barra n’était pas encore arrivée, souvenez-vous qu’elle a même annoncé aux supporters présents à Rio qu'elle arrivait pour les protéger après les événements). À Copacabana donc, la police militaire a chargé les hinchas en utilisant gaz lacrymogène, tirs de LBD. Des supporters ont été blessés. Une police qui est arrivée une fois qu’une torcida de Flu était venue puis repartie après avoir agressé ces mêmes supporters. La CONMEBOL, qui avait annoncé la mise en place d’une Fanzone au Sambodrome avant de faire marche arrière une fois les plus de 100 000 boquenses sur place, avait alors publié un communiqué pour dire « s’il vous plait les supporters, soyez gentils ». Là encore, pointer le nombre de supporters de Boca était détourner le problème. Tout le monde savait qu'ils viendraient en nombre. Personne n'a rien fait d'autre que de les livrer à la police militaire de Rio. Les débordements ont continué. Le jour de la finale, la police a chargé les supporters qui se entraient dans le périmètre du stade en brandissant des épées, des sabres, provoquant quelques moments de panique. Fort heureusement, il n'y a pas eu de charge dans les tribunes.
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Il y a donc un contexte. Que l’on peut d’ailleurs étendre bien au-delà des frontières brésiliennes. Deux autres exemples récents l’illustrent : l’an passé, en Argentine, un hincha est mort après une charge de la police en marge de Gimnasia-Boca. Match définitivement suspendu. Et de rappeler que les supporters visiteurs sont interdits en Argentine depuis 2006 pour certaines divisions, depuis 2013 en Primera après la mort d’un supporter de Lanús, tué par la police. Pas plus tard que cette semaine, quelques heures après les événements du Maracanã, au Pérou, la police a profité de la rencontre pour effectuer un contrôle de visa auprès de tous les supporters vénézuéliens. À la fin de la rencontre, lorsque les joueurs de la Vinotinto sont venus saluer leurs supporters et lancer leur maillot, la police les a frappés. Elle a ensuite chargé dans les tribunes. Le mal est profond, il touche toute la zone.
Les événements du Maracanã ne doivent ainsi pas n’être qu’un simple épisode de plus à ranger au « folklore » sud-américain. Ils ne doivent pas non plus ajouter des pièces dans la machine à clichés sur une prétendue ultraviolence de la zone, mais doivent servir à mettre en évidence les dérives autoritaires qui touchent tout un continent et dénoncer un système dans lequel chacun se renvoie la responsabilité, préférant passer son temps à se féliciter d'organiser quelques miettes d'une future Coupe du Monde. Car malheureusement, les réactions officielles sont déjà tombées et sans surprise, rien ne changera : la fédération brésilienne a renvoyé la balle au duo CONMEBOL/FIFA, la CONMEBOL l’a remise à la FIFA qui a déjà déclaré qu’il n’y aura pas d’enquête immédiate. Pendant ce temps, les débordements violents de la police se poursuivent. Quand elle ne blesse pas, l’immunité tue. Et fait des instances des complices.
Photos : Wagner Meier/Getty Images