En juillet 2024, Paris accueillera le tournoi olympique de football un siècle après celui qui a profondément changé l’histoire du football mondial. Lucarne Opposée vous propose une série d’articles consacrés à ces Jeux de 1924, première Coupe du Monde de l’histoire.
L’année 1924 est synonyme d’année olympique. La France voit les choses en grand avec des Jeux d’Hiver à Chamonix entre janvier et février, puis des tournois olympiques de Football Association et de Rugby en mai et juin, avant le gros du programme durant une quinzaine olympique en juillet. Le pays s’apprête à vibrer pour le sport pendant six mois. Notamment pour la balle ronde.
Que souhaite un quotidien sportif en ce 1er janvier 1924 ? C’est simple : « Formulerais-je des vœux pour 1924 ? Que pouvons-nous espérer ? Une ou deux victoires internationales... et une performance honorable dans le Tournoi Olympique. C'est ce qui plairait le plus à tous les amis de la balle ronde. Puissent nos joueurs tricolores nous donner cette satisfaction ». Car depuis septembre, la presse bruisse de rumeurs sur l’organisation de ces fameux tournois internationaux de rugby et de football, les premiers de cette envergure : « Souhaitons [...] que nous ayons la qualité et que nous puissions fonder quelques espoirs sur nos internationaux pour le formidable tournoi de la balle ronde qui regroupera plus de vingt nations et s’annonce comme le Great Event des prochains Jeux Olympiques » est-il écrit dès le début de la saison footballistique en septembre 1923.
Bras de fer britannique
Jusqu’à présent, il n’existe que des tournois régionaux de football : le British Home Championship pour les Britanniques depuis 1984, le tournoi sud-américain en Amérique du Sud depuis 1916 (que l’on peut même faire remonter à 1910 avec le tournoi du centenaire de la révolution de mai à Buenos Aires). Il n’existe finalement qu’un seul véritable précédent international, dans le sens compétition intercontinentale : le tournoi interallié de 1919 qui a regroupé huit sélections dont des sélections venues des Amériques, le tournoi des Jeux de 1920 avait vu la participation d’une Égypte qui n’était pas encore un pays indépendant. Pour les Jeux de 1924 et pour la première fois, les planètes s’alignent. Le Comité Olympique Français et la Fédération Française de Football Association (FFFA), en charge de l’organisation, invitent tous les pays indépendants disposant d’un Comité Olympique à l’exception des Allemands, qui n’ont pas réintégré la Société des Nations. La Fédération Internationale de Football Association (FIFA) est aussi en plein développement, avec des affiliations acceptées pour de nombreux pays, certains intéressés par une internationalisation du football (États-Unis, Égypte), d’autres en quête de légitimités (Uruguay) ou enfin voulant marquer leur indépendance (pays baltes, Irlande). Tous se tournent alors vers la FIFA, la fédération d’Amsterdam, vue comme étant une organisation ouverte et bienveillante par opposition à la Football Association (FA), la fédération de Londres, vers laquelle les pays sud-américains s’étaient tournés en premier avant la première guerre mondiale qui se montre finalement peu ouverte, peu encline à organiser des rencontres internationales et surtout voulant s’immiscer dans les affaires internes de chaque fédération.
1924, le premier British Home Championship disputé à Wembley
Cette opposition avec Londres est le principal souci de l’organisateur durant la fin 1923, puisque l’objectif principal des Français est de faire participer les Britanniques. Que ce soit en football ou en rugby, les Français se démènent pour obtenir la participation des « nations » britanniques. Les Anglais refusent, avec une pluie d’arguments différents en fonction du sport. Pire, ils boycottent activement, pourrissant la situation. La question de l’amateurisme revient souvent en football, mais il s’agit d’une excuse, puisque les Britanniques imposent leur loi sur ce sujet en rugby et qu’ils n’ont aussi aucune intention de participer à ce tournoi. Ils trouvent que le rugby est trop peu développé dans de nombreux pays, trop amateur d’une certaine façon : « Le rugby est le sport où il est le plus difficile de conserver la maîtrise de soi-même, car sans cela, en effet, il devient dangereux et un « jeu de brutes ». […] De faire admettre actuellement des Espagnols, des Roumains, etc. au tournoi olympique, c'est aller à la gabegie, à la bataille, au scandale. Pourtant, on ne peut pas les refuser s'ils veulent venir. Une raison de plus contre le rugby olympique ». Toutes les raisons sont bonnes pour les Britanniques, du fait de jouer à des sports collectifs après le 1er mai au fait de faire jouer des dimanches jusqu’à la question de l’amateurisme qui revient encore et encore…
En attendant, en France, quand un transfert fait trop parler, on réclame l’omerta. « Racolage du jeune Jacquemet : conflit entre le RED STAR et le FC Cette [Sète]. Tout cela serait fort amusant si en mai prochain nous ne devions pas prendre part aux Jeux Olympiques qui ont bien, aussi, leur importance. Il peut en tout cas paraître inopportun de laver tout le linge sale de notre amateurisme à trop grand coup de grosse caisse, si je puis dire. Doucement les basses… ».
Le 21 décembre 1923, les Anglais font pourtant leur retour dans la FIFA. « Nous pûmes craindre un moment que la fatale question de l'amateurisme et du professionnalisme ne vînt empêcher l'accord juste au moment de sa réalisation. Fort heureusement, le cauchemar fut écarté et le statu quo maintenu, chaque pays restant maître du statut de ses joueurs. Cela nous privera de la participation du football britannique au tournoi olympique, mais les Français s'en contenteront, puisque nous aurons notre France-Angleterre le 17 mai à Paris quelques jours avant l'ouverture du tournoi et que ce dernier ne nous aurait sans doute pas donné la joie d'y applaudir. Les délégués se séparèrent vendredi en échangeant sincèrement des “Happy Christmas”. Souhaitons que ces vœux se soient réalisés et aussi et surtout, que le congrès de la FIFA dans quelques mois, à Paris, ratifie par acclamations, comme elle le fit l'année dernière à Genève, le labeur de son président, M. J. Rimet, qui se confirma, dans cette délicate question, un arbitre sage et éclectique. L'unité et la grande paix du football universel ». D’autres pays renoncent comme l’indique le président de la Fédération Norvégienne qui explique « qu’il est certain que le Danemark, la Finlande et la Suède ne participeraient pas aux concours de football des Jeux Olympiques. La date des rencontres donnant trop peu de temps à ces nations pour entraîner leurs équipes, par suite de leur situation climatique ». Les Danois confirment leur non-participation le 20 novembre. Les Autrichiens, en visite à Paris fin décembre, posent « la question préalable de savoir si l'Allemagne serait ou non invitée. Il fut répondu par le C.O.F. que le problème n'était pas de sa compétence, l'invitation de l'Allemagne étant subordonnée à l'admission de ce pays dans la Société des Nations ».
Vers la mondialisation
Entre des Anglais qui ne veulent simplement pas participer, des Allemands qui en sont interdits, des Nordiques qui refusent pour des questions de calendrier, le tournoi semble compromis car ces pays ont une très bonne réputation. Les Anglais ont codifié ce sport, les Nordiques sont parmi les pionniers de l’éducation physique. Ce sont des pays de premières importances pour la presse de l’époque. Mais chacun fait ses choix. Tout le monde, sauf l’Allemagne, est donc invité. Alors que les Anglais tentent d’imposer un sous-tournoi amateur, Jules Rimet maintient que le statut de l’amateur sera celui de la FIFA : chaque fédération a la main et décide qui est un amateur. La FIFA ne fera pas la police. Et cela plaît énormément, notamment loin de la France où des pays sont enthousiastes à l’idée de participer. Avec les affiliations de fin 1923, ce sont trente-quatre fédérations ont rejoint la FIFA. Dès le 26 octobre 1923, lors du congrès de la Confédération Sudaméricaine de Football tenu en marge du tournoi sudaméricain, Atilio Narancio, président de l’Association Uruguayenne de Football, expose ses contacts avec la FIFA et son souhait de participer à l’Olympiade. Pour financer le tout, il parle d’une possible tournée européenne. Les Argentins considèrent également une participation. Les États-Unis, qui vivent alors une sorte de lune de miel avec la France et le sport, décident de participer et d’envoyer une équipe dans chaque sport, incluant le football et le rugby : « un très gros effort est fait actuellement pour amener la meilleure équipe américaine de football aux Jeux Olympiques. Au cours d'une réunion de l'Association américaine de football, diverses mesures ont été envisagées pour arriver à trouver la meilleure formule de sélection. On a constaté que la plus grande unité de vue régnait au sein de l'Association, et l'on va se mettre au travail partout », est-il indiqué fin 1923 dans…
Le tournoi se prépare donc, avec quelques voix fortes qui indiquent ne pas vouloir venir et d’autres, beaucoup plus nombreuses, se préparant avec ferveur. Le 6 décembre 1923, L’Auto donne le calendrier. Ce dernier a été décidé par la FIFA.
« LE TOURNOI OLYMPIQUE
Le calendrier de la FIFA
Nous sommes heureux de donner à nos lecteurs la primeur du calendrier olympique proposé par la FIFA. Il est amusant de souligner que nous devons cette information à un excellent confrère hollandais ! Il paraît que le secret devait être gardé ! Le tournoi durerait 12 jours, du 27 mai au 8 juin 1924. Tous les adversaires seraient tirés au sort. Le projet est établi en escomptant 16 engagés. […] Si le nombre de 16 engagés était dépassé, on tirerait au sort les équipes qui devraient participer aux éliminatoires. [...] Suivant les cas, ces éliminatoires auront lieu le dimanche 25 mai ou le dimanche 25 et le lundi 26 mai. Chaque équipe aura droit à deux jours de repos entre chaque match disputé. Une exception est prévue pour les équipes qui lutteront pour les troisième et quatrième places, 24 heures seulement après les demi-finales ».
Le nombre de seize engagés sera dépassé.