Début 1989, Grêmio et l’Internacional s’affrontent en demi-finale du Brasileirão pour une place en finale mais aussi en Copa Libertadores. Avant même le coup d’envoi, le match est nommé « GreNal du siècle » et répond finalement aux attentes.

Le Brasileirão 1988 débute seulement au mois de septembre, un an après le polémique championnat de 1987, édition à retrouver dans le onzième numéro de notre magazine. La CBF reprend la main sur l’organisation du championnat et crée pour une fois une formule relativement simple, avec deux groupes de douze équipes. Au premier tour, les équipes affrontent les clubs de l’autre groupe, pour un total de douze matchs. Le second tour voit une opposition entre les clubs d’un même groupe, soit onze matchs au total. Les deux premiers de chaque groupe, soit huit équipes au total, se qualifient pour les quarts de finale. La CBF ajoute cependant une bizarrerie à son règlement puisqu’en cas de match nul, une séance de tirs au but est jouée et offre un point bonus à l’équipe victorieuse. « C’était un règlement bizarre, c’était une époque où il changeait chaque année. On se fatiguait pendant quatre-vingt-dix minutes et il fallait encore tirer un penalty. C’était à part », explique Bobô, le milieu de terrain de Bahia.

Un GreNal pour débuter

La première journée du Brasileirão offre un affrontement entre les deux frères ennemis de Porto Alegre, Grêmio et l’Internacional. Les deux clubs règnent sur le football gaúcho puisqu’aucun titre du championnat d’État n’échappe au duo depuis le titre de Renner en 1954 ! L’Internacional décroche quatre fois consécutivement le championnat gaúcho entre 1981 et 1984, Grêmio réplique avec également un tetracampeonato, remporté entre 1985 et 1988. Sur le plan national, les affrontements sont plus rares, mais toujours aussi disputés et les premiers tournent à l’avantage de l’Inter. Du Tournoi Roberto Gomes Pedrosa 1967, date du premier affrontement dans une compétition nationale, jusqu’au Brasileirão 1976, l’Internacional reste invaincu treize matchs de suite face à l’ennemi éternel ! La première victoire de Grêmio, dans le Brasileirão 1977, est éclatante, un succès 4-0 sur la pelouse de l’Internacional.

La victoire de Grêmio en 1977 inverse la tendance, le club tricolor remporte cinq des six derniers GreNais, dont le dernier affrontement, une victoire 1-0 en 1987, qui n’avait pas empêché l’Internacional d’atteindre la finale de la Copa União, perdue face à Flamengo. La rencontre qui ouvre le Brasileirão 1988 tourne une nouvelle fois à l’avantage de Grêmio puisque Zé Roberto, entré en cours de jeu, marque le seul but du match. Grêmio bat ensuite São Paulo 3-0 et gagne son premier point bonus en remportant la séance de tirs au but contre Sport après un match nul 0-0 avant deux défaites consécutives. Grêmio finit la première phase en trombe : deux matchs nuls, avec deux nouvelles séries de tirs au but remportées, et surtout cinq victoires pour terminer à la deuxième place du groupe B, de quoi déjà assurer son billet pour les quarts de finale. De son côté, l’Internacional oublie rapidement la défaite inaugurale, la seule de toute la première phase. L’Inter gagne six matchs et présente en plus un bilan très convaincant de quatre séances de tirs au but remportées pour une seule perdue. À l’image du rival Grêmio, le club colorado termine deuxième de son groupe et se qualifie déjà pour les quarts de finale.

Déjà qualifié, l’Internacional peut relâcher lors de la seconde phase, conclue avec quatre victoires, deux défaites et cinq matchs nuls, où l’Inter remporte trois séries de tirs au but sur cinq. Le relâchement est encore plus prononcé pour Grêmio, qui gagne seulement deux matchs lors du deuxième tour, contre Guarani et Santa Cruz. Le Tricolor s’incline à cinq reprises et concède quatre matchs nuls, pour un bilan équilibré de deux séances de tirs au but remportées et deux perdues. Les huit qualifiés sont ensuite classés selon le nombre de points total, l’Internacional est troisième, Grêmio sixième, les deux clubs gaúchos tombent dans la même partie de tableau.

En demi-finale

Grêmio et l’Internacional affrontent tous les deux un cador du Brasileirão en quarts de finale, Flamengo pour Grêmio et Cruzeiro pour l’Internacional. Grêmio retrouve Flamengo six ans après la finale du Brasileirão 1982, lorsque Grêmio avait dû céder son titre après un match d’appui perdu à l’Olímpico. Du côté de InternacionalCruzeiro, le match historique date de 1975 avec le premier Brasileirão remporté par l’Inter, grâce à un but du défenseur chilien Elías Figueroa en finale. Les deux équipes s’étaient retrouvées quelques mois plus tard en Copa Libertadores, avec notamment une victoire incroyable de Cruzeiro au Mineirão sur le score de 5-4. Pour le Brasileirão 1988, les deux quarts de finale aller, qui se jouent déjà au début de l’année 1989, s’achèvent sur un 0-0. Grêmio signe un petit exploit au retour et élimine le Flamengo de Zico au Maracanã, le futur entraîneur Cuca marquant de la tête le seul but de la rencontre. De son côté, l’Internacional fait le travail à domicile avec deux buts marqués en seconde période pour disposer de Cruzeiro. La demi-finale s’annonce déjà historique, Grêmio et l’Internacional vont s’affronter pour un ticket en finale.

Grêmio et l’Internacional ne se sont jamais affrontés à ce stade de la compétition et au-delà de la place en finale, le vainqueur sera également qualifié en Copa Libertadores, qui accueille à cette époque seulement deux clubs brésiliens, les deux finalistes du championnat national. Le match aller se joue à l’Olímpico et, comme de nombreux GreNais, est haché et violent. Nílson, attaquant de l’Internacional et qui obtient la meilleure occasion du match avec une tête sur la barre transversale, se souvient pour ESPN : « Lors du premier match, le défenseur Trasante me frappait beaucoup, parce qu’il n’y avait pas beaucoup de caméras. Le ballon était dans notre défense et j’étais là devant à prendre des coups. Il me disait : “Ici c’est moi qui commande”. Maurício a vu cela et a répondu : “Il va y avoir un match retour”. Quand on est entrés sur le terrain, la première chose que j’ai faite a été de voir le mec et de dire : “Ici c’est moi qui commande” ». Le match aller offre également une opposition entre deux gardiens, avec pour l’Internacional, Cláudio Taffarel, vingt-deux ans mais déjà titulaire avec la Seleção, et le vétéran de Grêmio, Mazarópi, vainqueur de la Copa Libertadores 1983 avec le Tricolor et considéré jusqu’ici comme le meilleur gardien du Brasileirão 1988. Les deux gardiens préservent leur but et le match s’achève sur un 0-0. Tout se jouera au retour, au Beira-Rio.

Le GreNal du siècle

Le deux-cent-quatre-vingt-dix-septième GreNal de l’histoire est donc décisif, avec en jeu une place en finale du Brasileirão et un ticket en Copa Libertadores. Avant même le coup d’envoi, le match est nommé « GreNal du siècle » par le commentateur Lauro Quadros. « J’ai toujours eu une certaine créativité pour inventer des expressions qui, sans modestie, sont devenues culte. Ce GreNal allait décider qui allait en Libertadores et en finale du championnat brésilien. Le GreNal du siècle, par sa valeur, son poids. Encore aujourd’hui, plus de trente ans plus tard, on parle du GreNal du siècle », rappelle Lauro Quadros pour GloboEsporte. Pour avoir un meilleur bilan lors de la première phase, l’Internacional peut se qualifier avec un match nul et a également l’avantage de jouer à domicile. De son côté, Grêmio n’a plus perdu contre l’Internacional depuis mai 1987, soit douze GreNais sans défaite, ce qui est alors un record dans l’histoire du club.

Le 12 février 1989, l’Internacional et Grêmio s’affrontent au Beira-Rio devant 78 083 spectateurs, deuxième affluence de l’histoire du GreNal, dépassée seulement par un match du championnat gaúcho 1971, qui s’était achevé sur un 1-1. Près de dix-huit ans plus tard, le « GreNal du siècle » démarre au même moment que l’autre demi-finale du Brasileirão, entre Bahia et Fluminense, dans laquelle le club carioca ouvre le score dès la deuxième minute grâce à un but de Washington. Le GreNal offre également une opposition d’entraîneurs avec pour l’Internacional le jeune Abel Braga, qui a débuté sa carrière d’entraîneur trois ans plus tôt, et pour Grêmio l’expérimenté Rubens Minelli et ses vingt-cinq ans de carrière, remportant le Brasileirão avec… l’Internacional en 1975 et 1976 avant de compléter un tricampeonato personnel en 1977 avec São Paulo.

Au Beira-Rio, le premier but du « GreNal du siècle » intervient en milieu de première période grâce à une frappe croisée imparable de l’attaquant gremista Marcus Vinícius. Pire pour les supporters de l’Internacional, Casemiro laisse les siens à dix en fin de première mi-temps, avec une expulsion franchement évitable. Dans la foulée, Grêmio est proche de doubler la mise, mais la lourde frappe de Bonamigo s’écrase sur le poteau, puis Taffarel intervient dans les pieds de Cuca juste avant la mi-temps. Abel Braga se prend la tête entre les mains, il va devoir trouver quelque chose dans les vestiaires pour faire basculer ce GreNal qui échappe pour l’instant à l’Internacional. « Abel n’abandonnait jamais, il encourageait toujours l’équipe. Cette équipe avait disputé de nombreux clássicos. On était à domicile, le Beira-Rio était plein, avec un joueur de moins. Toutes ces circonstances nous ont motivés », explique Cláudio Taffarel dans le livre Inter hoje e sempre, de Daniel Cassol et Douglas Ceconello. Pour renverser la rencontre, Abel Braga opte pour un choix osé et fait sortir à la pause le milieu défensif Leomir pour l’entrée en jeu de l’attaquant uruguayen Diego Aguirre. « Nous sommes bien revenus dans le match, il faut l’applaudir. On aurait dit qu’on était avec un joueur de plus », se souvient Nílson pour ESPN.

Internacional renversant

À l’heure de jeu, alors que Bahia a déjà inversé la tendance dans l’autre match en menant désormais 2-1, Nílson saute plus haut que tout le monde sur un coup franc d’Edu Lima près du poteau de corner. « On avait une phase de jeu travaillée au point de penalty. Avec les appels, je me suis démarqué et j’ai mis le ballon de la tête au fond des filets. J’ai fait l’appel dont parlait toujours Dadá Maravilha. Le ballon est parti avec une telle vitesse que le gardien Mazarópi n’a rien pu faire, juste regarder », poursuit Nílson. L’Internacional se qualifie virtuellement, sans se replier en défense malgré l’infériorité numérique. Luis Carlos trouve la barre transversale de Mazarópi sur un coup franc et dans la foulée, Nílson, qui jouait milieu de terrain avant de passer avant-centre lors de son passage à l’Internacional, devient définitivement le héros du match. À la réception d’un centre-tir de Maurício, Nílson marque pousse le ballon dans le but vide et marque son quinzième but en championnat, ce qui lui permet d’être encore aujourd’hui le dernier joueur de l’Internacional à avoir été meilleur buteur d’une édition du Brasileirão.

Plus important encore, Nílson permet à l’Inter de prendre l’avantage dans le GreNal du siècle après un bon travail de Maurício. Toujours pour ESPN, le buteur Nílson explique : « Maurício a dit qu’il avait fait une passe, mais en réalité il a tiré vers le but sans angle. Je savais qu’il allait tirer, je me suis placé dans la trajectoire et j’ai attendu au deuxième poteau. J’ai juste eu à mettre le pied et à donner la victoire. On était allés chercher le match nul et nous n’avons absolument pas reculé jusqu’au deuxième but. Seulement à ce moment nous avons reculé, car nous étions très fatigués et on contenait la pression. […] Ce match est inoubliable, il peut se passer encore vingt ou trente ans et on en parlera encore. On en parle encore plus de trente ans après. À cette époque, pour être sincère, je n’avais pas la dimension de ce qu’était un GreNal. Je venais d’arriver et c’était mes premiers clássicos. L’Inter ne gagnait plus depuis treize matchs, soit trois ans sans battre le rival ». Pourtant plus habitué à l’intensité et au poids du GreNal, Taffarel a un sentiment similaire : « Pendant le match, personne n’avait conscience du poids du match, qui allait être le GreNal du siècle. La répercussion ensuite fut monstrueuse. […] Grêmio remportait plus souvent le GreNal, mais on a gagné le match le plus important, celui qui comptait le plus. Je suis une idole à l’Inter, mais aussi un joueur qui n’a rien gagné ici. Du coup, je considère ce match comme le titre que je n’ai jamais eu ».

L’Internacional se qualifie en effet pour la Copa Libertadores et la finale du Brasileirão au terme du GreNal du siècle, mais laisse une nouvelle fois échapper le titre national après une défaite 2-1 à Bahia et un 0-0 insuffisant au retour au Beira-Rio. Lors de la Copa Libertadores disputée dans la foulée, l’Internacional partage son groupe avec Bahia et deux clubs du Venezuela, alors qu’éclate à Caracas le Caracazo, manifestations et émeutes qui font près de trois mille morts au Venezuela. L’Internacional prend un seul point lors des quatre premiers matchs, mais se qualifie in extremis en tant que meilleur troisième grâce à deux victoires lors des deux derniers matchs. En huitièmes de finale aller, le club colorado bat facilement Peñarol 6-2 avec des doublés de Nílson, Norton et Heyder. L’Inter s’impose également au retour grâce à un but de Diego Aguirre, auteur du but de la victoire en finale de la Copa Libertadores 1987 avec Peñarol. Au tour suivant, l’Inter prend enfin sa revanche sur Bahia, Diego Aguirre marquant le seul but de la double confrontation, et se qualifie pour la demi-finale, face à Olimpia.

Abel Braga dans la légende de l’Inter

L’Internacional pense faire le plus dur avec une victoire 1-0 à l’aller au Paraguay. Au Beira-Rio, Nílson, le héros du GreNal du siècle, rate un penalty, l’Inter encaisse un troisième but dans la foulée et est finalement éliminé aux tirs au but. Nílson quitte peu après le club pour l’Europe et le Celta de Vigo avant de revenir à Porto Alegre du côté de… Grêmio, avec qui il remporte le championnat gaúcho 1990, terminant même meilleur buteur du tournoi. L’entraîneur Abel Braga revient pour sa part de nombreuses fois à l’Internacional, sept passages au total, qui font de lui l’entraîneur à avoir dirigé le plus de matchs du club colorado. L’année la plus marquante est 2006, quand l’Inter remporte la Copa Libertadores et le Mondial des clubs, face au Barça de Ronaldinho, ancien prodige de Grêmio. En 2015, Abel Braga cède sa place à Diego Aguirre, qui remporte le championnat gaúcho en battant Grêmio en finale. Éliminé en demi-finales de la Copa Libertadores 2015, Diego Aguirre est démis de ses fonctions à trois jours du GreNal, finalement perdu 5-0 par l’Internacional.

Si l’Internacional et Grêmio se sont déjà affrontés sur la scène continentale, en Copa Sudamericana et Copa Libertadores, les matchs avaient lieu en début de compétition et le 5-0 de 2015 reste donc l’un des GreNais les plus marquants de l’histoire, aux côtés du GreNal de 1989, comme le rappelle Nílson pour ESPN : « On a gagné avec un joueur en moins, en ayant été menés et j’ai marqué les deux buts. J’ai eu du mal à réaliser, seulement trois ans plus tard j’ai compris l’importance de ce match, qui a changé ma vie. Encore aujourd’hui, on m’appelle à chaque fois qu’il y a un GreNal. Quand je vais à Porto Alegre, les supporters parlent des plus grandes joies de leur vie. Beaucoup disent qu’ils ont pleuré lors de ce match. Je suis encore ému seulement en y pensant et je vais garder cela avec moi pour toujours ». Pour toujours, le GreNal du siècle.

 

Marcelin Chamoin
Marcelin Chamoin
Passionné par le foot brésilien depuis mes six ans. Mon cœur est rouge et noir, ma raison est jaune et verte.