Surnommée le Clássico-Rei da Amazônia, la rivalité entre le Clube do Remo et le Paysandu Sport Club est l'une des plus anciennes et des plus intenses du football brésilien. Une rivalité qui trouve ses racines au début du XXe siècle et dont on retrace l’histoire.

Décrite comme étant la Venise de l'Amazonie, Belém est une ville au riche passé colonial située à l'embouchure du fleuve Amazone. Fondée en 1616 par les Portugais, elle a joué un rôle stratégique dans la colonisation et la défense de l'Amazonie brésilienne. Au tournant du XXe siècle, Belém a connu une période de prospérité sans précédent grâce au boom du caoutchouc. Cette ère, connue sous le nom de « Belle Époque amazonienne » (1870-1914), a transformé Belém en une métropole moderne et cosmopolite. Des bâtiments somptueux comme le Théâtre de la Paix et le marché Ver-o-Peso ont été construits, témoignant de cette richesse nouvelle. L'afflux de capitaux et d'immigrants européens a également favorisé l'introduction et le développement de pratiques culturelles et sportives, dont le football. La fin du boom du caoutchouc n'a pas mis fin à l'importance de Belém. La ville est restée un centre économique et culturel majeur de l'Amazonie brésilienne, avec une population diverse mélangeant influences indigènes, africaines et européennes. C'est dans ce contexte de ville en pleine mutation à la fois ancrée dans ses traditions amazoniennes et ouverte sur le monde, que sont nés les deux clubs qui ont marqué l'histoire sportive de la région.

L’arrivée du football

Au début du XXe siècle, le paysage sportif du Brésil, et particulièrement de l'État du Pará en Amazonie, était dominé par l'aviron. Ce sport nautique attirait de grandes foules sur les rives de la baie de Guajará. C'est dans ce contexte d'engouement pour les sports aquatiques que l'histoire du Clube do Remo commence. Le 5 février 1905 marque la naissance officielle du Grupo do Remo, ancêtre du Clube do Remo. Cette création est le résultat d'un désaccord survenu lors d'une compétition d'aviron. Sept athlètes, mécontents de la composition des équipes pour une régate imminente, décidèrent de quitter le Sport Club do Pará pour fonder leur propre club. Ces pionniers étaient Victor et Raul Engelhard, Eugênio Soares, Narciso Borges, José Henrique Danin, Vasco Abreu et Jean Marechal (également connu sous le nom d'Eduardo Cruz). Rapidement, d'autres passionnés se joignent à eux, partageant leur vision d'un nouveau club dédié à l'aviron. Le club est officiellement reconnu le 9 juin 1905, avec la publication de ses statuts dans le Journal Officiel de l'État du Pará. Un détail intéressant de ces statuts concerne le drapeau du club : « un rectangle bleu marine, avec en son centre une ancre blanche, placée en diagonale, entourée de treize étoiles de la même couleur ». Le nom Grupo do Remo (Groupe d'Aviron) est suggéré par Raul Engelhard, qui s'était inspiré d'un club anglais, le Rowing Club, lors de ses études en Europe. Le 1er octobre 1905, le Grupo do Remo franchit une étape importante en inaugurant son siège nautique situé dans un bâtiment loué à la municipalité sur la rue Siqueira Mendes et qui devient le point de ralliement des membres du club. Le même jour, le club célèbre le lancement de sa première embarcation, une baleinière baptisée Tibiriçá. Malgré un début prometteur, le Grupo do Remo est confronté à une grave crise en 1908. Les problèmes financiers s'accumulant, ils conduisent à la perte du contrat de location du siège du club et poussent l'Assemblée Générale à prendre une décision drastique : le 14 février 1908, le Grupo do Remo est dissous.

Cette annonce est un choc pour de nombreux membres qui ne pouvaient se résoudre à voir disparaître leur club bien-aimé. Refusant d'accepter la fin, un groupe de membres dévoués prend alors l'initiative de préserver le matériel du club. Ils récupèrent les bateaux et les entreposent dans un hangar du terminal pétrolier de Miramar, appartenant à Francisco Xavier Pinto. L’intention était claire : conserver ces équipements en attendant de pouvoir ressusciter le club. Pendant plus de deux ans, les anciens membres du Grupo do Remo ne cessent de se réunir, principalement au Café Manduca, un lieu devenu le quartier général informel de leur mouvement de résistance. Leur persévérance est récompensée en juillet 1910, lorsqu'ils apprennent que le bail commercial de l'ancien siège du club a expiré, ouvrant la possibilité de le récupérer. Le 15 août 1911, ce groupe de onze passionnés, qui entrent dans l'histoire sous le nom de Cordão dos Onze Rowers Remistas (la Cordée des Onze Rameurs du Remo), prend l'initiative audacieuse de rapatrier tout le matériel du club stocké à Miramar vers l'ancien siège. Leur action marque officiellement la renaissance du Grupo do Remo, insufflant une nouvelle vie au club. Le processus s'accompagne d'une évolution de son identité, Oscar Saltão proposant de nommer l’organisation Clube do Remo. Cette transformation du nom reflète alors l'évolution du club qui, tout en conservant son héritage nautique, commence à s'ouvrir à d'autres disciplines sportives et notamment le football, introduit au sein du club en 1913.

Le 7 décembre de cette même année 1913, le journal Estado do Pará annonce dans sa rubrique chronique sportive qu'un groupe de sportifs de l'élite de Belém, certains issus de l'ancien Nort Club et d'autres « en retrait pour le moment », allaient fonder le « Paysandu-Club », le nouveau club débutant rapidement ses activités d'aviron et de football. Le nom Paysandu trouve son origine dans un événement historique significatif : la prise de Paysandú. Cette ville uruguayenne fut le théâtre d'un épisode marquant le 2 janvier 1865, lorsque des troupes et des escadrons brésiliens, commandés respectivement par le général Mena Barreto et l'amiral Tamandaré, s'en emparèrent. Le lundi 2 février 1914, le même journal publiz une invitation pour une réunion prévue le soir même à 20h30, au 22 rue Pariquis. Cette adresse était la résidence d'Abelardo Conduru, l'un des principaux fondateurs du Paysandu, qui allait jouer un rôle crucial dans l'histoire du club. La réunion rassemble quarante-deux personnes, dont la majorité venait du Nort Club (aussi connu sous le nom de Time Negra en raison de son uniforme noir), ainsi que quelques membres d'autres associations comme l'Internacional Club et la Recreativa. Hugo Manoel de Abreu Leão, ancien membre du Nort Club et à l’origine de la fondation, est choisi à l'unanimité pour diriger les travaux. C’est de lui qui vient l’idée de nommer le club Paysandu Foot-Ball Club. Une commission est également nommée pour rédiger les statuts du club et il est décidé que le nombre de membres ne dépasserait pas cinquante, les quarante-deux participants à la réunion étant considérés comme membres fondateurs. Une deuxième réunion eut lieu le 10 février 1914, au même endroit. La direction élue est installée, le nombre de membres augmenté à cent, et quinze nouveaux membres étant ajoutés à la liste des fondateurs. Lors de cette réunion, Hugo Leão propose un uniforme pour le club : une chemise rayée verticalement bleu et blanc, avec l'écusson du club portant les initiales PEC sur la poitrine, et un short blanc. Cette proposition est débattue mais non résolue lors de cette réunion. Elle le sera le 19 février alors que le club change son nom de Paysandu Foot-Ball Club à Paysandu Sport Club alors qu’une lettre demandant l'affiliation du club est envoyée à la Ligue de Football du Pará. Le terrain actuel du Paysandu, situé sur l'avenue Almirante Barroso (anciennement Tito Franco), appartenait à l'origine à la société Ferreira & Comandita, qui le construisit et l'inaugura le 14 juin 1914. Ce terrain est également connu sous les noms de « Vovô da Cidade » (Grand-père de la ville) et « Curuzu », référence à une bataille disputée lors de la Guerre de la Triple-Alliance. Il devint la propriété du Paysandu grâce à Leônidas Sodré de Castro, un grand supporter du club, dont le nom fut donné au stade. C’est dans ce stade que le Paysandu dispute son premier match, le jour de l’inauguration. Cette rencontre est le premier Paysandu - Remo de l'histoire du football du Pará.

Une rivalité née dans les bureaux

Ce premier affrontement entre ces deux géants du football paraense voit Geraldo da Mota Reimão, surnommé Rubilar, inscrire le premier but de l'histoire de ce classico. Rubilar, véritable symbole du Remo, avait participé activement à la réorganisation du club en 1911, alors que celui-ci était au bord de l'extinction. Il avait déjà marqué le premier but de l'histoire du Remo lors d'un match contre le Guarany en 1913. Remo l'emporte 2-1, avec un but contre son camp du joueur bicolore Bayma. Le deuxième classico se tient le 6 décembre de la même année et voit une nouvelle victoire du Remo (3-1), avec le premier triplé signé Antonico. Il fallut attendre le troisième affrontement, le 31 janvier 1915, pour voir la première victoire du Paysandu, Abel Barros inscrivant les deux buts de la victoire bicolore (2-0). Ce match est également marqué par la première apparition des frères Barros : Abel et Antônio Manoel de Barros Filho, surnommé Suíço (le Suisse). C’est également cette année-là que la relation entre les deux clubs devient glaciale. Le premier secrétaire du Remo, nommé Elzemann, envoie alors un document officiel au président du Paysandu, Antônio Barros proposant l'organisation d'un match dont les recettes seraient utilisées pour aider financièrement les deux clubs. Les dirigeants du Paysandu ont répondu par une lettre contenant des termes insultants à l'égard de la proposition du Remo, puis un deuxième document acceptant le défi tout en incluant de nouvelles insultes et propos injurieux. Le lendemain, le Remo mettait fin aux relations amicales entre les deux équipes. La rivalité venait de naître.

Remo domine les premières années de la rivalité, remportant sept titres d'État consécutifs de 1913 à 1919. Cependant, porté par des joueurs emblématiques comme Suíço et Mimi Sodré, Paysandu finit par remporter son premier titre en 1920. En 1921, le joueur du Remo, Carlos Ferreira Lopes, dit Periçá, se noie lors d'une épreuve d'apnée, tandis que Suíço, la star du Paysandu, décède en 1922 des suites d'une infection. Ces événements marquent profondément les deux clubs, qui adoptent alors respectivement les surnoms de « Clube de Periçá » et « Clube de Suíço ». Les années 1920 voient une alternance de périodes de domination entre les deux clubs, Paysandu remportant quatre titres consécutifs de 1920 à 1923, avant que Remo ne réponde par un triplé de 1924 à 1926. Au fil des décennies, la domination oscille entre les deux équipes. Les années quarante sont celles de la domination du Paysandu qui est alors surnommé le « Papão da Curuzu » et précèdent l'émergence de Quarentinha, légende du Paysandu qui remporta douze championnats d'État en dix-huit ans. Les années soixante-dix sont celles d'Alcino au Remo, période durant laquelle le club connut une série de vingt-trois matchs sans la moindre défaite face à son rival avant que la décennie suivante s’avère difficile pour Remo quand le Paysandu connut un renouveau. Cependant, de 1993 à 1997, le Remo établit un record d'invincibilité de trente-trois matchs consécutifs sans aucune défaite face à son éternel rival. Le début des années 2000 marque l'apogée du Paysandu au niveau national, avec des succès en Série B et en Copa Norte puis une victoire à La Bombonera face à Boca Juniors en huitièmes de finale de la Copa Libertadores 2003, permettant au club de Belém d’entrer dans le groupe très fermé des Brésiliens ayant remporté un match de Libertadores dans ce stade aux côtés du Santos de Pelé, du Cruzeiro de Ronaldo, de Fluminense et de Palmeiras. Malgré tout, Boca s'imposa 4-2 au Manguerão et remporte la Libertadores. 

Depuis, les deux clubs ont principalement évolué dans les divisions inférieures du championnat brésilien. Remo a connu un moment de gloire en 2014 en mettant fin à une période de disette de six ans en remportant le championnat de l'État. L'année suivante, Remo a éliminé Paysandu en demi-finales de la Copa Verde aux tirs au but, mais perd ensuite la finale contre Cuiabá dans un match historique (victoire 5-1 de Cuiabá à l'aller, victoire du Remo 4-1 au retour). L’histoire récente est marquée par deux Re-Pa entrés dans l’histoire : celui de 2019 et un résultat nul lors de la dernière journée du Groupe B de Série C qui permet au Paysandu de se qualifier pour les quarts de finale, celui de 2021 qui permet au Remo d’accéder à la Série B après une victoire 1-0 face au Paysandu.

Au fil de leur histoire, les deux clubs ont disputé 775 confrontations directes. Lors desquels le Remo a gagné 268 fois contre seulement 243 victoires du Paysandu et 264 matchs nuls. En termes de titres en revanche, c'est bien le Paysandu qui est devant, totalisant actuellement cinquante titres de champion du Pará, contre quarante-sept pour le Remo et deux Série B ont été remportés, en 1991 et en 2001 alors que Remo se contente d'une Série C en 2005.

Dans ce genre de confrontations entre géants régionaux, plus petits sur le plan national, le nombre de participations à la première division à son importance. Paysandu totalise vingt-sept participations à la Série A contre quinze pour le Remo. Cela commence désormais à dater, puisque la dernière participation de chacun remonte respectivement à 2005 et 1994. Aujourd'hui, les deux clubs évoluent dans des compétitions différentes. Le Paysandu tente de se maintenir en Série B tandis que le Remo évolue en Série C, et vient de s'assurer la montée. Nous aurons donc peut-être un Re-Pa en Série B l'année prochaine, à la condition que Paysandu se maintienne.

Le Re-Pa se distingue par plusieurs particularités. Les stades des deux équipes ne sont distants que de deux pâtés de maisons, ce qui en fait la deuxième rivalité géographiquement la plus proche au monde derrière le derby de Dundee. De nombreux joueurs ont porté les deux maillots au cours de leur carrière, à l'image d'Itaguary, deuxième meilleur buteur de l'histoire du classico. Les matchs ont souvent été marqués par des controverses et des incidents, avec pas moins de onze forfaits recensés et de nombreux matchs interrompus avant la fin du temps réglementaire. Malgré les hauts et les bas des deux clubs, notamment leur relégation dans différents échelons du championnat brésilien, la rivalité reste évidemment intacte. Les confrontations en Copa Verde, championnat paraense ou Série C continuent de déchainer les passions. De plus, ce classico reste l'un des rares au Brésil à autoriser la présence des deux groupes de supporters lors des matchs.

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Vincent Dupont
Vincent Dupont
Éperdument amoureux d'une région où fútbol est synonyme de religion, sur les rives du Rio de la Plata j'assouvis ma passion.