Le jour de la conscience noire est célébré au Brésil le 20 novembre, en hommage à Zumbi dos Palmares. Cet esclave insurgé se révolte et combat les armées portugaises pendant une quinzaine d’années à la fin du XVIIème siècle. Trahi par ses camarades, il est décapité le 20 novembre 1695 par les portugais.

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Le football des blancs

La place de l’homme noir dans la société brésilienne peut-être reliée à la place du joueur noir dans le football brésilien. Le football est importé par des britanniques en 1894, notamment des ingénieurs qui propagent les avancées de la révolution industrielle. Les origines étrangères de ce sport lui donnent une image de noblesse et le football est rapidement adopté par l’élite de São Paulo puis à Rio de Janeiro où le premier championnat est créé en 1906, à une époque où de nombreux anciens esclaves (le Brésil, en plus d’être le pays ayant reçu le plus d’esclaves, fut le dernier pays d’Amérique à abolir l’esclavage en 1888) quittent le Nordeste sans aucune compensation financière pour rejoindre les grandes villes et notamment Rio, dans des bidonvilles. En 1907, Bangu, un club d’une entreprise de textile, ouvre ses portes aux ouvriers noirs (Francisco Carregal, photo en une de cette article, devient le premier joueur noir). Jusqu’ici le club était réservé aux techniciens britanniques. S’il est possible que Bangu ait ouvert son équipe aux noirs par manque de joueurs blancs, le club apparaît comme un pionnier dans la lutte des classes. La Liga Metropolitana refuse l’accès à son championnat aux « personnes de couleurs ». Bangu proteste et refuse de participer au championnat. À São Paulo, le racisme est plus caché mais tout aussi excluant pour les footballeurs noirs. Les seuls joueurs noirs autorisés à jouer sont de jeunes étudiants, lettrés et riches. Un football parallèle se développe, où les noirs, les pauvres et les analphabètes sont acceptés. La presse pauliste ne prête aucune attention à ces matchs de « petit football ».

En 1920, le Brésil dispute le quatrième championnat sud-américain (ancêtre de la Copa America) de l’histoire, le premier au Chili. Au retour, un match contre l’Argentine est organisé. Le journaliste uruguayen Palacio Zino met le feu aux poudres en insultant les brésiliens de « macaquitos ». Une caricature, représentant les brésiliens en singes accompagne l’article. À Buenos Aires, de nombreuses personnes lancent des insultes racistes contre les brésiliens. L’affaire fait scandale au Brésil, qui s’est toujours défendu d’être un pays raciste. Cependant, un an plus tard, pour le nouveau championnat sud-américain organisé à Buenos Aires, le président de la République du Brésil, Epitácio Pessoa, admet dans l’équipe seulement « le meilleur de notre élite footballistique, les garçons de nos meilleures familles, les peaux les plus claires et les cheveux les plus lisses », afin d’éviter une nouvelle polémique. Ceci illustre parfaitement la situation de l’époque au Brésil. Les personnes se défendent d’être racistes, mais la ségrégation reste très forte.

Vers la démocratie raciale

En 1923, le Vasco da Gama, club d’origine portugaise qui accepte les noirs et les métisses dans ses rangs, remporte le championnat. Sous fond de rancœur contre le Portugal, le Vasco est sifflé sur tous les terrains de Rio. L’année suivante, les riches clubs comme Flamengo, Botafogo ou Fluminense créent une nouvelle ligue avec de nombreuses conditions pour participer, comme le fait de disposer d’un stade ou de n’avoir que des joueurs lettrés au sein de l’équipe. À cette époque, le pauvre se confond encore beaucoup avec le noir, et le Vasco est refusé du nouveau championnat.

Vasco 1923

Dans les années 1930, les clubs prestigieux commencent à engager des joueurs noirs. Le professionnalisme s’installe au Brésil, il n’est plus honteux de gagner sa vie avec le football, et les anciens étudiants en médecine ou les futurs avocats sont désormais dépassés par l’inventivité et la spontanéité des pauvres qui peuvent jouer dans la rue avec un chiffon à la place d’un ballon. Flamengo, soucieux de devenir le club le plus populaire, engagent les meilleurs joueurs de l’époque : Fausto, Domingos et Leônidas. Ces trois joueurs sont noirs et sont les idoles du peuple, en particulier justement parce qu’ils sont noirs. Fluminense, qui n’a plus gagné le championnat carioca depuis 1924 (organisé sans Vasco) entame également le virage « noir ». Les brésiliens peuvent se réjouir de cette « démocratie raciale » chère au sociologue Gilberto Freyre. Selon l’idée de l’époque, le mélange des joueurs de différentes origines donnent au football brésilien sa force et sa grandeur. Les joueurs noirs participent à l’évolution du football, Leônidas avec la bicyclette ou Domingos avec ses remontées très propres, ballon au pied, après une interception. Le Brésil bat en 1932 les champions du monde uruguayens à Montevideo, au stade Centenario. Comme le souligne José Lins do Rêgo, « les hommes qui ont gagné à Montevideo sont un portrait de notre démocratie sociale, où Paulinho, fils de bonne famille, s’est uni au noir Leônidas, au mulâtre Oscarino, au blanc Martim. Tout a été fait à la mode brésilienne ». En 1947, le journaliste Mario Filho, qui donnera plus tard son nom au Maracanã, publie « O Negro no futebol brasileiro ». Véritable fresque historique, Mario Filho rend hommage aux joueurs noirs dans le football brésilien à travers les décennies.

Maracanazo et vieux démons

Alors que le joueur noir semble implanté dans la culture brésilienne, le Brésil accueille la coupe du monde 1950, une occasion d’affirmer sa puissance nationale, dans le gigantesque Maracanã. Cependant, le Brésil perd en « finale » contre l’Uruguay, engendrant un véritable drame national, comparé à Hiroshima partle dramaturge et frère de Mario Filho, Nelson Rodrigues. À l’heure de chercher les responsables, les noirs sont rapidement désignés. Si la star Zizinho échappe aux critiques (ce qui ne l’empêche pas de débrancher son téléphone tous les 16 juillet), le gardien Barbosa, et les défenseurs Bigode et Juvenal subissent un véritable acharnement. Juvenal et Bigode ne joueront plus un seul match pour le Brésil, Barbosa, une seule fois, en 1953. Les noirs sont accusés de ne pas pouvoir supporter la pression d’une coupe du monde, de ne pas savoir répondre à l’adversité si c’est nécessaire, d’être faibles. Bigode quitte Rio de Janeiro pour le Minas Geiras afin d’échapper aux nombreuses questions, mais ce ne fut pas suffisant, l’obligeant à un nouveau déménagement. Un reportage de Globo montre un Juvenal en fin de vie, vivant seul dans une petite baraque. Incapable de marcher, il a pour seul richesse une petite radio et survit grâce à l’aide de quelques voisins généreux. Barbosa, pourtant l’un des meilleurs gardiens du monde, est la cible des critiques et des moqueries, son nom devenant synonyme de « chat noir ». En 1993, alors qu’il souhaite assister à un entraînement du Brésil qui prépare la coupe du monde, il est refusé à l’entrée parce qu’il porte malheur. Il dira ensuite cette phrase restée tristement célèbre : « Au Brésil, la peine maximale est de 30 ans. Je paye depuis 43 ans pour un crime que je n’ai pas commis ». Parmi les autres souvenirs douloureux, un épisode où il se trouvait dans la rue lorsqu’une femme le pointa du doigt et dit à sa fille « Regarde ! Cet homme a fait pleurer le Brésil entier ».

Un long combat

Les mésaventures de Barbosa sont assimilées à sa couleur de peau et se répercutent sur les autres joueurs. Il faudra attendre 1999 et Dida, qui a par ailleurs beaucoup œuvré pour la réhabilitation de Barbosa, pour voir un gardien noir titulaire dans les buts de la Seleção. Citons par exemple, Barbosinha, gardien prometteur du Corinthians. Après un match raté contre Palmeiras, Barbosinha, noir et dont le nom est beaucoup trop semblable à Barbosa, est insulté par les supporters, l’accusant d’être vendu. « Petit Barbosa » ne portera plus jamais le maillot du Corinthians. En 1954, pour le premier match de la coupe du monde, Didi, le prince éthiopien, est entouré de dix joueurs blancs. Lors du match très violent contre la Hongrie, qui scelle l’élimination du Brésil, les noirs sont une nouvelle fois accusés de perdre leurs nerfs lorsqu’ils sont sous pression. Quatre ans plus tard, un psychologue, João Carvalhaes, est chargé d’examiner les joueurs à la préparation de la coupe du monde en Suède. Il s’oppose à la sélection du noir Pelé, trop jeune pour supporter la pression d’une coupe du monde et du mulato Garrincha, pour une « intelligence en-dessous de la moyenne et une absence d’agressivité ». Vicente Feola, l’entraîneur, emmène en Suède les deux joueurs, mais ils ne sont pas titulaires lors des deux premiers matchs (Pelé est cependant blessé). Il faut l’intervention de Didi pour que Pelé et Garrincha soient alignés titulaires lors du troisième match, contre l’URSS, après le premier résultat 0-0 de l’histoire de la coupe du monde, contre l’Angleterre. Le Brésil devient une véritable machine, Pelé marque six buts à partir des quarts de finale, et Garrincha maltraite les défenseurs sur son côté droit. En finale, alors que le Brésil est mené 1-0 contre le pays hôte, l’immature Garrincha délivre deux passes décisives. Pelé signe un triplé en demi-finale puis un doublé en finale et montre au Brésil que les jeunes footballeurs noirs peuvent parfaitement supporter la pression.

Brésil 1958

Depuis, si la situation s’est améliorée, le racisme est encore présent dans le football brésilien, à l’image des insultes d’une supportrice du Grêmio à l’encontre du gardien noir du Santos, Aranha, lors d’un match de coupe du Brésil en 2014. Preuve que si les footballeurs noirs continuent de marquer l’histoire du football brésilien, le combat n’est pas encore gagné.

 

Initialement publié le 20/11/2015, mis à jour le 20/11/2021

Marcelin Chamoin
Marcelin Chamoin
Passionné par le foot brésilien depuis mes six ans. Mon cœur est rouge et noir, ma raison est jaune et verte.