Leônidas est le premier joueur à montrer véritablement le style brésilien à l'Europe, lors de la Coupe du monde 1938. Roi de Rio de Janeiro puis de São Paulo avant de lutter contre la maladie de l'Alzheimer pendant trente ans, Lucarne Opposée vous propose son portrait.

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D'un milieu modeste à la Seleção

Né au sein d'une famille pauvre le 6 septembre 1913, la vie se complique un peu plus pour Leônidas da Silva au décès de son père avant d'être recueilli par une famille où sa mère travaille comme femme de ménage. Depuis tout petit, Leônidas aime le football et supporte Fluminense, qui domine le championnat de Rio de Janeiro. Leônidas, peu intéressé par l'école, joue sans cesse au football à une époque où le sport est réservé à l'élite. En 1926, alors âgé de 13 ans, il rejoint le São Cristóvão où sa mère lave les vitres mais n'est pas conservé par le club. Leônidas commence à travailler à 14 ans et joue au Syrio à 16 ans, où il reçoit déjà des primes. Il gagne rapidement le surnom de « nouveau Petronilho », l'un des premiers joueurs noirs de São Paulo, idole en Argentine et frère de Waldemar de Brito, le découvreur de Pelé. Le club du Syrio ferme ses portes et São Cristóvão est intéressé par un retour au club de Leônidas, qui fixe ses exigences financières. Le club refuse et Leônidas rejoint Bonsucesso et son ancien entraîneur Gentil Cardoso, qui importe le WM de Herbert Chapman après avoir vu Arsenal à Londres grâce à son travail dans la marine. Bonsucesso effectue un bon championnat carioca 1931 et Leônidas est l'une des révélations du tournoi, notamment grâce à la promotion du Jornal dos Sports, fondé la même année. En fin d'année, il est convoqué pour la finale du championnat des sélections, entre Rio de Janeiro et São Paulo.

Leônidas a alors 18 ans et assiste du banc de touche aux deux premiers matchs. Rio remporte le premier match 3-1, São Paulo s'impose au retour sur le score de 3-0 avec un doublé de la légende du football brésilien, Arthur Friedenreich, 39 ans. Leônidas ne s'attend pas non plus à jouer le troisième match décisif. La star de l'équipe se nomme alors Nilo et Leônidas avait déjà pu l'observer lors de sa première convocation avec la sélection brésilienne où Nilo avait fait tomber les Uruguayens, pourtant champions du monde, avec un formidable doublé. La veille de la finale entre Rio et SP, Leônidas, dans un style bien à lui, fait la fête toute la nuit. Le lendemain, il fait une partie de football entre amis avant de manger une feijoada, plat typique du Brésil à base de haricots noirs et de viande de porc. Il se rend ensuite au stade São Januário, où il s'attend à suivre le match depuis le banc de touche. Mais Nilo déclare forfait et Leônidas est titularisé. Le jeune joueur commence à regretter la samba de la veille, la pelada du matin, la feijoada du midi, d'autant plus que la chaleur est étouffante sur le São Januário et que la rivalité São Paulo – Rio de Janeiro est très forte, marquée par le refus des Paulistes de participer à la Coupe du monde. São Paulo se procure la première occasion du match, mais Feitiço rate un but tout fait après un bon travail de Friedenreich. En début de seconde période, Leônidas ouvre le score d'une frappe puissante. Carvalho Leite double la mise pour les Cariocas sur un service de Leônidas. En fin de match, les rôles s'inversent, Leônidas élimine Bartho avec une facilité déconcertante et frappe en force. Le ballon touche la barre transversale avant de faire trembler les filets. 3-0. Deux buts et une passe décisive. Leônidas, qui fête ses 18 ans seulement une semaine auparavant, est sur le toit du Brésil, ce qui lui vaut les félicitations d'Arthur Friedenreich.

À cette époque, le football est encore officiellement amateur et les préjugés raciaux sont nombreux, particulièrement à Rio de Janeiro. Les grands clubs sont opposés à la professionnalisation du football, car il permettrait justement aux moins nobles de pouvoir jouer avec les plus grands. En effet, si les Fluminense, Flamengo ou Botafogo ont pu avoir des joueurs noirs par le passé, ils n'ont en revanche jamais eu de joueurs pauvres. L'America est plus modeste et recrute Leônidas, mais lorsque ce dernier revient sur sa décision après avoir été informé qu'il doit jouer six mois avec l'équipe réserve, l'America lance une campagne anti-Leônidas. Les joueurs de l'America refusent de jouer avec Leônidas en sélection de Rio et la révélation du dernier championnat est finalement exclue de l'équipe. Leônidas, qui vient de déménager dans le beau quartier de Vila Isabel, est même accusé d'avoir volé un collier à une dame. L'affaire est largement relayée dans la presse et Leônidas est présenté comme un Noir pauvre et sans éducation, qui déshonore les femmes venues assister aux rencontres de football. Le match contre America est particulièrement tendu et Leônidas est expulsé, accusé d'avoir touché ses testicules pour répondre aux provocations des supporters, bien que l'arbitre n'ait pas vu le geste. En 1932, le championnat des sélections est annulé, victime de la rivalité entre les deux géants du football brésilien. Les difficultés financières et les tournées des grands clubs de Rio obligent la CBD à sélectionner de jeunes joueurs relativement peu connus pour représenter le Brésil lors de la Copa Rio Branco, face à l'Uruguay. Malgré l'influence de Renato Pacheco, le président de la CBD qui ne veut plus entendre parler de Leônidas, ce dernier est sélectionné par l'entraîneur Luís Vinhaes.

Face aux champions du monde, au stade Centenario de Montevideo, Leônidas ouvre le score pour son premier match avec la Seleção. Leônidas est infernal et est blessé à la cheville par José Nasazzi, le capitaine qui soulève la Coupe du monde 1930. Lorsque Vinhaes lui demande s'il peut continuer à jouer, Leônidas répond : « je vais marquer un autre but avant qu'ils puissent me sortir. » Leônidas accomplit sa promesse après un rush de 50 mètres selon Mário Filho. Leônidas peut désormais sortir et malgré la réduction du score de Pedro Cea, le Brésil s'impose 2-1, bien aidé par les exploits en défense de Domingos. Cette victoire est considérée comme un authentique exploit et les joueurs sont reçus comme des héros au Palácio do Catete par le président Getúlio Vargas. Oubliées les accusations de vol de collier, Leônidas est un digne représentant du Brésil et de sa mixité, comme le souligne José Lins do Rêgo, « les hommes qui ont gagné à Montevideo sont un portrait de notre démocratie sociale, où Paulinho, fils de bonne famille, s’est uni au noir Leônidas, au mulâtre Oscarino, au blanc Martim. Tout a été fait à la mode brésilienne. »

Succession de clubs et de titres

Impressionné par cette victoire brésilienne, l'Uruguay, qui surnomme Leônidas « le Diamant noir », recrute les meilleurs joueurs brésiliens pour son championnat, déjà professionnel. Si Domingos devient rapidement le meilleur joueur du championnat au sein du Nacional, Leônidas peine à s'imposer au Peñarol. Il sort beaucoup la nuit pour faire la fête, ce qui entraîne des rapports houleux avec la presse et les supporters. Leônidas retourne rapidement au Brésil, qui vient de basculer dans le monde professionnel. Direction Vasco, qui recrute les meilleurs joueurs noirs du Brésil : Domingos, Fausto, Gradim et donc Leônidas. Le débat concernant la professionnalisation fait encore rage au Brésil et la CBD reste opposé au principe. Pour la Coupe du monde, la confédération brésilienne sélectionne de nombreux joueurs du Botafogo, opposé au professionnalisme et… paye Leônidas pour participer à la Coupe du monde italienne. Le Brésil se prépare mal et arrive en Europe seulement deux jours avant son premier match. Malgré un but de Leônidas, la Seleção s'incline 3-1 contre l'Espagne et est éliminée, la compétition commençant à l'époque directement par les huitièmes de finale. Après avoir remporté le Carioca 1934 avec Vasco, Leônidas s'engage au Botafogo où il conserve en 1935 son titre de champion de l’État de Rio de Janeiro. Dès l'année suivante, il signe au Flamengo.

L'histoire d'amour au Flamengo

Flamengo n'a plus gagné le championnat carioca depuis 1925 et profitant du professionnalisme et de son statut de club le plus populaire de la ville, recrute à tout-va : les Noirs Leônidas, Jarbas, Fausto puis Domingos ou encore les Argentins Valido et Cosso. Entre 1936 et 1938, Flamengo termine à chaque fois deuxième, à chaque fois derrière Fluminense qui profite également de la professionnalisation pour se renforcer considérablement. Malgré ces échecs, Leônidas est l'idole des supporters, qui admirent sa façon si divertissante de jouer au football. Leônidas est un génie et le joueur le plus populaire de la ville, les supporters lui permettant même de gagner une voiture Ford grâce à un concours organisé par le fabricant de cigarettes Magnolia. Leônidas peut désormais s'envoler pour la France afin de disputer la Coupe du monde 1938.

Leônidas conquiert l'Europe

Le Brésil apprend de ses erreurs lors des deux premières Coupes du monde et se prépare correctement pour le tournoi. Pour la première fois, les Paulistes et les Cariocas sont réunis au sein de l'équipe nationale, qui arrive en France vingt jours avant le début du tournoi. La délégation est cependant victime de quelques couacs. Niginho, le remplaçant de Leônidas, est suspendu par la FIFA après une réclamation des Italiens pour avoir déserté l'armée italienne de Mussolini en 1936. La délégation n'a pas non plus de masseur et engage sur place Carlos Volante, un milieu argentin jouant au CA Paris. Le premier match du Brésil se déroule à Strasbourg, face à la Pologne. Leônidas ouvre le score et le Brésil mène 3-1, bien que le score aurait pu être plus large selon André Ribeiro, auteur de la biographie de Leônidas, intitulée « Diamante Negro ». La pluie s'abat sur Strasbourg et à trente secondes du coup de sifflet final, Ernest Wilimowski égalise à 4-4 et envoie les deux équipes en prolongation. Le terrain est trempé et les corps sont fatigués mais chaque attaque de Leônidas est une « charge électrique d'enthousiasme pour la foule » selon le journaliste brésilien Thomaz Mazzoni. Dès le début de la prolongation, Leônidas permet au Brésil de repasser devant au tableau d'affichage avant de marquer son troisième but personnel, du gauche et sans chaussure, après qu'il l'a perdue lors de l'action. Le Brésil s'impose 6-5 au terme d'un match exceptionnel. Le Brésil, vu avant le tournoi comme le pays du café, a enchanté les supporters, marqués en particulier par la prestation de Leônidas.

Le quart de finale à Bordeaux oppose le Brésil à la Tchécoslovaquie. En huitième de finale, la Tchécoslovaquie est venue à bout des Pays-Bas sur le score de 3-0, après prolongation. Les deux équipes sont techniques mais le match est très violent. Les blessures se succèdent aux expulsions et inversement, si bien que le Brésil joue pendant à un moment le match avec seulement sept joueurs. À l'exception de Leônidas, qui ouvre le score, le Brésil est peu inspiré et la Tchécoslovaquie égalise sur penalty après une nouvelle faute brésilienne. La prolongation ne donne rien, si ce n'est trente minutes supplémentaires de violence, et seul Leônidas parvient à tirer son épingle du jeu, exécutant notamment une bicyclette, un geste jamais vu en Europe auparavant et retenant l'admiration de Raymond Thourmagen, journaliste à Paris Match. « Cet homme est un véritable élastique. Au sol ou dans les airs, il possède le don diabolique de contrôler peu importe où il se trouve et de déclencher un tir violent au moment où l'on s'y attend le moins (…) Et quand ses adversaires pensent le dominer, il se met en position horizontale, les pieds étendus, comme une flèche dans l'air. Dans cette position, Leônidas exécute un mouvement de ciseau avec ses jambes, dos au but. Quand Leônidas marque, on croit rêver, on se frotte les yeux. Leônidas est de la magie noire. » Si Leônidas est souvent présenté comme l'inventeur de la bicyclette, il semble que ce geste ait déjà été réalisé dès 1914 par Ramon Unzaga Asla, un Espagnol jouant au Chili. Le geste est d'ailleurs connu en Argentine comme la « chilena » (lire L'autre bataille du Pacifique). Leônidas l'a en revanche popularisé dans le monde entier et en a fait son geste signature.

En 1938, les tirs au but n'existent pas encore et un match d'appui est réalisé seulement deux jours plus tard. Les joueurs sont épuisés et l'entraîneur Adhemar Pimenta réalise neuf changements, seuls le gardien Walter et Leônidas sont conservés. Bien que blessé au cours du premier match contre la Tchécoslovaquie, Leônidas doit rester sur le terrain car rappelons-le, son remplaçant Niginho est suspendu par la FIFA. Dans un match bien moins violent, la Tchécoslovaquie ouvre le score avant l'égalisation de Leônidas, qui marque son cinquième but du tournoi. Roberto offre la victoire au Brésil mais Leônidas, qui a joué 330 minutes depuis le début du tournoi, aggrave sa blessure musculaire au cours du match. Les soins apportés par Volante ne font qu'amplifier un peu plus la douleur de « l'homme caoutchouc », qui doit finalement déclarer forfait pour la demi-finale contre l'Italie, championne du monde en titre. Si l'histoire retient que l'entraîneur de la Seleção laisse volontairement Leônidas sur le banc en étant certain de disputer la finale, l'état de santé de Leônidas a vraisemblablement forcé Pimenta à se passer de sa star.

Le jour de la demi-finale est férié au Brésil afin que les supporters puissent suivre le match à la radio. L'Italie ouvre le score puis Domingos, après un duel gagné avec Piola, agresse ce dernier alors que le ballon est sorti en six mètres. L'arbitre siffle un penalty, transformé par Giuseppe Meazza. Le Brésil revient à 2-1, l'arbitre oublie un penalty pour le Brésil et met un terme à la rencontre sous les sifflets du stade Vélodrome. Pour Thomaz Mazzoni, « ce jour fatidique a quasiment provoqué une révolution au Brésil » et la délégation brésilienne pose officiellement réclamation contre l'arbitre. Au Brésil, la rumeur de l'annulation du match se répand rapidement mais la Seleção est bel et bien éliminée et doit se contenter du match pour la troisième place, contre la Suède. De retour au Parc Lescure, le Brésil est mené 2-0 face à la Suède avant la réduction du score du milieu du Fluminense, Romeu Pellicciari. Dans le second acte, Leônidas, remis sur pieds, inscrit deux buts et ajoute une passe décisive, permettant au Brésil de décrocher la troisième place. Avec sept réalisations, le Diamant noir est élu meilleur buteur et meilleur joueur de la Coupe du monde. Arthur Friedenreich, première star du football brésilien, a brillé brièvement en Europe avec le Paulistano le temps d'une tournée de dix matchs, mais Leônidas, avec un jeu à base de feintes et de dribbles, définit et exporte le style brésilien en Europe avec cette Coupe du monde. Désormais, le football brésilien est autant craint que respecté.

Enfin titré au Flamengo

Leônidas retourne au Brésil et au Flamengo avec un nouveau coéquipier : le masseur argentin et milieu du CA Paris, Carlos Volante, qui donnera même son nom au poste de milieu relayeur au Brésil. Leônidas a su conquérir le Vieux Continent et revient au pays en héros. Grâce à son ami et journaliste José Maria Scassa, Leônidas devient le premier joueur de football à se lancer dans la publicité. Goiabada de poisson, cigarettes Leônidas, barres de chocolat « Diamante negro » par Lacta, Leônidas est un symbole marketing et fait payer chèrement ses services. Il organise des conférences sur le football où il s'adresse à la foule dans d'élégants smokings. Sur le terrain, il marque un doublé contre Fluminense, permettant au Flamengo de s'imposer 5-2 après treize Fla-Flu sans victoire. Pourtant, c'est Fluminense qui remporte le championnat carioca 1938 et Leônidas rate quelques entraînements à cause de ses activités extra-sportives. Il refuse également de disputer un match le jour de Noël mais finit par revenir sur sa décision. Quoi qu'il en soit, ses relations avec la direction du Flamengo se tendent malgré ses 34 buts au cours de l'année.

En 1939, Leônidas dispute la traditionnelle Copa Roca face à l'Argentine. La Copa Roca n'a plus eu lieu depuis 1923. En 1925, de violents incidents avaient éclatés entre les deux nations lors de la Copa América. En 1937, après douze ans sans BrésilArgentine, les équipes en étaient venues une nouvelle fois aux mains. Au match aller, à Rio de Janeiro, le Brésil est humilié 5-1. Une semaine plus tard, Leônidas ouvre le score avant de tenter une bicyclette alors que le match se tend suite à l'égalisation de l'Argentine. Après un penalty sifflé contre l'Argentine en seconde période, les joueurs argentins contestent la décision de l'arbitre. Les policiers brésiliens font irruption sur le terrain pour agresser les Argentins, qui décident de se retirer du match. Perácio marque dans le but vide, permettant au Brésil de s'imposer 3-2, mais ce BrésilArgentine est un nouvel échec avec une nouvelle fois des scènes de violence. Leônidas est également moins convaincant en 1939. Son ami le Dr Albert Borgeth, leader de la scission du Fluminense et de la création de la section football du Flamengo en 1911, lui diagnostique l'appendicite. Après quatre mois d'absence, le Diamant noir revient lors d'un Fla-Flu et mène les siens à la victoire en ouvrant le score. Flamengo remporte le championnat Carioca 1939, une première depuis 1925. S'il en est besoin, Leônidas renforce un peu plus son statut de légende au club rubro-negro. Lors du dernier match de la saison, le 31 décembre 1939, Leônidas marque contre le club argentin d'Independiente d'une magnifique bicyclette, « défiant la loi de la gravité » selon Edilberto Coutinho. Bon réveillon.

Leônidas doit bien profiter du réveillon car c'est un indécrottable fêtard. En 1932, il provoque lui-même son expulsion lors d'un match avec Bonsucesso pour aller à une soirée. Depuis son arrivée au Flamengo, il profite largement des boîtes chics de Rio, ratant parfois l'entraînement, ce qui agace prodigieusement la direction du club. En 1940, l'inauguration du Pacaembu permet le retour du Tournoi Rio – São Paulo, où Leônidas marque six buts contre la Portuguesa, balayée 9-1. Dans le championnat carioca, Leônidas marque 30 buts et établit un nouveau record, même si Fluminense récupère son titre. L'homme élastique doit pourtant faire face à des problèmes de genou. Le président du Flamengo, Gustavo de Carvalho, l'accuse de simuler et veut le forcer à jouer, les primes de matchs pour le club dépendant de la présence de Leônidas. Les rapports se tendent également avec le caractériel coach du Flamengo, Flávio Costa, lorsque Leônidas rate des entraînements à cause de soirées trop arrosées ou de contrats publicitaires. Son absence permet l'émergence de Zizinho, 17 ans, avec qui il remporte le championnat des sélections 1940. Un grand médecin de Rio diagnostique à Leônidas de graves lésions au ménisque du genou droit mais le meilleur buteur de la Coupe du monde 1938 doit faire face aux critiques de la presse et de la direction, et devient même contesté par les supporters. Pire, il est condamné à huit mois de prison par le tribunal militaire pour falsification de documents lorsqu'un agent lui avait permis d'éviter le service militaire en 1935.

Après Rio, São Paulo

Leônidas passe huit mois dans une prison militaire où il est bien traité et en profite pour reposer son genou. Son remplaçant, Pirilo, bat son record avec 39 buts dans le Carioca 1941, remporté une nouvelle fois par Fluminense, mais jamais il ne remplace Leônidas dans le cœur des supporters du Flamengo. À sa sortie de prison, Leônidas refuse de retourner au Flamengo. Le directeur de São Paulo, Roberto Gomes Pedrosa, en profite et vient à Rio avec une mallette pleine de billets. Leônidas quitte Flamengo après 153 buts en 149 matchs (meilleur ratio de l'histoire du club), les plages de Rio et le café Rio Branco, direction São Paulo. Leônidas n'a plus joué depuis un an et est hors de forme, mais il représente le nouvel espoir des supporters du São Paulo, qui n'a plus gagné le Paulista depuis 1931. Dix mille supporters l'accueillent à son arrivée dans la ville et pour son premier match, les portes du Pacaembu ouvrent six heures avant le début du match. Ce jour-là, 72 018 personnes assistent au match contre le Corinthians, un record jamais égalé pour le Pacaembu. São Paulo ne gagne pas (3-3), Leônidas ne marque pas, mais les débuts sont convaincants, d'autant plus que deux semaines plus tard, Leônidas marque son premier but, contre Palmeiras. D'une bicyclette évidemment. Palmeiras remporte finalement le titre et si São Paulo perd Waldemar de Brito, qui s'engage avec Fluminense, le club paulista reçoit le renfort de l'Argentin Antonio Sastre (lire Antonio Sastre, l'inventeur du football moderne en Amérique du Sud).

Avec São Paulo, Leônidas met fin à douze ans de disette pour le club en remportant le Paulista 1943. Deux ans plus tard, São Paulo remporte de nouveau le championnat, Leônidas marquant le but décisif. En 20 matchs, São Paulo perd une seule rencontre, marque 70 buts et Leônidas termine vice-meilleur buteur malgré un léger embonpoint qui n'enlève rien à son talent. Pourtant, il ne dispute pas la Copa América 1945, barré par le nouveau sélectionneur Flávio Costa, avec qui les rapports avaient été compliqués au Flamengo. Leônidas est de retour un an plus tard, grâce à la CBD qui tente d'améliorer les relations entre les deux hommes. Lors de la Copa América 1946, qui se tient en Argentine, le match décisif oppose le Brésil et l'Argentine. Une nouvelle fois, le match part en bagarre générale lorsque Jair brise la jambe de Salomon. Les supporters argentins sont prêts à agresser les joueurs brésiliens, qui se réfugient dans les vestiaires. Après une pause de deux heures, le match reprend, mais le Brésil s'incline 2-0 et laisse filer le titre. Ils sont pourtant accueillis en héros au Brésil, car comme le dira le gardien brésilien Ary, « il vaut mieux laisser filer un match que perdre la vie ».

Leônidas remporte une nouvelle fois le championnat paulista, en 1946, au sein d'un São Paulo exceptionnel : 20 matchs, 17 victoires, 3 matchs nuls. La saison 1947 est plus difficile, São Paulo finit à onze points du Palmeiras et Leônidas est imprévisible. Lors d'un match amical contre le Torino, il agresse l'arbitre qui venait de l'expulser pour avoir provoqué une bagarre. Quelques temps plus tard, lors d'un match contre Vasco, un joueur du Vasco tente de marquer du talon après avoir dribblé le gardien. Pour Leônidas, c'est une provocation de l'entraîneur du Vasco et meilleur ennemi de Leônidas, Flávio Costa. À la fin du match, Leônidas s'approche de Costa, s’agrippe les testicules et lui lance : « ça, c'est pour toi ! »

Leônidas retrouve ses moyens en 1948 et mène une nouvelle fois São Paulo vers le titre dans le championnat paulista. L'un de ses buts sur bicyclette est immortalisé par Alberto Sartini pour la photo la plus célèbre de Leônidas. Il rêve d'un retour en Seleção mais évidemment, Flávio Costa s'y oppose. Leônidas joue alors les prophètes en se confiant au Mundo Esportivo où il annonce que « avec Flávio Costa, le Brésil gagnera le Sul-Americano, mais perdra fatalement la Coupe du monde. » Pour lui, Flávio Costa favorise les Cariocas et prépare « les conditions pour que le Brésil connaisse une immense déception lors de la Coupe du monde 1950. » Le Brésil remporte la Copa América sans lui et Leônidas dispute, à 36 ans, les 22 matchs du championnat paulista 1949, pour 13 buts. Il remporte ainsi son cinquième Paulista en huit ans au club, avant d'annoncer la fin de sa carrière. Ses buts, ses dribbles, son élégance, son charisme et bien sûr sa bicyclette font de lui l'un des plus grands joueurs de l'histoire du football brésilien.

Reconversion réussie avant la maladie

Une fois à la retraite, Leônidas devient l'entraîneur du São Paulo, mais il s'entend mal avec ses anciens coéquipiers et abandonne rapidement. Il devient ensuite chroniqueur à la radio et impose son style, devenant l'un des chroniqueurs les plus appréciés du pays pour son franc-parler et ses analyses pertinentes. Dans le cadre de son travail à la radio, il se rend en Allemagne en 1974 pour commenter la Coupe du monde. Présent à Strasbourg, terre de ses premiers exploits européens contre la Pologne, pour un match de préparation de la Seleção, il peine à se remémorer certains détails de la Coupe du monde 1938. Pour cause, Leônidas souffre de la maladie d'Alzheimer. Il quitte son poste de consultant en 1976 et Albertina, son ancienne maîtresse devenue sa femme, s'occupe de lui. Elle subit ses crises d'humeur et Bauer, l'ancien coéquipier du Diamant noir au São Paulo vient l'épauler, tout comme de nombreux amis du joueur. Leônidas ne peut pas boire d'alcool et s'énerve lorsque sa femme sert une vodka à Bauer sans lui en proposer. Albertina lui sert alors un verre d'eau que Leônidas peut siroter sans se rendre compte de la différence… Leônidas finit par ne plus reconnaître ses amis et sa femme l'accompagne jusqu'à la fin de sa vie. Le Diamant noir meurt en 2004, à 90 ans, après trente ans de lutte contre la maladie d'Alzheimer, laissant derrière lui l'image d'un joueur exceptionnel au caractère bien trempé, ayant émerveillé les fans du Flamengo, du São Paulo et bien sûr de la Seleção.

 
Marcelin Chamoin
Marcelin Chamoin
Passionné par le foot brésilien depuis mes six ans. Mon cœur est rouge et noir, ma raison est jaune et verte.