Né un 28 juillet, Juan Alberto Schiaffino n'est pas un footballeur comme un autre en terres célestes. Idole nationale, Pepe est aussi le digne représentant d’une génération uruguayenne championne du monde. Portrait d’une légende.

banlomag

Schiaffino, par ses actions magistrales, animait le jeu de son équipe comme s’il était installé dans la tour la plus haute du stade, observant l’ensemble du terrain. » Eduardo Galeano, Fútbol a sol y a sombra

Des potreros au Maracanã

Né le 28 juillet 1925, d’un père immigré italien et d’une mère paraguayenne, Schiaffino n’est pas encore Pepe qu’il pousse ses premiers ballons sur les potreros de Montevideo avant d’intégrer Palermo, son équipe de barrio avant de travailler dans une boulangerie puis dans une usine d’aluminium. Mais son destin se joue sur un terrain. Après avoir évolué un temps avec les équipes de jeunes du Nacional, son frère Raúl, avant-centre de deux ans plus vieux que lui et dont la carrière ne débutera jamais, faute à une blessure, l’emmène à Pocitos pour qu’il intègre les jeunes du Peñarol. Nous sommes en 1943, Schiaffino n’a alors que 18 ans.

Il intègre alors la fameuse Tercera de 1943 et fait ses débuts chez les pros trois ans plus tard, lancé chez les pros avec plusieurs joueurs de cette équipe réserve par le duo Anibal Tejada, ancien arbitre devenu entraineur et Alberto Suppici, le sélectionneur des champions du monde de 1930 devenu préparateur physique. Il va alors commencer à transformer Peñarol formant ensuite avec Alcides Ghiggia, Juan Eduardo Hohberg, Oscar Omar Míguez, et Ernesto Vidal « La escuadrilla de la muerte. » En 1949, les Aurinegros deviennent une véritable machine qui écrase l’Uruguay, allant jusqu’à démoraliser ses éternels rivaux du Nacional lors du célèbre Clásico de la Fuga, match que les joueurs du Tricolor abandonneront à la pause, alors menés 2-0 et réduits à neuf.

En trois saisons, son football n’a cessé d’évoluer, de s’affiner, de se compléter. Schiaffino est devenu Pepe, référence au poivre (Pepe signifie poivre en italien) donné par son frère car il inspire le même sentiment d’inquiétude lorsqu’il a le ballon dans les pieds et est déjà décrit comme el pequeño maestro, hommage appuyé à José Piendibene, légende uruguayenne du début du siècle. L’élégant meneur de jeu Carbonero, l’homme qui voit tout avant tout le monde, va entrer dans l’histoire de la Celeste l’année suivante. Le 16 juillet 1950, il est le premier buteur uruguayen lors du Maracanazo, coupant parfaitement un centre de son coéquipier carbonero Alcides Ghiggia qui a commencé à faire bien des misères au latéral brésilien Bigode, premier acte d’un drame carioca qui se jouera en deux temps, le but qui fera dire plus tard à Roque Máspoli, le gardien de la Celeste, « A ce moment, je savais qui les joueurs brésiliens étaient rattrapés par la peur de perdre. »

« Nos chances étaient de 1%. Le Brésil était en pleine euphorie. Mais nous n’avions aucune préoccupation ni nervosité. Il fallait rester indifférent à l’atmosphère quand nous avons pénétré sur la pelouse devant 200 000 personnes en extase. Pendant le match, on les a laissé venir puis nous avons attaqué, » racontera-t-il plus tard.  De la fin de match, Schiaffino se souviendra du silence et des larmes des deux camps. « Nous nous sommes libéré de l’angoisse qui nous avait accompagnée durant toute la partie. On a pleuré des larmes de joie, pensant à nos familles en Uruguay alors que nous adversaires pleuraient l’amertume de la défaite. A certains moments, j’ai ressenti la peine qui avait envahi le stade. »

Si Varela est le cœur et Máspoli la muraille, de cette Celeste portée désormais par sa garra, Schiaffino en est son cerveau, le dernier héritage du football total que la sélection avait porté au sommet du monde 20 ans plus tôt, dernière preuve que cette caractéristique reste dans son ADN. Il est élu meilleur joueur du tournoi, l’Europe commence alors à lorgner sur ce redoutable milieu de terrain. La Roma propose alors un demi-million de pesos, Gianni Agnelli fait le voyage depuis Turin pour tenter de le convaincre de retrouver la terre de ses ancêtres, mais Peñarol refuse. Trop tôt pour se séparer de son âme. Alors Schiaffino reste au pays, décroche trois autres titres de champion national et décolle pour la Suisse, défendre le titre mondial de sa sélection. L’Uruguay survole la phase de poule, Schiaffino, son maître à jouer est intenable. Lorsqu’il entre au All of Fame du football écossais, Tommy Docherty, qui fait partie de l’Ecosse traumatisée par l’Uruguay lors de cette Coupe du Monde (0-7), n’a qu’un nom en bouche : Schiaffino. The Doc se souvient avoir été au marquage du meneur uruguayen. Il se souvient de ses mots au moment de rentrer aux vestiaires, « je n’arrive pas à le rattraper. » L’aventure se terminera alors en demi-finale, tombé sur le fil face au Onze d’Or hongrois de Puskás, première défaite de l’histoire des Coupes du Monde pour la Celeste, concédée après prolongation et surtout après la sortie de Pepe, victime d’un tacle trop appuyé. L’heure est alors venue, Juan Alberto Schiaffino a 29 ans, après 227 matchs et 88 buts avec Peñarol, il est temps pour lui de retrouver ses racines familiales.

D’Uruguay en Italie

Profitant de sa présence en Suisse, le Milan AC parvient à attirer Pepe Schiaffino dans ses rangs. Pour une somme représentant aujourd’hui plus de 100 000 €, Schiaffino quitte alors Peñarol pour l’Italie, il est alors le transfert le plus cher de l’histoire. Il s’installe dans un Milan orphelin de son Gre-No-Li depuis le départ du Professore Gren en 1953. Avec Schiaffino, le Milan retrouve un meneur, un chef d’orchestre. Le temps d’obtenir ses papiers, Pepe débute le 19 septembre face à Triestina et s’offre un doublé. Au bout de sa première saison, Schiaffino décroche son premier titre au Milan AC. Ne pouvant plus défendre les couleurs de son Uruguay natal en raison de son départ à l’étranger, Juan Alberto Schiaffino devient alors Italien, rendant ainsi un hommage à son grand-père génois. Malheureusement pour lui, sa première sélection de 1954 reste pendant trois ans unique en raison de divergences avec le sélectionneur de l’époque, Alfredo Foni qui ne le rappellera qu’à trois autres reprises en fin d’année 1957 et début d’année 1958. Qu’importe, la légende italienne du regista Schiaffino s’écrit au Milan AC. Après celui de 1955, deux autres titres nationaux suivront en 1957 et 1959, encadrant parfaitement l’année 1958, celle de la finale de Coupe d’Europe des Clubs Champions, conclusion d’une compétition que Pepe marque de son empreinte, éliminant à lui seul Manchester United en demi-finale (un but à l’aller, deux au retour) et ouvrant le score en finale face au Real de Di Stefano qui finira tout de même par s’imposer.

Il sera alors l’un de ceux qui militent pour l’arrivée d’un certains Gianni Rivera qui viendra prendre sa place en 1960 au club et dont il sera le maître, l’inspiration. Schiaffino termine son aventure italienne à la Roma, allant jusqu’à jouer en défense. En 1962, il a 37 ans lorsqu’il tire sa révérence à l’Italie et au football en tant que joueur. Après avoir raccroché les crampons, Pepe Schiaffino s’essaie un temps à la direction d’équipes, passant furtivement à la tête de la sélection, lors de la Copa America 1975 et du naufrage en terres colombiennes, puis du Peñarol l’année suivante. Sans succès.

Alors Pepe s’éloigne de ces terrains dont il fut l’un des plus beaux animateurs. Sa silhouette longiligne entre dans le magasin des souvenirs, sa technique, ses contrôles de balle, son incroyable capacité à surprendre d’un geste, d’une passe que lui seul avait vu avant tout le monde grâce à ce que Cesare Maldini décrivait comme « un radar à la place du cerveau. » Le 13 novembre 2002, l’annonce de son décès provoque un flot d’hommages mondiaux. Le Sénat uruguayen s’arrête un temps, l’Uruguay venait de perdre l’une de ses plus grandes légende, l’homme qui inspira et porta tout un pays, son footballeur du siècle. 

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.