8 juillet 1990, Diego Maradona ne peut sécher ses larmes, vaincu par une froide Allemagne. À des milliers de kilomètres de l’Italie, un pays ne cesse de célébrer les héros de cette Coupe du Monde. Eliminé en huitièmes de finale, le Costa Rica a profité du Mondial italien pour écrire le premier grand chapitre de son histoire. Son acte de naissance sur la scène internationale.

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L’histoire de la sélection costaricaine de football débute véritablement au début des années vingt. Lors des Juegos del Centenario de la Independencia à Guatemala, le Costa Rica fait ses premiers pas et atomise le Salvador avant d’écraser le Guatemala. Ces débuts victorieux marquent l’acte de naissance continental d’un futur grand de la zone qui va dominer les années trente et quarante avant de devenir « Los Chaparritos de Oro » dans les années cinquante au terme d’un nouveau Campeonato Centroamericano y del Caribe de Fútbol (ancêtre de la Gold Cup) remporté au Honduras. Reste qu’à cette époque, le Costa Rica est connu dans sa zone comme un redoutable concurrent, il n’en demeure pas moins qu’il ne voit pas les projecteurs mondiaux se braquer sur lui, la faute à une absence de participation à la Coupe du Monde. La faute d’abord à un manque de place, de 1958 à 1978, seul un membre de la zone pouvant se qualifier à une Coupe du Monde et le Mexique étant encore au-dessus puis, à partir de 1982 les Ticos ne parviennent à décrocher l’une des deux places. Mais pour l’édition 1990, les choses vont changer.

1989, la chance d’une génération

La Sele se retrouve à jouer le billet pour la Coupe du Monde Italie 90 lors du CONCACAF Championship de 1989. Le Belize est interdit de compétition pour des dettes impayée, le Canada, le Salvador, le Honduras, les USA et le Mexique ne participent pas au premier tour car ils sont alors les cinq meilleures sélections de la zone au classement FIFA et sont ainsi automatiquement qualifiés pour le deuxième tour. Il faut donc passer par un barrage pour rejoindre ces cinq équipes. Ils sont ainsi dix à prétendre à un ticket. Pour ce premier tour, le tirage au sort offre Panamá au Costa Rica. Après un piteux match nul 1-1 à Alajuela dans le stade du LDA, on se dit alors que les choses vont être compliquées pour le Costa Rica. C’est sans compter sur un match retour de folie au Panamá, qui voit les Ticos s'imposer 2-0 grâce à des réalisations de Juan Cayasso, le milieu de terrain de Saprissa et de Hernán Medford, l'attaquant lui aussi de Saprissa. La joie costaricaine est rapidement douchée. Car l’adversaire annoncé au deuxième tour, dernier obstacle avant le tour final, n’est autre que… le Mexique. Pendant que la Jamaïque est largement dominée par les USA, que le Guatemala créé la sensation en éliminant le Canada, que Trinidad y Tobago écarte le Honduras et que les Antilles néerlandaises se font largement dominer par le Salvador, le Costa Rica passe par la case chance. En 1988, la fédération mexicaine de football (FEMEXFUT) est accusée d’avoir menti sur l’âge de quatre joueurs de sa sélection U20 qui a participé au tournoi qualificatif de la CONCACAF pour la Coupe du Monde de la catégorie. Révélé par le journaliste Antonio Moreno d’Imevisión (aujourd’hui TV Azteca), le scandale des cachirules (terme emprunté notamment au langage des championnats amateurs, les cachirules désignant alors les joueurs participant à des rencontres pour des équipes auxquelles ils n’appartiennent pas uniquement pour les rendre plus compétitives) explose. Le Mexique est alors banni de toute compétition pendant deux ans, sans jouer, le Costa Rica gagne son billet pour le tour final, le CONCACAF Championship de 1989.

Il va la saisir à pleine main. La campagne commence mal avec une défaite au Guatemala immédiatement rattrapée deux semaines plus tard par une victoire 2-1 au retour avec des golazos signés Roger Flores et Evaristo Coronado. Arrive le choc face aux USA. Un duel qui se termine dos à dos, chacun s’étant imposé chez lui d’un tout petit but. La lutte pour les deux places qualificatives pour la Coupe du Monde se jouera à trois, Trinidad y Tobago se mêlant à la lutte avec Team USA et la Tricolor.  Américains et Costaricains resteront ainsi main dans main en présentant le même bilan face à TyT : un nul et une victoire. Pour les USA, la victoire à Port of Spain lors du dernier match reste dans l’histoire, le but de Paul Caligiuri, entrant dans l’histoire du football national puisqu’il ramène Team USA à une Coupe du Monde quarante ans après l’exploit d’une Coupe du Monde disputée au Brésil. Mais cela se fera bien après le Costa Rica. Ce dernier joue sa qualification face au Salvador qui entre tout juste en piste (folie du calendrier). Les Ticos se déplacent plein de confiance en terres salvadoriennes alors qu’ils n’ont pourtant pas remporté le moindre match à l’extérieur dans ce championnat. Ce sera chose faite, une large victoire 4-2 avec des buts du défenseur de Saprissa Carlos Mario, Juan Cayasso et un doublé de l'attaquant du Supra de Montréal, Leonidas Flores. Ne reste plus qu’à conclure. Le 16 juillet 1989, l’ancien Estadio Nacional est plein, il est libéré par un but de Pastor Fernández. Pour la première fois de son histoire, le Costa Rica sera présent en phase finale d’une Coupe du Monde. Ne reste plus qu’à écrire le plus beau des chapitres.

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Du chaos à l’éternité

La fête du Nacional est éphémère. Les lendemains sont terribles. Au point qu’après le tirage, tout le pays se demandait combien de buts le Costa Rica allait encaisser dans son groupe composé de l’Écosse, de la Suède et du Brésil. Alors que le voyage en Italie se profile, le sélectionneur Marvin Rodríguez est licencié et est remplacé par Bora Milutinović. Le chaos s’installe, d’autant que Milutinović opère un grand ménage. Coronado, Fernández, Diaz, Solano et Hidalgo, tous héros de la campagne de qualification sont écartés, González et Contreras s’enfuient à leur tour pendant la préparation. Une préparation catastrophique, les Ticos ne gagnant qu’un seul de leurs cinq matchs de préparation (quatre défaites). Mais Bora tient bon. Son Costa Rica est un juste mélange de joueurs provenant des grands clubs du pays autour d’une ossature de huit joueurs issus du Deportivo Saprissa, champion national en titre (Flores, Quesada, González Brenes, Cayasso, Medford, Guimarães, Jaikel et Segura), cinq d’Herediano (Chavarría, Claudio et Geovanny Jara, Obando, Marín), quatre d’Alajuelense (Chaves, Davis, Montero et Óscar Ramírez), trois de Cartaginés (Conejo, Gómez, Marchena), un de l’AS Limoense (Myers) et un joueur de Puntarenas (Barrantes).

Après avoir assisté au choc Brésil – Suède, remporté par les Auriverdes, le Costa Rica entre en scène face à l'Écosse. Pour l’occasion, les Ticos s’articulent autour d’un 4-4-2 losange relativement classique avec en pointe Juan Cayasso et Claudio Jara soutenu par le numéro 10, Óscar Ramírez. Le duo offensif va faire basculer la partie dans l’histoire au retour des vestiaires lorsque Hector Marchena se lance côté droit, repique dans l'axe, trouve Claudio Jara dans la surface de réparation qui talonne immédiatement pour Juan Cayasso seul qui n’a plus qu’à piquer le ballon devant Leighton. Le Costa Rica vient d’inscrire son premier but en Coupe du Monde et va décrocher sa première victoire, sauvé notamment par un Luis Gabelo Conejo infranchissable. La défaite concédée lors du deuxième match face au Brésil de Taffarel, Mozer, Dunga, Valdo, Branco et autre Careca n’est finalement pas préjudiciable, l’Écosse ayant battu la Suède, les Ticos et leur maillot rayé noir et blanc (qui n’était pas, comme écrit à l’époque un hommage à la Juventus mais à La Libertad, un des clubs doyens du pays) peuvent se qualifier en cas de victoire lors de l’ultime journée.

Milutinović fait le choix de reconduire le même onze pour la troisième fois. Les Suédois se doivent d’être offensifs, s’ils veulent un espoir de qualification. Il n'y pas de round d'observation dans ce match, la Suède pousse fort dès le début de la rencontre et ouvre le score sur coup de pied arrêté, Conejo relâchant un ballon dans les pieds d’Ekstrom. La domination suédoise dure une mi-temps. À la pause, Bora explique à ses joueurs que s’ils veulent écrire l’histoire, il ne leur reste que quarante-cinq minutes pour le faire. Alors ses Ticos vont retourner le match. El Pelícano Medford entre en piste à l’heure de jeu. Sa vitesse va déstabiliser les Suédois. Medford obtient un coup franc que Flores coupe au premier poteau, le Costa Rica égalise. La Suède joue son va-tout. Elle se fait piéger en toute fin de match sur un contre éclair de Medford qui s’en va ajuster Ravelli. 2-1 score final, le Costa Rica est le premier représentant de la CONCACAF à passer le premier tour d’une Coupe du Monde européenne, le tout lors de sa première participation.

En huitièmes, le tableau offre la Tchécoslovaquie aux Ticos. L’obstacle sera trop grand. Le Costa Rica sombre peu après l’heure de jeu. Skuhravý s’offre un triplé, Luboš Kubík apporte sa pierre à l’édifice d’une merveille de coup franc dans la lucarne. Malgré un espoir un temps entretenu par l’égalisation de Rónald González Brenes, l’aventure des Ticos prend fin sur un lourd 4-1. Le portier Luis Gabelo Conejo sera récompensé en étant nommé parmi les meilleurs gardiens du tournoi, Juan Cayasso restera à jamais le premier buteur de l’histoire du Costa Rica en Coupe du Monde mais l’héritage sera bien plus grand.

L’héritage

Car la performance des Ticos lors de ce Mondial italien aura des conséquences. Ajouté au fait que les USA se voient donner l’organisation de l’édition 1994 (avec Bora Milutinović à leur tête), la CONCACAF se réorganise. La Gold Cup voit le jour l’année suivante et devient la grande compétition de la zone au sein de laquelle le Costa Rica s’installe à la troisième place derrière les deux géants Mexique et USA. Absent des Coupes du Monde 1994 et 1998, les Ticos vont attendre l’émergence d’une nouvelle génération pour capitaliser sur les succès de 1990.

Premier buteur de l’histoire, Juan Cayasso témoignait de ses souvenirs d’enfant lorsqu’il voyait Pelé soulever le précieux trophée. Avec ses coéquipiers, il est venu donner des souvenirs rouges et bleus aux générations suivantes. Elles vont alors venir garnir les rangs de la sélection au début du XXIe siècle. Il y aura la génération des Paulo Wanchope en 2002 et 2006, il y aura ensuite celle de Bryan Ruiz et son historique quart de finale brésilien. Démonstration ultime que le Costa Rica a changé de dimension à partir de 1990. Comme pour le rappeler, les héros de la campagne d’Italie ne sont jamais loin. Alexandre Gimarães, l’homme qui avait lancé Medford pour le but de la qualification face à la Suède dirigera la sélection aux Coupes du Monde 2002 et 2006, Hernán Medford lui succèdera à la tête de la sélection, Rónald González Brenes, le dernier buteur prendra la tête des U20, quatrième de la Coupe du Monde 2009 (et dont certains sont désormais avec les A) avant d’être assistant chez les A en 2010/11, Óscar Ramírez, son numéro 10 d’alors, se retrouve à la tête des Ticos de 2015 à 2018, les conduisant à la Coupe du Monde russe. Deux ans plus tard, la sélection est dirigée par Ronald González Brenes. Trente ans après la formidable campagne de qualification à la première Coupe du Monde de l’histoire du pays, les glorieux anciens continuent ainsi de faire progresser le football tico, perpétuant ainsi leur propre héritage.

 

Par Grégory Chaboche et Nicolas Cougot pour Lucarne Opposée

Grégory Chaboche
Grégory Chaboche
Fan de foot jusqu'au bout des orteils. Animateur radio dans FootStation sur DoHitRadio. " La modestie dieu m'en préserve " (J.Mourinho)