Pour son troisième et dernier rendez-vous de la phase de groupe, l’Australie joue sa qualification face au Pérou tout en sachant qu’elle ne sera pas maîtresse de son destin. Sa présence dans le groupe de la France aurait pu permettre une mise en lumière de son football. Il n’en fut rien, l’Australie est restée classée comme une version light du kick and rush anglais avec comme seule arme ses vertus de combattante. Pourtant, un simple regard sur l’histoire du football en Australie suffit à démontrer que son héritage est plus riche que cela.

banlomag

premiermatchLorsque l’on s’intéresse aux origines d’un football dans un pays, les Britanniques ne sont jamais bien loin. C’est ainsi tout naturellement que les premières parties de football disputées en Australie sont liées aux migrants britanniques, qui arrivent en masse à la fin du XIXe siècle et naturellement apportent leur jeu. On a ainsi longtemps que le premier match de football avait opposé une équipe nommée Wanderers FC et des étudiants de la King’s School à Sydney en 1880 avant de s’apercevoir que plusieurs écrits décrivent des matchs disputés bien avant, du côté de Melbourne vers 1875 ou encore du côté d’Adelaïde deux ans auparavant. Malgré tout, en Australie, on considère que le père du football est un londonien, John Walter Fletcher, qui s’est installé du côté de Sydney en 1875 et a créé le Wanderers FC cinq ans plus tard dans le but de promouvoir ce sport britannique sur le territoire. Il fonde la New South Wales English Football Association, l’une des premières associations de football hors des terres britanniques. Malgré cela, les premières décennies ne donnent pas lieu à un grand développement du football dans le pays, la faute à une lutte effrénée avec d’autres sports locaux comme l’Australian Rule ou le cricket, les premiers fermant souvent l’accès aux terrains à la pratique du football et, même si plusieurs associations sont créées dans diverses régions du pays, la fédération australienne, alors nommée Australian Soccer Association, n’est ainsi fondée qu’en 1921, le premier match disputé par une « sélection » australienne n’a lieu que l’année suivante lors d’une tournée en Nouvelle-Zélande. Il va alors falloir attendre d’autres arrivées massives de migrants européens, dans les années vingt et surtout après la deuxième guerre, pour que le football connaisse un véritable coup d’accélérateur, mettant fin à l’héritage britannique que l’on veut bien coller à l’Australie.

Un football multiculturel

Après la Seconde Guerre, l’Australie voit débarquer un grand nombre de migrants venus d’Europe centrale et du Sud. Ce sont ainsi les Croates, les Grecs, ou encore les Italiens qui vont alors déclencher le boom de football chez les kangourous et surtout contribuer à lui donner une identité multiple. Le plus fort impact est celui de la communauté croate. Dès 1931, le premier club croate, le HSNK Zora voit le jour à Sydney, il aura de nombreux cousins aux quatre coins du pays, des Adelaïde Raiders (ancien Adelaïde Croatia Soccer Club fondé en 1952) au Sydney United 58 autrefois Sydney Croatia en passant par les Melbourne Knights, anciens SC Croatia. Cette importante communauté est à l’origine d’un phénomène commun avec les autres, la démarcation des Anglais. Ainsi naissent différentes fédérations, comme la fédération croate de soccer d’Australie et de Nouvelle-Zélande qui organise dès 1974 son propre championnat, l’Australian-Croatian Soccer Tournament qui existe encore aujourd’hui.

croates

Les clubs croates d'Australie et de Nouvelle-Zélande participant au 43e Australian-Croatian Soccer Tournament en 2017

Aux côtés des Croates, on trouve alors d’autres clubs dits ethniques, les Grecs avec des clubs comme South Melbourne, initialement appelé South Melbourne Hellas ou les Sydney Olimpic qui s’est d’abord appelé Pan-Hellenic Soccer Club, les Italiens, avec le plus vieux d’entre tous, le Charlestown City Blues FC fondé dès 1900 et qui fusionne ensuite avec l’Azzuri ou encore le Adelaïde City FC dont le premier nom était tout simplement Juventus et qui entre dans l’histoire du football australien en remportant l’ancêtre de la Ligue des Champions d’Océanie lors de sa première édition en 1987. Il y a aussi les Hollandais qui arrivent dans les années cinquante-soixante et vont créer plusieurs clubs qui ne perdureront pas forcément mais laissent un héritage, à l’image du plus prestigieux de tous, le Brisbane Roar, l’un des descendants du Hollandia-Inala Soccer Club créé en 1957, qui subiste encore aujourd’hui sous le nom de Queensland Lions et évolue en National Premier Leagues. Ce multiculturalisme injecte une nouvelle façon de jouer au football en Australie, il déteint sur le football local qui s’enrichit. Les communautés prennent une importance capitale dans les régions et organisent la base du football, créent des compétitions. C’est ainsi qu’au lendemain de la guerre, Jock Parker, président de la Junior Association de la Victorian Amateur Soccer Football Association va organiser une compétition entre équipes représentant ces diverses communautés, alors nommées les « Nouveaux Australiens ». La Laidlow World Cup voit le jour, ses finales se disputent devant près de 10 000 spectateurs dans les années cinquante et soixante (à titre de comparaison, la dernière finale de FFA Cup, la coupe nationale, s’est disputée devant à peine plus de 13 000 spectateurs). Ces clubs de « Nouveaux Australiens » revitalisent le football local, le change en apportant de nouveaux gestes, une nouvelle manière d’aborder le jeu, apportent de nouveau joueurs et surtout remplissent les stades. Ils bousculent le paysage du sport local.

Racisme et politique

La réaction ne tarde pas, sur fond d'identité nationale, le football va alors entrer en guerre ouverte avec l’Aussie Rules. Comme au début du siècle, les organisations de ce sport 100% australien vont jouer sur les relents anti-immigration pour empêcher l’accès aux terrains publics. Dans « Ethnic Involvement in Australian Soccer: A History 1950-1990 », Phillip Mosley décrit tous les moyens utilisés par certains pour empêcher, ou ralentir, toute tentative de développement du football. Dans les états où l’Aussie Rules prévalait (Victoria, Tasmanie, South Australia, Western Australia), les écoles et les autorités locales chargées du sport scolaire vont chercher à empêcher de jouer au foot. La White Hills Technical School de Bendigo (état de Victoria) va ainsi par exemple « interdire l’utilisation des fonds scolaires pour financer des équipements liés au football ».

footy

Suite à la candidature de l'Australie pour l'organisation de la Coupe du Monde 2022, les figures de l'Aussie Rules comme Ron Barassi montent au créneau pour s'y opposer.

Le football tente alors tout de même de poursuivre sa croissance dans ce climat tout au long des années cinquante et soixante, devant faire face à toutes les insultes comme le décrit parfaitement l’ancien capitaine de la sélection australienne surnommé Captain Socceroos et dont le trophée de meilleur joueur de la A-league porte aujourd’hui le nom, Johnny Warren, dans son livre « Sheilas, Wogs & Poofters: An Incomplete Biography of Johnny Warren and Soccer in Australia» (sheilas, wogs et poofters faisant ainsi allusion aux insultes sexistes, racistes et homophobes endurées par les joueurs de foot de l’époque). Enfermé notamment par la forte identification des clubs créés à leurs « ethnies », ce dernier se retrouve pris au piège du racisme, souvent appelé par certains « wogball », wog étant un terme raciste utilisé par les moins armés intellectuellement pour décrire les migrants. Le football est donc vu comme un sport de migrant et souffre devant les sports dits « australiens » qu’importe le rôle essentiel qu’il joue auprès de ces communautés dans leur processus d’intégration à la société australienne, les clubs devenant des lieux où les migrants pouvaient se regrouper et s’entraider et surtout acquérir une double identité signe de richesse. Malheureusement pour lui, le football ethnique fournit aussi les munitions à ses détracteurs dès lors que le contexte politique vient se mêler aux rencontres. Le conflit des Balkans va générer bien des débordements dans les tribunes au moindre duel entre Croates et Serbes, l’un des derniers, les plus marquant restant l’affaire Bobby Despotovski, attaquant serbe de Perth  Glory, qui en réponse à des banderoles insultantes venues des tribunes « croates » des Melbourne Knights, est à l’origine d’une bagarre générale en demi-finale de NSL 2001 après avoir répondu en effectuant le три прста, le salut à trois doigts, salut patriote serbe. Dans la lutte qui oppose le soccer, terme aujourd’hui majoritairement utilisé par ses opposants, aux « vrais » sports australiens (Aussie Rules, rugby), chaque débordement, chaque occasion est saisie.

Toujours vivace

Il n’en demeure pas moins que ce rejet du football dit ethnique perdure encore, il souligne aussi l’ambivalence d’une société australienne qui accueillait à bras ouvert ces migrants tout en voulant rompre leurs liens avec leur pays d’origine. Illustration de sa persistance, en 2014, la fédération australienne de football (FFA) a tout simplement banni l’affichage des origines ethniques dans les noms des clubs (d’où les modifications que vous avez pu constater dans la liste des clubs cités ici), une décision qui n’a pas toujours été acceptée par les clubs concernés qui a été motivée par David Gallop son président, « le nom et le logo envoient un message sur ce que le club représente. Nous voulons des clubs qui unissent les peuples à travers la joie du football », et fait écho à un ancien audit commandé par la FFA d’il y a 25 ans, celle qui avait encore soccer dans son nom (la fédération s’appelait alors Australian Soccer Federation) dans lequel était précisé le « manque d’attractivité à l’échelle nationale du football ethnique ».

Reste que si même sa fédération ne semble vouloir l’assumer, l’héritage ethnique est encore bien présent dans le paysage du football australien. Il est évident lorsqu’on quitte le marché de la A-League pour s’intéresser aux échelons inférieurs comme les National Premier Leagues, les divisions dans lesquelles évoluent les clubs ethniques. Ces championnats en constante croissance (quand la A-League stagne) et qui proposent suivi en streaming, sont désormais soutenus par Sony (le championnat national se nomme PS4 NPL), attirent parfois près de huit à dix-mille spectateurs (à Melbourne ou à Sydney notamment) soit la moyenne d’une saison de A-league, certains clubs de l’élite fermée australienne faisant même moins bien comme les Wellington Phoenix, à peine plus de cinq mille spectateurs en moyenne en 2018, ou les Mariners à peine sept mille. C’est dans cette base, avec ses systèmes de promotion / relégation, que persiste l’héritage européen du football australien, c’est à travers les clubs qui composent ces divisions que les futures stars de demain passent, Mile Jedinak, seul buteur australien au mondial russe avant la troisième journée, en est l’illustration, lui qui a passé cinq saisons au Sydney United, le club des Croates. De son dernier champion, Heidelberg United FC, club grec de l’état de Victoria, à ses animateurs réguliers de la FFA Cup, c’est aussi dans ses rangs qu’évoluent désormais les nouveaux migrants, venus d’Asie ou du Moyen Orient, ceux qui armeront à n’en point douter la sélection de demain. C’est aussi ici que l’on peut donc encore trouver les racines d’un football bien plus riche qu’un simple héritier direct du kick and rush anglais, un football multiculturel à l’héritage mosaïque sans doute unique à l’échelle de la planète qui fait la richesse de l'Australie.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.