Entre 1967 et 1968, Botafogo, emmené par son jeune entraîneur Mário Zagallo et de nombreux craques sur le terrain, domine la scène carioca, faisant revivre la grande époque du Glorioso.

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Le 2 avril 1963, Botafogo dispute la finale de la Taça Brasil, le championnat brésilien de l’époque. Au Maracanã, Botafogo est humilié 5-0 par le Santos de Pelé, auteur d’un doublé ce jour-là. Quelques mois plus tard, Pelé inscrit cette fois un triplé pour éliminer Botafogo en demi-finale de la Copa Libertadores sur le score sans appel de 4-0. Ces matchs marquent la fin d’un cycle pour Botafogo, commencé en 1957 avec le championnat carioca, compétition que le Fogão remporte également brillamment en 1961 et 1962, année marquée par le talent de Garrincha. Les principaux joueurs comme Nilton Santos, Didi, Garrincha, Zagallo, Amarildo ou encore Quarentinha quittent le club, Botafogo entame une reconstruction.

Quatre ans plus tard, il ne reste de la grande époque du Botafogo plus que le gardien Manga et les remplaçants Joel et Paulistinha. Mais le Fogão parvient à remplacer ses joueurs historiques par d’autres joueurs d’exception, Gérson substitue Didi au milieu de terrain, Jairzinho est le successeur de Garrincha sur l’aile droite alors que Leônidas vient renforcer la défense. Botafogo s’appuie également sur des joueurs du centre de formation, le club dominant également la scène carioca chez les jeunes à la même époque, avec un tricampeonato juvenil entre 1961 et 1963, le dernier remporté après une victoire 6-0 sur Flamengo et un show de Jairzinho. Après un essai non-concluant au Fluminense, Roberto Miranda rejoint également Botafogo et habite au General Severiano, le siège du club. « Il s’entraînait l’après-midi et étudiait la nuit. À ce moment-là, il rencontra Jairzinho, son partenaire idéal. Ils cherchaient une place au soleil, le duo se complétait, comme Tom Jobim et Vinícius de Moares, les Roberto et Erasmo Carlos du football », écrit Paulo Marcelo Sampaio dans le livre Os dez mais do Botafogo.

Nouveau talent au General Severiano

Après la promotion de Roberto Miranda, Rogério et Jairzinho en équipe première, l’équipe de jeunes retrouve un autre prodige, Paulo César Lima. Originaire de la favela de Cocheira dans le quartier de Botafogo, orphelin de père alors qu’il a seulement un mois et vit avec sa mère dans une petite maison faite en bois. Supporter du Botafogo depuis qu’un commandant de la police militaire l’emmène au Maracanã assister au sacre de Botafogo 6-2 sur Fluminense en finale du championnat carioca 1957, Paulo César voit dans le football sa seule chance d’échapper à la misère. « Il jouait avec mon fils au futsal à Flamengo. Le gamin arrivait à la maison et disait qu’il y avait un jeune si bon qu’ils l’appelaient Pelé », explique le journaliste Luiz Mendes. Au Flamengo, Paulo César joue également avec le fils de Marinho Rodrigues, entraîneur de Botafogo lors des titres de 1961 et 1962 du championnat carioca. Marinho Rodrigues se prend d’affection pour Paulo César Lima, qui passe beaucoup de temps chez les Rodrigues et est même officiellement adopté par la famille avec la bénédiction de sa mère dona Esmeralda, souvent absente en raison de son travail d’employé domestique. Lorsque Marinho Rodrigues poursuit sa carrière d’entraîneur à l’étranger, Paulo César le suit, notamment en Colombie et au Honduras, qui veut même naturaliser le nouveau prodige du football brésilien pour le faire jouer en équipe nationale !

Paulo César refuse la naturalisation hondurienne et retourne au Brésil, où son père Marinho Rodrigues veut lui obtenir un essai au Flamengo. Marinho pense que Paulo César sera plus à l’aise dans un club où il a évolué enfant, mais il se heurte au refus de l’entraîneur Flávio Costa, qui a déjà suffisamment de joueurs dans son effectif. Le destin sera donc le club où Marinho a également remporté le championnat carioca 1948 en tant que joueur, Botafogo. Pour son premier entraînement avec les professionnels, Paulo César marque trois buts. Le lendemain, il marque à nouveau trois buts. Paulo César débute en professionnel lors d’un 4-4 contre l’Atlético Mineiro, où il est lancé par un jeune entraîneur qui a commencé sa carrière avec les juvenis de Botafogo avant de prendre l’équipe principale, un certain Mário Zagallo, alors âgé de trente-cinq ans. Botafogo atteint la finale de la Taça Guanabara 1967, tournoi disputé sur un mois avant le championnat carioca et dont le vainqueur se qualifie pour la Taça Brasil. Malgré l’expulsion de Jairzinho dès la première mi-temps, Botafogo remporte le titre avec une victoire 3-2 après prolongation sur l’America. À dix-huit ans, Paulo César marque les trois buts du Fogão.

Nouveau Roi de Rio

Botafogo débute le championnat carioca par une victoire 1-0 sur la Portuguesa au General Severiano avec un but de Roberto Miranda et termine deux mois et demi plus tard la première phase en tête, malgré une défaite 2-0 contre Vasco. Botafogo réalise une campagne quasi parfaite au deuxième tour et a besoin d’un match nul lors de la dernière rencontre face à Bangu pour être champion. Devant plus de 110 000 spectateurs au Maracanã, Roberto Miranda profite d’une erreur de Mário Tito pour ouvrir le score dès la sixième minute. En début de seconde période, Bangu relance le suspens en égalisant par l’intermédiaire de Mário, mais Gérson offre le titre au Botafogo grâce à une somptueuse frappe en lucarne à la suite d’un une-deux avec Paulo César. Le bilan de Botafogo s’approche de la perfection avec quinze victoires, deux nuls et une défaite, malgré une certaine faiblesse offensive, le club alvinegro marquant seulement trente buts en dix-huit matchs, dont six pour Roberto Miranda, meilleur buteur du club.

Botafogo courait après ce titre depuis 1962 et les festivités d’après-match sont tendues. Sur un plateau de télévision, João Saldanha, journaliste botafoguense et vainqueur du championnat carioca 1957 en tant qu’entraîneur du Fogão, critique la prestation du gardien Manga, avançant qu’il a été acheté par Bangu. Castor de Andrade, patron de Bangu et du jogo do bicho, la loterie illégale à Rio de Janeiro, intervient sur le plateau, armé d’un pistolet en or massif. João Saldanha ne se laisse pas impressionner et jette un cendrier puis un verre d’eau sur Castor de Andrade, forçant l’interruption de l’émission. Trois jours plus tard, lors des festivités du club au Mourisco, Manga retrouve João Saldanha et lui demande des explications sur ses accusations. Cette fois, c’est João Saldanha qui est armé et le journaliste dégaine même son arme pour tirer deux fois sur Manga, le neveu de Saldanha évitant une plus grande tragédie en retenant le bras de son oncle ! Pour Globo en 2007, Manga revient sur cet épisode : « J’étais très agacé, parce que j’ai toujours évolué sur le terrain avec le plus grand sérieux et Botafogo a remporté cette finale 2-1. Quand j’ai vu Saldanha armé au Mourisco, me tirant dessus, j’ai décidé de courir. Il n’y avait pas de façon de l’affronter comme ça. Un mois plus tard, on a fait la paix et tout est rentré dans l’ordre ». Botafogo termine l’année 1967 sur une déception en étant éliminé dès son entrée en lice dans la Taça Brasil par l’Atlético Mineiro et Manga rejoint en 1968 le club uruguayen de Nacional.

Le retour du Glorioso

Botafogo débute la saison 1968 par une tournée, notamment dans le sud du Brésil, où lors d’une fête à Erechim, dans le Rio Grande do Sul, un panneau indique que « l’entrée de Noirs est interdite ». Les joueurs Paulo César, Leônidas et Chiquinho peuvent finalement entrer, mais sont choqués par l’épisode, qui « a éveillé chez Paulo César la conscience qu’il devait dénoncer le racisme. Il a commencé à s’intéresser aux articles de la psychologue américaine Angela Davis et au militantisme de Malcolm X », comme l’écrit Paulo Marcelo Sampaio dans son livre Os dez mais do Botafogo. Comme en 1967, Botafogo remporte la Taça Guanabara, avec cette fois une victoire 4-1 en finale sur Flamengo, Gérson s’offrant un doublé face à son club formateur. Comme en 1967, Botafogo débute le championnat carioca par une victoire 1-0 au General Severiano avec un but de Roberto Miranda. Botafogo domine une nouvelle fois le championnat, avec notamment un quadruplé de Roberto Miranda face à São Cristóvão, battu 4-1. Comme en 1967, Botafogo s’incline 2-0 face à Vasco, devant cette fois plus de 150 000 personnes au Maracanã pour un simple match du championnat carioca ! Malgré cette défaite face au club cruzmaltino, Botafogo termine la première phase en tête de son groupe.

Jairzinho et Zélio permettent au Botafogo de démarrer la phase finale par un succès 2-0 sur Madureira, puis Jairzinho marque à nouveau lors du succès 3-0 face à l’America. Botafogo enchaîne les victoires et peut être sacré en cas de succès face au Vasco, seule équipe à avoir battu Botafogo au cours des deux dernières éditions du championnat carioca. Pour le match décisif, Botafogo fait office de favori et les joueurs sont bénis avant la rencontre à l’Église des Capucins par le frère Elias, qui fait également du Fogão son favori : « Ils ont une bien meilleure équipe ». Avant le match, les joueurs de Vasco tentent de provoquer ceux du Botafogo, sans succès, comme l’expliquera ensuite Jairzinho au Jornal dos Sports : « Vous voulez une preuve qu’ils étaient terrifiés ? Je n’ai jamais vu des joueurs parler autant d’un match comme ils l’ont fait. Le pire est qu’ils ont dit ce qu’ils n’auraient pas dû dire. Ils étaient vraiment préoccupés par nous. Ils avaient peur et voulaient qu’on ait peur aussi, c’est pour ça qu’ils ont autant parlé. Mais ça n’a servi à rien ». Devant 141 689 spectateurs au Maracanã, Botafogo ne tarde pas à assumer son statut de favori, comme l’écrit Antônio Carlos Napoleão dans le livre Botafogo: histórias, conquistas e glórias no futebol : « L’équipe botafoguense a maîtrisé le match. Elle avait une défense solide, un gardien serein et tranquille et un milieu de terrain qui a commencé à prendre le match à son compte et a sollicité l’attaque qui rendait folle la défense cruzmaltina. Botafogo augmentait le rythme minute à minute pendant qu’il était évident que Vasco n’allait pas arriver à faire face. Ainsi, est arrivé le premier but à la quatorzième minute, après une passe spectaculaire de Jairzinho, qui a laissé Roberto en face à face avec le gardien. Roberto a ouvert le pied et a marqué un beau but ».

Encore en première période, Paulo César Caju réalise « un véritable carnaval sur l’aile gauche » et centre pour Rogério, qui double la mise. La mi-temps n’offre que quinze minutes de répit au Vasco, Botafogo redémarre le deuxième acte sur le même rythme et ajoute un troisième but. Jairzinho, admirablement servi par Gérson, fixe le gardien et ajoute son nom à la liste des buteurs. Ce Botafogo est trop fort pour Vasco et a trop de joueurs d’exception, à l’image de Gérson, qui marque le quatrième but d’un sublime coup franc après avoir été décalé par Paulo César. Botafogo écrase Vasco 4-0 et confirme son statut de meilleure équipe de Rio en devenant la première équipe à conserver son titre de champion carioca depuis… Botafogo en 1962. Comme en 1967, Botafogo termine le championnat avec le bilan de quinze victoires, deux matchs nuls et une défaite, avec cette fois quarante buts marqués, dont treize pour Roberto Miranda, meilleur buteur du tournoi. Comme en 1967, les défenseurs Leônidas et Waltencir participent aux dix-huit matchs du championnat carioca. Waltencir connaîtra un destin tragique puisque dix ans plus tard, âgé de trente-et-un ans, il est victime d’une triple fracture aux cervicales à la suite d’un choc avec Nivaldo, joueur de Maringá. Waltencir meurt avant son arrivée à l’hôpital.

Base de la Seleção championne du monde

Après le titre contre Vasco, Jairzinho rend hommage à l’équipe dans les colonnes du Jornal dos Sports : « Le succès de Botafogo, en plus de la jeunesse et de la qualité de ses joueurs, est dans l’union qu’il y a, à tous les niveaux. Je ne peux oublier la tournée au Mexique au début d’année lorsque Djalma Nogueira, notre directeur sportif, était nerveux lorsqu’il nous payait les bonus. Ils étaient très bons, mais il disait toujours qu’on méritait plus. Quand il y a de la sincérité dans ces mots, comme il y en avait dans ceux de Djalma, nous, les joueurs, sommes touchés par cela. On jouait pour la prime, mais le cœur apparaît toujours. Comme il apparaît maintenant. Dimanche il était là, c’était une victoire du cœur ». Les résultats du Botafogo permettent à son entraîneur Mário Zagallo de retrouver la sélection nationale après un premier match à la tête de la Seleção en 1967. Deux jours avant son trente-septième anniversaire, Zagallo aligne pas moins de huit joueurs de Botafogo sur la pelouse du Maracanã pour un match amical de prestige entre le Brésil et l’Argentine! La « Selefogo » s’impose 4-1, tous les buts sont marqués par des botafoguenses, dont le dernier par Jairzinho après plus de cinquante passes consécutives, ce qui offre au match le nom du « Jogo do olé ».

Botafogo débute ensuite la Taça Brasil 1968 face à Metropol, équipe de Santa Catarina, au mois de décembre seulement. Botafogo s’impose facilement 6-1 à l’aller, mais, sans ses joueurs internationaux, s’incline 1-0 au retour. Le résultat force un troisième match, repoussé d’abord par manque d’installations lumineuses sur le terrain de Metropol, puis à cause d’une pluie abondante. Botafogo profite du forfait de Metropol pour se qualifier en demi-finale, où Cruzeiro plie en deux matchs. En finale, Botafogo ramène le match nul de Fortaleza et réalise au retour un nouveau show au Maracanã avec une victoire 4-0 en octobre 1969, ce qui lui permet de devenir le premier club carioca à remporter le championnat national. De nouveaux cadres, comme Afonsinho, Paulo Roberto et Ferretti, émergent, puisque le nouveau sélectionneur brésilien, un certain João Saldanha, fait du Botafogo l’une de ses équipes cadres aux côtés de Santos et Cruzeiro pour former la Seleção. Après le renvoi de Saldanha, la CBD nomme comme sélectionneur… Zagallo, bientôt sacré champion du monde, aux côtés de Gérson, déjà joueur de São Paulo, Roberto Miranda, Paulo César et Jairzinho, qui ont, pendant deux années pleines, rendu hommage au surnom du Glorioso.

Marcelin Chamoin
Marcelin Chamoin
Passionné par le foot brésilien depuis mes six ans. Mon cœur est rouge et noir, ma raison est jaune et verte.