Créée cette année, la nouvelle franchise d’USL des Las Vegas Lights FC n’a pas mis bien longtemps à faire parler d’elle. Du choix du nom aux couleurs en passant par les questions se posant lors de la création d’un club à partir d’une feuille blanche, son président Brett Lashbrook nous raconte les coulisses de sa franchise.

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Brett Lashbrook, Président et Propriétaire des Las Vegas Lights FC

Bonjour Brett. Commençons tout de suite avec une question simple : Comment allez-vous ? Vous devez être très fatigué après ces premiers mois !

(Il rigole) Je vais bien, on ne dort jamais à Las Vegas !

Il va y avoir beaucoup de pourquoi dans cette interview, mais je vais commencer avec celui-ci, peut-être le plus évident : Pourquoi avez-vous choisi de lancer un club de soccer à Las Vegas ?

J’y vis car ma famille y a déménagé, notamment ma mère, qui y est depuis vingt ans. Personnellement, je travaille depuis longtemps dans le soccer, avec Orlando City par exemple, quand ils sont passés de l’USL à la MLS. Ma mère a eu quelques soucis de santé en 2015 -elle va bien maintenant, pas d’inquiétude-, donc je suis venu ici pour m’occuper d’elle, dans ce que je pensais allait être une affaire de six ou neuf mois, mais j’ai fini par adorer cette ville ! Plus tard, j’ai réalisé que Las Vegas était la seconde plus grande ville du monde sans un club de soccer. Pourtant, c’est une ville jeune, pleine de diversité ! Les gens ne le savent pas mais c’est une ville ouvrière, avec plus de deux millions d’habitants. C’est pour ça qu’un club comme le nôtre, avec des tickets à 20 dollars, est parfait. Aussi, il y avait un stade ici ce qui est sûrement la partie la plus délicate et chère dans la construction d’un club : trouver un terrain, payer les taxes, le construire… C’est une vraie galère. Ici, dans le downtown Las Vegas, on avait un stade de 10 000 places qui nous attendait. C’est un stade de baseball, mais normalement ces derniers ont une forme étrange, un bout arrondi au niveau des tribunes, ce qui rend compliqué son utilisation pour le soccer, mais on a la chance d’avoir un stade carré, qui est parfait pour accueillir le club. Donc entre le fait que ce soit ma nouvelle ville, que j’avais déjà fait ça à Orlando, que c’était un marché intéressant sans club, qu’il y avait un stade dans le downtown… J’ai juste regardé un peu autour de moi et ai dit « pourquoi pas ? ». Quand on prend tout ça en compte, ce n’est pas si fou.

Comment expliquez-vous qu’avant les Knights (franchise de NHL, hockey) qui sont arrivés en 2017 et les Raiders d’Oakland (franchise de foot américain en NFL) qui vont être délocalisés ici autour de 2019, il n’y avait pas de marché sportif à Las Vegas, excepté des sports individuels comme le NASCAR ou la MMA ?

La raison principale est cette… comment dire (il cherche son mot) « hypocrisie » américaine sur le pari sportif. Il est légal dans le Nevada, mais pas partout aux Etats-Unis, et beaucoup de ligues sont très hésitantes à l’idée de placer des franchises ici pour cette raison. Je pourrais vous donner un millier de raisons qui démontreraient pourquoi c’est stupide ; c’est régulé, taxé, mais malgré ça depuis plusieurs années, il y avait cette honte de jouer des sports professionnels à Las Vegas. Mais la vérité, comme je l’ai dit, c’est qu’on est deux millions, et que comme dans n’importe quelle ville le sport est une partie importante de notre identité, il nous procure des bénéfices importants, et pas seulement économiques. Et en effet, j’ai beaucoup de personnes qui me demandent si je n’ai pas choisi le pire des timings pour mon club, entre les Raiders qui arrivent et les Knights qui ont de bons parcours en Stanley Cup pour leur première saison, mais j’ai toujours répondu par cette expression connue : « a rising tide lifts all boats » (NDLR : une marée montante soulève tous les bateaux). Après tout, on est la capitale mondiale du divertissement. Vous pouvez y mettre une franchise de NHL, de NFL ou d’USL, on est tous des vagues dans le même océan ! Ici vous pouvez avoir le choix entre Elton (John), (David) Copperfield ou Céline (Dion) tous les soirs, on est Sin City ! Je ne vois pas les autres franchises comme une compétition mais plutôt comme une autre partie de notre communauté. C’est une autre partie de ville, avec aussi de différents prix et fans. On est assez nombreux dans cette ville après-tout. Les gens pensent de Las Vegas comme du Strip de six kilomètres, avec les hôtels et les casinos, où est d’ailleurs le stade des Knights, mais pas un des deux millions d’habitants ne vit là !
Donc pour nous, être situé dans le vieux Las Vegas où les locaux vivent et grandissent, c’est parfait.

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Les fans des Lights ont notamment choisi le nom du club

Les chiffres sont incroyables pour une équipe de deuxième division : vous attirez presque 8 000 personnes par match, avec un taux de remplissage qui est de 75% en moyenne et vous êtes la cinquième franchise d’USL en termes de spectateurs. Plutôt correct, pour une nouvelle franchise ! Comment l’expliquer, est-ce le prix, la location, la population ciblée ?

Je pense que c’est un peu de tout ! Et encore, je ne veux rien retirer à Nashville ou Indianopolis, qui sont deuxième et quatrième de votre classement, mais ils ont joué un de leurs matchs dans des enceintes bien plus grande, pour Nashville par exemple leur match d’inauguration était dans le stade NFL. Donc si on analyse les chiffres sans ça, on est devant, mais ça c’est juste moi qui doit ravaler ma fierté (Il rigole), je suis heureux pour eux. Mais la plus grosse raison, plus que celles que vous avez évoquées, c’est simplement le développement du sport aux États-Unis. Il ne faut pas le nier, en Amérique ce sport continue de grandir et il n’est vraiment pas loin de détrôner les « four major Professional sports leagues » (NDLR : Nom donné aux quatre ligues américaines de baseball, basketball, football américain et hockey). L’âge moyen d’un homme qui regarde du baseball, c’est vers 50 ans. Pour le soccer, c’est le début de la trentaine ! On a une clientèle différente, et on voit vraiment que le soccer a été le sport numéro un chez les jeunes lors des 30 ou 40 dernières années. Ces jeunes ont grandi, aujourd’hui travaillent, ont des familles qu’ils emmènent au stade ou sont dans les médias. Il y a un réel changement et ce n’est pas seulement la population hispanique, car pendant trop longtemps on disait « tu aimes le soccer, donc tu es soit européen, soit hispanique, ce n’est pas un sport américain ». On ne le dit plus aujourd’hui. Le succès est même là dans des marchés bien plus petits que le nôtre, avec des stades plus réduits, qui sont parfois loin du centre-ville, voire d’une ville tout court. Donc je pense que Las Vegas est juste représentatif de ce qu’il se passe à Orlando, Louisville, Sacramento, Cincinnati, Toronto, Portland… Ce n’est plus une anomalie.

On ne va pas se mentir, pour un Européen notre connaissance de Las Vegas se limite souvent à ce qu’on a vu dans Casino, Ocean’s Eleven ou Very Bad Trip, mais il y a aussi une population différente, très impactée par la crise financière il y a dix ans et qui est incapable d’aller dans le centre-ville pour se prendre une bière à plus de dix dollars et aller voir un spectacle sur le strip où vont la quarantaine de million de touristes que vous avez chaque année. C’est cette population qui est ciblée par le club ?

Alors si un touriste aime le soccer et qu’il veut venir, il est bien évidemment le bienvenu ! Mais oui, c’est Las Vegas, par Las Vegas, pour Las Vegas. On adore le fait qu’on soit de Vegas, on embrasse la swagger (NDLR : assurance, coolitude) qui vient de notre ville et c’est vraiment l’équipe des locaux. De plus, vous avez raison, la crise a vraiment impactée notre ville et comme je vous le disais, c’est une ville ouvrière, vraiment une blue collar city. Nos billets à vingt dollars, en particulier avec l’importance des diversités qu’on a à Las Vegas, qui sont de souvent des américains de premières ou seconde génération, c’est très important, surtout pour toucher ces populations qui viennent de pays où le soccer est populaire.

Avant les Las Vegas Lights, il y a bien longtemps se trouvaient à Las Vegas les Quicksilvers qui ont joué une année en NASL (North American Soccer League, la ligue majeure de 1968 à 1984). Ils étaient peu populaires, attirant moins les foules que vous (7 000 spectateurs en moyenne) et furent vite relocalisés à San Diego. Avez-vous pris leur échec en compte avant de commencer votre franchise ?

Non, pas du tout. Vous savez, par rapport au succès relatif de la NASL il y a une trentaine d’année, le succès de la MLS et de l’USL est incomparable. Le soccer est vraiment dans un paysage totalement différent en 2018 qu’il était dans les années soixante-dix. Las Vegas est aussi bien plus étendue, mais c’est surtout le sport qui a grandi. Après, les gens se souviennent des Quicksilvers. Les fans les connaissent, mais la part d’entre eux qui a assisté à un match des Lights ainsi qu’à une rencontre des Quicksilvers est vraiment petite. Ils ne sont restés qu’un an après tout et Las Vegas est une ville de passage. Beaucoup d’habitants n’y sont pas nés, ou en partent après quelques années. Donc la comparaison avec eux n’est pas vraiment applicable.

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Les Las Vegas Quicksilvers d’Eusebio, seule franchise NASL de la ville en 1977

Dans un excellent livre sur la NASL, Rock’n’roll Soccer, un ancien joueur de Las Vegas explique « qu’il faisait tellement chaud que vos chaussures fondaient sur le terrain ». L’été arrive à Las Vegas, quels sont vos plans pour faire face à la chaleur du Nevada ?

Je suis de Kansas City et là-bas avec l’humidité, il peut faire 35 degrés mais on a vite l’impression qu’il en fait 45. Ici au moins, il fait chaud mais sec. En plus, on est dans le désert et dans le désert il fait froid la nuit ! On joue nos matchs vers 20 heures, lorsque le soleil se couche pour que sans le soleil il ne fasse, peut-être pas froid j‘exagère, mais en tous cas doux. Avec la géographie des États-Unis ou du Canada, beaucoup d’équipes au Nord ne veulent pas jouer au printemps ou en automne mais plus l’été, alors que c’est tout le contraire pour nous ! Si vous regardez notre calendrier, on a beaucoup plus de matchs en début et fin de saison à domicile qu’en juillet et août. On ne joue qu’un match à domicile en juillet par exemple. Il y a des choses qu’on peut « manipuler », si vous voulez, mais de toute façon on peut toujours jouer l’été, une fois le soleil couché.

Vous travaillez donc conjointement avec la ligue pour adapter votre calendrier ?

Bien sûr ! Je préfère avoir nos matchs en mars, avril ou en septembre et donc je les échange avec par exemple Toronto, qui n’en veut pas car il fait beaucoup trop froid en début de saison au Canada ! Pendant nos réunions en USL, c’est souvent assez drôle car certains clubs ne veulent pas commencer la saison tôt et ils essayent de pousser les dates au plus tard possibles, alors qu’au contraire moi je veux commencer dès que possible. Pour ces clubs par contre, avoir un match le 15 juillet c’est formidable, et ils en prendront autant que possible, donc on échange beaucoup.

Passons maintenant à un autre sujet de débat assez important quand on parle de votre franchise, vos décisions… créatives.

(Il rigole) si c’est comme ça que vous voulez les appeler !

Je trouve votre logo très réussi. Il parvient à vraiment rappeler Las Vegas tout en étant assez original, était-il difficile à choisir ?

Il n’y avait vraiment rien de facile à faire en construisant cette franchise. Déjà, ce qui est important c’est que ce sont les fans qui ont nommé l’équipe. On a vraiment décidé de la construire par les fans et pour les fans. Il est rare d’avoir cette page blanche et de pouvoir en faire absolument tout ce que vous voulez. En Europe vous avez des équipes avec une centaine d’année d’existence et vous êtes menottés quand viennent les décisions comme celles-ci. Il y a des bénéfices bien entendu d’une telle histoire, mais aussi de ne pas en avoir, car vous faîtes absolument ce que vous voulez ! On a vraiment aimé le nom choisi par les fans, mais on ne pouvait pas les laisser dessiner le logo, même si c’est ce que l’on voulait, à cause de problèmes de copyright, de son propriétaire, etc -ce sont le genre de choses que vous n’apprenez que dans ces moments-là. Enfin bref, on a demandé des idées de design à nos supporters pour nous inspirer. Trois d’entre eux nous ont remis des logos avec cette idée et surtout cette forme particulière : celle du fameux panneau Welcome to Las Vegas, et on l’a juste tourné à 90 degrés car peu d’équipes ont un logo avec une forme pareille. C’est ce que j’adore, c’est Vegas mais avec une petite variation et c’est aussi le soccer mais avec le twist Vegas. Les néons, eux, étaient parfaits car ils allaient avec le nom, et on a aussi un festival de musique annuel dans notre stade qui s’appelle Life is Beautiful et qui a un logo un peu similaire, donc c’est aussi un rappel à eux. Finalement, on a mis le FC en assez grand car lors du sondage pour le nom, Las Vegas FC est arrivé tout près du Las Vegas Lights. On a une division assez claire donc entre les fans d’un nom américain, et un autre plus traditionnel, donc on a mis le FC en gros sur le logo pour que tout le monde soit content. (Il rigole) Ah et j’avais oublié la petite étoile rose en bas. Les couleurs de Las Vegas sont le jaune, le bleu éclair et le rose vif. C’est une petite touche qui m’a plu, de pouvoir mettre un peu de rose, car ce n’est pas quelque chose que tous les clubs ne peuvent pas se permettre, même si je sais qu’en France vous avez une équipe qui joue en rose, c’est quelque chose de rare. Grâce à ça, on se sent de Vegas, et on sent qu’on peut faire tout simplement ce qu’on veut.

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« L’étoile rose est importante pour montrer qu’on fait absolument ce qu’on veut à Vegas »

Vous parlez du nom, en effet c’est quelque chose que j’ai beaucoup apprécié ; vous l’appelez les Lights sans suivre la nouvelle mode des noms à l’européenne sans saveur, comme le LAFC ou Atlanta United.

(Il coupe) Bien sûr, je suis d’accord ! C’est fade, terne, ennuyeux ! Vous avez tort, vous européens !

Vous avez dit notamment qu’il avait été soumis par les fans, vous aviez donc beaucoup d’autres noms proposés ?

Oui, on avait presque un millier de noms proposés et bien entendu certains étaient hilarant, d’autres terribles, certains des marques déposés… Par exemple, il y avait Viva Vegas, qui était pris, les Vegas Ronaldos, qui était horrible ou les Vegas Dry Heat (Chaleur sèche), qui était plutôt marrant. On avait vraiment un mélange, entre ces noms américains, d’autres plus européens, et d’autres qui étaient carrément Vegas, comme les Black Jack, les As, des choses comme ça dont les Lights, qui marchaient vraiment sur plusieurs niveaux. Premièrement, il était vraiment bien car il embrassait la culture de Vegas, mais on partage aussi notre parking avec ce qui est connu ici comme le Musée des Néons, où sont entreposés tous les vieux signes de Vegas, un musée à ciel ouvert très sympa qui nous donnait encore plus de raisons de nous appeler les Lights.

Et pourquoi Football Club, et non pas Soccer Club ?

On a fait un autre vote pour ça aussi, entre soccer, football et fútbol, et personnellement je préférais soccer, car on est un club de la Fédération de Soccer des Etats-Unis, et de la United Soccer League. Mais nos fans – et voici une preuve que ce n’était pas truqué – ont voté contre ! Ils ont décidé non seulement du FC, mais en plus du Football avant le Fútbol, que je préférais pourtant vu le nombre important d’hispaniques en ville, mais il faut croire qu’ils ne sont vraiment pas d’accord avec moi ! (Il rigole).

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Le premier maillot de l’histoire des Las Vegas Lights

Passons maintenant à un sujet qui attisent plus de débats. Lorsque j’ai annoncé à certains collègues que j’allais pouvoir vous interviewer, leurs premières réactions ont toutes été de vous demander pourquoi avoir fait les maillots de cette manière.

Encore une fois, on avait une feuille blanche devant nous, avec la possibilité de faire absolument ce qu’on voulait. Une de nos idées était de faire ce qui se fait pas mal en NFL ou NBA, un maillot aux couleurs reflétant la région d’où le club vient. Par exemple, les clubs du Midwest ont souvent des maillots du couleur de la forêt, ou les Lakers ont le jaune doré du soleil californien. J’ai toujours pensé que les équipes devaient refléter leur communauté, donc il était important pour moi qu’on apporte cette image de Las Vegas, cette swagger, ces 24 heures sur 24, sept jours sur sept de la ville qui ne s’arrête jamais, qui est rapide, sexy. Aussi, notre sponsor, Zappos, qui appartient à Amazon, embrasse cette culture, ils ont un grand signe dans leurs bureaux disant « Amusez-vous et créez du business », qui correspond parfaitement. Donc avec eux comme sponsor, étant de Vegas, nous sommes allés les voir et avons dit « Vous pourriez dessiner notre maillot ? », et ils sont revenus avec ça. Comme je le dis souvent, si on veut être différent, autant y aller à fond ! Attendez de voir ce que l’on vous prépare pour la saison prochaine, ça va être encore plus impressionnant. Pour le smiley à l’intérieur du maillot, je trouve ça juste génial, c’est un bon moyen pour nos fans et joueurs de célébrer ensemble lorsqu’on marque.

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Le dessous du maillot des Lights, utilisés lors des célébrations de buts

J’ai aussi vu, et je ne suis sûrement pas le seul, que vos joueurs entrent avec des lamas sur le terrain, où est-ce que vous les avez trouvés ?

Ce sont en quelques sortes les mascottes non-officielles de Zappos, et ils nous ont demandé si on pouvait les avoir avec nous sur le terrain ! Bien entendu on a trouvé ça génial et ils ont été un succès immédiat. Ce sont vraiment les animaux les plus amicaux du monde, ils ne feraient pas de mal à une mouche donc tous les supporters prenaient des photos avec eux, ils sont passés dans les journaux, à la télévision… Donc on s’est demandé « Pourquoi ne pas les amener avec nous sur le terrain ? ». Le problème, c’est qu’on s’est rapidement rendu compte qu’ils ont des réflexes très, très lents, et qu’ils pourraient se prendre des ballons dans la tête ou autre, donc malheureusement ils ne peuvent pas juste regarder le match sur le côté, ce qu’on voulait qu’ils fassent.

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Un des deux lamas du Lights, qui entre à chaque match avec les joueurs sur le terrain

Vous avez dit plus tôt que vous ne visiez pas les touristes. Pourquoi alors avoir une mascotte qui est -je vous cite- un « Elvis Presley hispanique avec un côté Johnny Cash, conduisant une Harley-Davidson ? »

(Il rigole) Bon, son nom officiel est Cash the Soccer Rocker ! Et oui, c’est un peu un cliché mais je voudrais dire ceci : tous ceux qui vivent à Las Vegas sont fiers de Las Vegas. Je vais prendre un exemple. Avant de travailler ici, j’étais à Orlando, qui est un peu comme Vegas, c’est un énorme marché touristique. Bien entendu il y a Disney World, et ce que j’ai réalisé à Orlando c’est que ceux qui vivent là-bas ont un peu une relation je t’aime/moi non plus avec Mickey Mouse, Donald Duck etc… Ces personnages font Orlando mais si tu en parles avec un habitant il te répondra, blasé, en se demandant pourquoi on lui parle toujours de ces personnages. Personne à Las Vegas ne veut pas parler des vices qui font la ville ! On les embrasse tous dans un sens. Donc on s’est dit, pourquoi ne pas faire une mascotte qui nous reflète bien, mais on s’appelle les Lights, donc on allait pas prendre des ampoules comme logo ! On a un peu réfléchi et on s’est dit qu’il fallait se faire plaisir, en plus on avait ce partenariat avec Harley-Davidson donc on a trouvé ça !

Vous parliez de l’industrie des paris qui était un problème à Vegas, mais vous êtes récemment allés plus loin en acceptant comme sponsor un centre de distribution de marijuana ! Il y a-t-il eu une quelconque hésitation avant de les accepter comme partenaire de l’équipe ?

Moi je vois ça différemment : je comprends la valeur du choc que ça peut avoir à Vegas, ou dans le monde, et je savais que ça créerait cette réaction. Mais la réalité, c’est que la consommation récréative de marijuana est 100% légale à Las Vegas, régulée, taxée, elle génère des milliers de dollars qui servent à construire des écoles dans la région et les bons habitants du Nevada ont voté à forte majorité, autour de 70%, en faveur de sa légalisation. Donc mon point de vue est là, c’est légal et on a le plus grand dispensaire au monde qui est à quelques kilomètre de notre stade ; ouvert 24 heures sur 24, sept jours sur sept, avec un drive … Tout comme nous, ils investissent des millions de dollar dans le dowtown Las Vegas, donc je voulais qu’ils soient nos sponsors ! Encore une fois, on a aucune honte d’être de Las Vegas. On aime Las Vegas, on embrasse sa culture, les jeux d’argent, la vie nocturne, la weed. On n’a honte de rien qui soit Las Vegas. Il y aussi un autre aspect, je n’ai pas envie d’être trop politique mais c’est un aspect de déstigmatisation de l’industrie. Vous savez 80% des produits vendus dans ces boutiques sont approuvés par le monde scientifique. Quand on enlève les molécules hallucinogènes de la drogue, il y a de vrais bénéfices dans la marijuana, donc je suis aussi content que via ce sponsor on ait pu commencer une vraie discussion par rapport à sa légalisation et à ses effets. Il y a maintenant plus de compréhension sur ce que ces boutiques vendent, qui est 100% légal et sain.

Vous n’avez pas de problème avec la marque quand vous diffusez les matchs à l’échelle nationale, avec ce sponsor ? Disons que vous jouiez les Royal Monarchs, qui viennent de l’état mormon de l’Utah, j’imagine qu’eux n’apprécieront pas trop la publicité pour des dispensaires d’herbe.

(Petit rire nerveux) Comme je l’ai dit, ce qu’on fait est légal, en tous cas dans notre état. Mais oui, vous avez raison et on fait très attention, ce sponsor n’est visible que par nos fans et pas à la télévision.

Comment dit plus haut, vous êtes une franchise de l’United Soccer League. Lorsque vous construisiez votre équipe, la NASL, une autre division deux privée, était disponible elle aussi. Avez-vous hésité avant de construire votre équipe en USL ?

Non, zéro hésitation. J’ai eu la chance de travailler dans les coulisses du monde du soccer américain depuis près de vingt ans, et ça m’a aidé à choisir la USL par rapport à sa stabilité, à son excellente gestion, et à l’opportunité sur le très long-terme que nous voulions, donc vraiment zéro hésitation. Quand vous observez leurs marchés, leurs propriétaires, leur vision, leur histoire… la NASL n’était jamais une option.

Je demandais, car il y avait une rumeur qui annonçait les maintenant disparus San Antonio Scorpions à Las Vegas, il y a quelques années.

J’en ai entendu parler, mais ça n’est jamais arrivé, donc on ne peut être sûr. En tous cas, je n’ai jamais contacté la NASL et elle ne m’a jamais appelé non plus. Ça a toujours été la USL ou rien.

Pour le moment, vous êtes à Cashman Field, le stade de baseball que vous partagez avec la franchise des 51s. Cependant, c’est loin d’être la meilleure pelouse de la ligue, et certains de vos joueurs l’ont même critiquée. Vous souhaitez changer de stade dans le futur ?

L’année prochaine, on restera à Cashman Field, mais c’est en fait la franchise de baseball qui va bouger ! Ils ont construit un nouveau stade en banlieue, à vingt minutes d’ici, donc c’est la première et dernière saison où l’on a un stade partagé, la saison prochaine c’est entièrement du soccer avec en théorie une meilleure pelouse.  Mais d’un point de vue économique, pouvoir partager un stade c’est quand même un plus, surtout si ça vous empêche d’en construire un nouveau. Après, certainement ça pose de gros challenges d’organisations, onze fois cette année on doit changer d’un stade de baseball à un stade de soccer, ce qui veut dire couvrir les bases, les lignes de peinture, amener de l’herbe dans les zones sèches, dessiner de nouvelles lignes… C’est compliqué, mais la localisation du stade rend essentielle cette organisation, car avoir une enceinte dans le downtown est vital pour amener du monde.

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Les Lights ont un DJ jouant en live à chaque match

Vous avez aussi dans le stade un DJ qui anime pendant les matchs ! Qui a eu cette idée ?

C’était un peu les fans, et un peu nous, car au fur et à mesure nos groupes de supporters grandissaient, et on a voulu vraiment garder l’expérience du soccer sérieuse, mais toute en la « vegasisant » dans un sens. Donc clairement, avoir sur le bord du terrain un MC et un DJ c’est très sympa, mais il faut encore qu’on trouve un équilibre entre eux et les fans.

J’ai vu que notamment, lors du match du 20 mai dernier, un groupe de supporters, les Luz, s’étaient plaints du DJ qui couvrait leurs chants.

Oui, on les a d’ailleurs rencontrés hier soir pour une réunion rapide ! On va trouver cette balance dont je vous parlais, on pense que maintenant les supporters vont donner une playlist au DJ, que ce dernier pourra jouer et que les supporters pourront continuer grâce à leurs trompettes et tambours, car le DJ ne peut pas mixer lorsque la balle est en jeux, mais les fans peuvent chanter. Donc c’est un problème compliqué, une question que je ne m’étais pas posée en commençant la franchise !

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Freddy Adu, ancien-nouveau Pelé

Parlons maintenant de l’équipe en elle-même. Comment la signature de Freddy Adu s’est-elle passée ? Est-ce qu’il est aussi bon que vous le souhaitiez ?

Alors je suis le propriétaire de l’équipe, mais je ne gère pas du tout le côté sportif, il faudrait demander à notre coach, Chelís. Pour son transfert, je peux vous dire que je connais son agent depuis très longtemps et on parlait un jour ensemble car il cherchait un nouveau club, mais il ne voulait pas que ce soit le « Freddy Show », ça ne pouvait pas être une signature médiatisée, que Freddy arrive en tant que produit. Donc je lui ai dit simplement, viens en essai et on jugera ton niveau. Ce n’est pas un transfert fait pour les conférences de presse, les ventes de maillots ou pour que les fans aillent l’accueillir à l’aéroport, c’était juste un essai. Après, ce fut à 100% la décision du coach et il a dû mériter sa place dans le groupe en se battant. On connaît bien entendu son histoire, mais on ne veut pas que les gens pensent qu’on a fait ce transfert car on est Vegas. Freddy ne fait pas partie du folklore, des lamas, des smileys ou du DJ. Il ne fait pas partie de la marque Las Vegas Lights, il est venu en essai et a gagné sa place.  

Vous avez mis un point d’orgue à avoir des joueurs venant de Vegas dans votre équipe. Etait-ce quelque chose de compliqué ?

Pas du tout. C’est drôle, car j’ai interviewé pas mal d’entraîneurs et je leur ai dit que la seule chose que je demandais dans l’équipe c’était un joueur local. Plusieurs m’ont répondu que ce serait compliqué, qu’ils le prendront sûrement comme le vingt-troisième joueur du groupe, mais qu’ils ne promettaient rien. Puis vint Chelís, notre adorable coach, qui m’a répondu « je ne comprends pas. Pourquoi seulement un ? Je ne peux pas en avoir deux ou trois ? », et je lui ai répondu que bien sûr, il faisait ce qu’il voulait ! (Il rigole) Donc au final, on a organisé des essais ouverts avec au moins 700 personnes qui y ont assisté. Il y avait absolument tout ce que vous pouvez attendre d’essais ouverts ; un tiers des joueurs en surpoids, un tiers trop vieux… C’était comme American Idol, on a dû réduire dès le premier jour, des 700 joueurs environ 80, avant de réduire à 20 finalistes qui avaient tous touché au football professionnel et qu’on a pris réellement à l’essai. Ça a duré dix jours, et on a fini avec six locaux dans l’équipe, que j’apprécie décrire comme étant deux anglophones, deux hispanophones et deux bilingues. Donc vraiment de tout, car il y en avait qui étaient nés ici, d’autres qui avaient fait leur école primaire ici, d’autres l’université… Mon favori c’est ce Marco Jaime, qui est né ici à Las Vegas mais qui a déménagé au Mexique à six ans avant d’être professionnel là-bas depuis ses 17 ans. Mais à 23 ans, après des expériences en Liga MX, c’est lui qui nous a appelé ! Il nous a dit qu’il voulait faire un essai ici et rentrer dans sa ville natale, c’était parfait pour nos fans, qui peuvent construire une réelle connexion avec lui. Que vous soyez de France, du Royaume-Uni ou des États-Unis, vous voulez toujours avoir un joueur qui vient de votre ville, avec qui vous avez peut-être été à l’école, ou qui vient de votre quartier.

Vous parlez beaucoup de Chelís, votre coach. Il a été dur à convaincre ?

Alors écoutez, j’ai toujours voulu un coach qui soit bilingue et qui embrasse à la perfection ce challenge, qui était de bâtir une équipe de zéro, tout en étant un caractère fort qui représentait bien Las Vegas, en adaptant son style de jeux à la ville en produisant du spectacle et des buts. La première fois que j’ai rencontré Chelís, c’était assez tard dans le processus, j’étais déjà assez lassé, j’avais rencontré de nombreux candidats avant. Je l’ai eu par skype, je lui ai fait le discours habituel, il m’a écouté puis m’a stoppé en disant « Je vous aime. Vous êtes ce que j’ai attendu pendant ma vie entière. Quand est-ce qu’on commence ? ». Et si vous connaissez Chelís, vous voyez directement que c’est un réel personnage, il est parfait pour nous et j’adore le fait qu’il dise que nous sommes des entertainers. Comme il l’a dit lui-même, les gens au stade ont peut-être perdu leur travail, ont un enfant malade, ils ne sont pas parfaits, mais on veut que lorsqu’ils entrent ici un Samedi soir, ils oublient tout ça dans le downtown de Las Vegas, pendant deux heures. Donc oui, c’est un personnage. Vous l’avez vu, il a son crâne parfaitement rasé, ses boucles d’oreilles, le bouc, le costume sur mesure et le sac à main pour homme, toujours en train de fumer clopes sur clopes pendant l’entraînement... Il est parfait.

J’allais vous demander, en effet, lors d’une de vos toutes premières rencontres -un amical ! -, il s’est fait exclure puis est allé voir le reste de la partie avec les fans, en tribune, en grillant ses clopes. Qu’avez-vous pensé à ce moment-là ?

(Il rigole) J’ai pensé, pour les fans, par les fans, avec les fans ! Quel meilleur endroit pour aller regarder un match qu’en tribune avec eux ?

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Chelís lors d’un match amical, expulsé, fumant en tribune

Quels sont vos ambitions pour cette saison en USL ?

J’aurais bien joué la carte de la modestie, mais Chelís a annoncé dans la presse locale qu’on ferait les play-offs, alors qu’on n’a même pas joué un tiers de la saison ! (Il rigole). C’est un tournoi assez long donc j’espère qu’on atteindra les play-offs bien entendu, mais je ne préfère ne pas m’avancer, comme je vous ai dit que je gère pas le côté soccer du club.

Dans ce cas, voici une question qui est plus business que sportive : avez-vous une quelconque ambition à court ou long-terme d’intégrer la MLS ?

Disons que la réponse est, bien évidemment, oui, on le veut tous. Sept des dernières onze équipes qui ont rejoint la MLS viennent des divisions inférieures, et la MLS ne se serait jamais aventurée à Seattle ou Orlando si des plus petites équipes comme la nôtre n’avaient pas eu le succès en D2 dans ces marchés. On voit d’ailleurs bien que ceux qui sont en route pour la MLS, comme Sacramento ou Cincinnati, le sont grâce au succès qu’ils ont eu en USL. De plus, les quatre équipes qui ne sont pas passées par les divisions inférieures étaient toutes des marchés qui sont dans les dix premiers à l’échelle américaine, comme Philadelphie, Atlanta, la deuxième franchise de New-York ou la deuxième de Los Angeles. Donc notre parcours pour arriver en MLS est clair, c’est la seconde division. On est une grande ville, ce qui aide, mais je vais vous dire quelque chose qui va paraître assez hypocrite, sachant que je suis le propriétaire de l’équipe ; si vous voulez votre équipe en MLS, il faut aller au stade la supporter, passer prendre une bière et revenir chaque semaine pour mettre de l’ambiance ! (Il rigole). Ça m’arrange aussi, on ne va pas se mentir ! Il y a plusieurs solutions pour que nous nous développions mais ça passe, dans tous les cas, par une équipe USL qui marche bien, sur et en dehors du terrain.

Jusqu’à où la MLS peut-elle s’étendre ? Une fois que les plus grosses équipes d’USL dont vous parliez comme Cincinnati ou Sacramento arrivent en MLS, comment allez-vous faire pour avoir une place s’il n’y en a plus ?

Cette question, je préfère laisser la ligue y répondre, mais juste pour que vous le sachiez, les États-Unis tout comme le Canada sont des pays incroyablement larges géographiquement. La MLS est à environ 24 équipes aujourd’hui, je ne les vois pas s’arrêter ici. Les autres ligues américaines ont toutes une trentaine d’équipes et il y a toujours beaucoup de marchés potentiels pour la MLS. Je vais prendre comme exemple le baseball ; aux États-Unis et au Canada, il y a environ 172 marchés différents pour ce sport. De la MLB (Major League Baseball) aux ligues mineures comme la AAA, AA ou A league, il y en a un très gros nombre. Pour le soccer, on en est pour le moment à une quarantaine de marchés. Il y en a beaucoup qui grossissent, et le nombre aura gonflé dans quelques années, mais pour le moment tout va bien.

Finalement, une petite dernière question qu’on se doit de poser, votre avis sur la promotion et relégation ?

On en a pas besoin dans le court-terme. Je comprends que ce soit frustrant pour certains fans, et j’adore observer les batailles pour la relégation dans certains pays, mais je comprends les réalités financières et la stabilité qu’apporte un système fermé et ça a beaucoup apporté au développement du soccer dans ce pays.

mascotte

Le coach, Chelís, avec la mascotte Cash the Soccer Rocker

 

Propos recueillis par Antoine Latran pour Lucarne Opposée

Antoine Latran
Antoine Latran
Rédacteur Etats-Unis pour @LucarneOpposee et @MLShocker, à suivre sur @AntoineLatran et @FrenchSounders