La funèbre nouvelle est tombée il y a près d’un mois, mais les larmes n’ont pas encore fini de sécher. Pour la reprise de la MLS ce jeudi 16 juillet, le latéral gauche de Vancouver Ali Adnan ouvrait le score pour son équipe contre San José. Son premier réflexe fut de brandir un portrait où figurent les visages d’Ali al-Hadi et d’Ahmed Radhi. Ce n’est pas que Baghdad qui pleure, c’est toute l’Asie, voire le monde du foot qui est en deuil. Il suffit de voir le nombre de journaux ayant relayé la nouvelle le jour-même (dont Lucarne Opposée, votre source d’informations favorite) et les hommages qui fleurirent par centaines, autant que les innombrables goals qu’il prenait plaisir à enfiler dans sa belle carrière. Portrait d’un géant.

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Prolifique buteur, Ahmed fait ses débuts en 1982 à Al-Zawraa, son club de cœur avec qui il enquille une quarantaine de goals en deux saisons. Suffisant pour que Uday Hussein le force à rejoindre son club d’Al-Rasheed, usant de méthodes à vous glacer le sang (on en parle dans le magazine 11 !) mais surtout que Ammo Baba, sélectionneur des Lions, lui offre sa première sélection à dix-sept ans seulement ! C’est dire le talent du petit gars. Ses six ans sous le maillot d’Al-Rasheed sont prolifiques (69 goals en six saisons) mais ses performances restent marquées par le sceau de la coercition d’Uday. Il parviendra à faire son retour chez son Zawraa chéri pour trois saisons, suivi d’un exil de quelques années à Al-Wakrah au Qatar (il n’y jouera qu’un an), avant de boucler la boucle à Al-Zawraa. Et sa moisson de goals est impressionnante : 318 matchs et 195 goals, deux fois meilleur buteur du championnat et leader des scoreurs all-time en Iraq.

Mais c’est sous la vareuse des Lions de Mésopotamie que Radhi laissera éclater son talent aux yeux du monde. S’il ne marque pas pendant deux ans après sa première cape, il ouvre enfin son compteur contre les Émirats arabes unis, mettant fin à une disette de neuf matchs, grâce à la confiance qu’Ammo Baba lui vouait. S’il commence à faire son trou en équipe nationale, il se voit cependant écarté des Jeux Olympiques de 1984 pour cause de son manque de motivation et de travail à l’entrainement. La sanction sonne comme un avertissement et Radhi revient plus motivé que jamais. La Coupe du Golfe glanée cette année-là est plutôt l’œuvre de son compère d’attaque Saeed, mais en 1985, Radhi explose tout sur son passage, marquant douze buts sur l’année civile, dont trois pour s’offrir les Jeux Panarabes au Maroc.

Vient ensuite l’apothéose avec une qualification historique pour la Coupe du Monde 1986 au Mexique. Tombés dans un groupe difficile et plombés par une préparation catastrophique à la sauce Hussein, les Irakiens parviendront malgré tout à sauver l’honneur lors du match contre la Belgique, Radhi réceptionnant une passe plein axe de Natiq Hashim et inscrivant le seul but iraquien en Coupe du Monde d’une demi-volée fuyante que Jean-Marie Pfaff ne put intercepter. Mais le buteur n’exulte pas, justifiant sa réputation de timide fuyant l’exubérance, et arguant de garder de l’énergie pour revenir dans la partie (l’Irak était mené 2-1 et réduit à dix). Les Mésopotamiens sortent dès le premier tour mais le plus important est fait, laisser une trace dans l’Histoire. Elle aurait même dû être plus belle si l’arbitre n’avait pas annulé injustement une tête marquée contre le Paraguay lors du premier match. Preuve de son impact, le géant uruguayen de Peñarol soumet une offre d’un million de dollars, offre refusée par Uday qui considère Radhi comme trésor national.

Qu’à cela ne tienne, Radhi remet le bleu de chauffe et devient incontournable en Asie. L’année 88 consacre le serial buteur sur le toit du continent. Marquant deux buts aux Jeux Olympiques de Séoul (contre le Guatemala et la Zambie), il récidive avec quatre caramels pour s’adjuger la Coupe des Nations Arabes, et autant pour soulever la Coupe du Golfe. Et malgré l’absence de l’Irak de la Coupe d’Asie durant toute cette décennie, l’aura de Radhi est telle qu’il remporte le trophée de meilleur joueur asiatique de cette belle année (qui coïncide également avec la fin de la guerre Irak-Iran). Il est encore jusqu’à ce jour le seul Irakien à avoir remporté cette prestigieuse distinction. L’année suivante, il complète le podium, devancé par le Sud-Coréen Kim Joo-sung et le Saoudien Majed Adbullah.

Malheureusement cette année bénie est également son chant du cygne sur la scène internationale. En février 1990, la Fédération décide de se retirer de la Coupe du Golfe, pestant contre l’arbitrage lors d’un match nul contre les Émirats durant lequel Radhi inscrit un but… Quelques mois plus tard, l’Irak envahit le Koweït, étant relégué dès sa défaite actée au ban des nations… Radhi fera malgré tout durer le suspense. Il inscrit six buts lors des qualifications pour le Mondial 94 mais ne peut réécrire l’Histoire… Il marquera son dernier but le 23 mai 1997 lors des qualifications pour France 98 lors d’une plantureuse victoire 6-2 contre le Pakistan à Islamabad. Il laisse alors sa place à une nouvelle génération, lui qui, à 33 ans, a ses meilleures années derrière lui. Deux ans plus tard, il met également un terme à sa carrière en club, avec un palmarès digne des plus grands : outre la consécration de 88, il aura également remporté cinq championnats, six coupes, trois Coupes des clubs arabes champions, deux Coupes du Golfe, une Coupe des nations arabes, une fois les Jeux Panarabes et les Jeux Asiatiques de 1982. Mais surtout, 62 goals en 121 sélections, deuxième meilleur buteur irakien et troisième plus capé. La Fédération asiatique ne s’y trompera pas en le nommant neuvième meilleur joueur asiatique du XXe siècle. Et comme toutes les légendes, un surnom : Al-Kabitan (le capitaine). Un véritable titan.

La suite le verra embrasser une éphémère carrière d’entraîneur chez les trois grands (Zawra, Quwwa al-Jawiyya et Shorta) ainsi que les U19 irakiens mais sans succès. Le chaos qui suivit l’invasion américaine l’exile en Jordanie en 2006 mais il revient en 2006, siégeant au Parlement après que l’un des membres a rejoint l’insurrection. Il tentera de se faire réélire en 2014 et 2018 mais la vague était passée.

L’annonce de sa mort a provoqué une onde de choc dépassant largement les frontières irakiennes, les hommages affluents du monde entier. Après la stupeur et la tristesse de tout un peuple, les voix s’élevèrent avec colère pour réclamer des comptes, son suivi médical ayant été parait-il désastreux, lui qui s’était remis du virus en une semaine avant de faire une rechute qui s’avèrera fatale. Il fallait voir ce peuple arpenter les rues en pleurs, scandant le nom de son héros dans un dernier adieu, lui qui des dizaines de fois offrira des bribes de joie à ce peuple martyr. En arabe, Radhi veut dire « satisfait ». Et s’il pouvait regarder une dernière fois derrière lui son parcours et les moments de grâce qu’il parvint à distiller, nul doute que c’est la sérénité qui s’afficherait sur son doux visage.

Boris Ghanem
Boris Ghanem
Chroniques d'un ballon rond au Moyen-Orient, de Beyrouth à Baghdad, de Manama à Sanaa, football sous 40 degrés à l'ombre d'un palmier.