Nommé président de l’América en novembre 2011, Ricardo Peláez nous a reçu dans les locaux du club. L’occasion d’évoquer cette année particulière qu’est celle du centenaire mais surtout, de remonter le temps et raviver des souvenirs français.

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Cette saison est celle du Centenaire de l’América. Cela représente quelque chose de particulier ?

En vérité, l'année 65, 98 ou 2005 : c'est la même chose, c'est la même pression, la même exigence. Ce qui se passe en revanche, c'est que pour le supporter le Centenaire représente quelque chose de très spécial et cela nous le voyons nous aussi. Mais la pression que nous avons maintenant, nous l'aurons l'année qui arrive, et la suivante, et la suivante, du fait d'être une grande équipe. J'imagine qu'il se passe la même chose au Réal Madrid, à Barcelone, pour n'importe quelle grande équipe. Pour le supporter c'est spécial, nous faisons des choses spéciales : des hommages aux joueurs qui ont fait l'histoire de l'institution, directeurs, entraineurs… Bien entendu, les supporters participent au fait de décerner ces prix ou ces reconnaissances aux gloires passées par cette institution. Et bien entendu, des livres, des montres et d'autres choses qui représentent ces 100 années de grandeur de cette institution. Mais l'exigence sportive est la même que chaque année : l'équipe doit être dans première partie de tableau, luttant pour les titres.

Cette saison est aussi celle du cinquantenaire de l’Estadio Azteca. Que représente-t-il pour le club ?

Nous appartenons à grande chaine de télévision, une grande entreprise, et l'Estadio Azteca aussi. C'est un stade qui a une histoire très riche, pas seulement pour les mondiaux masculin, il y a eu aussi du féminin, des olympiades, des participations à plein d'évènements importants dans l'histoire du Mexique : le Pape y est venu, il y a eu de grands matchs de boxe, il y a même eu des matchs de football américain de la NFL… Enfin, il est reconnu dans le monde entier. Nous, nous nous sentons fiers et attachés au fait de jouer à l'Azteca, car c'est également le stade la sélection mexicaine. Il représente beaucoup le pays, comme les mexicains. Donc tout cela va ensemble : Le stade le plus important, l'équipe la plus importante, le public le plus important, la sélection nationale. Tout cela va ensemble et l'attachement n'en est que plus grand.

Evoquons un instant le championnat, les arrivées de Gignac puis Delort dans le championnat mexicain encouragent-elles l'América à recruter en France ou en Europe ?

Nous avons des vues permanentes, non seulement sur les joueurs du championnat mexicain, mais aussi sur ceux du continent américain et également en Europe. Par exemple, nous venons de recruter Renato Ibarra, qui est équatorien, mais qui jouait aux Pays-Bas. Avec notre budget, et cela vaut pour la plupart des clubs de notre ligue, nous ne pouvons bien sûr pas amener Messi ou Cristiano Ronaldo, donc nous nous concentrons sur des joueurs qui brillent dans leur championnat et qui rentrent dans nos frais. Donc en effet, l'arrivée de Gignac dans le championnat mexicain ouvre un panorama différent : de grands joueurs (comme Gignac) peuvent venir, et surtout, veulent venir dans notre ligue. Cela nous pousse donc à être plus attentif pour chercher des talents dans les grands championnats comme celui d'Espagne, d'Angleterre, de France ou d'Allemagne. Il y a bien entendu des joueurs que nous avons déjà eus, qui sont partis en Europe et n'ont pas réussi, que nous pouvons donc faire revenir, mais il y aussi des joueurs comme Gignac, des stars dans leur pays, qui acceptent de venir jouer ici. Alors oui je pense que cela ouvre une perspective saine et très encourageante pour le football mexicain.

Vous avez peut-être déjà une cible en France ?

Bon. J’ai passé du temps en France, j’étais à la Coupe du Monde, le championnat français était beaucoup diffusé ces derniers temps au Mexique… Mmmh… Là tout de suite, difficile d'avoir un nom en tête mais il y a beaucoup de grands joueurs. Il y avait des joueurs français, enfin africains de nationalité (sic), qui ont déjà participé à notre ligue, et cela nous ouvre encore plus le panorama : non seulement il y a les natifs français mais il y a aussi les joueurs des colonies françaises (sic). Comme je l'ai déjà dit, l'arrivée de Gignac nous pousse à être plus attentif encore à ces joueurs-là.

Comme vous l’avez dit, vous êtes venus en France, vous avez joué le Mondial 98. Quels en sont vos souvenirs ?

Déjà, premièrement, je crois que la plus grande aspiration d'un joueur professionnel est de jouer dans son équipe, être titulaire, aller en sélection puis jouer un Mondial. Je crois que c'est la plus haute aspiration que peut avoir un joueur. Cela m’a demandé énormément de temps pour arriver au Mondial, j'avais alors 35 ans. J'étais déjà en fin de carrière mais j'ai réussi. Je devais donc en profiter au maximum. C'était mon unique et dernière chance. Je suis arrivé en France et je me suis dit : « En tant qu'attaquant, je dois mettre un but ». Et je l'ai mis, lors du premier match. Puis je me suis dit que je devais en mettre un autre. Et je l'ai mis aussi. Ce sont des rêves que l'on a depuis tout petit, et quand les choses arrivent, tu ne peux aspirer qu'au maximum. Ça c'est une chose. Une autre chose c'est de jouer un Mondial dans un pays européen, très compétitif, comme le sont l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne, la France, c'est quelque chose d'exceptionnel. Donc ce que je peux te dire c'est que c'est la plus grande expérience de ma carrière, la chose la plus importante en tant que joueur, d'avoir joué un Mondial dans un lieu comme la France. Un Mondial lors duquel le pays hôte a reçu un grand succès. Et même le Mexique, avec un groupe difficile, a réussi de grande chose : nous ne perdons qu'en huitième contre l'Allemagne. Et pourtant nous gagnions 1 à 0, mais ils ont su nous remonter. Et puis nous avons beaucoup voyagé au travers de la France, nous sommes arrivés le 30 avril, ou le 1er mai, et le Mondial ne commençait qu'en juin. Nous avons fait un tour de France, jouant dans plusieurs villes… Enfin, pour moi cela représente la chose la plus importante de ma carrière, je crois que c'est l'un des plus beaux Mondial de l'histoire. Qu'est-ce que je peux te dire de plus… pour moi ce fût le maximum.

 

On se souvient de votre célébration du premier but, courant les mains sur le visage comme si vous ne pouviez pas le croire…

Je vais t'expliquer pourquoi. Premièrement, j'arrive à ce Mondial après 15 ans d'attente, je me dis donc que je dois en profiter et arriver à mettre un but, je vais jouer et mettre un but, j'étais obsédé par cette idée. Je savais que je ne débuterai pas le match, j'étais sur le banc. A la 45e minute, l'entraineur me dit de m'échauffer. Première étape. Seconde étape, la deuxième mi-temps commence. L'engagement est fait et passe un peu de temps sans que je ne touche la balle. D'un coup, un centre touche la main d'un joueur coréen et je m'en vais voir l'arbitre pour réclamer quelque chose. Quand j'arrive près de l'arbitre, je réagis et je me dis : « Mais que fais-tu, tu perds ton temps, tu ne dois pas réclamer auprès de l'arbitre, tu dois te concentrer sur ce que tu as à faire ! » Alors je m'en vais et vais au centre. Corner. Le centre arrive, j'essaie d'aller au ballon mais je me cogne à un défenseur, [mimant l'action] la balle est déviée et rebondie sur un joueur derrière moi. Lorsque je me retourne, je me retrouve avec la balle ne face de moi, face au but : Jamais de ma vie je n'ai frappé un ballon avec autant de puissance, avec autant de précision et de force, que ce ballon lors du Mondial. Je mets donc ce but, je pars en courant, et commence donc la phase suivante. « Tu es en train de rêver, ceci n'est pas réel, ce n'est pas vrai », voilà pourquoi je porté mes mains à mon visage en me demandant à quelle heure j'allais me réveiller, à quelle heure allait sonner le réveil. Mais non. C'était la réalité : ma famille, mes parents, qu'ils reposent en paix, mon papa, ma maman, ma femme et mon fils tout petit, étaient tous en tribune. Donc ce fut pour moi le moment plus important de ma carrière, sans aucun doute. Ce but… Je reste donc sur le sol allongé, puis je lève la tête vers le ciel et je me dis : « Un autre. Je veux un autre but ». C'était seulement la première balle que je touchais. Le but suivant vient sur un centre similaire, la balle arrive et JE frappe… JE frappe… mais un autre joueur mexicain, Luis Hernández, ne me voit pas et va pour frapper. Il m'a touché ici et ici. Je suis sorti en saignant avec un trou ici et un trou là. Ils ont donné le but… mais ce but était à moi. J'ai pensé un moment à le réclamer à la FIFA et puis finalement non. Finalement nous sommes un équipe, l'achèvement de cette victoire va à l'équipe, pas seulement moi, je dois penser à l'équipe. Je n'ai donc rien dit, mais ce but est le mien ! Sur ce but c'est moi qui frappe. Enfin bref nous avons gagné 3 à 1, Luis Hernández mettra un autre but, le match d'après contre la Belgique, je ne suis pas entré, et puis le match d'après nous jouons les Pays-Bas, nous perdons 2 à 0. Et finalement, je rentre en jeu, corner, le jeu de tête était mon point fort, et j'arrive à mettre un second but. Ce fut une expérience merveilleuse, ce fut une tournée de match à laquelle nous sommes arrivés bien préparés physiquement et mentalement… Ce fut la plus grande chose de ma carrière ce Mondial 98.

Pensez-vous que cela présente un avantage d'avoir été joueur, avant de devenir président ?

Cela sert, sans aucun doute cela te sert beaucoup dans ta préparation. J’avais déjà eu deux expériences : quand je prends ma retraite en 2000 - j'ai joué encore un peu après le Mondial en France mais je me suis blessé au genou et ai donc pris ma retraite -, je commence d'abord à la télévision pendant 1 an, comme consultant. L'année d'après en 2002, on me nomme directeur de la sélection. Je vais donc au Mondial coréen et japonais en tant que directeur. C'est une courte étape d'un an, ensuite je retourne à la télévision et je vais au Mondial allemand 2006 et en Afrique du Sud 2010. Et en 2014, au Brésil, en étant déjà président de l'América, le Mexique rencontrait des problèmes pour se qualifier et a dû jouer un repêchage contre la Nouvelle-Zélande. Quelque chose d'assez étonnant arrive et ils décident de prendre l'América comme base pour la sélection, car nous étions très bon en championnat. La sélection va donc en Nouvelle-Zélande avec 10 joueurs, l'entraineur, le staff technique et le directeur de l'América. Nous en ramenons finalement le billet pour le Mondial, en représentant donc le Mexique comme sélection. Nous revenons à l'América, au Mexique, et il me dise : « Va au Brésil en tant que directeur sportif ! ». J'ai donc vécu des expériences en tant que joueur en 98, en tant que directeur en 2002, en tant que consultant en 2006 et 2010, puis en tant que directeur sportif en 2014 de la sélection mexicaine au Mondial au Brésil… Alors maintenant qu'est ce qui va se passer ? Un jour, j'aimerais y aller en tant que supporter ! Je n'ai jamais pu aller à un Mondial et m'asseoir en tribune pour profiter d'un match. J'y suis allé pour le travail en tant que joueur, comme consultant et directeur. Alors… maintenant j'attends de voir ce qu'il va se passer pour 2018 ! Sans aucun doute toutes ces façons de le vivre sont différentes. Comme joueur c'est la plus importante, celle-là, je ne l'échangerai contre rien au monde, c'est la numéro 1. Ensuite comme consultant c'est très intéressant, tu observes, le vis avec des grandes personnalités, de grands anciens joueurs ou de grands invités pour commenter les matchs. Maintenant avec la pression de sauver le billet pour le Mondial avec cette équipe que je représente, l'América, nous sommes allés en Nouvelle-Zélande, nous l'avons fait, puis nous avons représenté la sélection pendant 6 mois. Après le Brésil, je suis revenu à mes fonction à l'América… donc pour le suivant nous verrons bien !

Du côté de la FIFA peut être ?

(Rires) Non, non, je ne sais pas.

Photos et propos recueillis par Simon Balacheff, Nicolas Cougot et Pierre-Marie Gosselin à Mexico.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.