Lorsque l’on parle de l’âge des joueurs de foot africains (nés sur le continent africain), c’est toujours avec une certaine retenue, pour ne pas dire une ironie certaine. Mais qu’en est-il vraiment ? Tentative d’explication d’un phénomène dont on ne voit que la partie émergée d’un immense iceberg.
Ça fait des années que tout le monde le sait, mais personne ne fait rien. On préfère en rire, comme lors de l’excellente rubrique de Julien Cazarre dans J+1. En Europe, où on est toujours plus intéressé par les joueurs africains au rapport qualité/prix imbattable, on a mis des œillères. Rien ne change depuis des années et la pratique s’est généralisée dans toute l’Afrique noire. Tant que ça ne nuit pas au business, on fait avec. Seulement sur place, cette formule est en train de prendre une tournure dramatique pour la pratique du football des jeunes, qui pâtie de ces générations de joueurs qui ne vieillissent pas. Les jeunes se morfondent à attendre leur tour, avant, eux aussi, de « couper » leur âge.
Sérieusement, « tu es né à quel âge ? »
Sans avoir été officiellement élucidées, de nombreuses affaires se sont succédés. Apoula Edel, Chancel M’Bemba, Freddy Adu, Taribo West, Rigobert Song, Samuel Eto’o, et beaucoup d’autres joueurs ont vu leur âge remis en cause à un moment ou un autre de leur carrière. Le parti de laisser faire a été pris et la pratique du changement d’âge des joueurs a proliféré en Afrique. Aujourd’hui, personne n’y échappe. Quelques cas avérés de triche sur l’âge réel ont défrayé la chronique ces dernières années. Avec les sélections nationales dans les catégories de jeunes, de nombreux joueurs ne passent pas le test de l’IRM du poignet. D’autres passent entre les mailles du filet alors qu’il ne fait aucun doute sur la triche. Le test est-il fiable ? Les conditions dans lesquelles ils sont réalisés sont-elles règlementaires en Afrique ? À la vue des cas qui interviennent en Europe, comme avec Joseph Minala, qui jouait avec les catégories de jeunes de la Lazio, la question mérite de se poser.
Alors bien sûr, on trouvera toujours quelqu’un pour argumenter qu’on rencontre des Romelu Lukaku, des LeBron James, des Giánnis Antetokoúnmpo et d’autres forces de la nature aux caractéristiques physiques incroyables très tôt dans leur vie (tous ont vu leur date de naissance validée par l’administration belge, grecque, ou US), ou encore que les Africains subissent leur croissance plus tôt. Mais ne soyons pas naïfs. Bien sûr les capacités physiques de certains athlètes sont incroyables, mais combien sont-ils ? Au quotidien dans les rues de Cotonou au Bénin, on croise des gens au physique normal, alors comment expliquer cette multitude de jeunes joueurs aux allures d’adultes qui participent aux compétitions de jeunes, ou remplissent les centres de formation ?
Omerta généralisée, ignorance, les deux ?
Dans ce jeu de dupe, tout le monde y trouve son compte. Clubs, fédération, recruteurs, agents, intermédiaires, formateurs, académies et donc joueurs. Comment est-il envisageable de ne pas remettre en cause l’âge de certains joueurs, aux vues du développement de leur corps, et des traits déjà bien dessinés de leurs visages, ou encore une pilosité post puberté évidente (!). Il s’agit quand même d’une triche et d’un manque de Fair-Play de premier ordre. L’équité sportive n’est plus préservée. En diminuant leurs âges, les joueurs se donnent la possibilité de réaliser des performances surprenantes pour leur catégorie. C’est aussi pour cela que les sélections de jeunes africaines font souvent de très bonnes performances dans les Coupes du Monde de jeunes avec une multitude de joueurs qui disparaissent des radars une fois qu’ils sont opposés à des adultes. Forcément, quand on joue à 22 ans contre des ados de 16 ans, on part avec un sacré avantage. Ce n’est malheureusement qu’une illusion.
Les nombreux partisans de ce système peuvent s’appuyer sur une administration laxiste qui permet cette tricherie généralisée. La présentation d’une pièce justifiant le nom et le prénom permet de réaliser un acte de naissance signé et tamponné. Il suffit de donner la date de son choix et on a le document nécessaire à la réalisation d’une nouvelle pièce d’identité. Dans une administration encore manuscrite, il n’est de toute façon pas envisageable de pouvoir consulter à distance le registre de l’hôpital ou de l’autorité compétente qui a enregistré la naissance, surtout s’il est dans un village ou une petite commune où les archives peuvent être confrontées aux intempéries. Les fédérations sont forcément au courant de cette pratique octroient des licences aux données différentes d’une saison sur l’autre pour un même joueur (relire le cas de Chancel Mbemba). Pourtant, la FIFA a mis en place un système de suivi des transferts (TMS) qui permet un enregistrement de tous les mouvements de joueurs dans une base de données. Logiquement, au premier changement de club, le joueur doit se voir déterminer un âge et donc se retrouver dans l’incapacité de le changer. Il y a forcément une faille quelque part.
Les premières victimes sont les joueurs
Ce qui est triste dans cette affaire, c’est quand des jeunes joueurs viennent demander à changer leurs âges pour pouvoir participer à une compétition d’une catégorie qu’ils ont déjà dépassée. Ces demandes sont l’aveu d’enfants à qui personne n’a dit qu’il faut grandir et passer à autre chose. Au contraire, on les y encourage et souvent ces conseils viennent des entraineurs. Pourtant, la norme voudrait que l’élite sportive soit sélectionnée selon des critères précis, afin de permettre d’accroitre les performances, l’âge en étant un. Bien sûr, ce n’est pas facile à annoncer, car les joueurs font beaucoup de sacrifices pour atteindre ce niveau et souvent depuis leurs plus jeunes années. Mais c’est le rôle des éducateurs et ça fait partie de la dure sélection des athlètes de haut niveau. À l’heure actuelle, ils ne le comprendraient pas, c’est évident. La généralisation de cette pratique fait que certains de leurs coéquipiers sont plus vieux ou nés la même année qu’eux, mais sont pourtant officiellement reconnus comme plus jeunes et ont le droit de jouer. Dans ces conditions, la règle du « pourquoi lui et pas les autres ? » prévaut.
Car oui, ne croyez pas que ces joueurs qui demandent de changer leurs âges sont seulement la prochaine vedette de la sélection. Il ne faut pas attendre les compétitions de la CAN ou de la FIFA. Détection pour intégrer une académie, tournois de centre de formation, compétition sous régionale et même un tournoi de quartier, tout est bon pour justifier de renaître instantanément avec quelques années de moins. Tous les joueurs qui se débrouillent bien, s’entrainent, mais n’ont jamais eu cette étincelle pour pouvoir briller individuellement et attirer l’œil des recruteurs, agents, scouts... Peut-être en grande partie parce que leurs coéquipiers et adversaires étaient plus vieux qu’eux. Enfin seulement peut-être, puisque les papiers disent le contraire. C’est là le paradoxe d’un système qui gangrène complètement le football en Afrique sub-saharienne. La pratique du football par les jeunes est complétement délaissée par les autorités, les centres de préformation « référencés » et reconnus par les fédérations sont inexistants (ou presque). Jusqu’à 14/15 ans, la pratique du football est informelle en Afrique (mettons quand même une nuance à cette affirmation sur certains cas exceptionnels, comme les pays du Nord, et l’Afrique du Sud dont je ne maitrise pas suffisamment l’étendue de l’organisation de leurs système administratif de référencement). Alors, une très grande majorité des joueurs qui sont dans les championnats locaux de tous ces pays, mais aussi une bonne partie des joueurs qui sont dans les centres de formation ont changé leurs âges au moins une fois. Vous imaginez donc bien que peu de joueurs passés par la formation africaine ont leur vrai âge. Bonne chance pour leur souhaiter leur(s) anniversaire(s) ! C’est le test ultime, c’est là qu’on reconnaît les vrais. Ceux qui étaient là au début. Un test que Claude Leroy a loupé. Un matin, le sélectionneur des Lions Indomptables est allé toquer à la porte de son capitaine Rigobert Song pour lui offrir un survêtement pour son anniversaire. Raté, et en beauté ! C’est pourtant la licence qui avait donné l’information au coach.
L’iceberg qui peut couler la FIFA ?
On a pourtant des exemples forts sur lesquels on pourrait s’appuyer. Prenons Japhet N’Doram. Rien que l’évocation de son nom évoque le respect dans le milieu du football. Son parcours remarquable devrait être un modèle pour les jeunes, et une référence. Japhet N’Doram est arrivé à Nantes à 24 ans. Avec lui, les canaris ont gagné des titres, car Japhet avait beaucoup de talent. Il a même éclaboussé la première division de toute sa classe. Il faut dire qu’à l’époque on allait chercher le talent et non pas le potentiel. Maintenant, les footballeurs sont devenus des objets de spéculation. Pour exister, les clubs doivent vendre et pour faire de la plus-value, il faut du potentiel à exploiter. Le paradoxe de ce système, c’est que pour qu’il fonctionne il faudrait pouvoir être sûr de l’âge des joueurs que l’on recrute... l’âge étant une variante indispensable au calcul du potentiel.
Il faut vraiment que la FIFA, la CAF et même le CIO, s’inquiètent de cette pratique, car ce sont toutes les disciplines qui sont maintenant touchées, Hommes et Femmes. Il faudra passer par une remise en question générale pour en finir avec ce système. Tout le monde doit être conscient de l’effet néfaste que cela a sur le sport à la base. Le Mexique s’était fait attraper en 1988 (affaire des cachirules qui avait entraîné l’exclusion de la sélection A et ainsi son absence à la Coupe du Monde 1990), des sélections en Asie avaient était suspendues par l’AFC en 2008. La CAF, elle ne dit rien. Son silence est complice et coupable. Seule la FIFA peut imposer l’informatisation des données des joueurs des catégories de jeunes, seul moyen de pouvoir limiter l’étendue de ce fléau. En espérant que si cela devient plus difficile et répréhensible de pouvoir tricher, cela limitera les candidats à la découpe de l’âge.
De toute façon, ces pratiques ne fonctionnent pas dans le sport de haut niveau. Il suffit de regarder les résultats pour s’en convaincre. Couper son âge s’apparente à une triche archaïque, un aveu de faiblesse, ou plutôt un cri de détresse lancé par ces millions de sportifs qui n’ont pas les capacités de se former à la même vitesse que leurs homologues du reste du monde. Il est temps que les autorités réagissent, ce cancer est en passe d’atteindre l’ensemble des acteurs du mouvement sportif africain. À moins qu’il soit déjà trop tard ?
Pierre-Marie Gosselin à Cotonou