De la lumière venue de Laurent Blanc aux coup-francs de Chilavert, le Paraguay reste dans l’imaginaire collectif qu’un vague souvenir bleu-blanc-rouge d’une épopée de 1998. Pays le moins connu en Europe en matière de foot, il est pourtant l’un à l’histoire la plus ancienne. Au point d'être l'un des pères du football moderne.

On résume souvent le football paraguayen à quelques noms. De Chilavert, le gardien buteur à Roque Santa Cruz, meilleur buteur de l’histoire de la sélection, en passant par Carlos Gamarra, l’idole de Thiago Silva, autant de noms qui laissent un souvenir vague de quelques épopées paraguayennes. Ce que l’on sait moins, c’est que le football est ancré au pays depuis bien plus longtemps que la légende pourrait le laisser penser. Au point que s'intéresser au football paraguayen, c'est se lancer sur les traces du berceau du football mondial.

William Paats, le père hollandais

A l’image de ses pays voisins, le Paraguay aurait, selon les livres d’histoire du football, découvert le football grâce aux immigrants européens. Friedrich Wilhelm Paats Hantelmann, ou plus simplement William Paats n’a que 18 ans quand, en provenance de Rotterdam, il arrive à Asunción avec sa famille. Comme Alexander Watson Hutton, le père du football argentin, la famille de William Paats cherchait alors un pays au climat plus propice pour faire face à ses soucis respiratoires. Après un passage à Buenos Aires, Paats s’installe à Asunción où il devient éducateur sportif à l’Escuela Normal de Maestros. La légende rapporte que lors d’un voyage à Buenos Aires, il aurait acheté un ballon pour le ramener au Paraguay et ainsi faire jouer les premières rencontres. Si d’autres versions évoquent des ouvriers anglais des chemins de fer comme premiers à taper dans un ballon au Paraguay, il n’en reste pas moins qu’à l’image de Watson Hutton, Paats va organiser le football local. En 1902, il fonde le premier club paraguayen qu’il nomme Olimpia en hommage à Olympie, berceau des jeux antiques. Quatre ans plus tard, il fait partie des fondateurs de la Liga Paraguaya de Football (qui deviendra Asociación Paraguaya de Fútbol en 1998) qui organisera alors le premier championnat local auxquels six clubs participeront dont son Olimpia et le premier champion Guaraní. Le football est alors organisé, le Paraguay se dote d’une sélection au cours des années 1910, effectuant son premier match international en 1919 (défaite 5-1 face au voisin argentin).

Les inventeurs du football ?

Si le football paraguayen doit énormément à son père néerlandais, il a cependant une origine bien plus ancienne, origine qui est même antérieure au football codifié par les anglais à la fin du XIXe siècle qui leur vaudra le surnom d’inventeurs du football.

En juin 2010, l’Osservatore Romano, quotidien publié par le Vatican, publie un article intitulé « Cuando los guaraníes inventaron el fútbol » (Quand les guaraníes inventèrent le football) dans lequel se trouve le témoignage de José Manuel Peramás : « Ils utilisent également une balle pour jouer, une balle de caoutchouc qui est si légère et rapide qu’une fois que vous la frappez, elle rebondit sans s’arrêter entrainée par son propre poids. Ils ne lancent pas la balle avec leurs mains comme nous le faisons, mais avec la partie supérieure de leurs pieds nus, se la passant et la réceptionnant avec agilité et précision ». José Manuel Peramás est un jésuite d’origine catalane né en 1732 qui après expulsion s’est installé avec d’autres jésuites au Paraguay dans le courant du XVIIIe siècle. Ce témoignage figure dans « De vita et moribus Tredecim virorum paraguaycorum », son ouvrage publié en 1793 quelques mois après sa mort et offre ainsi la description d’un sport qui a tout du football que nous connaissons.

Plus récemment, un court métrage fut produit par le Secretaria Nacional de Cultura de Paraguay porte le titre évocateur : « Los guaraníes inventaron el fútbol » (les guaraníes ont inventé le football). Dans ce court métrage, Bartomeu Melia, jésuite d'origine espagnole et grand défenseur de la langue guaraníe et des droits du peuple indiens au Paraguay,  rapporte l’existence de registres plus anciens décrivant une activité de ballon jouée avec les pieds. Dans le premier dictionnaire de langue guaraníes, écrit en 1639, se trouve le manga ñembosarái, jeu pratiqué par les indiens de San Ignacio Guazú, la première mission jésuite fondée au Paraguay. Ce jeu oppose deux équipes (sur lesquelles les spectateurs peuvent parier) et se réalise avec un ballon de caoutchouc qu’il faut se passer de pied en pied, le perdant étant l’équipe qui fatigue la première. Pas encore de buts mais pour certains les origines d’un football que les anglais découvriront ensuite via les jésuites.

Une vie dans l’ombre, un football en croissance

Que la question de la paternité de l’invention du football reste encore ouverte (sera-t-elle vraiment close un jour ?), ces témoignages viennent cependant souligner à quel point le football est profondément ancré dans la société et dans l’histoire sportive d’un pays qui n’a pourtant pas droit aux lumières de ses voisins. Moins présente que ses voisins au palmarès des compétitions continentales (seulement deux Copa América) et internationales (la meilleure performance de l’histoire en huit participations à la Coupe du Monde restant un quart de finale), la sélection nationale s’est longtemps surtout faite connaître par sa garra, plus développée mais moins victorieuse que son équivalent uruguayen, et par ses individualités. José Luis Chilavert, le Bulldog, gardien buteur au caractère de feu, Carlos Gamarra, la légende, capitaine emblématique d’une sélection en plein renouveau dans les années 90, Salvador Cabañas, la machine à but à la carrière stoppée d’une balle dans la tête, autant d’exemples des multiples facettes d’une nation de foot souvent oubliée mais dont l’importance ne fait que croitre dans le paysage sud-américain. Une importance qui n’a finalement jamais été aussi médiatisée qu’elle le devrait. Car lorsqu’on y regarde de plus près, la sélection paraguayenne est la quatrième à la table historique de la Copa América, uniquement précédée par les trois géants de la zone et mieux, sur ses 36 participations à la Copa América, le Paraguay a terminé à 22 reprises dans le top 4. Au niveau des clubs, avec ses trois titres en Libertadores (tous pour Olimpia), le Paraguay est là aussi quatrième derrière les trois géants du continent ex-aequo avec la Colombie. Sur les cinq dernières années, le Paraguay a placé deux finalistes de l’épreuve (Olimpia en 2013, Nacional en 2014) et un demi-finaliste (Guaraní en 2015) pendant qu’il place trois demi-finalistes en Copa Sudamericana (Libertad 2013, Sportivo Luqueño 2015 et Cerro Porteño 2016).

Reste qu’à l’heure où le Chili commence à remplir son armoire à trophée, le Paraguay continue de résister, s’accrochant à sa place, quitte pour cela à devoir procéder à une (r)évolution dans son football. Après les années 90 marquées par la génération des mondialistes de 1998, après la génération 2010-2011 qui, sous l’impulsion du maître Gerardo Martino, atteindra un quart de finale mondial (maudit penalty de Cardozo) et la finale de la Copa América, le Paraguay n’a de cesse d’occuper les premiers rôles sur le continent. Si la dernière campagne mondiale fut un échec, pour la première fois depuis 1998, le Paraguay n’a pas goûté aux joies d’une phase finale et si le cycle Ramón Díaz est venu mettre un sérieux coup de frein à cette reconstruction, le renouveau de ses clubs et la génération montante sont autant de motifs d’espoirs pour tout un peuple, celui dont les ancêtres ont fait rouler les premiers ballons de foot sur un continent dont il est aujourd’hui la principale religion. Dans l’ombre, ses grands clubs se sont tournés vers la formation. Guaraní a orienté sa politique vers les jeunes, développé ses structures et centre de formation, fait appel aux compétences d’un Fernando Jubero, ancien détecteur de talents à la cantera du Barça pour impulser sa révolution, s’est entouré de techniciens, de nutritionnistes, de psychologue et met en place un protocole qui encadre des joueurs des équipes de jeune jusqu’à l’effectif professionnel. Là encore, le club s’est structuré, a européanisé ses structures sans pour autant avoir coupé ses racines locales. Conséquences, l’Aborigen brille sur le continent, décrochant une demi-finale de Libertadores en 2015 emmené notamment par quelques gamins au talent fou à l’image de Fernando Fernández. Du côté du Cerro Porteño, la politique de formation est encore plus folle. En 1992, le club récupère un terrain à Ypané et y lance son Parque Azulgrana, son centre de formation. D’abord sur 6 hectares, le Parque s’étend aujourd’hui sur 15 hectares et a été rénové sous la présidence du Dr Zapag qui aura été à l’origine du projet « Parque Azulgrana, donde la Gloria Comienza » dont l’objectif est de créer le meilleur complexe sportif et centre de formation du pays. Là encore, le Cerro fait appel à des compétences étrangères, assure des passerelles avec les pros. En 2011, Mauro Pederzoli, ancien du centre de formation du Milan AC, pose ses valises au Parque Azulgrana où les jeunes sont encadrés par des techniciens mais aussi des nutritionnistes, des psychologues… Gustavo Florentín, ancien entraîneur des u15, prend les rênes de l’équipe A en 2015 – 2016, emmenant quelques-uns des gamins issus du centre en demi-finale de la Sudamericana, éliminé sans perdre par l’ogre Atlético Nacional. Cette politique de formation qui s’étale sur plus de 20 ans rejaillit sur la sélection nationale, la pourvoit en talents.

Paraguay 2017 : la nouvelle ère

La grande bénéficiaire sera bien évidemment la sélection. Car la révolution paraguayenne passe par ses jeunes et le match amical face à l’Equipe de France est une nouvelle étape de ce processus. Alors que le pays est mal engagé dans la conquête d’une place en Coupe du Monde (8e à 4 points des barrages), Fernando Arce tente d’impulser une nouvelle dynamique (que Victor Genes avait un temps déjà engagée) en intégrant les nouveaux talents. Et si le Paraguay peut toujours compter sur ses talents défensifs, le trio Gustavo Gómez (capitaine des u20 vice-champion du continent en 2013, aujourd’hui au Milan AC) – Bruno Valdez – Junior Alonso, 24 ans chacun le démontre, son plus grand espoir est offensif tant les nouveaux diamants nationaux s’accumulent. Si l’étoile annoncée Juan Iturbe a encore le temps de démontrer qu’il n’est pas qu’une comète, si Derlis González est déjà connu des foules d’Europe, d’autres joueurs, qui n’ont pas plus de 24 ans, frappent à la porte de la sélection et commencent à s’y installer. Ainsi, la France aura la chance d’échapper à l’exceptionnelle machine à perforer Miguel Almirón ou aux qualités des buteur des Cecilio Domínguez et Angel Romero, trois enfants du Cerro Porteño. Elle n’échappera pas au duo Óscar Romero – Sergio Díaz.

oscar

Là encore, deux enfants du Parque Azulgrana. Si Óscar a d’abord tenté sa chance avec son frère jumeau en Argentine, recallé par Boca et San Lorenzo pour des raisons administratives (la signature d’un père absent…), son pied gauche a d’abord marché sur les équipes de jeunes du Ciclón de Barrio Obrero avant de s’exprimer chez les A. Lancé en 2011, il attend 2013 pour commencer à prendre son envol sous la direction de Francisco Arce avant, l’année suivante, de briller en Libertadores et en Sudamericana. C’est ainsi que ce meneur de jeu gaucher tape dans l’œil du Racing avec qui il prendra une toute autre dimension au cours de ses deux années passées en Argentine. « Le Racing a un 10 qui possède une classe folle, j’espère qu’il pourra profiter de notre football et que nous pourrons en profiter pour le voir. A chaque match qu’il joue, j’ai envie de le regarder, » disait à son sujet un certain Juan Román Riquelme. Ou comment vous placer un garçon qui évolue à Alavés en attendant de rejoindre la Chine et le Shenhua. Ce sera ainsi pour les Bleus l’occasion de croiser un 10, un vrai, dans sa plus pure essence, espèce en voie de disparition que seule l’Amérique du Sud continue de vénérer. Devant lui, le nouveau diamant du Paraguay pourrait faire ses grands débuts en sélection. Egalement produit de la formation du Cerro Porteño, Sergio Díaz est l’équivalent paraguayen de Kylian Mbappé sur le plan des attentes et de l’emballement médiatique. Ayant battu tous les records de précocité, le garçon de 19 ans, dont l’idole est Sergio Agüero à qui il est souvent comparé, est déjà chez les jeunes du Real Madrid avec qui il a participé à la dernière présaison. Les médias paraguayens ne cessent de guetter ses moindres faits et gestes, s’il venait à faire ses débuts face aux Bleus, nul doute qu’il attirerait rapidement les objectifs des caméras. Pour en savoir plus à son sujet, son portrait est sur LO.

Pour encadrer ces jeunes pousses en devenir, Francisco Arce peut compter sur un lot d’anciens et de joueurs confirmés. Si Federico Santander, qui n’a finalement que 25 ans, ne peut pas être considéré comme un ancien, son expérience et son apport devant, dans un rôle de pointe autour de laquelle les pépites pourront tourner (sorte d’Óscar Cardozo), sera essentielle dans l’animation offensive de ce nouveau Paraguay. Les cadres seront ainsi au milieu. On pense à Víctor Ayala, ancien de Lanús, monstre de générosité et doté d’une grande capacité à se projeter vers l’avant, au duo du Cerro Porteño Marcos Riveros – Juan Rodrigo Rojas, le premier jouant son rôle de pitbull à la récupération, le second apportant ordre et équilibre par ses grandes qualités techniques, à Miguel Samudio, latéral puissant et ultra-offensif de l’América (qui devrait cependant débuter sur le banc), au Pájaro Édgar Benítez dont la vitesse et les déplacements incessants en font un joueur difficile à marquer et un danger constant. On pense enfin à Anthony Silva dans les buts qui, du haut de ses 33 ans sera l’ancien d’une sélection qui veut profiter de ce match amical pour initier son nouveau cycle et débuter une nouvelle ère pleine d’espoir.

Compo probable

Antony Silva

Juan Patiño – Bruno Valdez – Gustavo Gómez – Júnior Alonso

Juan Manuel Iturbe – Víctor Ayala – Juan Aguilar – Óscar Romero

Édgar Benítez – Federico Santander

 

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.