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Longtemps vu comme un petit club de quartier voire confiné au rôle de petit frère de San Lorenzo, le Club Almagro a créé la surprise l'année passée en accédant à la Primera B Nacional. A l’heure de ses grands débuts dans la Primera B 2016, nous sommes allés à la rencontre de son président, Julian Romeo, et de son coach Fernando Ruiz, les deux hommes à l’origine du renouveau d’El Tricolor. Voyage au cœur du quartier d'Almagro jusqu'à la banlieue de Tres de Febrero.

Almagro. Si loin et pourtant si proche du bling-bling du quartier de Palermo dont il n’est séparé que par l'Avenida Córdoba. C'est dans ce quartier que le jeune chanteur de tango Carlos Gardel a fait ses premiers pas sur scène et c'est tout naturellement qu'aujourd'hui le Tango Almagro composé et interprété par Gardel est devenu l'hymne du Club Almagro. Ce quartier abrite ainsi de nombreuses milongas (NDLR : endroit où se danse le tango) et reste considéré comme l’un des quartiers où la culture tango est la plus active de la cité porteña. Bordé par les rues Río de Janeiro, Avenida Rivadavia, Avenida La Plata, Avenida Independencia, Sánchez de Loria, Sánchez de Bustamante, Avenida Díaz Vélez, Gallo, Avenida Córdoba, Estado de Israel (sachez par ailleurs que le quartier possède un croisement inédit entre les rues Israël et Palestine) et Angel Gallardo, Almagro vit dans une ébullition culturelle permanente. Autour des petites rues piétonnes Zelaya et Carlos Gardel, on trouve également une ribambelle de théâtres, dont le Teatro Ciego (NDLR : théâtre aveugle). À quelques mètres de là est aussi implanté le Mercado de Abasto, ancien marché de fruits et légumes à l’architecture colossale, transformé dans les années 90 en un gigantesque centre commercial du nom d’Abasto où les porteños aiment se rendre en famille le week-end. Enfin, le quartier est aussi réputé pour ses cafés typiquement porteños comme El Banderín, véritable musée à la gloire du football aux murs recouverts de dizaines de maillots. Almagro a une âme, une vie de quartier et un cœur qui bat chez tous ceux qui contribuent à lui donner une vie nocturne aussi riche qu’insolite. C’est au milieu de ce cœur aux parfums de bohème et d’authenticité, que vous trouverez une culture football un peu plus méconnue du grand public mais qui est bel et bien présente.

Politique radicale et bête noire de Boca Juniors

C'est en plein cœur du quartier d’Almagro, sur la célèbre Avenida Medrano inaugurée en 1884, que se trouve le siège social du Club Almagro. Le club est fondé le 06 Janvier 1911 par un groupe d'amis qui ont décidé de fusionner les clubs de Jubile, San Martin Juniors et Lezica pour donner naissance à une nouvelle entité dont le nom est un hommage au quartier. « A cette époque il existait trois institutions dans le quartier de Almagro. San Lorenzo de Almagro, Defensores de Almagro et le Club Almagro. Peu de temps après, San Lorenzo a déménagé à Boedo et nous étions plus que deux clubs à Almagro. Avec la dissolution de Defensores de Almagro dans les années 70, nous étions et sommes encore aujourd'hui, l'unique club du quartier, même si le déménagement de stade en 1956 a un peu changé la donne. Notre stade se situait autrefois Pasaje Portugal à Almagro. Aujourd'hui nous évoluons dans la ville de Tres de Febrero. Mais attention ! Le Club Almagro n'a pas perdu son identité, loin de là. Disons que ce changement a amené de nouveaux supporters, pas forcément originaires d'Almagro mais qui eux aussi ont apporté quelque chose de nouveau dans la vie sociale de l'institution » nous confie Julian Romeo, président du club. Une vie sociale et sportive qui voit le jour en 1912 quand le Club Almagro dispute ses premières rencontres. Le Club Almagro enchaîne les bons résultats et les belles performances ce qui lui vaut, en 1914, d'obtenir son propre stade Pasaje Portugal donc. La popularité du club commence à croître pour cette équipe qui à l'époque évoluait en vert et blanc avant qu'en 1916 le club connaisse un tournant qui le marquera le reste de son histoire.

De nouveaux dirigeants débarquent à Almagro dont un certain Ortiz de Zárate (un député radical de l'Unión Cívica Radical ou UCR). Depuis, le militantisme radical de ses dirigeants est resté incorporé à la vie de l'institution comme un trait distinctif. « Il est vrai que cela fait partie de l'ADN du Club Almagro. A la fin des années 1910, il y avait Zárate, mais tous les dirigeants étaient des militants de l'UCR. Cela a perduré à travers les époques. Par exemple, José Pereiro, qui était un militant actif de l'UCR, a été élu Président du club à deux reprises, une fois en 1992 et une autre fois en 2002. Mais l'anecdote la plus intéressante se trouve peut-être dans le fait que nous avons eu un Président de la République de l'UCR, Arturo Frondizi de 1958 à 1962, qui était socio et qui a évolué au Club Almagro ! C'est dire le lien très fort qu'il y a entre notre club et la politique », souligne Julian Romeo.

Si la politique fait son entrée à cette époque au Club Almagro, elle apportera aussi un autre changement, celui du choix des couleurs Bleue-Noire et Blanche qui lui vaudra son surnom d’El Tricolor. Ce détail n’est pas si anecdotique. « Ces couleurs ont été choisies à l'arrivée des nouveaux dirigeants et elles provenaient directement d'Angleterre. Seul petit souci, dans les années 20, Boca Juniors, aujourd'hui l'un des plus grands clubs d'Argentine, évoluait aussi avec ces couleurs et il a fallu disputer un match pour choisir qui allait continuer avec ce maillot. Le Club Almagro a remporté cette confrontation. De plus, cette couleur de maillot nous vaut encore aujourd'hui une très belle amitié avec le Grêmio de Porto Alegre au Brésil qui est née grâce à cela quand les supporters d'Almagro ont commencés à suivre le Grêmio à chaque fois qu'il venait ici en Argentine pour des rencontres de Copa Libertadores. Il faut savoir aussi qu'en 2001, le Club Almagro a été le premier à faire tomber le Boca Juniors Champion du Monde qui venait de battre les galactiques du Real Madrid. Si on parle d'un point purement statistique nous avons le dessus sur Boca Juniors lors des confrontations face à eux ! Après en relativisant nous sommes évidemment conscient que cela est purement anecdotique, mais c'est une petite fierté d'avoir cette reconnaissance tout comme peut s'en vanter San Lorenzo de Almagro d'ailleurs » s'amuse le Président Romeo. San Lorenzo de Almagro, le parallèle a souvent été fait entre les deux clubs qui sont nés dans ce quartier. « Il n'y a pas d'amitié ni de rivalité. Même si certains hinchas suivent de près les résultats des deux clubs, parler d'amitié serait exagéré. En revanche, au niveau des dirigeants, nous travaillons souvent ensemble et de manière intelligente. Par exemple l'année dernière, San Lorenzo nous avait prêté quatre joueurs pour qu'ils s'aguerrissent avec Almagro. Ce genre de procédés n'est pas rare entre les deux clubs. Mais pour la petite anecdote, cette année San Lorenzo va affronter Grêmio en phase de poule de la Copa Libertadores et je pense sincèrement que nos supporters encourageront le Grêmio plutôt que San Lorenzo, même si encore une fois il n'y a pas de rivalité entre nous. »

Amitiés politiques, rivalités B

L’amitié la plus forte et la plus représentative est sans aucun doute celle qui lie El Tricolor avec le Club Atlético Defensores Unidos (CADU) de Zárate. Cette dernière est née le 10 avril 1982 lors d'une rencontre entre le CADU et le Club Almagro à Zárate. Ce jour-là, les bus de l'ensemble des supporters du Tricolor se sont retrouvés près de la tribune locale où les hinchas du CADU avaient l'habitude de se réunir. Des mots doux sont alors échangés, quelques pierres lancées et l'affrontement semble inévitable. Jusqu'à ce que le leader de la barra du Celeste (surnom du CADU) ordonne d'arrêter les invectives. Une réunion s'improvise entre les deux leaders des Barras-Bravas qui, en plus de résoudre le problème, se mettent d'accord de chanter ensemble tout le match des chants contre le gouvernement militaire, alors à l'agonie, et la guerre des Malouines. La rencontre commence, les deux groupes de supporters tiennent parole et lancent des chants contestataires contre la junte. A ce moment-là, la police commence à réprimer l'ensemble des supporters locaux et des affrontements éclatent dans la popular du CADU. Observant cela depuis le parcage visiteur, les supporters d'Almagro décident alors de venir soutenir les hinchas du Celeste, sortent de leur tribune et prennent part à l’affrontement avec la police. L’une des amitiés les plus fortes du football argentin est ainsi née. « Depuis ce jour, les supporters du Tricolor assistent aux rencontres du CADU et vice-versa. Il y a même des fresques et des drapeaux en honneur à cette amitié et à cette fraternité entre les deux clubs. C'est quelque-chose de très fort. Nous avons aussi une amitié plus récente avec le Racing de Córdoba. Elle a vu le jour quand nous avons affronté l'Instituto de Córdoba, le plus grand rival du Racing, lors d’un match pour la montée. Les supporters du Racing étaient venus en nombre soutenir Almagro est de là l'amitié a perduré. »

Retour inespéré en Primera B Nacional

Lorsque Julian Romeo est élu en juin dernier au terme d’une campagne houleuse et marquée par quelques incidents face au sortant Juan Carlos Carinelli, le club vit un moment difficile, embourbé dans une série de 28 matchs sans victoire. Puis il va réaliser l'exploit de remonter en Primera B Nacional. « L'idée était de ne surtout rien lâcher, de redonner confiance à ce groupe avec l'arrivée de Fernando Ruiz, un entraîneur expérimenté à ce niveau avec plus de huit saisons à son actif en Primera B Metropolitana. En début de saison l'objectif était de retrouver la Primera B Nacional mais après avec cette infernale série on ne pensait plus qu'au maintien. L'arrivée de Fernando et de son staff a été la clé de ce renversement de situation incroyable jusqu'à la finale pour l'accession en deuxième division face à Morón que nous remportons 5-1 sur l'ensemble des deux matchs. Un vrai conte de fée même s’il est aussi important de mentionner que le Club Almagro est un spécialiste en la matière, c'est à dire très mal commencer pour terminer en trombe. Je ne sais pas comment l'expliquer mais cela fait partie de l'ADN du club. »

Pour son retour en B, El Tricolor, qui a connu la Primera B Nacional à douze reprises au cours de son histoire (ainsi que trois participations à la Primera Division), a chamboulé son effectif. « Cette année le groupe a beaucoup évolué avec 9 départs et 12 arrivées. Il fallait réadapter le groupe pour cette division où l'on retrouvera des équipes habitués à l'élite du football argentin. De plus, le règlement veut que l'on démarre face à la Nueva Chicago puis un déplacement à Crucero Del Norte, les deux équipes qui descendent de Primera Nacional. C’est un sacré challenge que l'on va essayer de relever de la meilleur des manières possible » poursuit l'entraîneur Fernando Ruiz.

Si pour beaucoup d'hinchas la rencontre face au Club Atlético Estudiantes, qui constitue le Clásico de Tres de Febrero, est le match le plus important au point de vue rivalité, la rencontre qui s’offre à Almagro pour son retour en Primera B n’est pas anodine. « Il faut savoir qu'auparavant il n'y avait aucune rivalité avec le Club Atlético Estudiantes. Et même quand nous avons déménagé de stade pour nous installer à Tres de Febrero, l'atmosphère était plutôt bonne entre les deux clubs et je me souviens que nous allions souvent voir les rencontres des uns et des autres comme des voisins qui se respectaient. Plus tard, début des années 80, la rivalité est montée d'un cran entre les supporters et cela est devenu le Clásico de Tres de Febrero. Pour moi, il faut relativiser car en plus d'une rivalité très récente, il n'y a pas eu énormément de rencontres entre les deux clubs dans toute l'histoire. Si nous devons parler de rivalité, dans le sens traditionnel du terme, ce serait avec Atlanta, la Chacarita et surtout la Nueva Chicago que nous avons affronté 105 fois dans toute notre histoire. Nous considérons le match face à la Nueva Chicago comme un Clásico important qui se jouera comme vous le savez sans les supporters visiteurs pour des raisons de sécurité qui devraient toutefois bientôt évoluer ». Ne restait alors plus qu’à aller vivre ce Clásico en ouverture de la Primera B Nacional 2016.

Inside Club Almagro – Nueva Chicago

Au départ d'Almagro, il nous faut donc emprunter le Bus 147, qui au terme d'un assez long trajet, nous dépose sur l'Avenida Francisco Beiro à l'angle de l'artère la plus importante de Buenos Aires, l'Avenida General Paz. Une fois le pont traversé, nous entrons donc dans la ville de Tres de Febrero où le décor change radicalement. Asado improvisé avec des grilles de fortunes dans les cages d'escaliers, vendeurs de boissons ambulants et rues aux couleurs du Club Almagro, l’ambiance monte au fur et à mesure que l’heure approche. Julian Romeo disait juste et nous ressentons une attente incroyable autour de ce match face à la Nueva Chicago. « Regarde, c'est magnifique ! On revient après sept ans d'absence et on débute face à l'un de nos plus grands rivaux, la Nueva Chicago. Une victoire aujourd'hui remplirait nos cœurs de bonheur et cela est possible car nous croyons en l'idée de jeu de notre coach Fernando Ruiz et en ce nouveau groupe » clame Ignacio, la trentaine, qui se rend au stade accompagné de son petit bout de 4 ans. L'idée de jeu dont nous parle très justement Ignacio, nous l'avons évoquée avec Fernando Ruiz quelques jours plus « L’objectif est de toujours être protagoniste, imposer notre système de jeu basé sur la possession à l'adversaire et cela que ce soit en Primera B Metropolitana ou ce dimanche face à la Nueva Chicago » avant de poursuivre sur les objectifs de la saison « Le maintien est clairement la priorité en prenant le plus de points possibles rapidement dans ce championnat. Après qui sait… L'année dernière qui aurait prédit un tel destin, un tel final face à Morón après 28 rencontres sans victoire ? Personne. Tout s'est joué sur l'aspect mental et psychologique auxquels je crois beaucoup dans le football et dans le sport en général. Cela a d'ailleurs été notre plus gros travail la saison précédente avant justement d'imposer cette idée de jeu. C'est pour cela que nous devons prendre les matchs les uns après les autres et nous focaliser sur les points à prendre à chaque fois. Et puis dans le football argentin tout va très vite, il n'y a plus de grosse différence entre les clubs comme il pouvait y avoir à une certaine époque ».

Une fois les quatre rues séparant la Capitale Argentine au stade Tres de Febrero parcourues, nous entrons donc dans cette enceinte de 19.000 places inaugurée le 07 Avril 1956. Pendant que nous prenons tranquillement place, la Barra-Brava locale installe ses dernières banderoles dont une en honneur de l'amitié qui la lie avec CADU « Si tu n'existais pas, je t'inventerais » située juste à côté de la bâche de la Peña (Section de supporters) Fuerte Apache, le quartier d'un certain Carlos Tevez. Un « Paty » (Hamburger typique argentin) plus tard, les 22 acteurs font leur entrée sur le terrain dans une très belle ambiance. Ce recibimiento au son du traditionnel « Almagro mi buen amigo » est accompagné de pots de fumée noir, blanche et bleue mais aussi des cercueils des rivaux duClub Atlético Estudiantes et de Morón en plus des quelques mots d'amour envoyés à la Nueva Chicago.

Le match commence et Almagro prend tout de suite la possession du ballon. Trois corners consécutifs dans les dix premières minutes et la hinchada sent qu'il y a clairement quelque chose à faire. L'ambiance ne cesse de monter avec des chants de plus en plus détonants dont un « Vamos a tomar vino para festejar » (Nous allons boire du vin pour fêter la victoire). Mais vient la 13ème minute et une première erreur de la défense d'Almagro. Une mauvaise passe en retrait que Lucas Baldunciel intercepte, ce dernier file au but mais est fauché dans la surface, la sanction tombe, penalty. Nicolás Giménez ne se fait pas prier pour le transformer, 0-1 pour le Torito de Mataderos. Un premier coup de massue suivi d'un second deux minutes plus tard sur une autre erreur de la défense du Tricolor, quand une nouvelle fois, Lucas Baldunciel, intenable ce soir sur son côté droit, intercepte une transversale manquée et s’en va conclure. 0-2 à la 15ème minute le stade Tres de Febrero est assommé. Il le sera encore plus quand avant la pause, Almagro se voit à son tour accorder un penalty suite à une faute de main de Valdez. Oscar Altamirano s'élance et trouve la transversale. Malgré les « Olé olé olé olé olé gordo, gordo » de la hinchada de Almagro pour réconforter son attaquant, « El gordo » (Le gros) et ses coéquipiers rentrent aux vestiaires la tête basse.

En deuxième mi-temps, et bien que le réajustement de Fernando Ruiz a stabilisé le Tricolor avec les entrées de Martin Bardonaro et de Franco Quiroz, Almagro n'a pas su trouver la profondeur nécessaire qui faisait sa force la saison précédente et, au fil des minutes, s'est résigné à l'échec pour son premier match de Championnat de Primera B Nacional après sept ans d'absence. Il faudra vite retrouver ses esprits car la semaine prochaine, Almagro voyagera jusqu’àMisiones pour y affronter une autre équipe qui descend directement de première division, Crucero Del Norte. De son côté, la hinchada du Tricolor réservera tout de même une belle ovation à son équipe au coup de sifflet final. Une façon de représenter un club, une histoire, une saison précédente incroyable, une montée inespérée et de pardonner ces deux erreurs qui à ce niveau-là ne pardonnent plus. C'est aussi le prix de l’apprentissage…

 

Par Bastien Poupat à Buenos Aires