« Tous les gens qui sont venus voir une fois le Clásico de Rosario savent que c'est le Clásico le plus chaud et le plus passionnant d'Argentine. A côté Boca Juniors – River Plate c'est juste du marketing ! ». La phrase de Mauro Cetto (lire Mauro Cetto : "le Clásico de Rosario est le Clásico le plus chaud et le plus passionnant d'Argentine") sonnait comme une provocation. L’heure était donc venue de vérifier ses propos. Rosario, 14 février 2016, LO était au Gigante de Arroyito pour le 259e Clásico Rosarino.

Nous sommes trois heures avant le match et la ville de Rosario dans la Province de Santa Fe paraît paisible. En apparence seulement. En ce jour de Saint-Valentin, le Clásico Rosarino entre Rosario Central et Newell's Old Boys qui est au centre de toutes les préoccupations. « Putain, je peux te dire que j'ai intérêt à sortir le grand jeu ce soir à ma copine avec les fleurs et le restaurant. Tu aurais vu la gueule qu'elle a lâchée quand je lui ai dit que le Clásico était aujourd'hui et que j'y allais… De toute façon ça ne pouvait être autrement, le Clásico Rosarino ça se vit au stade » annonce un Ignacio, 23 ans fan de Rosario Central, avant qu'un autre ajoute en s'en amusant « Arrête tes  conneries, moi je suis marié… Je te fais pas de dessin de comment ma femme a appris la nouvelle ». On sait que ce match est unique et que la rivalité entre les deux voisins atteint des proportions inimaginables (lire Rosario Central - Newell's Old Boys, le doyen des derbys argentins) et cela se confirme. Les rues adjacentes à l'Estadio Gigante de Arroyito sont déjà noires de monde et de nombreux fans de Central abordent les fameux t-shirt « Somos Rosario » (Nous sommes Rosario) ou encore « Somos la ciudad » (Nous sommes la ville) en sirotant quelques bières mais aussi du fernet pour les plus gourmands accompagnés de choripan ou de paty, le tout depuis 06h00 du matin pour certains ! Pétards et artifices sont déjà de sortis pour accompagner les premiers chants tout cela sous les yeux des effectifs de police très nombreux pour l'occasion. « J'espère que certains ne feront pas trop les cons avec les artifices, car l'AFA nous a promis une sanction si nous les utilisons à nouveau » lâche Eduardo, 34 ans, son fils de 6 ans à la main. En effet, après le superbe recibimiento de la semaine dernière, l'AFA a promis de sévir envers Rosario Central si d'autres artifices étaient utilisés lors de ce Clásico de quoi « pérenniser les bonnes relations » avec les supporters des Canallas après le papelón de la dernière finale de Copa Argentina. « Cette bande de corrompus nous a volés la Copa Argentina, ils ne savent même pas organiser une élection et maintenant ils voudraient nous donner des leçons… Ils n'ont peur et honte de rien » nous confie Gustavo assez remonté et qui est venu tout droit de Mendoza à plus de 850 kilomètres ! Quand nous demandons à Gustavo comment on devient un supporter de Rosario Central en habitant si proche de la frontière chilienne, la réponse est assez claire « Central c'est un sentiment qui ne s'explique pas. Et puis c'est le premier club de l’intérieur du pays à avoir été champion d'Argentine en 1971. Ça représente quelque chose de grand pour nous qui vivons en province, en Argentine il y a une grande rivalité entre la Capitale et la Province ».

Direction les angles des rues Avellaneda et Genova où se situe l'Estadio Gigante de Arroyito et notre tribune pour prendre place et ne pas rater une miette de ce Clásico Rosarino. Deux heures avant le match les deux « populares » (virages) sont déjà archi-combles, les chants résonnent déjà très fort et tout le monde saute comme un seul homme, c'est impressionnant. Cela l'est encore quand les joueurs des Newell's entrent sur le terrain pour l'échauffement dans une bronca assourdissante et sous une pluie de mots d'amour pour le 14 Février « Sos cagon, sos cagon, pechos frios sos cagon » (en VF « Tu es tapette sans aucune ferveur, tu n'es qu'une tapette »). Le décor est planté.

Sur le terrain, c'est clairement Rosario Central qui fait office de favori aujourd'hui. Après une saison magnifique qui les a vus décrocher la troisième place en championnat avec en prime une qualification en Copa Libertadores et une finale de Copa Argentina grâce entre autre a son sérial buteur Marco Ruben, ancien joueur d'Evian Thonon-Gaillard, les Canallas abordent se match en pleine confiance.

LeClásico, c’est aussi le duel des jeunes entraîneurs entre el Chacho Coudet côté Central, et un ancien pensionnaire de notre Ligue 1, Lucas Bernardi, côté Newell's. Si pour le premier, tout fonctionne comme sur des roulettes avec un bilan de 22 victoires, 11 nuls et seulement 4 défaites, ce n'est pas le cas pour Bernardi qui a pris ses fonctions à la moitié de la saison dernière et qui joue déjà gros sur ce match. La Lepra peine à retrouver son jeu fait de toque et de courtes transmissions qui fait l'identité du club d'un certain Marcelo Bielsa. Après une saison où les leprosos n'ont pu décrocher une qualification pour une compétition continentale, ils ont ouvert ce championnat avec une défaite 2-1 sur le terrain de San Martin de San Juan alors que dans le même temps son rival de toujours s'imposait 1-0 face à Godoy Cruz. Les voyants sont donc au vert pour les Canallas qui sur le plan historique ont remportés 86 fois ce Clásico rosarino en 258 rencontres avec 96 matchs nuls et 74 défaites et qui restent sur 4 victoires d'affilées. « Attention, bien malin sera celui qui peut pronostiquer le résultat aujourd'hui. Cela reste un Clásico et un Clásico tellement particulier…» tempère Rodrigo Gil, journaliste pour le programme Ultima Jugada dans la célèbre radio de Rosario LT3, avant de poursuivre « Côté Newell's, il y a des atouts offensifs très dangereux avec notamment Scocco et Maxi Rodriguez en plus du jeune Boyé qui vient de River Plate ». Les minutes défilent et les joueurs vont bientôt faire leur apparition dans un Estadio Gigante de Arroyito qui n'attend plus que cela pour littéralement exploser !

Premier acte : Un spectacle en tribune

Exploser le mot est peut-être trop faible ! Papelitos, fumigènes, voiles, tout y passe, accompagnés d'un chant détonnant. Du côté des Guerreros, la Barra-Brava locale, on opte pour un voile jaune et bleu recouvrant toute la popular, dans la platea sept lettres de ces mêmes couleurs avec un simple mais efficace « Rosario » et dans l'autre popular un voile sans équivoque « Matamos por esos colores » comprenez « Nous tuons pour ces couleurs ».

Alors qu'une minute de silence était visiblement prévue (à la décharge des fans de Rosario Central, aucune annonce n’a été faite à l'intérieur du stade), le stade se met alors à sauter comme un seul homme entonnant l'air d'une chanson de Callejeros « imposible » (Un groupe de rock argentin très controversé. Le 30 décembre 2004, 194 personnes perdent la vie dans un incendie à l’intérieur d’une boîte de nuit du centre de Buenos Aires lors d’un concert du groupe. Cet événement est connu sous le nom de la tragédie de Cromañon. 12 ans plus tard, Callejeros divise les Argentins : entre leurs défenseurs et leurs détracteurs qui exigent qu’ils assument leur part de responsabilité dans la tragédie) Aujourd’hui encore, la hinchada de Rosario Central chante au rythme de l’un des titres de Callejeros et le stade tremble littéralement sous nos pieds ! Malgré cette ambiance complètement folle, ce sont les Newell's Old Boys qui imposent leur rythme au milieu de terrain, exerçant une grosse pression et gênant constamment Central sans toutefois être dangereux. La première occasion est d'ailleurs à mettre à l'actif des Canallas mais la tête de Larrondo est bien captée par Unsain. « A estos putos los tenemos que ganar » (pas besoin de traduction même pour ceux qui ne sont pas bilingue) chante désormais en cœur l'Estadio Gigante de Arroyito devant un Central qui va désormais beaucoup mieux au moment où l'arbitre de la rencontre, Patricio Loustau, décide d'une pause à la 23ème minute en raison de la chaleur qui règne ici à Rosario. Clásico oblige, le match est très engagé physiquement et les contacts sont très rudes ce qui a le don de survolter la hinchada locale qui désormais s’époumone avec un classique des tribunes argentines. Le fameux titre « porque te vas » de Jose Luis Perales, devenu un hit mondial et repris par de nombreux artistes. À la base, ce chant a été créé par la hinchada de San Lorenzo (« soy de San Lorenzo si señor ») et a ensuite été repris d’abord sur le plan national puis par de nombreux groupes dans le monde, notamment les ultras de Saint-Etienne et Bordeaux. Du côté de Rosario Central, c’est devenu un incontournable pour provoquer les rivaux de Newell’s Old Boys et les paroles le confirment « Dans le quartier d’Arroyito, tu ne te promène pas, tu as peur, moi je te cherche et je ne te trouve jamais. Où es-tu ? Apparaît ! Je suis de l’Academia, oui monsieur, je suis complètement fou. Tapette de pingouin, la police te défend, t’es une pédale ». C'est sous ces vers de poésie que Monsieur Loustau renvoie les 22 acteurs aux vestiaires. 0-0.

Deuxième acte : Une suprématie confirmée

Rosario Central rentre avec de bien meilleures intentions dans cette deuxième période. Fini la crispation, les hommes de Coudet posent enfin le jeu qui les caractérisent et mettent les Newell's Old Boys en difficulté. Ces derniers tiennent tant bien que mal en étant sauvés par leurs montants dans une atmosphère exceptionnelle et nous ne cessons d'être impressionnés par l'ambiance et l'énergie que dégagent les supporters Canallas.

Exceptionnelle ? Cela se transformera en un tremblement de terre de magnitude 10 sur l'échelle de Richter quand Marcelo Larrondo vient pousser le ballon au fond des filets d’Unsain après un superbe service d’Alvarez ! Savourez…

Par la suite, cette folie ne retombera plus et même si les Newell's Old Boys poussent de manière assez stérile, Rosario Central va même manquer par deux fois de creuser encore plus l'écart, tout d'abord par Larrondo, encore lui, qui voit sa tête être repoussée par le montant puis Marco Ruben dans la foulée voit la sienne s'écraser sur la barre (74ème). L'action qui va faire définitivement basculer le match en faveur de Central arrive à la 78ème minute. Franco Escorbar écope d'un deuxième carton jaune synonyme de rouge après une faute sur Marco Ruben. Central aura d'autres opportunités de tuer définitivement le match notamment par Villagra (82ème) et Marco Ruben (83ème) mais qu'importe, les fans Canallas fêtent leurs héros dans l'hystérie la plus totale, se permettant même de chambrer et de lancer des « olé » quand Marco Ruben vient ajuster Unsain d'une superbe balle piquée à la 90ème minute ! 2-0, la messe est dite.

Coup de sifflet final, tout ce petit monde exulte dans une communion incroyable avec les joueurs et la marée humaine jaune et bleu se dirige vers le Monumento de la Bandera véritable place symbole de la ville de Rosario comme pour affirmer leur suprématie… Une fois de plus, ce fut incontrôlable, ce fut jouissif. Oui, le Clásico Rosarino est bien le plus chaud d’Argentine.

 

Par Bastien Poupat à Rosario en Argentine pour Lucarne Opposée.

Bastien Poupat