Pendant l’Argentine place quatre entraîneurs nationaux dans le dernier carré de la Copa América, pendant que ses représentants européens n’en finissent plus de briller, la Primera Division subit une nouvelle révolution : la prise de pouvoir d’une nouvelle génération.

On a souvent insisté sur le savoir-faire des coaches argentins. De l’époque Zubeldia à la lutte intemporelle entre Menottisme et Bilardisme en passant la révolution Yudica – Bielsa (lire De la gloire à l’oubli : José Yudica), les techniciens albiceleste ont permis d’écrire les plus belles pages de l’histoire du football sud-américain et mondial. A l’image de ses représentants européens qui s’offrent les lumières continentales (citons les Berizzo, Pochettino et autres Simeone), l’Argentine n’en finit plus de fournir les meilleurs techniciens au monde entier. Pourtant, pendant ce temps au pays, il est une nouvelle tendance qui touche le football local : l’éclosion d’une nouvelle génération qui a pris le pouvoir en championnat.

Cure de jouvence

Depuis quelques temps, un vaste mouvement de fond touche l’Argentine du foot, le rajeunissement de ses bancs de touche. Le tournoi 2015 avait déjà été celui du symbole de ce vaste remaniement, 2016 n’a fait accroître cette tendance. Alors que la moyenne d’âge des coaches de Primera Division était de 47,5 ans en 2015, le tournoi 2016 a vu l’arrivée de petits nouveaux qui ont alors fait chuter celle-ci à 44,6 ans, poursuivant la pente descendante de la courbe des âges (la moyenne était de 49,4 en 2006, 48,95 en 2011). Ainsi, sur les trente entraîneurs encore en poste après pratiquement deux mois de compétition, ils sont en effet 19 à avoir au plus 45 ans, la moyenne nationale étant située désormais à 45.7, remontée grâce notamment aux retours en poste de Caruso Lombardi et autres Falcioni, deux membres du club restreint des plus de 50 ans du championnat (Julio César Falcioni étant le plus âgé). Cette cure de jouvence touche tous les clubs de Primera Division, à commencer par ses géants qui sont tous passés entre les mains d’entraîneurs de moins de 45 ans, le plus âgé étant Mauricio Pellegrino et ses 44 ans.

Moyenne d'âge des entraîneurs des principales premières divisions (de gauche à droite : France, Angleterre, Allemagne, Italie, Espagne, Argentine, Brésil, Uruguay, Chili, Paraguay, Colombie et Mexique)

La question légitime est de se demander si mouvement correspond à une tendance générale ou si l’Argentine, de par la jeunesse de ses bancs est une exception. Sur le continent, seuls le Chili et surtout le Paraguay vont encore plus loin. Pour le reste, et malgré l’instabilité brésilienne, la moyenne d’âge reste des plus élevée, les bancs étant dirigés par des techniciens dont l’âge dépasse en moyenne les 50 ans. A l’échelle mondiale, si on ajoute les principales ligues européennes et le Mexique, l’Argentine arrive en troisième position derrière le Paraguay et l’Allemagne, l’Espagne et le Chili venant ainsi fermer ce club des ligues de moins de 50 ans.

Culture club et intensité

Mais là où la force de la nouvelle génération d’entraîneurs argentine réside, c’est aussi dans sa capacité à s’exporter. Avant de revenir au pays, Pablo Guede, 41 ans, a brillé avec Palestino au Chili (lire Pablo Guede, la nouvelle (r)évolution argentine), pays où Sebastián Beccacece, 35 ans, fait ses premiers pas de coach à la tête de la prestigieuse Universidad de Chile et où Eduardo Berizzo, 43 ans alors, se faisait un nom avec O’Higgins. Rayon jeune à l’exportation, Luis Zubeldia et ses 35 ans passant de la LDU qu’il a emmené en finale du dernier championnat à Santos Laguna, actuel demi-finaliste de la CONCAChampions en est un autre.

Car s’il est un point commun à bien de ces jeunes coaches, c’est aussi leur capacité à obtenir des résultats rapidement. Le meilleur exemple au pays reste bien évidemment Marcelo Gallardo qui, prenant River Plate à 38 ans, en a fait un vainqueur de la Sudamericana et de la Libertadores en 2 ans ou encore Rodolfo Arruabarrena et ses 40 printemps qui a conduit Boca vers le doublé en 2015. Mais les exemples ne manquent pas, sans forcément avoir à pousser jusqu’au « vieux » Carlos Leeb, 47 ans, qui a renversé la Bolivie en 2015 en menant Sport Boys vers le premier titre de son histoire. Car à cette liste, on peut aussi ajouter Diego Cocca qui a ramené le titre au Racing après 13 années d’attente ou encore Eduardo Domínguez qui est passé du terrain au banc de touche à 37 ans pour transformer Huracán en machine a efficacité, jusqu’à emmener le Globo en finale de Sudamericana.

Photo : CRIS BOURONCLE/AFP/Getty Images

Il est toujours difficile de classer des entraîneurs dans diverses catégories par rapport à leur style, à la façon dont évolue leur équipe, à leur philosophie générale. Car au pays où la lutte entre Menottistes et Bilardistes n’a jamais véritablement cessée malgré l’émergence des multiples héritiers de Bielsa ces dernières années, la nouvelle génération est aussi diverse dans sa philosophie même si, tout aussi différente soit-elle, se distingue des autres par sa grande capacité d’adaptation. Le meilleur exemple reste bien évidemment Marcelo Gallardo.

Un temps catalogué bielsiste à son arrivée à River, el Muñeco a surtout montré qu’il avait parfaitement fait la synthèse entre spécificité locale et culture du résultat. Capable de transformer son équipe en fonction de l’adversaire (chose impensable dans la philosophie bielsiste par exemple), appliquant parfois des méthodes européennes, il a su transformer son River en équipe pragmatique quand les conditions le demandaient. S’il n’a pas connu l’Europe en tant que joueur (et s’il n’a pas droit aux mêmes lumières qu’El Muñeco), Eduardo Domínguez a tout appris de son beau-père, un certain Carlos Bianchi, son modèle, et a fait du Globo un mélange de don de soi et de culture de l’efficacité, capable ainsi de déjouer tous les pronostics.

Outre cette grande maturité tactique malgré leur âge, comme des Guede, Sava, Barros Schelotto et autres Coudet, Gallardo et Domínguez partagent en commun une recherche permanente d’excellence technique. Aussi voit-on un Gallardo pester après ses joueurs qui « ne réfléchissent pas assez », ou encore un Barros Schelotto s’emporter devant « un trop grand nombre de centres de merde » effectués par son Boca face à Lanús. Cette exigence s’ajoute à deux aspects fondamentaux qui les réunissent tous même si leur approche globale du jeu est différente : la volonté d’imposer le jeu et de maintenir une intensité élevée pendant 90 minutes. Intensidad et protagonista sont ainsi devenus les mots les plus courants dans les différents discours des jeunes quarantenaires qui sont en train de retourner l’Argentine. Il n’y a désormais plus une conférence de presse, plus un entretien donné par cette génération sans que ces mots n’apparaissent. Conséquence, le rythme général des rencontres a désormais changé au pays, l’intensité est permanente, la vitesse de jeu augmente.

Photo : ALEJANDRO PAGNI/AFP/Getty Images

Reste que pour fonctionner, ce savant mélange de tactique et de cœur s’appuie sur un autre aspect bien plus profond : le culte du maillot. Sur les 30 techniciens argentins présents sur les bancs de touche au coup d’envoi du tournoi 2016, ils étaient 10 parmi ces quarantenaires à avoir déjà porté le maillot du club qu’ils entraînent aujourd’hui (Arruaberrena (Boca), Gallardo (River), Sava (Racing), Coudet (Rosario Central), Bernardi (Newell’s), Bassedas (Vélez), Eduardo Domínguez (Huracán) Azconzábal (Atlético Tucumán), Grelak (Quilmes) et Rondina (Arsenal)). Si tous n’ont finalement pas réussi à inculquer les valeurs du maillot ou tout du moins à le traduire sur le plan des résultats, d’autres comme Gallardo, Coudet ou Domínguez en sont devenus les principaux garants, apportant ainsi ce supplément d’âme qui permet de franchir bien des obstacles. C’est aussi l’une des spécificités argentines. Là où un Brésil va tourner en cercle fermé entre une liste d’entraîneurs qui au final ont connu quasiment tous les bancs du pays, les clubs argentins se tournent désormais soit vers d’anciennes idoles qui ont marqué le club en tant que joueur, soit vers des jeunes coaches ayant fait leurs classes dans les équipes de jeunes (comme Nelson Vivas qui dirigeait la réserve d’Estudiantes ou encore Raúl Celis Sanzotti nommé à la tête d’Argentinos après s’être occupé des inferiores). Tous connaissent ainsi parfaitement le contexte local, tous s’appuient sur un passé commun avec le maillot que leurs joueurs doivent défendre. Et pour tous, la volonté de perpétuer la culture du club, de transmettre ses valeurs aux joueurs qui ne font que passer tout en leur inculquant une nouvelle culture tactique, offrant ainsi un savant mélange de tradition et de modernisme. Deux piliers de la nouvelle révolution Argentine.

 

Photo une : ALEJANDRO PAGNI/AFP/Getty Images

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.