Tout aura été tenté par Armando Pérez, jusqu’au dernier moment les consultations se sont poursuivies. Le temps pressant, l’heure de la décision est venue, Edgardo Bauza est nommé sélectionneur de l’Argentine. Portrait.

Il y aura eu le rêve Bielsa, l’espoir fou Sampaoli, les désirs aussi ardents qu’impossibles Simeone et Gallardo. Puis il y aura eu les entretiens individuels de ceux qui finalement restaient les plus accessibles : Miguel Angel Russo, Edgardo Bauza et Ramón Díaz. C’est donc finalement sans surprise que l’élu se trouve parmi ces trois et n’est autre que le premier rencontré. Edgardo Bauza sera le nouveau sélectionneur de l’Argentine. Un choix qui apparait par défaut mais pourrait être bien plus pertinent qu'il n'y parait.

De défenseur goleador à entraîneur à succès

Ancien défenseur formé à Central, l’un des quatre clubs qu’il a connus en tant que joueur (avec Junior, Independiente et les Tiburones) et dont il est une véritable idole, malgré son rôle de défenseur central, celui que l'on surnomme El Patón, surnom hérité de son frère, reste le troisième meilleur buteur de l’histoire professionnelle du club (derrière Kempes et Aguirre), le meilleur buteur Canallas dans l’histoire des Clásicos rosarinos. Des statistiques folles pour un défenseur central connu pour son jeu de tête et sa capacité à se projeter en attaque. Déjà brillant sur le terrain, Bauza se fera définitivement un nom lorsqu’il s’installera sur un banc de touche.

Après avoir dirigé les inferiores de Central, il s’occupe rapidement de la réserve avant, quatre années seulement après l’arrêt de sa carrière de joueur, de prendre place sur le banc de l’équipe première. En trois saisons, il emmène le club en finale de la Copa CONMEBOL (1998), à la deuxième place d’un tournoi argentin (Apertura 99) et en demi-finale de la Libertadores (2001). Après des passages sans succès du côté de Vélez et de Colón, il rebondit au Pérou en décrochant le titre de champion avec le Sporting Cristal. Mais c’est alors lors de son passage en Equateur, avec la LDU qu’il explose aux yeux du continent. Champion en 2007, il guide les Albos au premier titre équatorien de l’histoire de la Libertadores l’année suivante et à la finale de la Coupe du Monde des Clubs. Lors de son retour à la LDU, il remporte la Recopa Sudamericana 2010, décroche un nouveau titre national puis conduit le club à la finale de la Sudamericana 2011 qu’il perd face à la fantastique U de Sampaoli, puis, il débarque aux commandes d’un San Lorenzo champion qu’il mène vers la première Libertadores de son histoire avant, une fois parti à São Paulo, d’amener le Tricolor vers une demi-finale de l’épreuve, devenant ainsi le premier technicien de l’histoire à réussir à amener quatre équipes différentes dans le dernier carré de la plus prestigieuse épreuve continentale.

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Le nouveau Bilardo ?

Un palmarès impressionnant pour un homme à l’opposé de ce que l’Argentine peut générer dans l’imaginaire collectif. Car, autant le dire tout de suite, une équipe de Bauza est tout sauf spectaculaire. El Patón est un pragmatique, un homme ordonné, qui préfère la discipline collective au chaos, un homme qui n'a qu'un mot à la bouche : l'équilibre. Oubliez donc le déséquilibre offensif, la théorie du surnombre et de la possession, nouveau dogmes modernes portés par les Guardiola en Europe, les Sampa, Guede et autre Gallardo en AmSud (même si ce dernier est plus complexe qu’il n’y parait), Bauza aime l’équilibre, qu'il oppose bien souvent à la solidité qu'on utilise souvent pour décrire ses équipes, expliquant à qui veut l'entre qu'une équipe peut être solide défensivement mais non équilibrée si elle ne parvient pas à être aussi solide offensivement. La principale qualité de Bauza est de parfaitement connaître les limites de son équipe et ainsi ne pas lui demander de faire ce dont il sait qu'elle n'est pas capable de faire. Une description qui fait immédiatement penser à un certain Carlos Bilardo. Et si le parallèle est facile (même si utilisé de manière péjorative, le Bilardisme étant, souvent à tort, vu de manière plus négative qu'il ne devrait l'être - nous reviendrons un jour sur ce point), il n’est pas pour autant totalement dénué de sens. Comme Bilardo, Bauza est un discret, un homme qui préfère la rigueur du travail à l’agitation. Comme Bilardo, Bauza sait patiemment construire une équipe en sachant s’adapter à son effectif sans pour autant renier ses principes. En nommant Bauza, l’Argentine entend bien ramener l’ordre dans son football, comme elle le fit en son temps en nommant Bilardo, un ordre qui lui a par moment manqué lors de ses dernières finales perdues, un ordre qui ne ferait finalement pas tant de mal au milieu du chaos ambiant même s’il tranche avec les vieux rêves d’une Argentine offensive et joueuse.

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Et s’Il est certes encore difficile de prévoir ce que sera l’Argentine version Bauza, la principale inconnue restant encore le cas du Leproso Leo Messi, première mission de taille pour le Canallas Bauza, le destin aimant tant les clins d’œil, ce que l’on peut déjà dire avec certitude, c’est qu’elle prendra le minimum de risques pour se lancer à l’attaque. Son système a longtemps été quasi invariable, « deux lignes de quatre, avec un double cinco, deux offensifs, » comme il aimait à le rappeler il y a quelques années. Mais depuis, il a aussi montré que ses équipes pouvaient échapper à ce dogme. On les a ainsi vues parfois en 4-4-1-1, en 5-3-2 ou, comme souvent le São Paulo version Libertadores, en 4-2-3-1, le schéma à la mode sur le continent. C’est ce système que pourrait bien reproduire l’Albiceleste. Mais au-delà des chiffres, qui finalement ne veulent pas dire grand-chose, la grande question que pose l’Argentine sauce Bauza sera son animation. La clé du succès d’une équipe version Patón, c’est sa capacité à défendre quand il le faut « quitte à défendre à 11 », son jeu sur les côtés et sa verticalité offensive. Ainsi, parmi les hommes clés d’un système Bauza, les latéraux Rojo et Mercado devraient prendre une importance qu’ils n’avaient pas jusqu’ici. Au point même d’envisager de voir apparaître des Julio Buffarini et autres Emanuel Mas, école San Lorenzo oblige, tant le style Bauza passe par les couloirs et leur capacité à centrer (sans forcément être les rois de l’élimination - Buffarini en étant la meilleure illustration). Autre point clé, la présence d’un milieu récupérateur défensif efficace dans son boulot de récupération/première relance, véritable base de la défense, ce qu’était Mercier par exemple à San Lorenzo et que serait Mascherano et/ou Kranevitter en sélection. Offensivement, une équipe de Bauza ne prend donc pas de risques, surtout loin de ses bases. Sa principale qualité est sa verticalité qui parfois repose, comme ce fut donc le cas avec São Paulo, sur une véritable pointe, rôle parfaitement joué par Calleri, bien aidé en Libertadores notamment par la présence d’un Ganso en chef d’orchestre derrière lui. C’est sur ce point que se pose le problème. Dans un 4-2-3-1, qui viendrait prendre les 3 places derrière la pointe ? Lors de la Copa América chilienne, l’Argentine a évolué dans ce système, on avait alors vu Messi prendre le côté droit, Pastore le rôle de 10, Di María évoluer couloir gauche. Le souci est qu’aligner un tel trio vient en contradiction avec les préceptes d’équilibre du technicien, ces trois joueurs générant un déséquilibre offensif certes à la mode de nos jours mais loin de la philosophie du santafesino qui, vous l’aurez donc compris, n’est pas un apôtre de la possession dans le camp adverse. Au-delà des hommes, la question de l’animation offensive est donc centrale avec l’arrivée de Bauza. La première liste pour les rencontres de début septembre permettra sans doute de lever ce premier voile (même s’il parait peu probable que la question Leo Messi ait été résolue d’ici là).

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Unanimité

Reste enfin une qualité à Bauza, celle de faire l’unanimité auprès de ses anciens coéquipiers, entraîneurs, joueurs. Interrogé par Ole, Carlos Bilardo a dit de lui « Bauza est un type bien. Je ne lui ai connu de problèmes avec personne. C’est un gars tranquille, qui ne s’énerve jamais, qui ne te contredit jamais. Avec la sélection, jamais il n’a été fâché de ne pas jouer. Il était bien avec tout le monde. » El Narigón résume parfaitement Bauza. Calme, posé, disponible pour la presse, il tranche avec le côté sanguin des Argentins et n’a finalement pas de réels ennemis déclarés. Auprès des joueurs, le constat est le même. De Buffarini, pour qui Bauza « mérite la sélection, » à Jonathan Calleri qui décrit El Patón comme une « bonne personne, un homme droit qui dit les choses en face sans jamais s’énerver, un grand entraîneur, » le santafesino est adoubé par l’ensemble de la profession en Argentine, se voit ainsi dérouler le tapis rouge.

Reste qu’à 58 ans, Edgardo Bauza doit oublier son glorieux passé et les belles pages d’une carrière riche en titres pour se confronter au plus grand de tous les défis, celui de reconstruire une Argentine dont les fondations vacillent depuis plusieurs mois, d’apporter une sérénité sur laquelle le football argentin cherche désespérément à s’appuyer pour reprendre sa marche en avant. Mais finalement, à la vue de son profil, on peut se demander si le choix de celui qui n’était pourtant pas le plan A d’Armando Pérez, n’est finalement pas le plus adapté.

Photo une : JAVIER SORIANO/AFP/Getty Images

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.