Avant-centre du mythique Santos des années 1960, Coutinho bat certains des records de précocité de Pelé et est considéré comme le meilleur partenaire du Roi, avant d’entamer un rapide déclin en raison d’un problème de surpoids. Dans ce premier épisode, on revient sur son ascension jusqu'à la Coupe du Monde 1962.

Pelé a eu de nombreux partenaires d’attaque au cours de sa carrière : Pagão à ses débuts professionnels, Toninho Guerreiro avec Santos, Tostão avec la Seleção ou encore Chinaglia avec le New York Cosmos. Un seul cependant est considéré comme le « meilleur partenaire de Pelé » : Coutinho, qui a joué pendant une décennie aux côtés du Roi avec Santos. Dans ses mémoires, Mário Américo, le masseur historique de la Seleção, explique : « Pelé a toujours fonctionné. N’importe qui s’adaptait à ses côtés, mais le meilleur duo que j’ai vu a été Pelé – Coutinho, le plus parfait ». Un avis partagé par Milton Leite dans le livre Os 11 maiores centroavantes do futebol brasileiro, qui réserve évidemment un chapitre à Coutinho : « Avoir vu Pelé, avoir affronté Pelé sur le terrain, sont des expériences inoubliables. Avoir joué dans la meilleure équipe du plus grand joueur de tous les temps a permis à de nombreux joueurs d’entrer dans l’histoire. Que dire alors de quelqu’un qui s’est immortalisé comme le meilleur partenaire du Roi ? Et plus : avoir été confondu de nombreuses fois avec lui dans la rapidité du match, d’avoir été une figure essentielle dans certains des moments les plus importants de sa carrière ? Un seul être humain a ce privilège : Coutinho. Précoce comme Pelé, il est arrivé à Santos à un peu plus de quatorze ans, a débuté en équipe professionnelle à quinze ans, titulaire à seize ans et a joué pour la première fois en sélection à dix-sept ans ». Coutinho réalise donc quelques exploits, comme battre des records de précocité de Pelé et être même confondu sur le terrain avec Pelé.

De Piracicaba à Santos

Antônio Wilson Honório naît le 11 juin 1943 à Piracicaba dans l’État de São Paulo et est surnommé Cotinho par sa mère en raison de sa petite taille. Sa vie bascule le 10 novembre 1957, lorsque Santos se rend à Piracicaba pour affronter le XV de Novembro. En levez-de-rideau, la réserve du XV de Novembro affronte Palmeirinha, petit club où évolue Cotinho avec les jeunes. Sans billet pour le match principal, Cotinho entre sur le terrain avec les joueurs de Palmeirinha, qui ne sont que dix au coup d’envoi. L’entraîneur demande donc à Cotinho, quatorze ans, d’enfiler un maillot et des chaussures, trop grandes pour lui, afin d’évoluer en défense. Cotinho s’exécute et marque le seul but du match. Les joueurs de Santos, qui remportent finalement le match principal 3-0 avec des réalisations de Pepe, Pelé et Pagão, invitent Cotinho à faire un test à Santos. « L’invitation faite à la sortie du vestiaire n’était pas vraiment à prendre au sérieux, c’était plus sorti comme une blague », explique Carlos Fernando Schinner dans sa biographie Coutinho, o gênio da área.

L’invitation est pourtant prise au sérieux par Cotinho, qui parvient à économiser pour se payer un billet simple en direction de Santos afin de faire un test avec les jeunes du club. Une nouvelle fois, le destin bascule en faveur du jeune de Piracicaba. L’ailier-droit Alfredinho se blesse et Lula, l’entraîneur déjà légendaire de Santos, demande à son adjoint China d’envoyer un joueur pour le remplacer dans le match d’entraînement entre titulaires et réservistes. Cotinho débute avec les réservistes, encaisse les coups du défenseur Hélvio et marque un but. À l’image de Nílton Santos avec Garrincha, Hélvio recommande Cotinho à sa direction à la sortie de l’entraînement. Le contrat est proche d’être signé, mais le père de Cotinho fait le voyage de Piracicaba à Santos pour ramener son fils, considérant qu’il n’y a pas d’avenir dans le football. Un dirigeant de Santos se rend à Piracicaba et parvient finalement à convaincre le père de laisser Cotinho revenir à Santos, ce qui avait également été fait par Waldemar de Brito pour Pelé deux ans plus tôt. Cotinho habite d’abord dans les installations du stade Vila Belmiro puis chez dona Georgina, où il rencontre Vera Lúcia, avec qui il se marie en 1963 et a trois enfants.

Cotinho grille les étapes et, à l’image de Pelé, s’assure rapidement une place parmi les professionnels, comme le rappelle son coéquipier Pepe à Milton Leite : « C’était un gamin noir de plus, il rappelait beaucoup ce qu’il s’était passé avec Pelé. Dès les premiers entraînements, il a montré qu’il avait des qualités. On aurait dit que ça allait arriver de nouveau, en peu de temps, Lula a vu qu’il pouvait être titulaire ». En 1958, Santos est privé de Zito, Pelé et Pepe, qui se préparent avec le Brésil pour la Coupe du Monde. Le Peixe part en tournée au Brésil, ce qui permet à Antônio Wilson Honório de prendre pour la première fois l’avion. Entre-temps, le jeune prodige a été renommé Coutinho par le commentateur radio Ernani Franco, qui trouve le surnom plus harmonieux que Cotinho. Le 17 mai 1958, Coutinho devient à quatorze ans, onze mois et six jours le plus jeune joueur à débuter pour Santos, effaçant des tablettes un certain Pelé. Comme Pelé, Coutinho débute lors d’une victoire 7-1. Comme Pelé, Coutinho fête ses débuts en marquant un but. Dix jours plus tard, Coutinho entre en jeu à la place de Jair et marque un doublé dans le succès 5-2 sur Guarani. Coutinho est si jeune qu’il doit obtenir l’autorisation du juge des mineurs afin de jouer les matchs nocturnes. Il remporte le championnat paulista 1958 en tant que remplaçant et gagne du temps de jeu au cours de la tournée de début de saison 1959 au Mexique. Lors d’un match du tournoi Rio – São Paulo contre la Portuguesa, Pagão, blessé, cède sa place à Coutinho, qui marque les deux seuls buts du match. Coutinho devient titulaire et marque un but au match suivant, ajoutant une passe décisive dans le succès 4-3 sur São Paulo. Le Peixe remporte le tournoi Rio – São Paulo après une victoire 3-0 sur Vasco avec un doublé de Coutinho et un but de Pelé, qui laisse le titre de meilleur buteur à son jeune coéquipier, auteur de huit buts en sept matchs. Avant même de fêter ses seize ans, Coutinho attire l’intérêt du Corinthians, mais Santos le déclare intransférable.

Nouveau partenaire pour Pelé

Après le match contre Vasco, Coutinho remporte également l’admiration de l’écrivain Nelson Rodrigues dans une chronique pour Manchete Esportiva : « En plus de Pelé, l’attaque de Santos a Coutinho. Je me souviens qu’en entendant son nom, j’ai pris peur. Je me suis dit à moi-même : “Coutinho n’est pas un nom pour un joueur de football !”. De fait, un nom influence beaucoup le succès ou l’infortune. Napoléon, s’il avait eu un autre nom, aurait été beaucoup moins napoléonien, […] Coutinho ne suggère pas d’autre chose, si ce n’est l’individu qui dévore le ballon d’une manière, disons, matérielle, physique. En sortant du terrain, il semble se lécher les babines de sang, encore effervescent du ballon récemment dévoré. […] Seulement Coutinho, contre l’expérience géniale et presque imbattable de Barbosa, a mis deux buts. Ils disent que, sur les ballons aériens, il devient élastique, acrobatique, ailé. Son saut est réellement un vol. Gardez en tête ce nom de père de famille. Ou je me trompe beaucoup, ou il sera dans l’équipe brésilienne qui, si Dieu le veut, sera double championne du monde au Chili ».

Dès ses premiers matchs, Coutinho devient le meilleur partenaire de Pelé. Les deux élèvent au rang d’art la « tabelinha », ces une-deux exécutés au milieu des défenseurs. Dans le livre Os 100 melhres jogadores brasileiros de todos os tempos, Paulo Vinícius Coelho et André Kfouri écrivent : « Coutinho est entré dans l’histoire du football comme un inventeur. L’avant-centre qui a tout remporté avec l’équipe surnaturelle de Santos des années 1960 est le détenteur de la moitié du brevet d’une action connue au Brésil comme la “tabelinha”. L’autre moitié est à Pelé. On pense que les deux ont inventé la tabelinha dans la rue, quand ils étaient gamins. Ils habitaient dans la même pension, à Santos, et allaient à pied aux entraînements au Vila Belmiro. À chaque pas, le ballon faisait le trajet de l’un vers l’autre, allant au-dessus des passants, dribblant les voitures, sans jamais oublier d’obéir aux instructions des deux cracks ». Pepe, qui forme avec Pelé et Coutinho l’un des plus grands trios de l’histoire du football, donne une version différente : « Beaucoup pensent qu’ils ont inventé la tabelinha, mais en réalité, Pagão le faisait déjà beaucoup avant Coutinho. Pagão n’arrêtait pas de nous laisser tous devant le but. D’ailleurs, Coutinho était un grand admirateur de Pagão et s’est beaucoup inspiré de lui. Coutinho a perfectionné la tabelinha, principalement avec Pelé. C’était un joueur très intelligent, il faisait des tabelinhas courtes, longes, de dos, du talon ».

Du Brésil au monde entier

Après le tournoi Rio – São Paulo 1959, Santos part pour la première fois en tournée en Europe, ce qui permet au club de prendre une dimension mondiale. En vingt-deux matchs, Santos marque soixante-dix-huit buts, giflant notamment l’Inter 7-1 et le Barça 5-1, avec à chaque fois un but de Coutinho. À Bruxelles, vingt-quatre heures seulement après avoir battu le Royal Standard 1-0, Santos bat Anderlecht 4-2 avec un doublé de Pelé et des buts de Pepe et Coutinho, un journal de la Bruxelles parle même de « la plus belle démonstration de football jamais vue dans la ville ». Santos rentre ensuite au Brésil pour disputer le championnat paulista, Pelé ratant certains matchs puisqu’il est appelé pour disputer la Copa América des forces armées, le service militaire était à l’époque obligatoire. Le 19 novembre 1959, dix ans jour pour jour avant le millième but de Pelé, le Roi est absent pour la rencontre entre Santos et la Ponte Preta au Vila Belmiro. Avec un quintuplé de Coutinho et un quadruplé de Pepe, Santos s’impose 12-1 et obtient la plus large victoire de son histoire. En fin d’année, Santos dispute la première Taça Brasil de l’histoire, mais s’incline en finale malgré des buts de Coutinho au retour et lors du match d’appui.

En 1960, Santos émerveille une nouvelle fois l’Europe avec une tournée de dix-huit matchs et soixante-quatorze buts, soit plus de quatre buts par match ! Contre la sélection olympique de Pologne, un but de Coutinho est attribué par erreur à Pelé, ce qui n’empêche pas Coutinho de marquer deux autres buts, puis deux triplés en Belgique. Surtout, Santos remporte le prestigieux Tournoi de Paris, où le « gênio da área » inscrit un triplé en demi-finale contre le Stade de Reims puis un doublé lors de la victoire 4-1 sur le Racing Paris en finale. Pelé termine meilleur buteur de la tournée avec vingt-quatre unités, suivi de près par Coutinho et ses vingt buts. Coutinho découvre la Seleção à dix-sept ans et vingt-huit jours, devenant le deuxième plus jeune joueur à jouer pour le Brésil, dépassé seulement par l’inévitable Pelé. Applaudi dans la défaite en Uruguay, Coutinho est à nouveau titulaire trois jours plus tard pour une victoire 5-1 contre l’Argentine au Maracanã. Coutinho quitte cependant le terrain sur blessure, où il a, selon le journaliste Ary Fortes, été volontairement blessé par Rubén Navarro, qui voulait viser Pelé. Pour la première fois de sa carrière, Coutinho doit être opéré du genou.

Des titres, des buts et des blessures

Le « Feitiço da Vila » revient en fin d’année 1960, aidant Santos à remporter le championnat paulista. Les comparaisons avec Pelé reprennent, provoquant parfois l’agacement de Coutinho : « Je disais aux journalistes : il y a une différence entre nous deux, nous ne sommes pas si semblables dans le style, seulement on est tous les deux noirs. Le pire dans cette comparaison est que quand Pelé ratait le tir, c’était Coutinho qui ratait, et quand Coutinho marquait un but, c’était Pelé qui marquait ». Coutinho marque cependant des buts bien à lui, débutant l’année 1961 par un quadruplé contre Uberlândia avant de récidiver deux semaines plus tard contre Saprissa. Les adversaires sont dépassés, à l’image de Bolero, joueur de Flamengo qui encaisse un 7-1 au Maracanã : « Je n’avais pas encore touché le ballon et Santos menait déjà 2-0. Il y a eu un but où je suis tombé au sol sur un dribble de Pelé et quand je me suis retourné, le ballon était déjà dans le but. Pelé et Coutinho avançaient avec des une-deux à une vitesse impressionnante, la défense de Flamengo n’arrivait pas à arrêter Santos. À la fin, je ne savais plus qui était Pelé, qui était Coutinho ».

Santos effectue une nouvelle tournée en Europe, où Coutinho s’offre un quintuplé contre Bâle, Pelé ajoutant un triplé pour une victoire 8-2 ! Le 11 juin, Coutinho fête ses dix-huit ans en marquant déjà le cent-quarante-troisième but de sa carrière… Dans la foulée, Santos remporte une nouvelle fois le Tournoi de Paris après deux matchs de légende, un 5-4 contre le Racing Paris puis une victoire 6-3 contre Benfica en finale, Coutinho marquant à chaque fois un but. Le Peixe remporte également le Tournoi d’Italie avec une victoire 4-1 sur l’Inter, puis bat Karlsruhe 8-6 avec des triplés de Pelé et Coutinho ! « J’ai déjà dit que Pelé est plus Pelé quand il joue avec Coutinho, qui est celui qui le comprend et l’assiste le mieux », écrit Antônio Guenaga. Santos termine la tournée sur un nouveau record avec quatre-vingts buts en dix-neuf matchs, Pelé et Coutinho terminent meilleurs buteurs à égalité avec vingt-deux buts chacun. Plus que les statistiques ou les titres, Coutinho impressionne par son style singulier. « Coutinho a été le buteur qui a joué de la façon la plus esthétique, car il mettait le ballon hors de portée du gardien, sans effort. C’était un phénomène », explique Zito, le leader vocal de Santos. Pour A Gazeta Esportiva, Constantino Ranieri écrit : « Le touché subtil et intelligent, la bonne passe dans la course ou l’ouverture sur coups de pied arrêté, le positionnement sans ballon, ou mieux, pour recevoir le ballon, le but “vénéneux” capable de démoraliser le meilleur gardien du monde ont fait de Coutinho l’un des plus grands attaquants du monde ».

 

Pelé lui-même considère Coutinho comme le meilleur joueur dans la surface, ce qui lui vaudra plus tard d’être comparé avec un autre grand avant-centre brésilien, Romário, comparaison faite notamment par Didi : « Raffiné dans la finition, Romário a toujours rendu folle n’importe quelle défense. Dans la surface, sa froideur et sa précision m’ont toujours fait penser à Coutinho, le coéquipier de Pelé dans la meilleure phase de Santos. Il faisait des tabelinhas avec Pelé, une fois, deux fois, toujours à haute vitesse. Il effaçait le défenseur avec un dribble court et choisissait son côté. Il mettait le ballon au fond des filets, sans même regarder le gardien. Et Santos continuait sa petite vie, champion un jour, champion l’autre jour aussi ». Santos enchaîne les titres, avec d’abord le doublé championnat paulistaTaça Brasil en 1961. Coutinho continue de marquer des buts, certains exceptionnels comme celui inscrit lors d’une victoire 7-2 contre le XV de Piracicaba, où Coutinho fait quatre jongles de la tête et enchaîne avec un une-deux avec Pelé avant de marquer. En finale de la Taça Brasil, Coutinho marque le seul but de Santos à l’aller, permettant au Peixe d’obtenir un match nul à la Fonte Nova contre Bahia. Au retour, Santos s’impose facilement 5-1 avec un triplé de Pelé et un deux réalisations de Coutinho, qui lui permettent d’atteindre les soixante-dix-huit buts avec Santos au cours de l’année. Coutinho devient également titulaire avec le Brésil, marquant notamment lors des deux matchs la Taça Oswaldo Cruz remportée face au Paraguay. Le « gênio da área » est attendu comme l’un des grands noms de la Coupe du Monde 1962, aux côtés de ses coéquipiers Pelé et Pepe.

Marcelin Chamoin
Marcelin Chamoin
Passionné par le foot brésilien depuis mes six ans. Mon cœur est rouge et noir, ma raison est jaune et verte.