Passé de la lutte pour la montée en Primera à une finale de Coupe du Monde des Clubs en un an puis à la sélection en deux ans, Lucas Alario n’est pas un attaquant comme les autres. Portrait d’un possible futur parisien.

Pieds nus pour aller plus vite

Né à Tostado, du côté de Santa Fe, Lucas Alario grandit à Cuatro Bocas, un pueblo de Santiago del Estero de moins de 200 habitants situé à 45 kilomètres de la maternité qui l’a vu naître. Enfant, Alario tape très vite dans le ballon et, aimant particulièrement jouer pieds nus, « sans chaussures, je me sentais plus rapide, » dira-t-il plus tard. Il joue alors avec ses grands frères et ses cousins, qui ont alors près du double de son âge, mais, comme l’explique son papa à la télévision argentine au lendemain d’une victoire en Libertadores, « n’aimait pas spécialement le football. Il jouait mais préférait bien d’autres choses. C’est lorsqu’il est allé jouer dans un club de Tostado qu’il y a pris goût et a commencé à véritablement aimer cela. » Ce petit club, c’est le San Lorenzo de Tostado avec qui il évolue, habitant alors avec ses grands-parents pour des raisons de proximité de l’école, trainant alors des pieds lorsqu’il s’agit jouer à l’extérieur par manque d’envie de s’éloigner de la maison familiale. Mais Lucas grandit vite, trop vite pour son petit club.

A l’orée de ses 18 ans, l’heure du grand départ arrive, il fait un essai à Colón et intègre alors les équipes de jeunes, se mettant enfin à s’imaginer football professionnel. Le temps va alors s’accélérer. A peine plus d’un an plus tard, Lucas, 19 ans, fait ses débuts en Primera Division, entrant en fin de match lors d’une défaite face à Arsenal. Pendant deux saisons, il grappille quelques minutes, voyant sa saison 2013 perturbée par les blessures et le manque de confiance en lui de son entraîneur d’alors. La fin d’année 2013 est une souffrance pour le Sabalero, plombé par les dettes, miné par les conflits et à la lutte pour sa survie (lire Argentine : suspense et confusion). Lorsque Diego Osella prend les commandes du club pour disputer le Torneo Final 2014, le club est délesté de 10 joueurs, partis chercher herbe plus verte ailleurs et doit s’appuyer sur ses juveniles. Parmi eux, Lucas Alario qui va être installé en pointe. Porté par ses gamins, le club se relève, termine à une incroyable septième place, Lucas Alario inscrit trois buts en 19 matchs, le plus important lors de l’ultime journée du tournoi, celui de la victoire face à Olimpo qui offre sur le fil un barrage pour le maintien. Malheureusement, Colón perd ce desempate face à Rafaela et se retrouve au purgatoire. Qu’importe, Alario, titulaire indiscutable va porter son club en Primera B jusqu’à la dernière journée et ce match décisif face à Boca Unidos, celui de son retour après avoir été écarté sur blessure, au cours duquel il offre la route de l’ultime victoire en ouvrant le score. De retour en Primera Division, le temps va encore s’accélérer.

 

L’objet du désir

Le 20 août 2014, Marcelo Gallardo dirige son quatrième match avec River Plate, un match de Copa Argentina que le Millo remporte aux tirs au but face à Colón. Alario ne le sait pas encore, mais ce match est celui qui va faire naître bien des convoitises. Fidèle à ses habitudes, el Muñeco étudie avec un vidéo-analyste les six derniers matchs de son adversaire. Il remarque alors ce grand attaquant qui se débrouille tout seul devant. Il décide alors de le suivre. Durant la saison, il se renseigne sur ce pibe de Colón, cherche des avis auprès d’anciens entraîneurs, coéquipiers, cherche à connaître son attitude sur le terrain, à l’entraînement, en dehors. Un scan minutieux. Pendant ce temps, Matías Patanian, vice-président de River, discute avec son ami, un certain César Luis Menotti. El Flaco lui dit alors « le meilleur joueur du football argentin, c’est Lucas Alario. » Les intérêts convergent, River se décide alors, nous sommes en juillet 2015, Lucas Alario arrive dans un quasi-anonymat, il ne devrait être qu’un joueur de complément dans un Millo alors commandé par Fernando Cavenaghi et engagé dans un rêve de Libertadores. Mais Alario n’est pas un joueur de complément. Première apparition face à Temperley le 11 juillet. Trois jours plus tard, il est titulaire à la pointe de l’attaque du Millo face à Guaraní en demi-finale. A l’heure de jeu, sa tête permet à Mercado d’ouvrir le score, moins d’un quart d’heure plus tard, il lance Mora pour le 2-0. Au retour, alors que River est bousculé par les Aurinegros, Alario s’en va lober Aguilar pour offrir la finale au club. En finale, alors que cela ne fait qu’un mois qu’il est au club, sa tête plongeante ouvre la voie du titre à River. L’enfant hincha de Boca, ayant pour idole un certain Riquelme, devient le héros d’un peuple rouge et blanc. Lucas Alario, objet du désir d’un Gallardo seul à voir en lui son incroyable potentiel ne fait que décoller.

Au fil des mois passés à River, malgré les blessures, comme cette maudite blessure à l’épaule qui lui vaut un mois d’arrêt, Alario revient, refuse l’opération pour jouer la Coupe du Monde des Clubs au cours de laquelle son but envoie River en finale face au Barça. Alario est devenu en quelques mois un joueur indispensable à River. Buteur des grands rendez-vous, une tradition qu’il entretient depuis son plus jeune âge, celui qui est devenu Pipa à l’époque de son passage à Santa Fe, scelle le score en finale de la Recopa Sudamericana, son dernier titre avec la Banda. Son irrésistible ascension le conduit alors naturellement en sélection. Martino parti, le chantier géant de l’Albiceleste passe par de nouvelles têtes, pour Edgardo Bauza, « Alario est le futur du football argentin. » Lucas Alario fait son apparition lors des septième et huitième journées des éliminatoires, entrant en jeu en fin de match.

Un vrai neuf

L’histoire de Lucas Alario est celle d’un gamin capable d’accélérer le temps. Le temps est précisément ce en quoi excelle Pipa. Ce grand avant-centre longiligne tient son surnom d’une ressemblance présumée avec Higuaín, sur le terrain, il fait surtout penser à un autre ancien buteur passé par River, David Trezeguet. Doté d’un sens du but hors norme, Alario contrôle le temps lorsqu’il est en position de marquer, capable de le suspendre le temps d’une détente ou de l’accélérer pour faire parler la foudre de ses pieds. Lucas Alario est un vrai buteur, un vrai homme décisif qui a déjà prouvé qu’il était taillé pour les grands rendez-vous. Mais Alario n’est pas qu’un buteur, technique, disposant d’un jeu de corps assez bluffant eu égard à son physique, loin des canons de puissance actuelle, doté d’une vitesse rare pour son gabarit, il peut se muer en pivot, en joueur de profondeur, en remiseur, en un mot, il est un poison.

A 23 ans, celui qui est passé des inferiores aux pros en 1 an, de la montée en Primera à une victoire en Libertadores en une autre année, puis à la sélection, devrait encore accélérer le temps en s’envolant pour l’Europe, le PSG se retrouvant désormais principal prétendant. Acheté près de 2M€ par River en 2015, sa côte n’a fait que s’envoler, le montant de sa clause libératoire étant désormais fixée à 18M€. 9 fois son prix d’achat, comme un symbole pour le dernier vrai neuf argentin.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.