Sa tête en finale du Monde est restée ancrée dans les mémoires du peuple albiceleste. À 62 ans, el Tata José Luis Brown s’en est allé après un ultime combat.

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Personne en Argentine n’a oublié la vingt-et-unième minute de la finale de Coupe du Monde 1986. Ce moment où un coup franc de Jorge Burruchaga arrive sur la tête du grand numéro 5 de l’Albiceleste, José Luis Brown, qui inscrit alors son premier (et unique) but international.

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Une deuxième scène arrive immédiatement dans les mémoires du peuple argentin, cette déclaration folle de Tata Brown : « La douleur était insupportable. La première chose que j’ai dite au docteur Madero a été « n’envisage même pas de me faire sortir ou je vous tue ! Je ne sors pas, même mort. J’ai mordu mon maillot, fait un trou pour pouvoir passer les doigts et terminer ainsi. J’avais traversé tant de choses difficiles, il n’était pas question que je quitte cette finale ». José Luis Brown racontait alors comment il avait terminé le match avec l’épaule démise.

Le plus grand guerrier

Cette anecdote résume la carrière mais aussi la vie de Tata Brown, une vie de lutte. Né le 10 novembre 1956, José Luis Brown passe son enfance dans l’escuela-hogar Virgencita de Luján, des sortes d’internats éducatifs, qu’il intègre dès ses trois ans parce que ses parents travaillent toute la journée. Le football se vit pour lui à travers Estudiantes, le club de La Plata situé à 80 km de chez lui qu’il va voir régulièrement en auto-stop. Jusqu’au jour où il réussit un essai et intègre les équipes de jeunes. N’ayant pas les moyens de se payer les allers-retours il trouve d’abord une solution grâce à un transporteur qui le conduit de Ranchos à La Plata, puis intègre la pension d’el Pabellón Demo. Estudiantes sera sa deuxième maison, sa vie : « Estudiantes m’a tout donné. J’ai vécu à la pension, joué avec les équipes de jeunes, eu à mes côtés des gens qui m’ont éduqué. Je suis fier d’avoir porté ce maillot. Estudiantes m’a éduqué humainement et sportivement ».

Sportivement, Tata Brown arrive en équipe réserve à 14 ans, fait ses débuts avec les pros à 18. L’homme qui le fait alors débuter face à River Plate le 16 février 1975 se nomme Carlos Bilardo, c’est le début d’une relation filiale entre les deux. Brown passe huit ans à Estudiantes, est capitaine de l’équipe qui remporte le Metropolitano de 1982, décroche de nouveau le titre en 1983, et dispute 290 matches de championnat (27 buts). Il file alors une saison en Colombie, pour rejoindre l’Atlético Nacional dirigé par Luis Cubillas avant de revenir au pays à Boca. Là encore, sa garra en fait rapidement un joueur aimé des foules, l’image de son visage ensanglanté la faute à une arcade sourcillière qui explose suite à un choc avec Enrique Hrabina reste dans les mémoires. Mais la vie de Tata Brown est un combat contre le destin. Celui qui lui fait subir une blessure au genou, celui qui le voit, à trois mois de la Coupe du Monde mexicaine, libéré par le Deportivo Español avec qui il n'avait joué que trois matchs. « Je n’arrivais pas à marcher, mon genou enflait », racontera-t-il quelques années plus tard, « ce n’était pas de la faute des entraîneurs, ce qui arrive est que lorsque vous êtes au plus mal, vous vous habituez à ne recevoir que des mauvaises nouvelles ». Mais un homme ne l’oublie pas, Carlos Bilardo.

Vaincre le destin

El Narigón lui dit de continuer à s’entraîner, de tenir. Lorsque Daniel Passarella, incertain, est finalement incapable de tenir son poste, Bilardo appelle son guerrier qui prend alors une place dans le onze titulaire. Qu’importent alors les critiques, Tata Brown les fera taire. Oubliée la douleur au genou, Brown vit son rêve, il se conclut en apothéose ce jour de juin avec cette tête qui lance l’Argentine vers sa deuxième couronne mondiale. Sept joueurs seulement ont inscrit un but en finale d’une Coupe du Monde pour l’Albiceleste, José Luis Brown restera à tout jamais l’un d’eux.

Sa belle Coupe du Monde lui ouvre les portes de l’Europe. Il débarque à Brest dans la foulée de la compétition, y reste une saison avant de s’envoler pour l’Espagne puis de rentrer au pays. Après deux Copas América disputées avec l’Argentine, il n’est pas du rendez-vous mondial italien et met fin à sa carrière. Il embrasse alors celle d’entraîneur, aux côtés de Nery Pumpido à Los Andes, de son père Carlos Bilardo à Boca puis après des jeunes à Estudiantes, jusqu’à Sergio Batista avec qui il remporte les Jeux Olympiques de 2008 avec une Argentine dans laquelle évolue Agüero, Messi et autre Riquelme puis une dernière pige au Ferro en 2013.

Viendra alors ce dernier combat contre Alzheimer. Interné dans un hôpital depuis fin 2018, José Luis Brown a donc fini par s’avouer vaincu. Il s’est éteint à soixante-deux ans et laisse l’Argentine orpheline de l’un de ses plus grands guerriers, celui sans qui, pour reprendre les propos de Diego Maradona, « elle n’aurait jamais été championne du monde ».

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.