Nous fêtons cette année les trente ans du Mondial italien, une édition austère, fermée, voire violente pour les uns, bariolée, adepte de retournements de situation et fantasque pour les autres. Question de point de vue. Et parmi la foultitude de grandes nations présentes à la grande messe mondiale, les Émirats arabes unis font figure d’incongruité. Si pour le reste du monde, ce n’est encore qu’une lubie de gens habillés en robe blanche conduisant des bagnoles rutilantes, c’est un acte fondateur pour les Émirats fondés seulement…dix-huit ans auparavant. Retour sur la fierté de toute une nation.

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Qui dit péninsule arabique dit pétrole, constructions mégalomanes, Ferrari dernier cri et chaleur atroce. Il y a un peu de tout ça, oui. Il y a surtout de nombreux pays qui voient le jour après des décennies de « protectorat » britannique qui permettait à la Perfide Albion de sécuriser ses apports en pétrole. En 1971, sept émirats (Abou Dhabi, Ajman, Dubaï, Fujairah, Ras al-Khaymah, Sharjah et Oumm al-Quwayn) décident de s’unir (pour l’anecdote, le Qatar faisait initialement parti de la fédération mais décida de se retirer, initiant ainsi une inimité sourde qui débouchera sur l’embargo et la franche hostilité récemment démontrée) et comptent bien utiliser leurs ressources pétrolières abondantes pour se faire une place dans le concert des nations. Le foot fait donc son apparition et la fédération voit le jour en 1972. Très vite, les Émiratis s’attachent les services d’entraineurs chevronnés après quelques intermèdes locaux ou arabes de deuxième ordre. L’Anglais Don Revie débarque donc en 1977 et posera les jalons du professionnalisme aux Émirats, avec ses méthodes tactiques et autres improvements. Suivront l’Iranien Heshmat Mohajerani, qui qualifiera l’équipe à sa première Coupe d’Asie, et puis surtout les Brésiliens Carlos Alberto Parreira, futur lauréat mondial, et Mário Zagallo. C’est sous la houlette de ce dernier que les Abyad (les Blancs) entament les qualifications du Mondial italien ce 13 janvier 1989.

Succession d’exploits

Les éditions 82 et 86 avaient vu les voisins koweïtien et irakiens devenir les premières équipes de la région à s’inviter au grand rendez-vous planétaire, ce qui, pour les Émiratis, n’était encore qu’un doux rêve. C’est justement le Koweït qui fait figure d’épouvantail dans ce groupe du premier tour composé également des faibles Pakistan et Sud-Yémen. À Kuwait City, les Blancs pensent tenir l’exploit après le doublé de Bakhit répondant à l’ouverture du score d’Al-Suwayed mais Al-Hasawi remet les pendules à l’heure en revenant à la marque puis en arrachant la victoire dans les dernières minutes. Qu’à cela ne tienne, le Pakistan se présente à Sharjah une semaine plus tard et se fait rosser sans ménagement (5-0). Le Sud-Yémen ayant finalement déclaré forfait, la vraie finale se joue le 3 février contre les frères koweïtiens. À la 62e, Al-Talyani fait exploser les Azraq et propulse les siens en tête du groupe. Il ne manque plus que deux points à obtenir à Islamabad, ce sera chose faite avec la manière (4-1) et une qualification au deuxième tour grâce à une meilleure différence de buts.

Le deuxième tour s’annonce, lui, beaucoup plus corsé. Poule unique disputée à Singapour, elle met aux prises la Corée du Sud, présente au dernier Mondial, la Corée du Nord, tombeuse du Japon, l’Arabie saoudite vainqueur des deux dernières Coupes d’Asie, une Chine en pleine progression, et un Qatar ambitieux. Autant dire que personne n’attendait quoique ce soit des néophytes émiratis. Et pourtant… Après un match nul et vierge contre les Nord-Coréens, les Émirats se frottent à la Chine qui joue quasiment à domicile et qui vient d’ailleurs de battre les Saoudiens. Tang Yaodong ouvre d’ailleurs le score à la 61e d’une jolie cacahuète dans la lucarne. On se dit que le match n’échappera pas à Pékin mais à la 87e, Mubarak devance le gardien sur corner et remet les équipes à égalité ! On se dit que les choses en resteront là, mais sur l’action suivant l’engagement, Al-Talyani est trouvé aux abords de la surface, se joue de son défenseur et bat le gardien. Victoire de folie pour les Abyad ! Croyez-le ou non, ce sera la seule victoire des Émirats dans ces qualifications. S’ensuivent deux matchs nuls contre l’Arabie saoudite (0-0) et le Qatar (1-1) avant d’affronter la Corée du Sud lors du dernier match. Défaite interdite, car ils ne possèdent qu’un point d’avance sur la Chine, troisième avec quatre points. Dès la 8e minute, c’est la douche froide. Hwang Bo-kwan ouvre le score après un superbe festival terminé par un gros cachou dans la lucarne opposée (clin d’œil). Sauf que dix minutes plus tard, Al-Talyani s’élève plus haut que le gardien sur un centre lointain et arrache le match nul ! La Chine, battue par le Qatar, ne reviendra pas, les Émirats sont en Coupe du Monde ! Il faut saluer le travail accompli par Zagallo pour faire d’un groupe somme toute moyen une équipe solide pouvant se reposer sur sa star Al-Talyani, ayant performé dans un environnement inhospitalier (Singapour, sa moiteur incessante et ses orages fréquents) contre des adversaires d’un calibre bien supérieur. Et surtout, point ô combien symbolique, tous ces joueurs sont nés avant la création de leur pays. Quel meilleur vecteur que le football pour cimenter une identité nationale.

La belle découverte

Entretemps, Zagallo s’en est allé et Parreira est revenu. Les matchs amicaux, disputés en février 1990 contre des équipes scandinaves accouchent de beaux résultats : ni le Danemark (1-1), ni la Finlande (1-1) et encore moins la Suède (2-1) ne parviennent à battre des Émirats qui se prennent à rêver. Il faut dire que le groupe est jeune (23,6 ans de moyenne d’âge avec un seul trentenaire) et a les crocs pour cette première représentation sur la plus belle des scènes. Seul hic, et non des moindres : le sort leur a réservé un groupe impitoyable composé de la RFA, finaliste des deux dernières éditions, d’une Yougoslavie pétrie de talent et auréolé d’un Mondial chez les jeunes, et la Colombie de Pacho Maturana et du fantas(ti)que Escobar. Autant dire que passer au second tour relève de la gageure.

Malgré tout, les Émiratis sont bien décidés à vendre crânement leur peau. Premier match à Bologne contre les Cafeteros. Les hommes de Parreira tiennent solidement la première mi-temps, laissant peu d’opportunités à une Colombie offensive et joueuse. Mais, inexpérimentés, ils se font avoir dès l’entame de la deuxième mi-temps, Redín catapultant une tête imparable dans les filets de Musa (50e). Valderrama profite d’un contre en fin de match pour inscrire un superbe but, un missile dont il a le secret dans le petit filet du gardien d’Al-Ahli (85e). Les Abyad n’ont certes pas démérité et offert une belle résistance mais ils ont également pu goûter à la différence de niveau avec l’élite mondiale.

Le second match, dans le majestueux San Siro, les met aux prises avec la Mannschaft, véritable machine de guerre, comptant dans ses rangs des monstres tel que Klinsmann, Völler, Matthaüs ou Brehme. La puissance physique des Teutons écrase complètement les pauvres Émiratis. Völler (35e) et Klinsi (37e) offrent un avantage bien mérité aux Allemands. Mais, stupeur ! À l’entame du deuxième acte, Khalid Mubarak profite d’une grossière erreur de la défense pour tromper Bodo Illgner, liesse au pays ! Cependant, les Allemands vont vite mettre un terme aux célébrations avec trois nouvelles réalisations signées Matthaüs (46e), Bein (58e) et Völler (75e). C’en est déjà fini des chances de qualification des Émirats mais ce goal marqué par Mubarak suffit à la joie de tout un peuple.

Le troisième et dernier match, pour l’honneur, leur offre l’opportunité de se mesurer à l’éblouissante Yougoslavie. L’heure n’est pas encore à la tragique implosion pour ce pays et il peut compter pléthore de talents à tous les postes (Stojković, Sušić, Hadžibegić, Pančev, Prosinečki …). Une victoire est impérative pour les hommes d’Ivica Osim et il ne faut que quatre minutes à Sušić pour ouvrir le score, imité quatre minutes plus tard par Pančev. Sauf que, encore une fois, les Émiratis vont mettre le nez à la fenêtre. A la 22e, Ibrahim Meer distille un amour de centre qu’Ali Thani propulse au fond des filets d’Ivković. Deuxième but en trois matchs, on a connu des néophytes plus timides. Malheureusement, les Yougoslaves sont déchainés et inscrivent deux nouveaux buts par l’intermédiaire de Pančev (46e) et Prosinečki (90e).

Ainsi se termine le séjour transalpin des Émiratis, attendus comme victimes expiatoires mais qui seront quand même parvenus à combler leurs supporters. Loin de sonner le glas de leurs espérances, le Mondial permettra aux Émirats de surfer sur une nouvelle vague, finissant quatrièmes à la Coupe d’Asie 92 et deuxième à l’édition 96, échouant d’un fifrelin face aux Saoudiens aux tirs aux buts. Quant à la Coupe du monde, les Émiratis lorgnent encore sur cette lointaine dulcinée. Si jusqu’en 2002, il ne leur manquait pas grand-chose pour y participer, les tentatives suivantes se révélèrent infructueuses, voire embarrassantes. Quant à l’édition 2022, vu la tronche de leurs qualifications, c’est actuellement mal embarqué…

Boris Ghanem
Boris Ghanem
Chroniques d'un ballon rond au Moyen-Orient, de Beyrouth à Baghdad, de Manama à Sanaa, football sous 40 degrés à l'ombre d'un palmier.