En juin, GloboEsporte ouvrait une série d’interviews intitulée Abre Aspas, avec pour le premier épisode, l’interview de Gamarra, qui revient sur sa riche carrière au Brésil (Internacional, Corinthians, Flamengo, Palmeiras) mais aussi sur le Paraguay de la Coupe du Monde 1998 ainsi que des anecdotes sur Edílson, Tévez et Paulo Nunes.

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Gamarra, tu restes certainement dans la mémoire et le cœur de beaucoup de supporters au Brésil. Tu as joué dans quatre des plus grands clubs du pays. Quels souvenirs as-tu du Brésil ? Quelle importance a eu le Brésil dans ton histoire ?

J’ai commencé à connaître les Brésiliens déjà au Paraguay. J’ai eu comme entraîneurs Antonio Lopes et Paulo César Carpegiani, et ce sont eux qui m’ont conseillé à l’Internacional. J’ai un très bon souvenir de l’Inter, je suis déjà arrivé comme une idole. Pour moi, j’arrivais pour gagner ma place, pour être un joueur important, ouvrir ce marché brésilien, mais j’ai été reçu comme une idole dès mon arrivée. Je me suis bien adapté à l’équipe, j’ai joué un an et demi et ça a été une très bonne relation. À partir de ce moment-là, j’ai commencé une carrière totalement différente. L’Internacional a permis mon transfert pour l’Europe.

Tu es ensuite revenu pour jouer dans trois autres clubs ici.

De Benfica, je suis venu au Corinthians, puis à l’Atlético de Madrid, je suis allé au Flamengo un an, puis en Grèce, en Italie d’où je suis revenu à Palmeiras pour pratiquement terminer ma carrière. Pour moi, le Brésil est comme ma maison. Je suis plus souvent reconnu par des Brésiliens que par des Paraguayens.

Sur ces quatre clubs, il y a eu quelque chose de différent, qui a retenu ton attention ?

Au Corinthians. Le Corinthians est le deuxième club le plus supporté au Brésil, et je peux faire cette comparaison avec les supporters du Flamengo, le club le plus populaire, mais ceux du Corinthians sont différents. Le supporter du Corinthians est bien plus passionné. J’ai vécu beaucoup plus de situations différentes ici. J’ai vu les supporters de la Fiel (groupe de supporters, NDLR) envahir le Parque São Jorge plusieurs fois, et on devait aller devant pour parler avec eux. Ce sont des situations que je n’ai pas vécues dans aucune autre équipe du Brésil, seulement au Corinthians. Mais c’est ce qu’il fait que le Corinthians est différent, la pression est bien plus forte. Pour moi, c’est la torcida la plus passionnée des équipes où j’ai joué au Brésil.

C’était au Corinthians l’apogée de ta carrière ?

Je crois que oui. Je suis arrivé dans un bon moment, avec des joueurs qui vivaient la meilleure phase de leur carrière. Ensemble, on était tous dans un très bon moment. Le Corinthians a gagné le Brasileirão, a conservé le titre, a gagné aussi le Mondial des clubs. C’était une très bonne époque. J’étais dans la meilleure phase de ma carrière, je suis allé à la Coupe du Monde en France en jouant au Corinthians.

Mais cet effectif du Corinthians était une bande de fous furieux non ?

C’était plein de fous, il n’y avait que des fous, à commencer par l’entraîneur (rires).

Qui était Vanderlei Luxemburgo.

C’était Vanderlei. Et il y avait beaucoup de grands joueurs. Quand il y a des grands joueurs ensemble, ça occasionne toujours des conflits.

Tu as une anecdote à nous raconter ?

Au Corinthians, il y avait toujours des embrouilles. Une fois, j’en ai vu une entre Marcelinho et Edílson. On s’entraînait au Parque São Jorge, Edílson était déjà sur le terrain et Marcelinho se changeait. Je ne sais pas ce qu’il y a eu dans la presse, ce qu’a dit l’un ou l’autre, mais Marcelinho insultait Edílson dans le vestiaire. Quelqu’un l’a dit à Edílson sur le terrain et il est venu. Au Corinthians, il y avait toujours une petite table où il y avait des pastèques, des pommes et un couteau. Edílson est venu et a pris directement le couteau. « Redis ça devant moi espèce de… » Marcelinho est parti en courant, avec l’autre derrière lui avec le couteau. Et nous essayant de le contenir. C’était des choses qui arrivaient à l’intérieur du club. Grâce à Dieu, ça n’a jamais eu d’influence sur le terrain. Sur le terrain, c’était complètement différent.

Et qui a retenu Edílson ?

Tout le monde était derrière lui, non ? Imagine, les deux sont très rapides (rires). Mais on les a retenus. Il y avait beaucoup de bagarres parce qu’il y a de nombreux joueurs orgueilleux, ça crée toujours des conflits.

En parlant de ça, on dit que lors de la finale du championnat paulista 1999 contre Palmeiras, les jongles d’Edílson étaient préméditées. Tu savais qu’il allait faire ça ? Il vous avait mis au courant ?

Je savais que cela allait provoquer une bagarre. Lors du premier match, je crois que c’était celui de Libertadores, on avait perdu 2-0. On avait joué le mercredi et le dimanche on avait la finale aller du championnat paulista. On avait gagné 3-0 je crois. Puis on joue de nouveau la Libertadores et on perd aux tirs au but. Palmeiras passe et pendant la semaine, il y a déjà une provocation de Paulo Nunes, qui aimait ça. On se disait : on gagne ou on perd, mais on va les frapper. Mais je ne savais pas qu’Edílson allait faire ça. Je crois que le match était à 1-1 ou 2-1, et il fait des jongles. Quand il l’a fait, on savait que ça allait provoquer une bagarre, tout le monde avait l’adrénaline au maximum et le mec te fait ça. C’était pour créer une bagarre.

Au Flamengo, tu as joué longtemps avec des salaires impayés. Cette dette a été payée ?

Je suis arrivé de l’Atlético de Madrid avec une promesse. Normalement, ils achetaient mon passe et signaient un contrat avec moi. Je crois qu’à cette époque Flamengo avait un partenariat.

Avec ISL.

Ils m’ont donné de l’argent avant, puis on a divisé pour ce qui devait être douze mois de travail. J’ai été payé pendant deux mois puis je suis resté dix mois sans rien recevoir. Mais j’ai été très heureux au Flamengo, on s’amusait. Seulement les besoins de ceux qui commençaient leur carrière étaient totalement différents des nôtres, qui avions déjà un peu d’argent de côté. Beaucoup avaient des difficultés. Les employés qu’on aidait revenaient dès le lendemain. Flamengo était dans une crise très importante et un Grec est venu pour dire « je vais te payer, viens avec moi », et j’ai signé à l’AEK, en Grèce. Je suis allé là-bas et j’avais deux années de contrat avec Flamengo. Seulement, à l’époque, ils faisaient tout de travers, même mon contrat ils l’ont fait de travers. J’ai joué un an là-bas et j’avais un match avec la sélection en Suède. À l’heure du dîner, mon téléphone a sonné, mais je ne pouvais pas décrocher. Après le repas, j’ai appelé, c’était mon agent qui disait : « Je t’ai envoyé un fax à l’hôtel, regarde et si ça te plaît, signe et renvoie-le-moi ». C’était un pré-contrat avec l’Inter Milan. Je n’y ai pas réfléchi à deux fois : j’ai signé et je l’ai renvoyé. Et c’est là qu’a commencé mon combat avec Flamengo. Je n’ai pas réussi à me libérer du contrat. Je suis resté trois mois sans jouer, jusqu’à une décision de justice de Brasília pour qu’ils me libèrent. La procédure a duré quasiment onze ans avant de recevoir quelque chose.

Tu as déjà parlé du Corinthians, de l’Inter, de Flamengo. Et Palmeiras ? On a l’impression que ça a été le club brésilien le moins marquant de ta carrière.

Je suis aussi arrivé à Palmeiras à un moment où ils n’étaient pas bien. L’équipe n’était pas très bonne. Les gens ne viennent pas trop quand l’équipe n’est pas bonne. Quand elle est bonne, tout le monde apparaît. Mais Palmeiras m’a bien traité aussi, j’étais heureux dans cette équipe. Seulement, l’entraîneur était chiant. J’ai l’impression que partout où je vais, il y a toujours un mec chiant qui arrive.

Qui c’était ?

Emerson Leão.

Pourquoi il était chiant ?

Il n’aimait rien. Il valait mieux perdre que gagner. Quand on gagnait, il n’aimait pas ça. Il n’aimait pas qu’on gagne. Quand on perdait, il trouvait toujours une excuse, on avait l’impression qu’il était plus heureux. S’il ne se fâchait pas avec nous, il se fâchait avec la presse.

Tu as déjà parlé d’un entraîneur chiant, Emerson Leão, et d’un entraîneur fou, Vanderlei Luxemburgo. Quels entraîneurs ont été les plus marquants pour toi ? Avec qui tu as le plus appris ?

J’ai beaucoup appris avec Vanderlei. Pour moi, c’est l’un des meilleurs entraîneurs pour changer le cours d’un match. Il est pour moi l’un des meilleurs du Brésil et du monde. Quand il faisait un changement, cela avait toujours un impact. On a beaucoup appris avec lui, il travaillait beaucoup tactiquement.

Cela te surprend que lors des dernières années il a été beaucoup critiqué, qu’il est resté longtemps sans travailler ?

Ici au Brésil, il se passe quelque chose qui je crois est une erreur. Vanderlei, partout où il passait, commandait. Il commandait plus que le président. Il faisait tout ce qu’il voulait dans l’équipe. Ensuite, il a un peu baissé, il était en retard par rapport à ceux d’aujourd’hui. Il faut se renouveler. Ils veulent diriger de la même façon, mais avec les jeunes d’aujourd’hui, c’est très compliqué. Les jeunes sont compliqués.

Pourquoi compliqués ? Tu penses que les jeunes d’aujourd’hui sont plus difficiles à diriger ?

Pour moi, ils sont beaucoup plus gâtés. Les entraîneurs criaient sur nous et on se taisait, on ne disait rien. On ne pouvait pas crier. Eux, ils réagissent différemment, c’est une autre génération.

En parlant de génération, le Paraguay n’a plus eu une génération comme la tienne, celle de Gamarra, Rivarola, Arce…

On avait une très bonne génération. On avait joué le championnat sud-américain et on s’était qualifiés pour les Jeux Olympiques de Barcelone. C’était le début d’une génération de sept ou huit joueurs. On a progressé, puis cinq ou six autres sont apparus. On n’avait même pas besoin de s’entraîner ensemble. On arrivait trois jours avant, on jouait et on avait l’impression qu’on s’entraînait tout le temps ensemble. J’ai joué trois Coupes du Monde, 1998, 2002 et 2006. Puis des jeunes qui ont grandi avec nous, comme Santa Cruz, Da Silva, toute cette génération, ont réussi à se qualifier une nouvelle fois, en Afrique du Sud. Ensuite, quand ils sont partis, les problèmes sont apparus, c’était une génération totalement différente. Souvent, on a l’impression qu’ils n’aiment pas le pays, qu’ils n’aiment pas le maillot vu la façon dont ils jouent. Ils ne montrent pas le même amour que notre génération. Cela devient un problème grave au Paraguay. Le Paraguay a quatre, cinq joueurs qui jouent dans des tournois compétitifs. Le reste joue au Mexique qui, pour moi, n’est pas une référence. C’est un bon pays pour gagner de l’argent, mais le football n’est pas compétitif, et 60 ou 70 % de nos joueurs internationaux jouent là-bas.

Et Gustavo Gómez et Balbuena que nous connaissons si bien ?

Gustavo a très bien débuté en Argentine, il était très jeune et a été transféré au Milan AC. C’est dommage qu’il ne se soit pas bien adapté, mais le football italien est très difficile. C’est très tactique et très physique. Grâce à Dieu, il a réussi à Palmeiras et est arrivé dans un championnat compétitif, où il joue beaucoup. Au début, je me rappelle qu’il ne jouait pas, maintenant il montre le niveau qui est le sien, c’est un très bon joueur. On espère que Balbuena retrouve ce niveau. Il s’est blessé, il est maintenant de retour et je pense que ce serait un duo idéal pour la sélection, mais il faut qu’ils se trouvent. Le dernier match où ils étaient ensemble, contre les États-Unis, n’a pas été bon, mais ils ont la capacité de s’améliorer.

Gamarra, à quel point étiez-vous proches de battre la France lors de la Coupe du Monde 1998 ? Tu as déjà revu ce match ?

Jamais. Je n’ai jamais revu ce match. Je ne sais pas si on était proches. Tout le monde dit « vous étiez proches de battre la France », mais mon souvenir c’est que j’avais l’impression de jouer contre un mur. Tu tirais dans le ballon, et il revenait. À un moment, tu vas commettre une erreur permettant qu’ils marquent. On n’avait pas la capacité de les tenir au milieu, c’était attaque-défense. On a tenu, beaucoup tenu, avant de commettre une erreur.

Cela a été le seul but en or de l’histoire de la Coupe du Monde. Vous ne pensez pas être les seules victimes d’une règle qui a duré si peu de temps ? (en réalité, trois matchs de la Coupe du Monde 2002 se sont terminés sur un but en or, NDLR de GloboEsporte)

Ça a été horrible. Si tu prends un but à la 90e minute, tu peux au moins aller au milieu de terrain, reprendre le match et avoir au moins une chance d’attaquer. Quand tu prends ce but-là, tout est fini. Il y a un silence, se regardant les uns les autres sans comprendre ce qu’il s’était passé, celui qui gagne célèbre et l’autre pleure. Grâce à Dieu, cette règle a été abolie, car elle est très injuste, très cruelle pour le joueur.

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Tu as joué les dernières minutes contre la France avec une épaule démise. Tu étais en condition pour jouer ?

On joue parce qu’on a cet amour-propre. Ça s’est passé à la 75e minute. Le médecin m’a dit : « Tu t’es luxé l’épaule, tu vas sortir ». J’ai dit : « Je ne vais pas sortir, je ne vais pas sortir ». Du coup, il a dit : « Je vais essayer de remettre l’épaule à sa place ». Il m’a pris le bras et a commencé à le bouger. Il y a eu ce bruit. Quand la seconde période s’est terminée, j’ai dit à Carpegiani : « Si vous voulez me changer, vous pouvez ». « Tu vas tenir le choc ? » « Je vais tenir ». « Donc tu vas jouer ». Et j’ai continué à jouer. Le problème c’est que je ne pouvais plus sauter. Je sautais, mais c’était très difficile, parce qu’on utilise beaucoup le bras. Je n’arrivais plus à bien sauter mais au moins, j’ai terminé le match.

Et c’est devenu l’image de l’héroïsme d’une sélection qui a été adoptée par beaucoup de personnes, non ? Beaucoup aimaient cette sélection du Paraguay.

Oui, parce que la caractéristique de cette sélection, c’était cela, l’envie qu’avaient les joueurs, la combativité, et sur ce match c’était évident ce que l’on était.

Qui tu vois jouer aujourd’hui et qui te paraît semblable à toi ?

Il y a beaucoup de bons joueurs, non ? On n’est jamais pareils, mais il y a des défenseurs qui arrivent au bon moment, comme Sergio Ramos. Le mec a l’air mauvais, il met des coups à tout le monde, mais quand le Real Madrid a le plus besoin, il arrive pour marquer un but, faire une passe décisive. Je l’aime beaucoup, ainsi que Thiago Silva. J’aime sa façon de jouer.

Qui t’a appris à tirer les coups francs comme défenseur ?

Personne, c’est quelque chose qu’on fait naturellement.

Tu n’avais pas envie de frapper quelqu’un, de faire une faute de temps en temps ?

Dans ma vie, je n’ai frappé qu’une seule fois, et je l’ai regretté ensuite.

Qui c’était ? Comment ça s’est passé ?

C’était lors de la finale des Jeux Olympiques (2004), l’Argentine contre le Paraguay. J’ai pris le ballon dans la moitié de terrain, près de la ligne, pour le protéger et j’ai senti que quelqu’un me gênait derrière, j’ai mis mon corps en opposition, il est revenu au contact et à la troisième fois, quand il est venu, j’ai mis mon coude dans son visage. L’arbitre ne m’a pas expulsé, car il était grec, et je jouais en Grèce. Ce qui m’a fait le plus mal c’est que le mec m’a dit : « Gamarra, tu n’as pas besoin de faire ça avec moi. Tu es un type qui sait jouer au foot ». Cela m’a fait plus mal que le coup de coude que je lui ai donné pour lui.

C’était sur Tévez.

Sur Tévez, oui. Il m’a dit que je n’avais pas besoin de faire ça. Et il avait raison, il n’y avait pas besoin, mais sur le moment, j’ai perdu le contrôle.

Tu en as reparlé après avec lui ?

Je ne l’ai jamais revu depuis.

Mais il y a eu un Corinthians – Palmeiras, lui au Corinthians, toi à Palmeiras.

Oui, mais là, ce n’est pas très amical (rires).

Que signifie pour toi d’avoir été élu meilleur défenseur central de la Coupe du Monde 1998 ?

D’abord, je me suis préparé pour cela. Quand j’ai quitté le Corinthians, j’étais très bien. On était allés jouer la Copa Kirin au Japon, puis on avait fait la pré-saison aux Pays-Bas. On avait fait une excellente pré-saison puis je m’étais préparé pour ce Mondial, pour faire quelque chose de différent. Grâce à Dieu, tout s’est bien passé. Quand on a été éliminés, on m’a dit que je n’avais fait aucune faute. Je ne le savais même pas.

Puis cette série a continué…

Ensuite, je suis revenu au Corinthians, jusqu’à faire une faute.

Tu te souviens de ta première faute après la Coupe du Monde ?

Comment je pourrais l’oublier ? Vanderlei disait : « Fais une faute gringo, fais une faute, ou un jour tu vas te faire dribbler, on va se prendre un but et les supporters vont dire que tu voulais conserver le record ». J’ai fait une faute sur Guilherme. La balle est arrivée en l’air, Guilherme a sauté et je l’ai poussé pour que l’arbitre siffle une faute.

Mais tu as fait faute parce qu’il y avait besoin ou tu voulais en finir avec ça ?

Je voulais en finir, c’était très chiant.

Cela te faisait souffrir ou te gênait de faire des fautes ? Tu cherchais à ne pas faire de fautes pour une question d’idéologie ?

Ce n’est pas une idéologie, mais le défenseur central est quasiment en derrière ligne. Faire une faute près de la surface implique un danger. C’est pour ça que j’essayais toujours de ne pas faire faute, d’anticiper l’action. Mais chacun naît avec une capacité et l’améliore ensuite.

Tu as affronté dans les années 1990 et 2000, quelques-uns des meilleurs attaquants de l’histoire, Romário et Ronaldo par exemple. Quels attaquants étaient les plus difficiles à marquer ?

Ronaldo était très fort. Je l’ai défendu lors de la Copa América en Bolivie. C’est un mec qui se place vingt centimètres devant toi, lui prendre le ballon est quasiment impossible à cause de la force qu’il a. Romário était très difficile à défendre, parce qu’on avait l’impression qu’il ne voulait pas jouer, il parlait avec les défenseurs, mais sur le premier ballon qui arrivait, il y avait déjà but. Ces deux-là, au Brésil, ont été très compliqués.

Et dans le monde, il y en a eu d’autres ?

J’ai défendu sur de grands joueurs. J’ai défendu sur Drogba, quand il commençait à Lyon, lors d’une Ligue des champions avec l’Inter (NDLR : lors de la confrontation Marseille – Inter Milan en Coupe de l’UEFA 2004). Et Ibrahimovic, j’ai joué contre lui en sélection. Il est aussi très fort, très technique, il gêne énormément.

Dans un duel imaginaire entre Gamarra et Messi, Gamarra arriverait à marquer Messi ?

C’est compliqué. J’ai vu tant de matchs de Messi, tant de buts, je dis toujours : « Comment ils n’arrivent pas à défendre sur lui s’il ne fait qu’entrer vers l’intérieur, jamais vers l’extérieur ? ». Il ne va pas vers la droite, seulement sur la gauche. Et personne n’arrive à l’arrêter, je ne sais pas ce qu’il a. Tu sais qu’il ne va pas dribbler vers la droite, c’est toujours vers la gauche. Je ne sais pas si j’arriverais à le prendre, parce qu’il est très rapide. Le ballon reste collé à son pied.

Gamarra, pourquoi tu as si souvent changé de clubs alors que, généralement, ou même toujours, les supporters t’appréciaient ?

Dans la plupart des cas, par nécessité du club. L’Inter avait besoin de vendre un joueur et m’a vendu au Benfica. De Benfica au Corinthians, j’ai été une nouvelle fois acheté parce qu’il fallait un départ, João Pinto, qui était une idole au Benfica, ou moi. La banque Excel a financé le transfert. D’ici, la même chose pour l’Atlético de Madrid. Pour moi, c’était bien, parce qu’à chaque fois qu’on changeait, ça déstabilisait la famille, les enfants, mais j’allais toujours dans une meilleure équipe en Europe. Je n’ai jamais joué dans une équipe faible.

Les passages à Benfica et à l’Atlético de Madrid ont été frustrants pour toi ?

À Benfica, non. J’étais très bien, je jouais tous les matchs, seulement je me suis aperçu que je gagnais le salaire d’un jeune qui montait chez les professionnels, et j’avais un contrat de quatre ans, restant quatre ans avec le même salaire, gagnant moins que les jeunes lors de leur première année professionnelle. J’ai rencontré celui qui allait être mon agent et je lui ai dit : « S’il y a quelque chose, transfère-moi ». Et le Corinthians est arrivé. Je gagnais plus au Corinthians qu’à Benfica, ça aurait dû être le contraire, j’aurais dû gagner plus en Europe. À l’Atlético, c’était différent. On était très bien, on avait une bonne équipe, un bon entraîneur, Ranieri, une équipe pour jouer du milieu au haut de tableau. Seulement, à l’époque, il y avait un contrat à l’intérieur et à l’extérieur. Le président de l’Atlético de Madrid, Jesus Gil y Gil était fou. Il disait que le Roi était ci ou ça, il défiait le président, il défiait tout le monde.

Et il a été emprisonné.

Oui. Un jour, on s’entraînait et cinquante voitures de police sont arrivés et ont pris le club. On pouvait seulement réclamer l’argent de l’intérieur. Et la crise a commencé à l’Atlético de Madrid, c’était un mec de la Justice qui gérait le club, un est parti, l’autre ensuite, puis le club a sombré.

L’Atlético de Madrid a été relégué.

Oui, il a été relégué pour cela, plus les problèmes du propriétaire avec la justice.

C’est drôle, tu parais très calme, mais partout où tu vas, on dirait que tu tombes sur un fou.

On rencontre beaucoup de tarés dans la vie, pas seulement dans le football. Je suis calme ici, mais demande comment j’étais sur le terrain, j’étais très agité. Mais c’est bien, il faut un fou pour rire un peu et pour raconter les histoires que l’on raconte.

En parlant de fous, c’est vrai que tu as partagé un immeuble au Portugal avec Paulo Nunes et Jardel ?

Paulo Nunes, Carlos Miguel, Arilson, Jardel. Les mecs étaient fous. Paulo est venu un mois avant moi à Benfica. Dans l’ancien stade, on entrait par le tunnel et chacun avait une place avec son numéro. En montant les escaliers, il y avait une double porte et c’était déjà le vestiaire. Quand Paulo entrait calmement, prenant ses affaires et disant « et alors gringo, tout va bien ? », c’était parce qu’il avait dormi à la maison. Quand il arrivait en force, en shootant dans la porte et disant « gringo, j’ai une blague sur les Portugais… » Le vestiaire était blindé de Portugais, et il faisait une blague sur les Portugais. Il arrivait heureux, en criant. Il était fou, mais tu ne pouvais rien lui dire, parce que quand il entrait sur le terrain, il marquait son but.

Et Adriano Imperador ?

J’ai joué un peu avec lui au Flamengo. Ensuite, je suis allé à l’AEK puis à l’Inter. Il est venu cette année-là à l’Inter, mais il a été prêté à Parme. Il a explosé et il est revenu avec nous l’année suivante. C’était une idole, l’Imperador, il était exceptionnel. Puis, je ne sais pas ce qu’il s’est passé, il a quitté l’Inter pour renaître au Brésil.

L’impression de beaucoup ici au Brésil est qu’il aurait pu suivre la lignée de Romário et Ronaldo. Parce que Ronaldo a remplacé Romário et depuis nous manquons d’un avant-centre.

Il aurait pu être celui-là. Je crois qu’il a mis un terme au poste d’avant-centre de surface, il n’y en a quasiment plus. La majorité sont des ailiers, qui viennent de plus loin.

Paulo Roberto Falcão dit qu’un joueur meurt deux fois, la première quand il arrête de jouer. Comment ça a été pour toi, d’arrêter ta carrière ?

Après la Coupe du Monde 2006, j’avais encore un an de contrat avec Palmeiras, mais j’ai dit : « Je ne veux plus jouer ». J’ai rompu mon contrat et je suis rentré chez moi. Un jour, deux jours, trois jours, une semaine à la maison, je voulais aller dans un endroit et ma femme voulait venir avec moi, je ne savais pas que les enfants étaient malades, qu’il fallait les emmener à l’école. Un mois s’est écoulé et j’ai dit : « Il faut que je rejoue ou tout va se terminer ». J’ai rejoué six mois plus tard. J’ai rejoué un an, j’ai arrêté et c’est terminé. Je ne veux plus jouer. Je vais à un match et on me dit : « Tu n’aimerais pas être là ? ». Je dis non. Je n’aime plus ça, j’ai perdu l’excitation que j’avais pour le football. J’aime le suivre, je suis mon équipe, la sélection paraguayenne, mais jouer, plus jamais.

Tu as commencé ta carrière au Cerro Porteño et tu l’as terminée à l’Olimpia. Comment c’est possible ? Qui supportais-tu ?

Je viens d’une famille qui était de Guaraní. Seulement, quand j’ai commencé à jouer chez les jeunes du Cerro, ils ont tous changé. Je suis de Cerro, j’ai grandi ici. Je crois que j’ai joué trois ans au Paraguay, ça a été trois ans qui ont beaucoup marqué les supporters du Cerro. Je suis revenu et j’avais quasiment signé un contrat avec le Cerro, le salaire n’était plus un problème. Je voulais seulement jouer pour terminer dans l’équipe qui était mon équipe. Le président est arrivé et il a fait une déclaration pour dire que je devais faire un test pour voir si l’entraîneur acceptait. Imagine, à 36 ans, faire un test ? Un test de quoi, de vétérans ? Je lui ai dit : « Il n’y a plus besoin, tranquille ». Puis, un médecin de la sélection, m’a appelé pour prendre un maté à la maison. Il était inquiet et je lui ai dit : « Qu’est-ce qu’il se passe docteur ? ». « Oscar Vicente, le président d’Olimpia, veut te parler ». J’ai dit : « Docteur, tu es fou ? Je suis cerrista, qu’est-ce que je vais lui dire ? ». « Ça fait quinze jours qu’il me soûle, je devais te le dire. On y va ? » Et moi, « non, non », puis il a fini par me convaincre, et je suis allé chez lui. Il m’a demandé combien je voulais pour jouer à l’Olimpia et j’ai lancé un autre sujet. Trois fois il a demandé et j’ai esquivé la question à chaque fois. Il a pris un carnet, un stylo et il a dit : « Écris combien tu veux gagner ». J’ai écrit un chiffre très important pour voir ce qu’il allait dire. Il a dit : « C’est seulement ça que tu veux ? ». Il m’a tendu la main et m’a dit : « Soit le bienvenu à l’Olimpia ». Et je suis devenu un joueur d’Olimpia. Même ma famille ne le savait pas. Je suis allé prendre un maté et je reviens avec un contrat. Jusqu’à aujourd’hui, je m’entends très bien avec les gens de l’Olimpia, mais parmi ceux du Cerro, certains me détestent. Ça fait partie du jeu, non ?

Quand tu as reçu l’offre de Palmeiras, avec l’histoire que tu avais au Corinthians, cela a été semblable ?

J’ai d’abord demandé : « Pourquoi pas le Corinthians ? ». Et on m’a dit qu’il n’y avait pas d’intérêt du club. J’ai attendu un peu, pour voir si arrivait une offre du Corinthians, mais elle n’est pas venue et j’ai signé à Palmeiras.

Les supporters t’ont dit quelque chose ?

Jamais. Jamais. J’avais un peu peur. Lors du premier match au Pacaembu contre le Corinthians, j’avais un peu peur que les supporters me sifflent, mais l’accueil a été très bon.

Tu n’as jamais été tenté par l’idée d’être sélectionneur ou président de la fédération, quelque chose qui puisse favoriser la trajectoire du football paraguayen ?

Entraîneur, non, je crois que c’est très difficile. Imagine mener trente mecs. À la maison, avec la femme, c’est déjà difficile, imagine avec trente mecs qui pensent différemment. Mais j’aime beaucoup le côté de la direction, seulement c’est très difficile au Paraguay. Les présidents qui arrivent et partent ont toujours des schémas avec leurs amis, de ne pas prendre les bonnes personnes pour défier l’entraîneur ou même le président. C’est pour cela que la fédération paraguayenne ne fonctionne pas et ne va pas fonctionner. Les trois clubs qui se sont qualifiés en huitième de finale de la Libertadores sont passés grâce aux présidents, qui ont beaucoup d’argent. Ce n’est pas grâce au football paraguayen, qui est très mal.

Que fais-tu aujourd’hui ?

Je travaillais comme dirigeant au Rubio Ñu jusqu’à l’année dernière. J’ai passé dix ans dans l’équipe et aujourd’hui j’arrête. Je vais voir ce qui arrive prochainement.

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Une dernière question Gamarra, qui sera peut-être difficile à répondre. S’il y avait une demi-finale de Libertadores ou de Coupe du Brésil qui réunissait le Corinthians, l’Internacional, Palmeiras et Flamengo, qui supporterais-tu ?

Bordel, c’est difficile.

Mais il faut répondre.

(Rires) Je crois que, bordel… J’irais avec l’Inter.

Pourquoi ?

Parce que ça a été ma première équipe. Et je crois que, parmi les quatre, c’est l’équipe avec le moins gros profil. Palmeiras a fait de bons transferts, Flamengo aussi et le Corinthians a cette tradition, il gagne parce qu’il est habitué à gagner, pas parce que c’est une bonne équipe mais parce qu’il est habitué à gagner, il s’impose sur le terrain. São Paulo a une meilleure équipe, il est mieux structuré, mais le Corinthians le bat parce qu’il est le Corinthians, il est habitué à gagner.

 

Traduction, Marcelin Chamoin pour Lucarne Opposée

Marcelin Chamoin
Marcelin Chamoin
Passionné par le foot brésilien depuis mes six ans. Mon cœur est rouge et noir, ma raison est jaune et verte.