En n’ayant pas pu s’imposer face à Singapour par trois buts d'écart, la Thaïlande ne verra pas le troisième tour des qualifications pour le prochain Mondial. Plus de quatre mois après une coupe d’Asie convaincante, le pays du sourire fait de nouveau face à ses démons.

Les visages défaits et les corps ballants, nous sommes le mardi 5 juin au stade Rajamangala de Bangkok, lorsque les joueurs thaïs viennent de comprendre que le troisième tour des qualifications se fera sans eux. Comme à leur habitude, ces derniers se dressent, tant bien que mal, devant le public pour s’excuser. Le capitaine et leader, Theerathon, prend le microphone, le regard perdu, afin de remercier les fans et de demander pardon. Face à eux, des spectateurs dépités, se demandant comment leur nation n’est guère parvenue à gagner par trois buts d'écart, contre le souffre-douleur du groupe, Singapour. La déception est à la hauteur des immenses espoirs que cette équipe a suscités lors de la dernière Coupe d’Asie. Cette contre-performance remet en lumière des problèmes cachés sous le tapis depuis beaucoup trop longtemps.

Une défense lunatique

Composée du duo Kritsada-Dolah contre Singapour, la défense centrale thaïlandaise n’a jamais été synonyme de stabilité, ni de sérénité. Une multitude d'arrières ont été testés, pour tout autant de combinaisons. Résultat des courses, des joueurs qui n’ont aucune connexion naturelle et qui manquent d’automatismes. Suphan, Pansa, Jakkapan, Sasalak… Tout autant de jeunes talentueux, mais aux profils tellement similaires, bons techniquement, intelligents, plutôt classes, mais avec si peu de caractère. Tout cela donne des prestations qui oscillent entre le grandiose et le grotesque. Sur les côtés, la légende Theerathon est le seul à montrer de la rage, du vice et un minimum de personnalité. Il semble bien seul. Enfin, comment ne pas parler de l’absence de Mickelson lors de ce funeste match. Le joueur d’Odense est devenu en peu temps beaucoup trop important, au point que sans lui, l'équipe semble baisser de deux niveaux. C’est dire.

La problématique Chanathip

Quand Mano Polking faisait de Chanathip son totem et le joueur phare de son onze de départ, Masatada Ishii, lui, préfère en faire un joueur de rotation. Contre la Chine, il y a une semaine, les supporters ont dû se frotter les yeux pour réaliser que leur meneur de jeu était sur le banc, l'entraîneur nippon lui préférant l’ailier, Jaroensak. Chanathip fait partie de cette race de joueurs en voie de disparition, ces 10 rappelant les belles années quatre-vingt-dix. Malheureusement pour lui, son talent est aussi devenu un casse-tête pour Masatada Ishii. Ce dernier estimant que toute l'équipe doit être modifiée si le joueur de BG Pathum est sur le terrain. Cette problématique fait tache et met en lumière l'incapacité de la Thaïlande à valoriser les joueurs d’exception qu’elle possède en son sein.

Une attaque sans avant-centre

On dit souvent que les hommes mentent mais pas les chiffres. Allons-y donc pour le quart d’heure statistiques. Lors du match contre Singapour, les Thaïs ont tiré trente-cinq fois au but, dont treize cadrés, pour seulement… trois réalisations. Si ça peut prêter à rire, cela en dit long sur le naufrage du trio Supachai, Mueanta, Supachok. Les trois jeunes joueurs ont encore une fois manqué d'efficacité, malgré une activité incessante. Il est évident que ce boys band représente l’avenir de la sélection. Toutefois, ils ne sont tout simplement pas de purs attaquants, comme Teerasil Dangda, le dernier représentant à ce poste, âgé de trente-six ans. Derrière lui, un quasi désert dénué de numéro neuf. Nombreux sont les techniciens locaux à avoir alerté sur ce problème et comme d’habitude, peu de choses concrètes ont été faites. Si la Thaïlande est éliminée, c’est aussi par manque de réalisme et sang-froid devant le but, couplé à de l’inexpérience dans la justesse, ainsi que l'incapacité à être clinique au bon moment. Teerasil va prendre sa retraite et, par manque d’anticipation, la sélection se retrouve à devoir composer avec de très jeunes éléments, comme Poramet Arjvirai ou encore Teerasak Poeiphimai.

Une politique sportive brumeuse

Maintenant, se pose la question de l’avenir et comme toujours avec les Changsuek, rien ne semble voué à une quelconque stabilité. Quelques mois après son élection, la présidente Nualphan Lamsam n’a toujours pas annoncé son plan de bataille pour les années à venir. Les craintes sont fortes, quand on connaît la précarité sur laquelle cette sélection vogue depuis des années. En 2021, le projet Nishino, du nom de l’ex-entraîneur, s'était fracassé sur le mur de l’arrogance de ce dernier. Fin d'année dernière, son successeur, Mano Polking, a fait les frais de combinaisons politiciennes, et a été sacrifié quelques jours avant une compétition continentale. Qu’en sera-t-il de Masatada Ishii ? L'entraîneur japonais a fait chavirer les cœurs dès son arrivée avec un jeu offensif, une communication chaleureuse et une coupe d’Asie convaincante. Or, l'élimination contre Singapour souligne certaines de ses carences, sur le plan tactique notamment. Malgré cela, il va probablement rester jusqu'à la prochaine AFF Cup en fin d'année, faute d’alternative possible et histoire de ne pas démarrer une énième fois, sur un nouveau projet.

Comme en 2019, le chantier est absolument dantesque pour la nouvelle présidente. Retour à la case départ donc, et la nécessité de faire face à un échec retentissant, résultat de visions court-termistes qui ont toujours fait stagner la Thaïlande.

 

Photo : MANAN VATSYAYANA/AFP via Getty Images

 

Jonathan Branger
Jonathan Branger
Rédacteur et correspondant foot Thaï pour LO