Arrivé en Tanzanie pour s’occuper de la Future Stars Academy d’Arusha, l’opération découverte des conditions et du contexte local se poursuit. Voyage au cœur de la culture foot du peuple massaï.
Episode 1
Arusha l’occidentale
Sans vraiment chercher à faire de cours d’histoire, il est quand même important de remonter un peu le temps pour comprendre le contexte dans lequel s’est développé la ville d’Arusha et la mentalité qui s’y est développée. C’est d’ailleurs un nom qui ne vous est peut-être pas étranger si vous êtes amoureux de voyage, car c’est le point de départ des Safaris et des ascensions des volcans Mont Meru et Kilimandjaro. Mais également si vous êtes passionnés de droits, car Arusha a abrité pendant de très nombreuses années le Tribunal Pénal International pour le génocide Rwandais.
À l’origine Arusha est une ville massaï qui servait de lieu d’échange entre les différentes communautés pastorales et agro-pastorales de la région. Les colons allemands ont ensuite pris possession des lieux à la fin du XIXe siècle avant que les Anglais ne se l’approprient en 1916. Il faut dire que sa position à l’intérieur des terres en fait un point stratégique intéressant, surtout que les comptoirs maritimes de Dar-Es-Salam et de Mombasa (au Kenya) étaient déjà aux mains des Arabes depuis des siècles, et que même s’ils étaient aussi sous la joute coloniale, leur contrôle devait être très compliqué. Au fil du temps, la ville est devenue un haut lieu diplomatique. C’est ici que la déclaration d’indépendance de la Tanzanie a été signée en 1967, et c’est également ici que la Communauté Économique d’Afrique de l’Est a établi son siège. Quel est le lien avec le football, vous allez me dire ? En fait c’est un point crucial pour moi dans l’évolution de mon projet avec la Future Stars Academy. Car même avant mon départ et depuis mon arrivée, quelque chose me perturbe. Comment une académie de football, à l’époque des transferts et du marketing sportif, en est venue à construire son modèle sur la charité ? Ça tranche tellement avec ce que j’avais pu voir jusque-là dans les autres pays, même si dans le fond, l’intention sociale n’était jamais loin... En fait cette influence occidentale anglo-saxonne est vraiment ancrée dans l’esprit des gens de la ville, où des marrées de touristes déferlent en continu chaque jour. De plus, la charité à l’américaine n’a pas le même visage que l’humanitaire à la française. Les « French Doctors » ont ouvert une piste en envoyant des éléments expérimentés sur le terrain-là quand les américains préfèrent envoyer des fonds et des jeunes volontaires qui se font la main. Nuisible pour son développement ? Probablement, mais cela n’engage que moi. Qui bride son indépendance ? Là par contre c’est une certitude.
Football à l’anglaise
Pour ce qui est du football, cette influence anglo-saxonne apporte son lot d’avantages. Le premier point, et pas des moindres, ce sont les pelouses... Ok, ce ne sont pas des billards, mais tout de même... Ça tranche avec les synthétique et les terrains en sable ou en latérite qui sont la norme en Afrique de l’Ouest. On en retrouve un peu partout, dans les écoles, les hôtels. Le climat est favorable, et l’abondance d’eau le permet. Mais ça traduit quand même une volonté de permettre la pratique de football sur sa surface originelle, le gazon.
Et puis parfois vous tombez sur des perles... Comme le terrain du quartier d’Ilboru sur les hauteurs de la ville. L’équipe première de l’académie y jouait un match amical contre une équipe qui joue la ligue régionale. Difficile de se concentrer sur le match tant la beauté du lieu respire la sérénité. Des dizaines d’athlètes qui s’entrainent, des gamins qui jouent au basket sous le regard des Massaïs dans leurs tenues traditionnelles. Une carte postale avec le volcan en arrière-plan. Plusieurs minutes me seront nécessaires pour reprendre mes esprits et me plonger pour de bon dans le match.
Beaucoup de physique et de kick and rush d’un côté, et du notre... de l’envie, de la technique est une recherche permanente de la possession de balle. Ça leur permet d’ailleurs de compenser la différence d’âge (la plupart des joueurs ont 17 ans). Un joueur du milieu de terrain se distingue rapidement à mes yeux. Sa vision de jeu aiguisé et son centre de gravité très bas lui permettent de se distinguer des autres, et puis quelle puissance. Son nom : Ahmed Seleman. Il est la version Tanzanienne de Shaqiri. Rien de surprenant d’apprendre qu’il était en équipe nationale mais est à peine trop vieux pour la CAN U17 à domicile en février prochain, dommage.... Mais cette équipe a du talent. Ça me conforte dans ma volonté de créer un tournoi international. Il y a des talents à mettre en évidence, c’est une certitude.
“Wana Utalii” – les Touristes
L’équipe de la ville, Arusha United SC a été promue en deuxième division (la Ligi Daraja la Kwanza en VO) après plusieurs saisons dans une troisième division régionale. Coup de chance pour moi, je suis au stade pour leur premier match à domicile, dans une affiche qui les oppose aux Rhinos Rangers de Tabora. Pour l’événement, le club a essayé de marquer le coup en animant les tribunes et en offrant l’entrée qui était pourtant annoncée à 2000 shillings tanzaniens (0,75€) dans les médias. Même si ces petits groupes de supporteurs éparpillés aux quatre coins du stade étaient probablement rémunérés, ils n’ont cessé de chanter et de danser pendant les quatre-vingt minutes, mi-temps en bonus !
Une fois dans le stade, le folklore peu commencer, première élément marquant, « le parking » situé entre la tribune et la pelouse, avec un nombre incalculable de voiture qui arrivent jusqu’à tard dans le match et se gare au bord de la piste d’athlétisme ! Il faut dire qu’avec un stade situé au cœur de la ville, il n’y a pas beaucoup d’alternatives... Les vendeurs d’arachide se promènent dans la tribune en monnayent les cacahouètes à la cuillère ou au bouchon pour quelques centimes (servi directement dans la main !). Comme c’est l’heure du gouter, on peut aussi se procurer du Chaï (Thé épicé fait à base de lait), avec des petits gâteaux... Tout pour se sentir comme à la maison, à moindre frais, et sans avoir à quitter sa place.
« Les touristes », le surnom de l’équipe parviennent cependant à faire monter la température grâce à une bonne performance sur le terrain. Malgré un style de jeu très austère, basé là aussi sur un kick and rush en direction du duo d’attaquant plutôt convaincant. Ils parviennent à ouvrir le score en première mi-temps et faire lever la tribune principale une première fois. Sans avoir une multitude d’occasion, le publique s’enthousiasme sur chaque geste technique, poussant les joueurs à des passements de jambes souvent inutiles. L’égalisation des Rhinos en début de seconde période a calmé un peu tout le monde, mais les « touristes » se sont mis à pousser fort en fin de match, jusqu’à parvenir à s’offrir la victoire sur un coup de pied arrêté. Les joueurs peuvent aller parader en ville dans le bus du club derrière une voiture « sono ». En même temps qu’ils partagent leurs joies, ils informent la ville de leurs victoires très encourageante pour la suite du championnat. Il y aura peut-être plus de monde la prochaine fois, et ce n’en sera que mieux.
Le Derby de Dar-Es-Salaam au cinéma
Comme s’il était écrit qu’il fallait que cette semaine soit un concentré de la présentation de toutes les facettes de son football, le lendemain, j’ai droit à ce que la Tanzanie peut offrir de plus beau en la matière: le derby de Dar-Es-Salaam. Fruit de la rivalité entre les deux immenses clubs du pays Simba SC et Yanga (Young Africans), ce match arrive un tout petit peu trop tôt dans mon séjour pour que je puisse envisager de faire le voyage à la capitale. Qu’importe, la passion que déchaine ces deux équipes est nationale, je n’aurai pas de mal à trouver un endroit pour suivre le match dans un univers de passion exacerbée.
Direction un « cinéma », endroit populaire au possible pour suivre les matchs de foot. On en retrouve partout en Afrique, et les soirs de grands matchs c’est la garantie d’avoir une grosse ambiance. On avait d’ailleurs eu l’occasion de vous faire partager la finale de ligue des champions 2016 dans un cinéma de N’Djamena. Il faut bien sûr s’acquitter des 500 shillings d’usage et se trouver une place. Ce qui ne sera pas simple vue que la salle est pleine. Le proprio est même obligé de rajouter des bancs en urgence. Forcément mon entrée ne peut pas se faire en toute discrétion et je me fais rapidement viser par un rasta fan de Yanga qui a le verbe facile et qui le prouvera tout le long du match. Sur l’écran, pas grand-chose à se mettre sous la dent en première mi-temps si ce n’est un but des Lions (Simba en swahili) signalé hors-jeu qui permet de jauger la part de fans de chaque équipe. Clairement l’avantage est au rouge de Simba.
En deuxième mi-temps, Simba fait le siège du but adverse, sans jamais parvenir à marquer, la faute à une défense hermétique au possible et un gardien plutôt bien inspiré. Le match est chaud avec quelques échauffourées sur le terrain qui mettent aussi le feu dans la salle. Un dernier frisson dans les dernières minutes, mais Beno, le gardien de Yanga, sera finalement l’homme du match incontestable. Les fans de Yanga peuvent scander son nom fièrement et chambrer leurs adversaires. Au coup de sifflet la salle se vide en un éclair de temps, la déception des rouges est immense. Il faut dire que leur début de saison est catastrophique avec déjà une défaite et deux nuls. Ils doivent regretter que l’aventure ne se soit pas poursuivie avec Pierre Lechantre qui les a emmenés au titre la saison dernière. Sans vouloir faire l’oiseau de mauvais augure, l’entraineur belge Patrick Aussems peut commencer à faire ses valises. On n’est pas du genre patient quand il s’agit des deux géants du football tanzanien.
Rendez-vous en terre inconnue
Au programme de ma semaine, il y avait aussi la découverte d’une activité « grassroots » soutenue par Future Stars Academy en partenariat avec une ONG. L’objectif est de réunir les enfants des communautés massaï de la région d’Arusha autour d’un tournoi de foot entre leurs écoles. Ce jour-là, James, un membre de l’académie avait pour mission d’arbitrer deux matchs. J’en ai profité pour l’accompagner et prendre la mesure du football auprès des jeunes massaï, qui m’avait-on dit à Dar-Es-Salam il y a cinq ans, ne jouent pas au foot !
Nous prenons la direction du Nord dans un dala dala (grand monospaces de 12 places rempli bien au-delà de la limite). Une grosse demi-heure plus tard on descend au milieu de nulle part, dans un décor qui ressemble à des steppes, où l’école située au bord de la route est la seule construction humaine visible. La rumeur de l’arrivée d’un Munzungu (blanc) se propage rapidement dans le grand bâtiment où les salles de classes se succèdent. Ils sont contents d’avoir un invité et ça se voit. Les sourires de ces écoliers en uniformes verts arrivent jusqu’à leurs oreilles. Les plus audacieux viennent même entamer la conversation avec moi, me glisse un petit « mambo » (« comment ça va » en Swahili) entre deux éclats de rire de leurs camarades.
Quelques instants plus tard, la « cloche » sonne (en fait un énorme bout de métal accroché à un arbre. Certains élèves disparaissent en prenant des chemins qui semblent mener nulle part, alors que d’autres commencent déjà à s’agglutiner autour du terrain de foot, qui malgré ses trous, son sable et ses touffes d’herbes, est magnifique. Merci le cadre, encore une fois merveilleux, dans lequel il est situé. Deux tribunes, qui ressemblent davantage à des escaliers qui ne mènent nul part rappellent que c’est une arène sportive ou un spectacle va se dérouler.
Les deux équipes de l’école se mettent en tenues et commencent leur échauffement pendant que le proviseur/entraineur gonfle les ballons. À ma grande surprise, l’une des deux équipes est féminine. Quelques instants plus tard, les adversaires d’une autre école arrivent. Le spectacle va pouvoir commencer. J’arrive à prendre un peu de hauteur en grimpant sur les premières branches d’un eucalyptus pour pouvoir faire quelques images (à Lucarne Opposée, on aime les défis, et les documentaires en font partie !). Je n’attends qu’une seule chose : voir un but pour pouvoir assister à l’explosion de joie de ces enfants, qui en Afrique, a toujours une innocence et une intensité incomparable. Cela n’arrivera pas dans le match des filles.
À chaque mi-temps, je change de position. Quand arrive le match des garçons, je me retrouve dans la « tribune » au milieu des gamins. Malgré la distraction que je provoque, ils n’en restent pas moins concentrés sur le match, et n’oublient pas d’encourager leurs camarades. Certains joueurs font preuve d’un talent indéniable. De bon augure pour voir un jour un Massaï faire briller haut les couleurs de sa culture sur un terrain de foot européen. Finalement un but sera marqué, et j’aurai droit à mon petit « kiff », qui est à la hauteur de mes espérances. Le match se finit sur une victoire des locaux. Les perdants du jour sont ramenés vers la sortie de l’école sous les chants chambreurs des enfants encore présents. Pas forcément fair-play, mais c’est ça aussi le foot et la compétition. Et c’est de bonne guerre. Avant de rentrer, je profite des quelques minutes qu’ils me restent pour faire un petit test de géographie avec l’aide des cartes dessinées sur les murs. La géographie j’aime ça, et plusieurs d’entre eux aussi apparemment !!
Et les entrainements dans tout ça ? Ils ont bien eu lieu, mais à ma grande déception je ne suis toujours pas fixé à une équipe, après avoir eu les U13, je me retrouve avec les U7 la séance suivante et les U15 celle d’après... Difficile de créer des liens avec les enfants dans ces conditions.... Mais on y reviendra dans le prochain épisode !
Par Pierre-Marie Gosselin à Arusha