Pour boucler mon premier mois, j’ai planifié un séjour à Dar-Es-Salaam avec Alfred, le président de l’académie. Si l’objectif principal est d’aller démarcher de potentiel sponsors pour les événements à venir, au fond de moi, ma motivation première est d’aller assister au match de qualification de la CAN contre le Cap Vert. Un match où la victoire est obligatoire pour les Taïfa Stars, quatre jours après la cuisante défaite à Praia 3-0.
Episode 1 - Episode 2
« Dar », ça se mérite
Il n’y a « que » 620 kilomètres entre Arusha et Dar-es-Salaam, pourtant il nous aura fallu une journée entière en bus pour y arriver. Avec un départ à l’aube j’espérais pourtant y être en fin d’après-midi et pouvoir aller faire un tour à l’hôtel des joueurs avec le secret espoir de pouvoir interviewer Mbwana Ally Samatta. Manqué ! La nuit est tombée alors qu’il restait encore plus d’une centaine de kilomètres à parcourir et c’était sans compter sur le trafic de plus en plus dense en approchant de la capitale. Sans regret malgré tout, car le trajet m’a permis de découvrir des paysages somptueux qui classent définitivement ce pays parmi les destinations inévitables, entre montagne verdoyante, savane et palmeraie à huile (sic). Le tout sur une route impeccablement entretenue, où seul les dos d’âne en amont des villages ralentissent notre voyage. Arrivée à Dar-Es-Salaam, l’humidité se rappelle à moi pour bien marquer le changement de climat et la différence d’altitude. Pourtant, mon sourire est inamovible sur mon visage. Cinq ans après, je retrouve cette ville que j’ai tant aimée et inexplicablement je suis heureux.
Une nouveauté est tout de suite visible : les huit lignes du Métrobus qui traversent la ville. C’est un vrai booster pour le développement de la ville, car il fluidifie sacrément la circulation. Pour le blanc que je suis, c’est aussi un moyen de ne pas me faire arnaquer dans les transports en commun privé (Dala-dala pour les bus ou Boda-Boda pour les motos). Le lendemain, je pars à l’assaut de la ville. Ma mémoire à l’air de bien fonctionner, du coup je pars à l’aveugle pour chercher une accréditation pour le match du soir. Direction le marché central de Kariakoo, mon ancien QG, où je sais que depuis là-bas, la distance à moto pour aller jusqu’au siège de la fédération ne sera pas trop grande, idéal pour négocier.
Accrédité média
Tout content de voir un blanc s’intéresser à leur équipe, il ne sera pas difficile pour moi d’obtenir le précieux sésame, pelouse et/ou tribunes de presse me sont proposés. Un « todo accesso », qui rappelle encore une fois que c’est en France que Lucarne Opposée à le plus de mal à voir s’ouvrir les portes des coulisses du foot... Le coup d’envoi est à 17h (11h Swahili, car oui, ils ont un autre format d’horloge). Il me reste quelques heures à utiliser avant de me rendre au stade, j’essaie de les mettre à profit dans ma recherche de sponsors et dans l’apprentissage du Métrobus qui n’est pas aussi évident que cela au final !
Un peu avant 15 heures, en ayant l’impression d’être en retard, je prends la direction du stade. Toujours avec la même tactique : Métrobus + moto. Et ça marche bien. Il me faudra moins de 30 minutes pour apercevoir le toit du stade. Une fois encore je suis heureux. Rien n’a changé en cinq ans, et mes repères sont intacts. Je sors fièrement mon badge média. Pour la première fois, je me dirige vers les coulisses de ce beau stade « made in China ». Le dossard CAF sur les épaules, une carte SD vide dans mon téléphone, une autre dans mon appareil photo, me voilà déjà sur la piste d’athlétisme à faire un premier tour d’honneur. Ça me permet de prendre la température avant l’arrivée des joueurs pour l’échauffement. Un coin de tribune est déjà en mode « boîte de nuit » avec un DJ qui passe des tubes de Bongo Flavor et enflamme les jeunes massés derrière lui.
Contrairement au Kenya ou au Bénin qui ont opté pour la gratuité du stade pour être sûr d’avoir une ambiance tonitruante (avec succès, respectivement contre l’Éthiopie (3-0) et l’Algérie 1-0)), la fédé tanzanienne fait confiance à la passion débordante de ses supporters. Un léger échec vue l’affluence qui flirt plutôt avec les 20000 dans un stade qui peut en contenir trois fois plus. Mais peu importe au moment où les joueurs rentrent sur la pelouse, le rugissement est tonitruant.
Les joueurs s’échauffent sous le regard du coach nigérian Emmanuel Amunike qui ne respire pas la sérénité, seul sur son banc. Samatta emmène la troupe en bon capitaine. On voit tout de suite dans le regard du joueur de Genk qu’il est déterminé à remettre son équipe dans le sens de la marche et maintenir l’espoir d’un retour à la CAN 39 ans après.
Que le spectacle commence
Les jeunes qui portent les drapeaux pénètrent sur la pelouse et le protocole peut commencer. Les hymnes, les salutations, le toss, tout se passe dans les temps pour un coup d’envoi à 17 heures pile. Dès que les photos des équipes sont prises, les photographes se précipitent sur les confortables chaises de bureau positionnées derrière les panneaux publicitaires. Forcément il n’y en a pas assez pour tout le monde et je fais partie des « victimes ». Je suis de toute façon aussi bien assis sur le tartan de la piste d’athlétisme. Avec du matériel d’amateur, ce ne sera pas facile de pouvoir faire du travail de pro, mais peu importe.
Mbwana Ally Samatta, qui porte fièrement le brassard de capitaine avec son maillot orné du numéro 10, donne le rythme aussi bien en attaque qu’en défense. C’est lui qui est à l’origine des premières occasions tanzaniennes dans un début de match dominé par le Cap Vert, avec notamment une frappe de Garry Rodriges qui flirte avec le poteau au quart d’heure de jeu. À la 20e minute, l’ailier du Diffa El Jedida, Simon Happygod Msuva, oblige Barros Admilson à utiliser ses bras pour défendre et offre un penalty aux Taifa stars. Le capitaine prend le ballon et reste calme face aux provocations des Requins bleus qui essaient de le distraire. Malheureusement pour lui, la panenka qu’il tente s’écrase sur la barre. Le public ne lui en veut pas et lui fait rapidement comprendre en l’acclamant sur chacune de ses touches de balle. Ce qui est sûr c’est que ce raté ne le fait pas sortir de son match, moins de dix minutes plus tard, sur un rush tout en puissance venue du côté gauche, il délivre une offrande pour Simon Msuva qui n’a plus qu’à pousser le ballon au fond des filets. Le stade explose, Samatta savoure mais n’est pas rassasié. À la 38e, il déborde cette fois-ci côté droit et centre en force pour Msuva, toujours lui, mais ça passe de peu à côté.
La fin de la première mi-temps approche et les Cap Verdiens font le forcing pour revenir, ils verront même un ballon repoussé sur la ligne par un défenseur tanzanien après un corner. Le milieu de terrain tanzanien est en grande difficulté et Amunike profite d’un temps mort pour replacer ses troupes et éviter à son équipe la sanction suprême. La mi-temps est sifflée, on a quinze minutes pour traverser le stade avec notre chaise !
Samagoal superstar
Au retour des vestiaires, Amunike n’hésite pas à faire deux changements très rapidement, et fait rentrer coup sur coup l’attaquant de Simba John Bocco et le jeune milieu de vingt ans de Yanga qui vient de Zanzibar, Feisal Salum. Des choix offensifs qui payeront rapidement. Avant l’heure de jeu, Mbwanna Ally Samatta est enfin récompensé de ses efforts. Après un une-deux avec Mudhatir Yahya, il reprend la balle au point de pénalty d’un extérieur du pied qui cloue le gardien Cap Verdien sur ses appuis. Le stade est en fusion, le speaker peu se la jouer Decibel Bellini. Les joueurs sont littéralement portés par le public. Cette transe collective va durer une éternité pour les Requins bleus qui ne parviennent pas à sortir la tête de l’eau. Samatta remercie déjà le ciel. Il ressent comme moi cette communion avec le public et il sait qu’il donne de la joie à tout le pays... Il reste pourtant plus d’un quart d’heure à jouer. Le temps pour John Bocco de rater une tête, mais devant le virage simbasi, on lui pardonne tout. Il faudra un long temps mort suite à une blessure d’Aishi Manula, le gardien, pour mettre un terme à cette euphorie collective.
Comme il était écrit que cette soirée devait être exceptionnelle, une partie des projecteurs s’éteignent alors qu’il reste presque dix minutes à jouer en comptant les arrêts de jeu. Les joueurs continuent de jouer dans une ambiance tamisée. Spontanément les supporteurs allument les lampes torches de leurs téléphones. Rapidement le stade se transforme en ciel étoilé et le restera pendant de longues minutes. Une ambiance exceptionnelle.
En conférence de presse, Emmanuel Amunike reste mesuré et sobre dans ses propos, il n’oublie pas de remercier le public qui est venue malgré la cuisante défaite quelques jours plus tôt. Il exhorte tout le monde de continuer de travailler pour arriver à ce rêve un peu fou de participer à la CAN.
Du néant fédéral...
Le lendemain, je retourne au bureau de la fédération, mais cette fois avec Alfred. Deux rendez-vous sont au programme avec le directeur des compétitions et le directeur technique national pour parler de la Chipkizi cup. Un grand tournoi grassroots que l’académie organise mi-décembre. C’est aussi pour moi l’occasion de lancer l’idée de mon tournoi international des académies à la fédération.
Tout ce qui est dit avec le directeur des compétitions est très prometteur. Il semblerait même que pour la première année, la fédération prenne part à l’événement de manière officielle. Il faut dire que ce serait quand même dommage pour eux de ne pas profiter d’un événement qui offrira des dotations de la fondation du PSG. Ils passeraient à côté de quelque chose, rien qu’en terme d’image. Mais Alfred me le rappelle en sortant : il faudra attendre pour juger. La diplomatie tanzanienne fait que l’on a tendance à aller dans le sens des réponses qu’on veut entendre, sans forcément les mettre en pratique.
Le deuxième rendez-vous avec le DTN sera beaucoup plus instructif. En plus d’assister Amunike, il est également le coach des U17 qui participeront à la CAN organisée ici même. Il est aussi un ami d’Alfred. Comme ils ne se sont pas vus depuis sa nomination dans l’instance fédérale, ils ont beaucoup de choses à se raconter... Ils parlent d’abord du cas d’un joueur international de Future Stars Academy. Jerry, qui était titulaire à la pointe de l’attaque des Serengeti Boys, avait passé avec succès le test de l’IRM ici. Mais il a eu la mauvaise surprise d’être exclu avant le tournoi qualificatif de la zone (la Tanzanie y a participé même si leur statut d’hôte les qualifie d’office). Cela faisait suite à une contre-analyse de la CAF venue du Japon. Ça confirme que ces tests IRM sont très aléatoires en fonction de qui les analyse et qu’il faudra bel et bien que la FIFA trouve une autre solution pour venir à bout de ce phénomène de triche sur l’âge.
Puis, ce que j’entends ensuite est d’une tristesse absolue. Si je suis conscient des réalités du terrain du foot africain et même plutôt bien rôdé avec des expériences au Tchad ou le Bénin, je n’imaginais pas que le « football à la base » tanzanien partait de si bas. Tout le système est à mettre en place, en commençant par le recensement des éducateurs, des formateurs, des entraineurs et même les académies... Il faudra à ce jeune DTN beaucoup de patience et de courage pour mener à bien ce travail pharaonique. Car ce n’est pas en obligeant les clubs de première et de deuxième division à avoir une équipe U20 et U17 que cela va avancer. La parade a déjà été trouvée. La preuve, Arusha United a demandé à Future Stars Academy de lui mettre à disposition ses deux équipes pour pouvoir être en règle. Dans les faits, les jeunes de FSA n’ont aucun contact avec l’équipe d’Arusha, ils porteront juste leurs maillots à l’occasion, quand ce sera nécessaire.
...à l’espoir de Azam FC
L’après-midi sera beaucoup plus positive avec la découverte du club de Azam FC et de leur complexe de Chamazi. Le club crée en 2007 dispose de ses propres infrastructures en périphérie de Dar-Es-Salaam. Il faut dire qu’il a appartient à l’une des familles les plus puissantes du pays qui a fait fortune dans l’agro-alimentaire. Le foot étant un moyen idéal pour promouvoir leur marque, leurs produits, et leur chaîne de TV (qui offre au football une place de choix dans sa grille des programmes). Le projet Azam Football Club est même une grande réussite puisque le club est aujourd’hui au niveau sportif des géants Simba et Yanga et participe régulièrement aux coupes continentales. Ils ont même décroché le titre de champion en 2014. Mais ce qui fait la richesse de ce club et le différencie des autres, c’est son académie. L’unique de ce niveau dans le pays.
Mais c’est un bon modèle, car Chamazi dispose de tous les équipements nécessaires. Il rivalise largement avec ce que j’ai pu déjà voir à Sol Beni à Abidjan où à Right to Dream au Ghana. À la différence qu’il dispose également d’un stade. Même si les tribunes ressemblent davantage à des échafaudages, il répond à toutes les normes pour un rendu optimal à la télévision. Les pros et les jeunes se côtoient au quotidien dans cet environnement très calme qui pousse au travail. L’idéal.
Il y a en tout plus quarante académiciens internés répartis en deux catégories d’âges (U17 et U20). Mais il faut aussi ajouter les jeunes qui habitent à l’extérieur et qui permettent à Azam d’avoir toutes les catégories, y compris en préformation. Il n’y a aujourd’hui que des techniciens locaux, mais plusieurs étrangers sont passés par là. Et comme toujours, le modèle TP Mazembe plane au-dessus de ce projet.
Future Stars a réussi à placer deux joueurs chez les U20 depuis l’an dernier, dont un défenseur qui compte déjà cinq apparitions avec les pros. Pour eux le changement depuis Arusha a été important, notamment dans la quantité des entrainements et le travail à la salle de musculation. Mais heureusement pour eux ce n’est pas arrivé trop tard, car c’est une étape indispensable pour pouvoir espérer partir un jour de la Tanzanie... C’est dire le travail qui nous reste à faire avec nos jeunes à Arusha !
Mon séjour à Dar-Es-Salaam arrive déjà à son terme. Pour le retour, ce sera en avion. Et oui les prix sont plus abordables, car le circuit touristique c’est Safaris puis Zanzibar, les vols pour retourner à Arusha ne sont pas sujet à l’inflation liée au tourisme, et sont donc abordables. En bonus je fais escale à Zanzibar. Pas le temps de descendre de l’avion malheureusement, mais ça ne m’empêche pas de profiter de la mer turquoise depuis le hublot... De toute façon, je reviendrai, il y a aussi pas mal de foot là-bas à découvrir et à vous partager!
Dans le prochain épisode je parlerai des jeunes de Futures Stars et de nos entraînements, il y a déjà plein de choses à dire, et avec la Chipkizi cup qui approche, une grande source de motivation !
Par Pierre-Marie Gosselin à Dar-Es-Salaam