À moins d'un mois de son coup d’envoi, la tenue de la Copa América n’a jamais été aussi menacée.

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Depuis deux bonnes semaines, la situation en Colombie est extrêmement tendue. À la pandémie mondiale et ses conséquences sanitaires et économiques, s’ajoute en effet une profonde crise sociale qui traverse le pays. La Colombie est animé par les violents affrontements entre manifestants et forces de l’ordre et le climat social n’est en rien compatible avec la tenue d’une compétition continentale. Nouvelle preuve avec les rencontres de Copa Libertadores de la nuit dernière. Ne voulant surtout pas bousculer son calendrier, la CONMEBOL fait fi de tout contexte qu’il soit sanitaire ou social. C’est ainsi qu’en plein milieu d’une nouvelle journée de manifestations aux quatre coins du pays, elle a maintenu avec force les rencontres organisées sur le territoire colombien. Et s’est ainsi offert une humiliation continentale.

Contexte social explosif

À Barranquilla, Junior accueillait River au Romelio Martínez au milieu du chaos. Car pendant que le match était maintenu, à l’extérieur du stade, les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre redoublaient de violence. C’est ainsi que le match s’est disputé au son des bombes lacrymogènes, des cris voire des coups de feu et a même été un temps interrompue, les gaz lacrymogènes arrivant sur le terrain. « C’était un moment compliqué car on ne peut pas faire abstraction de ce qui se passe. Il est anormal de jouer au milieu d’une situation aussi instable par rapport à ce que vit le peuple colombien, ce n’était pas normal avant et pendant le match » a ainsi déclaré Marcelo Gallardo à l’issue du match. Des joueurs de River qui, selon certaines sources sur place, ont même eu droit à du reggaeton passé dans les vestiaires pour couvrir les bruits de la foule à l’extérieur du stade. Et certains journaliste albicelestes de faire un parallèle avec Argentine 78…

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À Perreira, Nacional devait affronter l’Atlético Nacional. Un match que les Uruguayens n’ont d’abord pas voulu disputer dans un climat de manifestations dont l’intensité a redoublé après la mort de Lucas Villa, un manifestant victime de plusieurs tirs, voulant des garanties de sécurité. Une rencontre maintenue par la CONMEBOL, qui a même reculé le coup d’envoi d’une heure, contraignant de fait le Bolso à se présenter au stade. Et recevoir une leçon de morale de la part de Diego Haro, l’arbitre péruvien de la rencontre demandant à ce « que ce soit un bon match, le primordial est que ce match soit une grande partie de football, laissons de côté ce qu’il s’est passé », provoquant une réponse cinglante de Gonzalo Bergessio « nous avons besoin qu’il y ait un peu plus d’empathie de leur part ». Mais la CONMEBOL a gagné, le match s’est disputé, sa Libertadores avance...

Crise sanitaire

À ce contexte social explosif, s’ajoute donc la crise sanitaire. Ce mardi, 5491 nouveaux cas ont été répertoriés à Bogotá, 5008 mercredi. Pour la deuxième journée de rang, le nombre de décès liés à la COVID-19 a été supérieur à la centaine. Fernando Ruiz, ministre de la santé, a fait part de sa préoccupation ce mercredi vis-à-vis de la situation sanitaire, notamment à Bogotá, parlant de « situation critique ». La Colombie se retrouve ainsi à devoir affronter une nouvelle vague, la maire de Bogotá, Claudia López a même rappelé qu’il n’y aurait pas de football dans sa ville, « nous n’avons pas la capacité de vivre, encore moins pour le football. Ayons un peu de sens », avant cependant de devoir se résigner : « Je n’organise pas la Copa América, je ne peux donc pas surprendre un tournoi que je n’organise pas ». La situation sanitaire est tout aussi dramatique en Argentine. Comme nous l’indiquions il y a quelques semaines, la deuxième vague épidémique touche aussi les terres albicelestes et le gouvernement d’Alberto Fernández, qui avait déjà émis des doutes sur la possibilité d’organiser la compétition, a mis en place de nouvelles mesures (restriction de circulation, suspension des activités sociales, réunions en plein air de plus de vingt personnes, activités sportives avec un maximum de dix personnes, couvre-feu et interdiction de toute activité en salle).

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Menaces des joueurs et sponsors

Alors la CONMEBOL résiste. Ce mercredi, alors que le climat social et sanitaire est dramatique, elle publiait tranquillement l’hymne officiel de la compétition, son président Alejandro Domínguez appelant à ce que celui-ci « transmette cette force, ces émotions ». Une CONMEBOL qui appelle ainsi à ce que le continent vibre, associant le hashtag #VibraelContinente quand son président est certain que « toute l’Amérique du Sud et le monde seront infectés par sa joie et son rythme ». Le choix des mots…

Pourtant, malgré son aveuglement à vouloir avancer qu’importe la situation, la CONMEBOL pourrait se voir être obligée à changer son fusil d’épaule. Car certaines parties prenantes commencent à émettre quelques doutes. Invité de l’émission 2 de Punta, Edinson Cavani a ainsi déclaré : « Je crois que c’est une irresponsabilité terrible. La situation sociale importe peu, celle vis-à-vis du virus non plus. […] Nous n’avons aucun droit de vote, ce sont des choses qui sont décidées par quelques personnes. Qui sommes-nous ? Des singes qui doivent suivre les ordres ? Je pense que la situation ne permet d’être tranquillement à faire ce qu’on nous dit de faire. On pourrait voir la situation d’une autre manière. C’est une situation particulière, il faut voir les choses autrement. Ils ne pensent pas à la santé des gens, des footballeurs ».

Suffisant pour faire plier l’instance suprême du football sud-américain ? Pas certain. En revanche, selon El Tiempo, trois des sponsors les plus importants de la Copa América auraient dit à la CONMEBOL qu’ils ne souhaitent pas participer à un tournoi organisé dans un pays où la situation est si compliquée et où les questions concernant les droits de l’homme se posent. Ces dernières semaines, les rumeurs grandissent autour d’une délocalisation de l’épreuve, évoquant le Paraguay voire le Chili. Une réunion serait prévue ce jeudi pour évoquer l’avenir de cette étrange Copa América…

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.