Alors que la sélection a mis fin à une malédiction, que River et Colón en ont fait de même, l’année argentine pourrait avoir scellé l’écart qui se creuse entre son football et celui du rival auriverde. Voici venue l’heure du bilan, celui qui continue de souligner les paradoxes du football albiceleste.

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Sélection : enfin le sacre

Vingt-huit ans. Tel est le temps qu’il aura fallu attendre pour voir l’Argentine A décrocher enfin un titre majeur. C’en est fini de la malédiction qui touchait l’Albiceleste, qui touchait la génération Messi. Pour cela, elle est revenue de loin et a d’abord su reconquérir son public. À la manière d’un Didier Deschamps qui a su fédérer derrière sa sélection, Lionel Scaloni, sur qui peu de monde pariait sur la durée, en a fait de même avec son Albiceleste. Il aura pris le temps, quelque peu tâtonné au départ, mais a fini par construire un groupe soudé et surtout cohérent, visant le même objectif. Alors que l’Argentine ressemblait à un laboratoire (un chantier) permanent avant lui, en cette année de Coupe du Monde, tout suiveur est capable de donner le onze-type de la Scaloneta, nouveau surnom d’une sélection qui rassemble enfin de nouveau. Sur le terrain, elle s’est appuyée sur des hommes clés : Emi Martínez dans les buts, Cuti Romero devant lui, un trio au milieu association parfaite de garra et de technique, une liberté totale donnée à Messi, capitaine enfin véritable leader. 2021 a été l’année d’une montée en puissance et de l’acquisition de certitudes. Il reste évidemment quelques chantiers, les latéraux notamment, mais si l’Argentine venait à retrouver un lustre mondial en novembre prochain, sa nouvelle obsession, l’histoire retiendrait que l’acte de naissance a eu lieu un an plus tôt.

Cela s’est manifesté par une Copa América totalement maîtrisée. L’Argentine a d’abord montré quelques limites sur le plan de la régularité, débutant ses matchs avec un vertige rare, avant de s’écrouler physiquement, puis acquérant au fil des matchs une capacité de gestion de ses ressources pour culminer à un contrôle parfait d’un Brésil pourtant bien plus sûr de lui en début de compétition. Et a donc rebattu les cartes de la zone. La victoire du Maracanã a ainsi fait sauter la chape de plomb qui écrasait les épaules de la génération Messi et a libéré une sélection devenu ensuite véritable machine. Les éliminatoires ont confirmé cette nouvelle dynamique, seul le Venezuela parvenant à faire trembler les filets de Dibu Martínez lors des sept matchs qui ont suivi, et l’Albiceleste est déjà en mode préparation de Qatar 2022 où elle pourrait bien être la meilleure chance sud-américaine. Impensable il y a encore un an et demi…

Compétitions continentales : arbres et forêts

Sept équipes en Libertadores, six en Sudamericana. Si l’Argentine partage quelque chose avec le Brésil, c’est l’omniprésence de ses formations dans les compétitions continentales. Mais cela s’arrête là. Car si l’on coupe les arbres River et Boca, la forêt argentine n’est pas différente de celle des autres pays de la zone : bien moins solide que la brésilienne. Cela suffit pour résister lors de la phase de groupes de la Libertadores, aucun de ses membres y participant ne restant sur le carreau, mais dès qu’il s’agit de croiser un concurrent auriverde, les clubs argentins se retrouvent dans la même situation que n’importe quel club du continent : à des années-lumière. Defensa y Justicia a été balayé par Flamengo après avoir terminé les groupes à six points de Palmeiras, River Plate a reçu une leçon de l’Atlético Mineiro après avoir bouclé sa campagne de groupes derrière Fluminense, Racing n’a pas résisté bien longtemps à São Paulo en huitièmes. Il y a eu certes Boca, totalement volé par l’arbitrage face au Galo, mais le bilan est bien maigre. Alors, comme le fait par exemple l’Uruguay, l’Argentine retiendra ces histoires folles qui peuvent jalonner une compétition où la lutte pour le titre devient chaque année de plus en plus difficile. Celle de River battant Santa Fe avec seulement onze joueurs dont un Enzo Pérez blessé aux ischios dans les buts restera sans aucun doute la plus incroyable de toutes. Mais elle ne peut aussi cacher que l’Argentine avance sur un fil, que l’équilibre est précaire. On rappellera par exemple que River doit sa qualification pour les huitièmes de finale à l’incapacité de Junior à marquer face à un Santa Fe éliminé lors de l’ultime journée du groupe.

En Sudamericana, le bilan n’est guère plus réjouissant. Évacuons d’entrée le cas San Lorenzo, symbole de cette Argentine des clubs capable de ne rien savoir gérer comme il le faut (même si le Ciclón a offert la qualification à Rosario Central en s’imposant au Chili face à Huachipato), pour le reste, la phase de groupes a été globalement décevante, à l’image de Talleres dont on attendait bien mieux malgré un groupe, il est vrai, sans doute le plus relevé. Mais là encore, dès que le destin a mis un Brésilien sur la route, l’aventure s’est terminée, Santos sortant Independiente dans un choc aux parfums de Libertadores, Bragantino dominant Central en quarts. Alors que l’épreuve a été rendue quasiment invisible par la CONMEBOL, l’Argentine n’en retiendra sans doute pas grand-chose. Alors qu’elle devrait tout de même s’inquiéter de l’écart qui n’en finit plus de se creuser avec l’autre géant de la zone.

Championnat : River surpuissant

L’un des éléments qui nuit au développement du football argentin reste bien évidemment son incompréhensible championnat. Le gel des montées et descentes a bloqué le retour à vingt qui permettrait d’offrir un peu plus de compétitivité, les vingt-six équipes qui ont participé en 2021 ont ainsi disputé deux tournois. Une Copa de la Liga d’abord présenté comme un championnat, une sorte d’Apertura avant de devenir vulgaire coupe que la plupart des géants ont boudé, se focalisant sur la Libertadores, et un « véritable » championnat pour animer la deuxième partie de saison.

Une formule totalement folle qui pourtant souligne à quel point l’Argentine aime les paradoxes. Car de ce grand n’importe quoi a émergé du football. Celui d’abord de Colón, emmené par un milieu de terrain Aliendro – Castro mêlant jeu et combat et un Pulga qui n’a cessé de rappeler que ce qui fait l’essence du football argentin est cet amour romantique pour les poètes, qui a ainsi triomphé d’un Racing chantre de l’anti-football durant la période Pizzi, pour décrocher sa première étoile. Celui ensuite de River Plate, incroyable machine assemblée par Muñeco Gallardo qui a décroché le seul titre manquant à son entraîneur de légende, le treizième en sept ans, après avoir totalement marché sur le tournoi, s’offrant même le luxe de dompter son principal concurrent, Talleres alors qu’évoluant en infériorité numérique quasiment toute la rencontre, puis le quatorzième en écrasant Colón lors du trophée des champions.

Tout a été dit sur ce River, sur l’incroyable capacité de Gallardo à construire des machines redoutables. Mais on retiendra évidemment le Talleres du Cacique Medina, l’une des belles satisfactions footballistiques de l’année avec Vélez (trop irrégulier) et un Defensa y Justicia qui s’est mis en marche bien trop tard. Et Boca ? Toujours cette culture du paradoxe. Plombé par des coulisses toujours aussi peu propices à évoluer dans la plus grande sérénité, devant gérer une commission du football toujours aussi intrusive et parfois (souvent) néfaste, devant gérer des joueurs parfois (souvent) ingérables, ayant changé d’entraîneur en milieu de saison, Boca a longtemps erré mais aurait dû aller plus loin en Libertadores et surtout a bouclé l’année avec une improbable Copa Argentina au terme d’une finale que l’on a déjà oubliée tellement elle fut synonyme d’ennui et au cours de laquelle les Xeneizes ont attendu la 85e minute pour s’offrir son premier tir cadré du match et Talleres a attendu la séance de tirs au but pour alimenter ses regrets. L’Argentine donc.

L’équipe type

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Il est toujours difficile d’établir une équipe type de la saison, encore plus en Argentine quand ladite saison se découpe en deux tournois si différents et avec des effectifs totalement remaniés entre les deux tournois. Ça l’est encore plus quand les équipes ne participent pas de la même manière à ces tournois, les « continentaux » ayant tendance à rapidement laisser filer le premier tournoi quand ils mettent une autre implication dans le second dès lors qu’il est la dernière compétition qu’ils jouent. Néanmoins, jouons à ce jeu, voici notre onze de la saison.

Dans les buts, on optera pour la stabilité d’un Franco Armani toujours aussi serein même si on pourrait citer la belle saison de Sebastián Sosa dans les buts d’Independiente ou celle du portier du rival, Gabriel Arías. Devant lui, une défense à quatre avec Fabricio Bustos, autre Rojo, et l’excellent Enzo Díaz dans les couloirs et un axe composé de Paulo Díaz, que l’on aurait pu associer à son compère de la défense de River, David Martínez, mais que l’on associera ici avec Lautaro Giannetti, l’un des hommes clés de Vélez.

Au milieu, deux possibilités s’offraient à nous, un 4-4-2 losange qui aurait permis d’intégrer l’essentiel Rodrigo Aliendro et le placer par exemple aux côtés d’un Agustín Palavecino qui a enfin trouvé son rythme à River, mais ayant choisi le 4-3-3, nous avons opté pour de vrais joueurs de couloir devant et décidé de poser deux générateurs de jeu devant l’intouchable Enzo Pérez. Quand il n’est pas dans les buts, Enzo Pérez est la pierre angulaire du River de Gallardo, son cerveau et son cœur. Celui qui apporte l’équilibre, celui qui nettoie, qui lance, qui organise, qui contrôle. Devant lui, on fait le choix d’associer deux profils différents. Thiago Almada, le dynamiteur de Vélez, tellement essentiel à son Fortín et qui devra apprendre à gérer l’extra-sportif pour aller plus haut, et l’homme qui vous réconcilie avec le football, Luis el Pulga Rodríguez. Certes plus reculé dans notre système, on lui confie sans hésiter le rôle d’électron libre, lui qui fut essentiel à la conquête de la première étoile du Sabalero et qui a ensuite continué de régaler avec le Gimnasia.

Devant donc, des dévoreurs de couloir. À gauche Martín Ojeda, à droite Diego Valoyes, deux profils capables de faire sauter des défenses et créer du danger. En pointe en revanche, il n’y a aucun débat, ce ne pouvait être que Julián Álvarez. On a souvent l’habitude de regretter les départs rapides de pépites argentines, on a aussi souvent l’habitude de voir certains profils élevés au rang de pépite un peu trop vite. Pour el Araña, il n’en est rien. Julián Álvarez a pris le temps de grandir à River, on vous racontera bientôt son histoire, a pris le temps de murir. En 2021, il a pris une telle dimension qu’il a porté River sur ses épaules (vingt-six buts et dix-huit passes décisives en cinquante-trois apparitions), faisant basculer les matchs clés par ses accélérations, son sens du but, sa vista, son génie. Au point qu’il est désormais clair que l’Argentine est devenue trop petite pour lui. Meilleure joueur de l’année, il est la grande raison de s’enthousiasmer, son arrivée chez les A de la sélection a déjà eu lieu, on n’attend désormais plus qu’il s’installe définitivement dans le onze de Scaloni en espérant surtout qu’il choisisse le bon club en Europe.

Quant à l’entraîneur, il ne peut y en avoir qu’un, Marcelo Gallardo, même si le Cacique Medina mérite d’être cité pour le formidable travail effectué à Talleres.

 

 

Photo une : JUAN MABROMATA/AFP via Getty Images

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.