Alors que le Campeonato Sudamericano peine à rester officiel et doit lutter contre les querelles politiques entraînant quelques forfaits, l’année 1945 marque celle des débuts d’un petit nouveau, la Colombie. Retour sur une aventure épique, celle des débuts de l'histoire des Cafeteros sur le continent dont la fédération fête son centenaire ce 12 octobre.
Le football débarque en Colombie en même temps qu’il s’installe dans les autres pays du continent. À la fin du XIXe siècle, les marins anglais, qui viennent garnir les ports colombiens, apportent ce nouveau jeu qui se développe ainsi à partir de Barranquilla pour se disséminer aux autres régions du pays en même temps que les communications progressent. Mais, à la différence des autres pays du continent, la dissémination du football est plus lente en Colombie. Alors que tous les autres membres du continent sud-américain, à l’exception du Venezuela, sont venus garnir les rangs des participants d’un Campeonato Sudamericano organisé depuis 1916, le dernier arrivant étant l’Équateur en 1939, la Colombie n’a pas encore connu la moindre joute continentale. Et pour cause.
Au cœur des années trente, le pays est en pleine transition. La « Revolución en Marcha » menée par Alfonso López Pumarejo réforme totalement le pays et met fin à la domination conservatrice qui a conduit le pays jusqu’ici (elle accorde ainsi le droit de grève à la classe ouvrière, rompt avec l’Église en approuvant la liberté religieuse, fusionne les facultés de droit, de médecine et d’ingénierie pour former l’Université nationale, construit la Cité universitaire, autorise l’admission des enfants dans toutes les écoles et surtout, ouvre les études aux femmes). Ce sentiment de réforme touche également le football. Le football professionnel n’existe pas encore au pays, les différentes régions s’écharpant pour savoir laquelle est la plus puissante, la dispute ne cessant alors de diviser. Mais, le 8 juin 1936, le football colombien décide de suivre ce mouvement réformiste et d’enfin se nationaliser. La Liga de Football del Atlántico, créée à Barranquilla en 1924, affilie les clubs des villes de Medellín, Manizales, Cali, Bucaramanga et de Bogotá et la Asociación Colombiana de Fútbol (Adefútbol) voit ainsi le jour. Elle est officiellement reconnue par la FIFA lors du congrès de Berlin organisé pendant les Jeux Olympiques de 1936 le 14 août. Ne reste plus qu’à construire une sélection.
Si quelques ébauches ont été mises en place dans les années vingt, la première « véritable » sélection colombienne peut alors voir le jour. À l’occasion du quatre-centième anniversaire de la fondation de Cali, un tournoi international de football est organisé. Ainsi, en juillet 1937, une première sélection, composée de joueurs venant de la côte atlantique, de Valle ou d’Antioquia, participe à l’événement. Celle-ci n’est cependant pas véritablement reconnue comme première sélection, ces rencontres n’ayant pas de caractère officiel. Il faut donc attendre le 10 février 1938 pour assister à la première officielle d’une sélection colombienne, inscrite pour la IVe édition des Jeux Centroaméricains et des Caraïbes à Panamá. Le premier match l’oppose au Mexique, il est arbitré par un Uruguayen, et se solde par une défaite 3-1, Marcos Mejía, fils de Micaela Lavalle, fondatrice de Junior, inscrivant le premier but officiel de la sélection. Quatre jours plus tard, la Colombie s’impose face à Panamá et après deux défaites, face au Costa Rica et au Venezuela, et une victoire face au Salvador, termine à la troisième place du tournoi. Reste que ce tournoi est sans lendemain. Les tensions internes continuent de paralyser le football colombien et, alors que la sélection colombienne n’a pas disputé le moindre match officiel depuis près de six ans, en 1944, elle est enfin invitée à prendre part au Campeonato Sudamericano qui se tient l’année suivante au Chili.
L’odyssée
Comme pour les éditons de 1935 et de 1941, le dix-huitième rendez-vous continental de l’histoire sud-américaine, ne met pas en jeu de trophée officiel. Le Campeonato Sudamericano ne sera reconnu Copa América que bien plus tard. Le Paraguay et le Pérou, en conflit avec l’organisateur chilien, n’y participent pas, ils sont sept à se présenter à l’Estadio Nacional de Santiago à partir du 14 janvier. Avec une originalité donc, le seul véritable trophée mis en jeu est la Copa Mariscal Sucre et ne concerne que les représentants bolivariens : Bolivie, Équateur, et donc Colombie.
Bien avant de devoir gérer le voyage vers le Sud, la Colombie doit alors se trouver une sélection. Le choix de Barranquilla comme siège de la Asociación Colombiana de Fútbol ne finit pas de diviser le pays, les différentes régions cherchant à trouver leur place et les luttes de pouvoir n’ayant alors de cesse de générer des conflits. Lorsque l’Adefútbol accepte l’invitation lancée par la Confédération sud-américaine, elle se retrouve alors à devoir composer une sélection. Plusieurs joueurs issus des ligues existantes dans le pays sont appelés, mais les réponses sont peu nombreuses, les ligues d’Antioquia et de Cundinamarca refusant par exemple d’y prendre part. C’est ainsi que la sélection composée par l’Adefútbol est finalement essentiellement issue du club de Barranquilla, l’Atlético Junior, la meilleure équipe du pays (ou de la Ligue de Barranquilla, c’est selon) emmenée notamment dans les années vingt et trente par le duo Roberto Meléndez - Romelio Martínez, le premier est nommé sélectionneur de la Colombie lors de la campagne chilienne.
Le groupe réuni, le voyage vers le Chili peut débuter. Il est une véritable odyssée. Afin de réunir les fonds nécessaires à son financement, l’Adefútbol organise une série d’évènements à Barranquilla en marge de matchs d’exhibition au cours desquels les joueurs sont invités à vendre tickets de loterie et autre nourriture sur les différents stands. L’obtention des passeports est un nouvel obstacle, au centre d’une bataille administrative, mais au final, le 19 décembre 1944, le voyage vers le Chili peut commencer. Il débute à Barranquilla, passe par Cali pour se diriger vers Buenaventura d’où les joueurs doivent partir en bateau vers le Sud. Malheureusement pour eux, une fois arrivés, ils constatent que leur bateau est parti sans eux. Le reste de cette épopée se fait par la voie terrestre, le voyage est interminable. La sélection doit rejoindre Quito en bus, mais ce dernier tombe en panne à cinq kilomètres de la capitale équatorienne, forçant l’ensemble des joueurs et de l’encadrement à terminer à pied. Ils prennent alors le train vers Guayaquil pour trouver un bateau une fois encore absent. Les Cafeteros atteignent alors Lima par la voie terrestre et, grâce à l’aide du président Manuel Prado Ugarteche, ils peuvent embarquer en direction de Valparaiso (après avoir disputé trois matchs de baseball pour réunir les fonds nécessaires sur le port de Callao). Au bout de vingt-cinq jours de voyage, la Colombie est à Santiago le 14 janvier 1945, jour du coup d’envoi de l’épreuve (le Chili s’impose ce jour-là 6-3 face à l’Équateur). Exténuée, elle peut enfin se lancer dans son premier Campeonato Sudamericano, son premier match, initialement prévu face à l’Argentine étant reporté à sa demande.
La Copa América des petits
Le 18 janvier, la première sélection colombienne à participer à ce qui deviendra la Copa América débute sa compétition face au Brésil. Plus que la défaite (0-3), on retient alors que la Colombie est enfin présente dans une compétition continentale. Pourtant, au pays, cette défaite ne manque pas d’attirer les railleries des autres régions qui en profitent pour critiquer vertement le niveau d’une sélection vue comme unique représentant de Barranquilla. Les deux matchs face aux frères de La Plata sont un calvaire pour l’excellent Andrés Acosta, gardien surnommé Penicilina pour sa capacité à enchaîner les miracles dans ses buts. La Colombie en prend sept face à l’Uruguay, neuf face à l’Argentine. Même si la lourde défaite face à l’Argentine fait mal, elle reste celle du premier but inscrit par la sélection, œuvre de Roberto Guarapo Mendoza. Mais alors que le Campeonato Sudamericano semble tourner au désastre, il permet finalement aux Cafeteros de décrocher le seul titre mis en jeu.
Les deux derniers matchs prévus pour la Colombie lui offrent deux nations que la sélection connait bien, l’Équateur et la Bolivie. González Rubio, Gámez et Berdugo entrent dans l’histoire du football cafetero en offrant à la sélection sa première victoire en Copa América face au premier nommé, les trois récidivent trois jours plus tard face à la Bolivie pour permettre d’obtenir un résultat nul synonyme de cinquième place. La Colombie termine devant les deux autres équipes bolivariennes, le seul trophée remis lors de ce Campeonato, la Copa Mariscal Sucre est pour elle. Pour sa première, elle a remporté la Copa América des petits, l’histoire ne fait que commencer, même s’il faudra attendre une trentaine d’années pour voir les Cafeteros briller de nouveau, cette fois devant les grands.
Initialement publié le 13/07/24, mis à jour le 12/10/24.