Pour la première fois de leur histoire, Argentine et Colombie se croisent en finale d’une Copa América. L’occasion de revenir sur les rendez-vous à élimination directe qui ont marqué l’histoire de ce duel dans cette compétition.
Un duel entre Colombie et Argentine n’est jamais un duel comme les autres. Vous l’avez vu, lorsque la Colombie a découvert la Copa América, elle y a croisé pour la première fois l’Argentine, pour un résultat sans appel de 1-9. Mais depuis, 1945, les deux sélections se sont croisées à de multiples reprises, quinze fois en Copa América. Et si le bilan penche largement en faveur de l’Albiceleste (sept victoires, cinq nuls, trois défaites), les deux sélections se sont affrontées à cinq reprises lors de rencontre à élimination directe. En voici l’histoire.
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Argentine 1987 : premier podium
Le 12 mai 1987, deux jours après que Diego Maradona est couronné champion d’Italie avec le Napoli, l’histoire du football colombien prend un tournant décisif. Après de bonnes performances lors du tournoi préolympique, Francisco Maturana est nommé à la tête d’une sélection qui n’a disputé qu’une phase finale de Coupe du Monde, en 1962 au Chili. Pacho a fait d’Once Caldas son laboratoire, posant les bases de son projet criollo portant une idée de jeu reposant sur la liberté. Pacho Maturana n’a que trente-huit ans lorsqu’il conduit la sélection cafetera à la Copa América organisée chez les champions du monde argentins. La Copa América de l’époque réparti neuf membres dans trois groupes de trois équipes, le tenant du titre n’entrant qu’en demi-finales. L’Argentine a remporté son groupe, sans pour autant briller, arrachant le nul face au Pérou, Diego ouvrant la marque, faisant tomber l’Équateur, Diego s’offrant un doublé, l’entrée de Claudio Caniggia changeant un match jusqu’ici compliqué pour l’Albiceleste. De son côté, la Colombie séduit, Maturana ayant réussi son premier pari : s’appuyer sur un club pour la base de sa sélection (un tiers des joueurs évolue à l’Atlético Nacional). Avec son jeu fait de passes courtes, de possession et de football libre, la Colombie s’affirme rapidement, sa demi-finale face à un Chili auteur de la sensation du premier tour, une victoire 4-0 face au Brésil, attire tous les regards. Il faut attendre la prolongation pour voir le match basculer, le Chili retournant en deux minutes une situation mal embarquée après l’ouverture du score de Bernardo Redín pour les Cafeteros. De son côté, l’Argentine tombe aussi, Antonio Alzamendi envoyant l’Uruguay en finale pour son premier match de la compétition que l’Uruguay a décidé de jouer en misant sur les contres. C’est ainsi que le Colombie – Argentine est un match pour la troisième place qui n’excite pas véritablement le peuple argentin, déçu de sa sélection.
Le 11 juillet, devant un Monumental qui sonne creux, l’Argentine a beau tout tenter, elle reçoit une leçon de football. Emmené par un 10 magique, Carlos Valderrama qui sera élu meilleur joueur du tournoi, la Colombie de Maturana fait la part belle au toque, impose une nouvelle manière de jouer. Barrabas Gómez ouvre le score d’entrée d’une merveille de frappe, vingt minutes plus tard, Juan José Galeano double la mise. Maturana a délaissé les couloirs pour faire mal au cœur du jeu, Galeano n’a jamais laissé respirer le duo Ruggeri – Brown. Et lorsque l’Argentine cherche à accélérer en deuxième période, Mario Coll bloque Diego, l’Argentine peine. La réduction de l’écart, tardive, de Claudio Caniggia n’y change rien, le brouillard intense qui s’abat sur le Monumental ne peut cacher la performance des hommes de Maturana. La Colombie décroche la troisième place, sa meilleure performance en Copa América, son premier podium. Le Darío Popular argentin écrit alors « Cela fait mal qu’ils nous aient fait danser la cumbia sur nos propres paroles », la Colombie place son nom sur la carte du continent et marque un territoire. Maturana peut alors poursuivre son projet criollo, d’abord à l’Atlético Nacional, équipe 100% colombienne au jeu révolutionnaire qu’il emmène sur le toit du continent avec la conquête de la Copa Libertadores 1989, ensuite avec la sélection, qui séduit de nouveau lorsqu’elle retrouve le Mondial, avec un but entré dans la légende cafetera face au futur champion du monde allemand.
Équateur 1993 : sur un fil
Six ans plus tard, la Colombie ne fait plus rire. Après une Coupe du Monde 1990 terminée en huitièmes de finale, les Cafeteros continuent de monter en puissance malgré une Copa América 1989 ratée et une édition 1991 qui les voit terminer dernier du tour final, battus notamment lors de l’ultime journée par l’Argentine de Simeone et Batistuta qui décroche alors sa treizième couronne, la première depuis 1959. En coulisses, la trente-sixième édition de la doyenne des compétitions de nation change de format et invite deux voisins du nord à y participer. États-Unis et Mexique se rendent ainsi en Équateur et si le premier ne brille guère, terminant dernier du Groupe A, le second s’extirpe sur le fil du Groupe C en terminant deuxième meilleur troisième alors que son groupe a été dominé par Colombie, contre qui le Mexique s’incline sur un but qui n’existe pas (le ballon n’ayant jamais franchi la ligne) et reste dans l’histoire comme le « fantôme de Machala » et Argentine qui se sont neutralisées lors de l’ultime journée.
Les deux formations se retrouvent ainsi en demi-finale après s’être extirpés des quarts au terme d’une séance de tirs au but. Cette Argentine a réussi à se reconstruire au lendemain de la désillusion italienne. Tenante du titre, l’Albiceleste est toujours dirigée par Coco Basile et compte dans ses rangs quelques héros de 1990 comme Sergio Goycochea ou Oscar Ruggeri, mais aussi les nouvelles promesses nommées Fernando Redondo, Diego Simeone, Gabriel Batistuta, ces deux derniers étant déjà présents lors de la campagne victorieuse deux ans plus tôt alors que l’ombre de Diego, rentré au pays, plane encore. La demi-finale voit les deux formations se neutraliser, se procurant quelques rares situations. L’heure est donc venue pour Sergio Goycochea de briller de nouveau. Entré dans l’histoire de l’Albiceleste après avoir remplacé Nery Pumpido dans les cages et qualifié à lui seul son Argentine en quarts et en demies de la Coupe du Monde après deux séances de tirs au but (el Vasco avait sorti les tirs de Brnović et Hadžibegić en quarts, ceux de Donadoni et Serena en demies), il avait décroché la Copa América 91 et la Coupe des Confédération 92, puis sorti le sixième tir brésilien de Boiadeiro en quarts de 1993. Il attend le même moment pour repousser celui de Víctor Hugo Aristizábal en demies, Jorge Borelli transformant le sien et envoyant l’Argentine défendre et conserver son titre. La Colombie se rattrape en dominant le pays hôte en match pour la troisième place, terminant la compétition invaincue. Quelques mois plus tard, elle prendra une éclatante revanche sur l’Albiceleste en s’imposant 5-0 au Monumental. Une victoire qui fera de la Colombie un immense favori pour la Coupe du Monde américaine à venir.
Pérou 2004 : sans discussion
Deux ans après la débâcle asiatique, l’Argentine de Marcelo Bielsa a beaucoup à se faire pardonner, la Copa América péruvienne en est l’occasion. Deuxième de son groupe en raison d’une défaite concédée face au Mexique, elle a sorti le pays hôte en quarts de finale sur un but de Carlos Tévez et se présente face à une Colombie alors implacable. Menée par Reinaldo Rueda, qui a dirigé toutes les sélections de jeunes et mené les U20 à une Coupe du Monde pour la première fois depuis dix ans, terminant troisième de l’épreuve en triomphant de l’Argentine lors du dernier match. Nommé à la place de Francisco Maturana, Rueda dirige alors sa première grande compétition avec les A. Face à lui donc, l’Argentine de Marcelo Bielsa, mélange d’expérience à l’image du Pato Abbondazieri, Roberto Ayala, Javier Zanetti, Juan Pablo Sorín, Kily González, Gaby Heinze et de jeunes pousses talentueuses nommées Javier Mascherano, Carlos Tévez, Andrés D’Alessandro, Lucho González, Javier Saviola. Il n’y a pas match.
D’entrée de partie, l’Argentine de Bielsa étouffe une Colombie qui ne fait sur subir des vagues et tenter d’écoper. Lucho González et Javier Zanetti combinent sur le côté droit et débordent un Gustavo Victoria en souffrance. Les vagues ne cessent, César Delgado, Juan Pablo Sorín, Carlos Tévez et leurs partenaires multiplient les situations alors que la Colombie, surclassée dans tous les secteurs et qui ne misait que sur les contres de Tressor Moreno et Edwin Congo, ne s’approche du but adverse que sur une incompréhension entre Zanetti et Abbondanzieri. Alors que la résistance devient de plus en plus difficile, Andrés González ayant sauvé sur la ligne un tir de Cristian González, le diamant de Boca parvient à faire la différence. Carlos Tévez place un coup franc que Juan Carlos Henao juge mal. L’Argentine mène tranquillement à la pause, manquant même d’un rien de tuer le suspense. Et si la Colombie tente de sortir un peu plus de son terrain en seconde période, l'Argentine conserve tranquillement la maîtrise de la rencontre. Elle s’offre le but du break par Lucho González seul au point de penalty. Rueda a beau tenter quelques changements, ni Jhon Viáfara ni Edixon Perea ne parviennent à changer un match déjà plié. Marcelo Bielsa peut alors à son tour faire souffler ses cadres en vue de la finale, Juan Pablo Sorín parachève l’œuvre d’une Albiceleste convaincante qui met ainsi fin à onze années d’attente en retrouvant une finale. Une Argentine qui ne se doute alors pas encore que le titre lui échappera sur un exploit signé Adriano quelques jours plus tard, la Colombie s’inclinant dans le match pour la troisième place et ne parvenant pas à se qualifier pour la Coupe du Monde suivante.
Chili 2015 : tension à Sausalito
Première de son groupe, l’Argentine de Tata Martino croise en quarts une Colombie qui s’est faite surprendre d’entrée par le Venezuela mais a assuré sa qualification en s’offrant une attendue revanche face au Brésil au Monumental de Santiago avant d’assurer sa qualification par un nul face au Pérou. Alors que le froid commence à se faire sentir au Sausalito de Viña del Mar, l’Albiceleste plante les premières banderilles, allant chercher le porteur du ballon très haut pour empêcher les relances colombiennes. À la 6e minute, Ángel Di María trouve Javier Pastore dans la surface mais le Parisien est devancé in extremis. Sur le corner suivant, Marcos Rojo manque le cadre de la tête. L’Albiceleste domine clairement les débats. Pastore accélère au milieu et laisse deux joueurs sur le carreau, mais comme bien souvent pêche dans la dernière passe. Les attaquants ne sont pas à la fête, Teófilo Gutiérrez, qui a manqué absolument tout ce qu’il a tenté, retourne sur le banc dès la 24e minute, José Pékerman cherchant à équilibrer le milieu de terrain colombien. Mais la Colombie souffre et s’en remet à David Ospina, d’abord devant Kun Agüero sur un centre de Javier Pastore, ensuite sur une tête de Messi à l’affût. Biglia manque le cadre sur une remise d’Agüero, alors que Pastore est tout proche de battre un Ospina étincelant après un cafouillage dans la surface. Dominée, touchée par six cartons jaunes dès le premier acte, la Colombie rentre aux vestiaires sans avoir approché les buts de Romero. La deuxième période reprend de la même manière que la première avec l’Argentine qui tente de faire plier une Colombie qui garde cependant un peu plus le ballon que lors des premières quarante-cinq minutes. La Colombie attend la 67e minute pour tester Romero pour la première fois sur une tête de Cristián Zapata bien captée par le portier. Le flamant transfert de l’Inter, Jeison Murillo étale une nouvelle fois toute sa classe en revenant sur Messi qui partait seul au but. Les 21 508 spectateurs du Sausalito emmitouflés dans leurs écharpes et bonnets peuvent saluer l’entrée de Radamel Falcao qui reçoit une ovation en même temps que le brassard cédé par James, mais rien ne change, l’Argentine domine. La chance ne sourit pas aux Argentins : Nicolás Otamendi touche du bois sur un corner après une magnifique claquette de David Ospina, le meilleur joueur sur le terrain sans contestation ; Murillo, encore lui, sauve ensuite un ballon sur sa ligne sur une action de Tévez ; Messi manque le cadre sur une tête pour la dernière occasion du match. Tout se joue alors sur une séance de tirs au but que David Ospina du haut de ses sept arrêts aborde en confiance, Romero n’ayant rien eu à faire durant le match. James ouvre le bal et ne tremble pas pour donner l’avantage à la Colombie, mais Messi fait de même. Falcao, Garay, Banega et Cuadrado donnent eux aussi une leçon de comment tirer un penalty. Muriel, entré en jeu à la place d’Ibarbo est le premier à tester les gradins du Sausalito alors que Lavezzi donne lui l’avantage aux Argentins. Romero manque de très peu d’éliminer la Colombie et Lucas Biglia ouvre trop son pied ensuite, les choses reviennent à égalité. Zuñiga butte sur Romero et Rojo touche la transversale d’Ospina. La tension est à son comble. La fin est difficile pour la Colombie qui voit Murillo, son meilleur joueur du tournoi, dévisser complètement son tir au but et laisser la voie libre à Carlos Tévez qui ne se fait pas prier pour envoyer l’Argentine en demies. Elle y écrasera le Paraguay avant de tomber en finale face au pays-hôte au terme d’une nouvelle séance de tirs au but.
Brésil 2021 : la naissance d’un mythe
Comme en 2015, c’est une Argentine vainqueur de groupe qui affronte une Colombie troisième du sien. Cette fois, les deux équipes se croisent dans le dernier carré, une première depuis 2004 alors que resurgissent les souvenirs de 1993, époque du dernier titre d’une Albiceleste qui avait déjà pris le meilleur sur les Cafeteros à ce stade. Et si l’Argentine s’en sort, l’Albiceleste a été bougée comme rarement dans cette Copa América 2021. Lionel Scaloni avait préparé deux changements dans son onze de départ par rapport au quart disputé face à l’Équateur, Nicolás Tagliafico et Guido Rodríguez débutaient, Marcos Acuña et Leandro Paredes prenant place sur le banc.
Une première tête de Lautaro Martínez passe juste à côté après quatre minutes et deux minutes plus tard, la deuxième occasion est la bonne. Bien servi par Lionel Messi, el Toro trompe facilement David Ospina. En 2016 contre le Chili, la Colombie avait encaissé un but après six minutes de jeu, cette fois, la suite est bien différente. Presque immédiatement après l’ouverture du score Juan Guillermo Cuadrado manque d’égaliser, sa frappe étant bien repoussée par celui qui allait devenir l’homme du match Emiliano Martínez qui dispute alors sa première compétition officielle avec l’Argentine, lui qui a fait ses débuts en sélection quelques jours avant le début de la compétition. Peu à peu la Colombie entre dans son match, s’offre deux énormes occasions avant la pause, la frappe contrée de Wilmar Barrios trouvant le poteau, Yerry Mina envoyant sa tentative sur la barre sur le corner suivant. Alors, Reinaldo Rueda change ses plans avec trois changements : Franck Fabra bien plus offensif que William Tesillo entre dans le couloir, Edwin Cardona s’installe à la conduction du jeu et Yimmi Chará vient apporter de la vitesse dans le couloir droit. La Colombie domine alors le deuxième acte. Bien lancé dans la profondeur par Edwin Cardona, Luis Díaz gagne son face-à-face et ramène les siens. Mais l’Argentine réagit, Ángel Di María met le feu dans la défense colombienne, Lautaro Martínez manque une incroyable occasion avec un sauvetage in extremis sur la ligne et surtout Lionel Messi prend les choses en main, trouvant à son tour le poteau. Comme en 2015, tout se joue aux tirs au but, nouveau moment de gloire d’un Emiliano Martínez pas encore Dibu. Si la paire Mina-Sánchez avait été en réussite contre l’Uruguay, les deux défenseurs centraux voient leur tentative repoussée par le portier argentin, comme Edwin Cardona et sa frappe trop molle qui met un terme à cette séance. L’Argentine s’offre ainsi une finale de rêve contre le Brésil au Maracanã. Quelques jours plus tard, la Scaloneta s’impose, mettant fin à vingt-huit ans de disette et commence à écrire sa légende. Mais son gardien, que peu connaissaient véritablement avant la compétition, est déjà devenu mythe lors de cette demi-finale.