La Liga 1 a rendu son verdict ce dimanche 15 décembre à Lima dans le stade Alejandro Villanueva qui a vu le Deportivo Binacional remporter le premier titre national de son histoire contre l'Alianza Lima. Un succès chargé d’emotions en deux actes.

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Acte I : Asphyxier son adversaire

Dans l’après-midi du lundi 2 décembre, une brève est envoyée depuis Juliaca annonçant un grave accident de la route impliquant trois joueurs du Binacional. Donald Millán, Jefferson Collazo et Juan Pablo Vergara sont transportés d’urgence à la clinique de Juliaca. En début de soirée Binacional publie un tweet pour faire appel à des donneurs de sang A+. Quelques heures plus tard, le club informe le décès de Juan Pablo Vergara suite à ses blessures. Le football péruvien est alors en deuil et un doute est émis envers la tenue de la finale prévue le dimanche suivant. Cependant, le club de Juliaca tient à disputer cette finale pour remporter son premier titre et le dédier à son joueur disparu. Quelques jours après, Roberto Mosquera, technicien du Binacional, entre dans le bureau de Juan Carlos Aquino Condori, président du club. Il lui explique sa stratégie : jouer la finale aller à domicile puis le retour à Lima. Le président refuse, Mosquera sort furieux du bureau en menaçant de démissionner à une semaine de la finale. Les journalistes non plus ne comprennent pas la décision de l'entraîneur. Généralement, une équipe choisi la plupart du temps de disputer le match retour à domicile pour compter sur ses supporters. Mais Mosquera a autre chose en tête. Il ne veut pas faire voyager ses joueurs qui sont affectés par la perte de leur coéquipier. Il veut également profiter de la fatigue de ses adversaires, qui ont joué une demi-finale quatre jours auparavant, pour les faire voyager à Juliaca, et jouer à plus de 3800 mètres d'altitude. Il sait aussi que son rival, Pablo Bengochea est un fin stratège et qu'une finale se joue justement sur des détails. Le technicien connait la stratégie de l’Alianza : tout donner à Lima dans un Matute chaud bouillant pour ensuite fermer complètement le jeu à Juliaca. Il obtient finalement gain de cause auprès de son président et la fédération fixe donc les dates et les localités pour les deux matchs de la finale avec l'aller à Juliaca le 8 décembre et le retour à Lima le 15 décembre. Comme prévu, les joueurs de l'Alianza Lima n'ont pas le temps de s'acclimater et supportent difficilement l'altitude, pendant le match certains joueurs sortent pour prendre des shoots d'oxygène. En plus de l’altitude, ils sont complètement asphyxiés par leur adversaire qui déroule un beau football. La victoire écrasante de Binacional de quatre buts à un leur permet un déplacement serein à Lima avec trois buts d'avance.

Acte II : Résister

Dimanche 15 décembre, jour de la finale retour à Lima. Le quartier populaire de La Victoria accueille le match le plus important de l’année et un impressionnant dispositif de sécurité est déployé tout autour du stade Alejandro Villanueva communément appelé Matute. Le chauffeur de taxi embrasse sa croix accrochée au rétroviseur « j’habite juste à côté du stade, je rentre chez moi pour voir le match, ¡Arriba Alianza ! » me dit-il avant de me déposer à quelques rues du stade. Je me joins à la foule blanche et bleue qui déferle en direction des différentes entrées du stade. En passant devant le virage sud, la police montée essaye de mettre de l’ordre dans la file qui veut entrer comme un seul homme dans le stade, mais devant la résistance des ultras du Comando Sur, ils décident de fermer les portes jusqu’à ce que le calme et la discipline reviennent. Je continue mon chemin et je me présente enfin devant l’entrée qui me correspond, en face du mural dédié à la légende aliancista Alejandro Villanueva (qui a fait la une du sixième numéro de notre magazine) sur fond de salsa et odeur de parilla. À l’intérieur c’est une toute autre ambiance, un stade plein à craquer chantant à l’unisson à la gloire du club blanquiazul. J’aperçois une dizaine de supporter perchés sur un toit d’un bâtiment voisin avec une vue imprenable sur le terrain. Chacun sa loge. Une bonne trentaine de supporters du Binacional sont présents dans le parcage. Les joueurs des deux équipes pénètrent enfin sur le carré vert sous une pluie de papelitos et d’applaudissement. C’est un livreur Glovo, partenaire officiel de la Liga, qui arrive sur le terrain, sors de sa boite jaune le ballon et le remet aux arbitres. Le match peut enfin commencer. Sur le papier, Mosquera plante une stratégie simple avec une défense en béton à quatre ou à cinq selon les phases de jeu. Les ailiers montent peu laissant le goleador colombien Donald Millán (23 buts cette année) souvent esseulé dans le camp adverse. Mais au bout d’une demi-heure de jeu, Felipe Rodríguez sonne la première alerte mais se loupe complétement. Quelques minutes plus tard Luis Ramírez fait mouche sur un coup de tête et ouvre le score pour les locaux. Les tribunes explosent de joie, Alianza doit marquer encore deux buts pour pousser Binacional aux tirs au but. L’arbitre renvoi tout le monde aux vestiaires sur ce score d’un but à rien. Durant la mi-temps, une chanson créole résonne dans le stade nous rappelant que « Alianza Lima es el Perú y el Perú es Alianza Lima ». La deuxième période semblait suivre le même chemin que la première avec une attaque-défense constante. Alianza Lima presse plus haut et récupère un nombre incalculable de ballons, mais se heurte à chaque fois à une défense bien regroupée et surtout bien disciplinée du Binacional. Plus le temps passait, plus le public était nerveux et les joueurs redoublaient d’efforts pour trouver des solutions. C’est sur un coup de pied arrêté que John Fajardo trompait son propre gardien et permettait à l’Alianza d’y croire dans les quinze dernières minutes du temps réglementaire. Encore un but et les deux équipes devaient disputer la séance de tirs au but pour déterminer le champion. S’ensuit une fin de match dingue avec les vingt-deux acteurs jouant avec leur cœur. Les hommes de Bengochea lancent toutes leurs forces, Binacional plie mais ne rompt pas. À la 95e, l’impensable se produit, Federico Rodríguez se retrouve seul devant le gardien, il profite d’un rebond dans la surface pour envoyer d’un coup de tête la balle au-dessus de la barre alors que le but s’ouvrait à lui. Le joueur s’effondre au sol, conscient qu’il vient de louper la balle de match. Un silence de cathédrale s’empare des tribunes durant dix bonnes secondes avant que les supporters redonnent de la voix. Trop tard, l’arbitre siffle la fin du match envoyant le Binacional sur le toit du Pérou. Bengochea a failli remporter la bataille de Lima mais Mosquera, lui a fait signer l’armistice. Les joueurs du Poderoso del Sur ont tenu leur promesse en allant chercher ce titre pour leur coéquipiers et ami, Juan Pablo Vergara.

C’est la première fois qu’un club de la région de Puno remporte un titre national. Le Binacional entre également dans le cercle fermé des clubs de provinces ayant remporté un titre aux côté de Melgar (Arequipa), Juan Aurich (Chiclayo) et Union Huaral (Huaral). L’exploit vient aussi du fait que c’est un club venu de nulle part, à la frontière bolivienne, qui a été créé en 2010 par quatre associations de tricycle qui transportait des marchandises vers la Bolivie. En 2012, le club est interdit de participer à la Copa Perú et les travailleurs bloquent alors la frontière entre le Pérou et la Bolivie. Ils sont alors réintégrés et remportent la Copa Perú en 2017 ce qui leur permet d’accéder à la première division. Après une bonne année 2018 et une jolie huitième place, Binacional se qualifie pour la Sudamericana et affronte l’ogre argentin Independiente qui les balaye sans grande difficulté. En 2019, ils remportent le tournoi Apertura qu’il leur octroie une place en finale du championnat. En 2020, cette petite équipe de Juliaca disputera la prestigieuse Libertadores pour la première fois de son histoire avec on l’espère de bonnes surprises.

Romain Lambert
Romain Lambert
Parisien expatrié sur les terres Inca, père d’une petite franco-péruvienne, je me passionne pour le football de Lima à Arequipa en passant par Cusco. Ma plus forte expérience footballistique a été de vivre le retour de la Blanquirroja à une coupe du monde après 36 ans d’absence.