Un véritable tremblement de terre a secoué le football péruvien le 28 novembre sur les coups de 17h30. Un géant s’est écroulé et l’onde de choc s’est fait ressentir dans tout le pays. Après une énième défaite, l’Alianza Lima, club historique de la capitale, se voit rétrograder en seconde division pour la deuxième fois de son histoire. Retour sur un désastre annoncé.

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La fin du Rodillo Negro

Il faut remonter en 1938 pour voir les traces d’un tel cataclysme dans l’histoire blanquiazul. Un temps que mêmes les plus anciens hinchas n’ont pas connu. Comme si finalement le club n’était jamais descendu. En 1938, l’Alianza Lima termine avant-dernier du championnat après une dernière défaite contre l’autre club de La Victoria, Mariscal Sucre. Dans les années 1920/30, le club blanquiazul est injouable et remporte cinq titres entre 1927 et 1933 puis est vice-champion en 1934 (saison controversée car l’Alianza Lima, premier du classement, réclame le titre donné à Universitario), en 1935 et 1937. 1939Menée par une génération dorée de joueurs comme Valdivieso, Lavalle, Fuente, Rostaing, les frères García et évidemment le maestro Alejandro Villanueva, l’Alianza Lima se repose sur ses idoles du fameux Rodillo Negro mais qui sont maintenant vieillissantes et les résultats ne suivent plus. Le club descend à l’échelon inférieur à l’issu du championnat 1938 et doit jouer l’année suivante le tournoi alors appelé « Division Intermédiaire ». En 1939, la première division péruvienne doit donc se passer de l’un de ses meilleurs clubs, comme en 1929 lorsque l’Alianza Lima s’est fait exclure pour ne pas avoir cédé de joueurs à la sélection. Le championnat y perd forcement en attractivité et les spectateurs se déplacent au petit stade de Potao dans le district du Rímac pour voir les virtuosités de la Blanquiazul. Il y avait alors plus de monde autour de ce petit terrain de division inférieur qu’au stade Nacional accueillant les matchs de l’élite. L’Alianza Lima remporte six des huit matchs du tournoi et joue une finale contre le champion de la ligue du Callao, San Carlos, pour définir le futur promu en première division de la ligue Lima-Callao. Les coéquipiers d’Alejandro Villanueva s’imposent deux buts à un et valident leur ticket de retour dans l’élite pour la saison 1940.

Le fond Blanquiazul

En 2017, l’Alianza Lima se consacre champion national après une campagne parfaite en remportant l’Apertura et le Clausura. En 2018 après avoir éliminé Melgar en demi-finale, l’Alianza chute en finale contre le Sporting Cristal qui décroche sa dix-neuvième étoile. En 2019, les blanquiazules décrochent le Clausura et une place en demi-finale contre le Sporting Cristal en guise de revanche. Après deux duels âpres, le club écarte les Celestes et se hisse en finale contre Binacional mais étouffe dans l’altitude de Juliaca et perd lourdement quatre buts à un. Pour le match retour à Lima, les Íntimos échoueront à un but près avec une victoire 2-0 et laisse Binacional savourer un titre national pour la première fois de son histoire. En juin 2019 un fonds d’investissement privé dénommé Fondo Blanquiazul débarque pour effacer les dettes du club auprès de ses différents créanciers et devient alors actionnaire principal à 80% puis en septembre de la même année, préside le board avec pour ambition de revenir sur le devant de la scène et remplir l’armoire à trophée. Le Fondo Blanquiazul souhaite faire de l’Alianza Lima un club modèle et novateur en développant le centre de formation, en rénovant le stade Alejandro Villanueva et en construisant une équipe première la plus compétitive du pays. Pour ce dernier aspect, les nouveaux décideurs misent sur des noms connus du paysage footbalistique péruvien. Même si leur génie technique n’est plus à prouver, on peut toutefois émettre des doutes sur la discipline des Jean Deza, Alexi Gómez et autre Carlos Ascues débarqués en grande pompe au début de l’année 2020. Il en va de même pour Beto Da Silva et Alberto Rodríguez qui sont des joueurs clairement au-dessus de la moyenne, mais qui collectionnent les blessures. Un recrutement XXL mais très risqué. La presse péruvienne, toujours dans l’excès, s’en donne à cœur joie en titrant « donnez-leur le trophée dès maintenant ».

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Panne de victoire à La Victoria

Avant d’aborder 2020, l’Alianza Lima reste donc sur un titre et deux places de vice-champion. Pablo Bengoechea, entraineur et cerveau du titre de 2017, est reconduit et tout porte à croire que cette saison s’annonce grandiose lorsqu’arrive les premières indisciplines. À quelques jours du début de la saison, Carlos Ascues et Jean Deza sont surpris par un programme de télévision en train de faire une énorme fête avec filles et alcool. Aucune sanction ne tombe, à peine quelques remarques. Mais le premier couac arrive vite, dès la première journée. Le club de La Victoria, qui menait 2-1 jusqu’à la 80e, se fait renverser par l’Alianza Universidad et perd 2-3. Pour le deuxième match, les Íntimos évitent de peu une seconde défaite en égalisant à la 90e contre Carlos Mannucci. Le troisième match est tout aussi laborieux contre le promu Atlético Grau, qu’ils battent sur un penalty. Les débuts sont déjà très décevants en championnat mais la Libertadores va en rajouter une couche.

Le premier adversaire, le Nacional de Montevideo se présente au Matute début mars et marque un des buts les plus rapide de l’histoire de la compétition. La même semaine se joue le Clásico contre Universitario et il est inutile de rappeler l’importance de gagner ce genre de match. Le 8 mars 2020, soit une semaine avant l’arrêt complet du pays avec l’arrivée de la COVID-19, l’Alianza Lima perd 2-0 et son entraineur démissionne dans la foulée. Le pays est en proie à la terrible pandémie qui se propage et le gouvernement décide logiquement de suspendre toutes les compétitions sportives. Le club de la Victoria arrive toutefois à convaincre le Chilien Mario Salas, champion 2018 avec le Sporting Cristal, de diriger l’équipe première. Pendant ce temps, Jean Deza en fait encore à sa tête et brave le confinement pour profiter de la vie à sa manière sans se soucier des différentes sanctions qui lui tombent dessus. Finalement, le 15 juin, le club décide de se séparer de sa nouvelle recrue. À la fin du mois de juin, plusieurs joueurs sont en fin de contrat, il s’agit des Uruguayens Luis Aguiar, Adrian Balboa et Federico Rodríguez qui ne sont pas reconduit malgré leur professionnalisme et les nécessités sportives du club. Nous sommes qu’à la moitié de l’année et les problèmes s’empilent déjà.

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La Blanquiazul touche le fond(s)

Lorsque le championnat reprend enfin début août, le club Binacional, premier adversaire de l’Alianza Lima, est sanctionné pour ne pas avoir respecté le protocole sanitaire et perd donc le match sur tapis vert. Trois points qui sont donc offert et plutôt bienvenus car le club est incapable de gagner les quatre matchs suivants. En septembre, la Libertadores repointe le bout de son nez avec un match contre Estudiantes de Merida, l’adversaire le plus abordable du groupe. Après avoir mené 2-0, les joueurs dirigés par Mario Salas se font remonter trois buts et perdent. Le pire reste à venir. L’Alianza perd son match contre Racing et entre dans l’histoire de la Libertadores le 1er octobre après un nul contre Estudiantes de Merida et donc un vingt-deuxième match consécutif sans victoire, un record dans la compétition. L’Alianza Lima voulait se faire un nom, elle l’aura en Libertadores comme une des pires équipes. En championnat, les résultats ne s’améliorent pas non plus. Le mois d’octobre, fêté à Lima en hommage au Seigneur des Miracles, est un véritable désastre avec six défaites, deux nuls et une seule victoire. Les dirigeants décident de licencier Mario Salas à la fin du mois. Guillermo Salas, en charge des équipes de jeunes, prend l’intérim sur le banc contre Melgar, l’équipe déroule et écrase le club d’Arequipa quatre buts à zéro. Mais étrangement, les dirigeants nomment l’Argentin Daniel Ahmed pour prendre en charge l’équipe première pour les six derniers matchs. Il n’en remportera aucun. L’Alianza Lima joue son dernier match en première division le samedi 28 novembre 2020 avec une défaite 2-0 contre Sport Huancayo qui condamne le club à évoluer en deuxième division pour la saison 2021. La nouvelle sonne comme un véritable coup de tonnerre dans le milieu du football péruvien qui perd l’un de ses plus anciens et glorieux clubs.

Un enchainement de mauvaises décisions dès le premier jour a précipité le club dans la pire crise depuis quatre-vingts ans. Mauvais recrutement, mauvaise gestion disciplinaire des joueurs, non rénovation de joueurs importants et enfin succession de trois entraineurs aux styles bien différents sur le banc. L’équipe première est passé d’un Uruguayen à un Chilien puis à un Argentin, le tout en quelques mois. Le Fondo Blanquiazul voulait faire du club un modèle mais il est le parfait contre-exemple de comment administrer un club. La seconde division sera une épreuve difficile et heureusement que l’Alianza Lima pourra compter sur son peuple blanquiazul. Comme en 1939, ce sera l’occasion rêvée de montrer qu’un géant ne meurt jamais.

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Romain Lambert
Romain Lambert
Parisien expatrié sur les terres Inca, père d’une petite franco-péruvienne, je me passionne pour le football de Lima à Arequipa en passant par Cusco. Ma plus forte expérience footballistique a été de vivre le retour de la Blanquirroja à une coupe du monde après 36 ans d’absence.