Au terme d’une folle soirée d’élection, la fédération uruguayenne a un nouveau président.
Sept mois après, l’AUF a élu un nouveau président, au terme d’une soirée à suspense. Pouvait-il en être autrement ? Pour rappel, les élections régulières auraient dû avoir lieu début août 2018, mais après moult rebondissements , la FIFA était intervenue et avait nommé un triumvirat pour changer les statuts, clarifier la situation, et organiser de nouvelles élections plus transparentes et incluant toutes les parties prenantes, c’est-à-dire, comme avant, les équipes de premières et secondes divisions, mais aussi le football amateur, féminin, de l’intérieur, le futsal, les joueurs, les arbitres, les entraîneurs... À la tête du triumvirat, Pedro Bordaberry, homme politique local, fils de dictateur. Son objectif donc : organiser, en six mois, une élection digne de ce nom, indépendante des pressions du groupe Tenfield, dirigé par Paco Casal, diffuseur du championnat local, omnipotent au sein de l’AUF ancienne version.
Bordaberry a, au final, bien fait son travail. Il a fait accepter les statuts par tout le monde, alors que de nombreux clubs contestaient sa nomination y voyant un « coup d’état ». Sa mission a tellement bien fonctionné qu’il s’est vu un temps continuer et qu’il souhaitait se porter candidat à la présidence de l’AUF. Il en a été empêché par une manœuvre des clubs pro-Tenfield qui ont allongé son mandat jusqu’à l’élection, l’empêchant juridiquement de pouvoir se porter candidat. Tenfield a mis en place d’autres manœuvres pour contrôler la situation. Ils ont d’abord acheté les droits de diffusion du championnat de l’intérieur, l’OFI, et en ont assuré une diffusion comme jamais vu cet été. Cela crée un lien de dépendance utile... Ils ont aussi cherché à s’assurer le soutien de nombreux petits clubs de la deuxième division, ou de la troisième, par quelques manœuvres dont Paco et ses sbires ont le secret.
Deux candidats se sont présentés aux suffrages ce jeudi 21 mars, Oscar Curutchet et Ignacio Alonso. Curutchet est ancien président de Danubio, premier adjoint au maire Frente Amplio de Montevideo, Daniel Martinez, candidat à la présidence de la République en fin d’année. Curutchet est l’homme de Casal, ayant toujours lutté contre l’intervention de la FIFA (les clubs qui le soutiennent sont allés jusqu’au TAS), contre la remise en cause des accords avec Tenfield. Il dispose du soutien de la majorité des clubs de premières divisions hors Peñarol et Nacional. Il souhaite améliorer leur financement, au détriment des autres divisions de l’AUF, quitte à organiser une ligue à l’anglaise. En face, Ignacio Alonso n’est pas un perdreau de l’année, puisqu’il a fait partie de l’équipe de l’ancienne direction de l’AUF de Wilmar Valdez, mais il s’est montré plus regardant sur les contrats avec Tenfield, propose de remettre en piste une AUFTV pour faire concurrence à Paco... Il dispose du soutien des deux grands, qui souhaitent émanciper leur activité de Paco (ils sont moins dépendants de lui de par leur participation à la Libertadores, aux recettes de billetterie, etc.). Il a aussi le soutien des joueurs, des féminines, des entraîneurs. Il est pour une plus grande intégration du football uruguayen et pendant longtemps, on a cru qu’il aurait donc le soutien de l’OFI. Mais patatras, le jour du vote, les délégués de l’OFI désavouent le vote de leurs ligues en décidant de soutenir à 6 voix contre 5 Curutchet. Le club de Plaza Colonia, en première division représentant donc deux votes, retourne aussi son suffrage sans que l’on sache vraiment pourquoi... On s’achemine donc vers une victoire de Curutchet, et c’est le cas au premier tour, par 38 voix contre 36. Soit une majorité simple, or le premier tour ne donne un président qu’avec une victoire aux deux tiers des votes. Un deuxième tour est donc organisé, durant lequel Curutchet devrait l’emporter. Mais le scandale gronde en coulisse, la bascule des délégués OFI ne passe pas auprès des ligues de l’intérieur, qui souhaitaient soutenir Alonso. Qu’est ce qui a fait se retourner ces délégués, ces neuf voix clefs dans le scrutin? Tout le monde le sait, personne ne le dit. Au second tour, et toujours à bulletin secret (grâce aux nouveaux statuts), le vent va de nouveau tourner. À bulletin secret, on ne peut dire évidemment avec certitude ce qu’il s’est passé, mais OFI n’a finalement pas voté en bloc, et certaines voix se sont finalement reportées sur Alonso au deuxième tour, ce qu’il lui a permis de l’emporter. 40 voix à 34, écart confortable, mais simplement basé sur le retournement de quelques voix. Le nouveau président peut crier « Uruguay Nomá! ». La suite devrait être jazzy, car on imagine mal Tenfield en rester là.
Il suffit pour s’en convaincre de voir la communication de l’entreprise au cours de la soirée électorale. Après avoir annoncé à 21:46 que Curutchet avait gagné le premier tour, et qu’il serait sans doute élu définitivement au second, le compte twitter de l’entreprise a pris note de la victoire d’Alonso à 23:08, avant d’annoncer en majuscule à 23:23 que le ministère ferait appel de la victoire d’Alonso, remettant en cause des votants et le fait que Bordaberry, sénateur de la République, n’était pas en droit d’organiser une élection d’après son statut. La guerre ne fait donc que commencer, mais quand Lugano déclarait, il y a quelques temps, que tout changement passerait par un changement de statut, il avait raison.



