L'entraîneur à la tête de la Celeste depuis 2006 vient d'être remercié de la sélection uruguayenne. C'est la conséquence de quatre défaites consécutives et d'un mois de conciliabules la tête de l'AUF. La fin piteuse d'un cycle de quinze années.

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Septième au classement des éliminatoires de la zone CONMEBOL, à un point d'une place qualificative, l'Uruguay se sépare donc de son sélectionneur après quinze ans sur le banc. Tout a commencé en octobre dernier.Après la défaite à Manaus contre le Brésil (4-1), les différents membres du comité exécutif de l'AUF dirigé par Ignacio Alonso ont communiqué entre eux et ont convenu d'un rendez-vous le samedi suivant avec Tabárez, mais aussi avec son staff technique. Deux heures plus tard, une dernière réunion était décidée sans l'entraîneur cette fois le lendemain, réunion à l'issue de laquelle la surprise était totale : alors que le licenciment du Maestro ne faisait aucun doute, celui-ci était maintenu. Durant ces trois jours, une vaste mascarade avait été mise en place avec notamment des contacts avec la presse, certains affirmant que le Maestro resterait jusqu'à après les matchs de novembre, d'autres indiquant que le changement aurait lieu maintenant. Dans le même temps, les rumeurs allaient bon train avec par exemple les dirigeants de l'Inter de Porto Alegre confirmant qu'il ne retiendrait pas Diego Aguirre si ce dernier était appelé en mission pour sauver son pays.

C'était reculer pour mieux sauter. Un mois plus tard, deux nouvelles défaites, une sévère face à l'Argentine, une plus logique face à la Bolivie, après la mise en place d'une logistique assez particulière pour ce match, ont finalement entériné l'idée. Un communiqué de quinze lignes, sans doute une par année, a donc été publié, une ère historique prend fin sur un tweet.

Pour le Maestro, c'est la fin d'un très long parcours, d'un chemin, que l'on vous racontait en détails dans le magazine Lucarne Opposée numéro 14. Il laisse une trace indélébile que l'histoire jugera. Si ce sont les derniers résultats qui l'ont perdu, on notera malgré tout qu'il laisse l'Uruguay à la septième place, avec un tout petit point de retard sur le quatrième avant un déplacement au Paraguay enlisé derrière et deux réceptions consécutives du Venezuela puis du Pérou. Si l'Uruguay se qualifie, ce sera sa quatrième participation de rang, chose qui n’est arrivée qu’à une seule reprise dans l’histoire. C'est à cette aulne là que sera jugé son successeur, très probablement Diego Aguirre. Ce dernier est une sorte de rupture dans la continuité, car il connaît très bien Tabárez et a été un temps son disciple. Il a gagné avec lui une Libertadores en 1986 (en tant que joueur côté Aguirre) avant de faire partie du staff de la sélection chez les jeunes à la fin des années 2000. Par la suite, il a conduit Peñarol en finale de la Libertadores avant d'enchaîner les expériences dans le Golfe persique et au Brésil. Sachant où le Maestro laisse la sélection, la tâche d'Aguirre sera titanesque, voire impossible...

La frange (importante) de la population ayant appelé à virer Tabárez a fait beaucoup de reproches autour du fait qu'il n'avait au fond gagné qu'une Copa América en quinze ans et que le football se gagne, peu importe comment ou les processus mis en place pour y arriver. Cela veut donc dire que pour qu'Aguirre réussisse, il faudra qu'il gagne la prochaine Coupe du Monde. Ou du moins, qu'il fasse dernier carré. Et encore. Bon courage à lui. En cas de non-qualification, l'échec serait immense à l'AUF n'aura d'autre choix que de chercher à nouveau un sélectionneur d'ici au printemps prochain. Il y a cette idée que le Maestro a eu un groupe d'exception, que c'est pour cela qu'il a réussi. Comme le rappelait Luis Suárez avant la double session de novembre, en 2005, l'Uruguay sort pourtant par la très petite porte en barrages et ne participe pas à la Coupe du Monde allemande, malgré Paolo Montero, Fabian Carini, Marcelo Zalayeta (tous les trois à la Juventus), Álvaro Recoba (Inter), Diego Forlán (Villarreal), Pablo García et Carlos Diogo (Real Madrid), Dario Rodríguez (Schalke 04), Fabián Estoyanoff (Cadix CF) etc. L'oubli est une forme de vengeance et de pardon, comme le dit la chanson.

 

Le football est ainsi fait. Impossible de dire qui a raison, qui a tort. Il est facile de vouloir changer d'entraîneur. Si le suivant échoue, on pourra toujours demander sa tête, aussi. Et ainsi de suite. Le résultat est évidemment important mais il y a aussi les larmes. Les larmes, les chouettes, les brillantes, comme celles après le match contre l’Équateur en 2009, contre le Ghana en 2010, contre l'Argentine en 2011, contre l'Italie en 2014... mais aussi un peu contre le Portugal en 2018, la rage injuste contre le Chili en 2015, les bons moments, les moins bons. Tabárez s'est toujours trompé sur un point : il a toujours voulu croire que ce qu'il avait construit pourrait perdurer après lui. L'Uruguay a loupé trois des quatre Coupe du Monde qui l’ont précédé (et celle jouée en 2002 n'a pas été un franc succès). Demain, l'Uruguay pourrait bien à nouveau louper la plus belle des échéances. Même si l'on souhaite évidemment le contraire et même si l'on reste confiant sur la qualification au vu de la position de l'équipe, il ne faut jamais sous-estimer l’appétit de l'être humain pour la destruction.

En attendant, il reste l'émotion laissée sur le chemin. Gracias, Maestro.

 

Avec Nicolas Cougot

 
Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba