Un an après avoir changé de dimension en recrutant Leônidas, São Paulo remporte le championnat paulista 1943 malgré des débuts difficiles et la méfiance des autres clubs.

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Le 25 janvier 1930, le São Paulo Futebol Clube voit le jour et adopte comme couleurs le blanc, le rouge et le noir. Ces couleurs font référence à deux anciens clubs historiques de São Paulo, le Paulistano, qui joue en blanc et rouge, et l’A.A. das Palmeiras, à ne pas confondre avec le Palmeiras actuel, qui joue en blanc et noir. La crise économique mondiale de 1929 fragilise ces deux clubs, qui s’opposent également au professionnalisme naissant et à la perte du côté élitiste du football. Les deux clubs mettent fin à leur section football, mais des dirigeants en désaccord avec ce choix se réunissent pour fonder le São Paulo Futebol Clube. La grande star du football brésilien de l’époque, Arthur Friedenreich, qui remporte six fois le championnat paulista avec le Paulistano, rejoint également le São Paulo FC, avec qui il remporte le championnat paulista 1931.

Arrivée d’une nouvelle idole

Le São Paulo FC achète un siège et, en raison d’un conflit avec la confédération brésilienne des sports, toujours concernant le professionnalisme, le club se retrouve en difficulté financière et est « refondé » selon les statuts du club en 1935. São Paulo perd ses principaux joueurs et ne gagne plus le championnat paulista, avec comme meilleur résultat une deuxième place en 1938 et 1941. Le club change cependant de dimension en 1942 lorsqu’il recrute Leônidas, le successeur de Friedenreich comme meilleur joueur du Brésil. Leônidas est pourtant loin de son niveau de la Coupe du Monde 1938 qu’il avait terminée meilleur buteur, en raison d’une blessure au genou, d’un goût marqué pour la fête et même d’un passage en prison pour falsification de documents militaires. Le prix du transfert, qui bat le record d’Amérique du Sud, fait grincer quelques dents, d’autant plus que Leônidas est considéré comme vieillissant à bientôt vingt-neuf ans. Qu’importe, les supporters de São Paulo l’accueillent comme une idole dès son arrivée à la gare, et son premier match avec le club, un 3-3 contre le Corinthians, bat le record d’affluence du Pacaembu avec 71 280 spectateurs.

Leônidas ne marque pas face au Corinthians, mais fait trembler les filets dès le match suivant avec un doublé contre Santos. Deux semaines plus tard, Leônidas marque d’une bicyclette, sa spécialité, contre le grand rival, Palestra Itália. Les deux équipes se retrouvent en fin de championnat pour un match décisif, Palestra Itália étant devenu entre-temps Palmeiras après l’interdiction des références à l’Italie en raison de la Seconde Guerre mondiale, où le Brésil rejoint les Alliés. Au Pacaembu, Palmeiras défait le São Paulo de Leônidas et Waldemar de Brito dans un match connu sous le nom de Arrancada Heroica, qui offre le titre à Palmeiras. Malgré soixante-dix-sept buts marqués en seulement vingt matchs, São Paulo termine troisième, derrière l’autre rival, le Corinthians. São Paulo poursuit son recrutement ambitieux, après les arrivées en 1942 de Leônidas, mais aussi de deux joueurs de Vasco, Noronha et Zarzur. En 1943, São Paulo recrute Zezé Procópio, vainqueur du championnat paulista 1942 avec Palmeiras, et surtout la légende du football argentin, Antonio Sastre.

Antonio Sastre : L'inventeur du football moderne en Amérique du Sud

Pile ou face

Antonio Sastre remporte deux fois le championnat argentin avec Independiente et deux fois le championnat sud-américain avec l’Argentine, en 1937 et 1941. Polyvalent et complet, Sastre est un renfort de poids, mais comme Leônidas, il est jugé durement par les supporters adverses, qui le surnomment même « désastre » en raison de son âge avancé pour l’époque, trente-deux ans. Avant le championnat paulista, les dirigeants des différents clubs se réunissent pour définir les nombreux points du règlement. La réunion s’éternise et un dirigeant agacé avance qu’il suffit de tirer à pile ou face pour désigner le vainqueur du championnat entre Palmeiras et le Corinthians, qui se partagent tous les titres depuis 1936, sans rien laisser aux autres. Un dirigeant de São Paulo, la légende ne définit pas s’il s’agit du président Décio Pedroso ou de l’ancien président Frederico Menzen, demande alors : « Et São Paulo ? ». La réponse est cinglante : « Seulement si la pièce tombe sur la tranche ».

Troisième force du football pauliste, São Paulo débute le championnat paulista 1943 par une victoire 4-1 sur Comercial avant de perdre dès la deuxième journée face à Ypiranga, Leônidas voyant son penalty arrêté par Barbosa, futur gardien de Vasco et de la Seleção. São Paulo se reprend avec deux victoires, avec à chaque fois un doublé de Leônidas, mais fait ensuite deux matchs nuls 1-1 avec entre-temps une défaite contre le Corinthians. Les débuts très moyens sonnent la fin de l’entraîneur uruguayen Conrado Ross, passé également par Sochaux. Pour le remplacer, le nom de Vicente Feola, qui a entraîné à plusieurs reprises le club, est attendu, mais la direction nomme finalement le Portugais Joreca. Employé de la fédération pauliste de football, Joreca est également journaliste et s’est essayé à l’arbitrage, dirigeant notamment le 3-3 entre le Corinthians et São Paulo en 1942, match qui avait marqué les débuts de Leônidas au Tricolor. Les débuts sont convaincants : São Paulo bat Santos 6-1 avec un triplé de Leônidas. Le Diamante Negro réussit un nouveau triplé lors du match suivant, où São Paulo écrase 8-1 la Portuguesa Santista. Leônidas est ensuite blessé, ce qui n’empêche pas São Paulo de conclure la phase aller sur une nouvelle victoire, 2-1 contre Palmeiras, match qui bat le record brésilien de recette à la billetterie, 20 % de la somme servant en plus à financer la campagne du Brésil à la Seconde Guerre mondiale.

São Paulo continue d’enchaîner les victoires lors de la phase retour, portant la série à douze succès consécutifs. La Portuguesa Santista, déjà défaite lourdement à l’aller, est cette fois battue 9-0, avec six buts de Sastre ! « Pour “Don Antonio Sastre”, il n’y a plus jamais eu de mention de “Desastre”, seulement le surnom hérité de l’époque d’Independiente, “El Maestro” », écrit Michael Serra dans son livre São Paulo Futebol Clube – Onde a moeda cai em pé. Les six buts de Sastre sont encore aujourd’hui un record du club pour un joueur dans un même match. C’est ensuite au tour de Leônidas de briller avec un but et une passe décisive dans le succès 2-0 sur le Corinthians. Lors du match suivant, contre Santos, Sastre et Leônidas se mettent à nouveau en valeur. « Santos a été battu facilement sur le score de 4-1. Même au Vila Belmiro, Sastre et Leônidas ont montré un football d’une “équipe de rêve”. Les deux ont marqué chacun deux buts. Cela a été une leçon de football », rappelle Roberto Sander dans le livre Anos 40, viagem à década sem Copa. Le Corinthians s’incline ensuite contre Palmeiras et perd son fauteuil de leader. Pour être enfin champion, São Paulo a besoin seulement d’un match nul lors de la dernière journée, justement contre Palmeiras, qui peut de son côté forcer une phase supplémentaire et un supercampeonato avec le Corinthians et São Paulo en cas de succès au Pacaembu.

Sur la tranche

Le 3 octobre 1943, plus de 50 000 spectateurs sont au Pacaembu pour un nouveau record à la billetterie. Le match bascule dès la sixième minute lorsque le palmeirense Junqueira commet une grosse faute sur Sastre, qui ne peut plus continuer à jouer. Les changements étant interdits à l’époque, Sastre reste sur le terrain et se positionne en défense, mais il ne peut plus participer au jeu, la mène de l’équipe revenant alors à Luizinho. En première période, Leônidas tente sans succès une bicyclette et Oberdan réalise le plus gros arrêt du match devant Remo. Contraint à la victoire, Palmeiras pousse en seconde période pour marquer, mais le milieu de terrain Zarzur contient les attaques et lorsque la défense são-paulina se retrouve en difficulté, King réalise plusieurs parades, détournant notamment une frappe de Caxambau en corner. Le score reste à 0-0 et après un ultime corner pour São Paulo, l’arbitre siffle la fin du match. Après douze années d’attente, São Paulo déjoue les pronostics et les tirages au sort et est enfin champion.

Deux jours plus tard, le journal O Esporte écrit : « Il est là : champion, superbe, fier et puissant !!! Luttes, gloires, rêves, tout se confond dans le son des cloches, dans l’alléluia de l’âme radiante são-paulina ». La légende de la pièce est immortalisée lors du défilé des champions dans la ville, avec une voiture sur laquelle est placée une immense pièce, positionnée sur la tranche. Le journal O Esporte poursuit : « Et la pièce tomba sur la tranche ! Pour un grand accomplissement, de grands hommages. Célébrant la fin d’une lutte de titans, les são-paulinos ont réalisé hier un énorme défilé. Apothéotique fut la manifestation du triomphe de São Paulo. La ville n’a jamais vu quelque chose de ce genre, un véritable carnaval en plein mois d’octobre ! ». Avec seize buts en quinze matchs, Leônidas est, aux côtés de Sastre et ses treize buts, le grand héros de ce sacre. « Il a été la première idole du club. Il a donné un statut de champion à São Paulo », explique le journaliste Alberto Heleno Júnior. Le prix du transfert devient amplement justifié et Leônidas remporte à nouveau avec São Paulo le championnat paulista en 1945, 1946, 1948 et 1949, offrant au São Paulo FC le surnom de « Rolo Compressor ».

Le titre de 1943 reste spécial pour être le premier, pour être celui qui a mis fin à la domination du Corinthians et de Palmeiras, qui a changé l’histoire du club. La légende de la pièce sur la tranche est immortalisée par le dessinateur de Gazeta Esportiva, Nino Borges, qui trace les traits du président de São Paulo, Décio Pedroso, entouré de ses homologues du Corinthians et de Palmeiras, une pièce sur la tranche dans sa main. Cinquante ans plus tard, le club offre des pièces commémoratives aux joueurs, dirigeants, sócios et journalistes de l’époque, mais aussi aux récents champions du monde 1992 comme Cafu, Toninho Cerezo et Raí. Une pièce à poser sur la tranche évidemment.

 

Marcelin Chamoin
Marcelin Chamoin
Passionné par le foot brésilien depuis mes six ans. Mon cœur est rouge et noir, ma raison est jaune et verte.