Le Brésil a besoin d’un match nul face à une Italie encore peu convaincante dans cette Coupe du Monde pour se qualifier en demi-finales. Au terme d’une rencontre exceptionnelle, la Seleção est anéantie et avec elle, le futebol-arte.

La Seleção de Telê Santana brille lors des quatre premiers matchs de Coupe du Monde, avec quatre victoires et treize buts marqués. « Le plus grand spectacle de football », titre ainsi le journal catalan El Periódico alors que le journaliste brésilien Juca Kfouri rend hommage à « la beauté, la légèreté, l’enchantement avec lesquels nous faisons du football un art mystérieux pour la majeure partie du monde. Notre magie est de retour, irrémédiablement rétablie. […] Pensez, mes amis, tant que le titre n’est pas arrivé. Ce n’est pas mieux de perdre ainsi – va-t’en, verbe maudit – qu’une victoire par trahison ? Samba ! ». Pour Zero Hora, Ruy Carlos Ostermann écrit avant le match contre l’Italie : « Il reste trois matchs au Brésil pour être champion du monde. Je n’ai plus de doutes après avoir vu les principaux prétendants : le Brésil ne peut perdre que par lui-même. La différence avec les autres est énorme, il n’y a plus personne. […] Le football est aussi fait de certitudes et l’un de ces certitudes est unanime : personne ne joue autant au football lors de cette Coupe du Monde. Ainsi, l’adversaire du Brésil est le Brésil lui-même ».

Épisode 1 :  Telê Santana prend en main la Seleção

Un adversaire discrédité

Futur adversaire du Brésil, le sélectionneur italien Enzo Bearzot rendait hommage à la Seleção plus tôt dans le tournoi : « Le Brésil est la seule équipe à avoir au moins seize joueurs d’exception et aucun point faible. Ses joueurs sont les meilleurs, avec un écart très important sur les autres et ils gagneront le titre avec la même facilité qu’ils l’ont fait en 1958 ». Un sentiment partagé par Sócrates, qui déclare : « Je crois que personne ne peut empêcher le titre du Brésil ». De son côté, Telê Santana critique le système défensif italien, « un système de marquage dépassé […] le vieux marquage homme à homme », mais rend hommage à la Nazionale : « Même si elle est défensive, il s’agit d’une équipe qui sait ce qu’elle veut sur le terrain et progresse depuis la première phase. Elle a bien joué contre l’Argentine et a su consciemment exploiter les contre-attaques, c’est de cette façon qu’elle a marqué deux buts à l’Argentine. Je répète que le Brésil n’est pas favori contre l’Italie, nous avons seulement l’avantage de jouer pour le match nul, ce qui ne sera pas notre objectif puisque nous jouerons pour la victoire ». L’ancien sélectionneur Aymoré Moreira, observateur pour Telê, alerte également du danger italien : « Le sélectionneur Bearzot a monté une équipe solide, appliquée, compétitive et qui occupe tous les espaces sur le terrain. L’Italie sera un grand adversaire », remarque qui lui vaut le mépris d’un consultant de télévision au Brésil.

La presse italienne voit également le Brésil comme grand favori, à l’image de La Repubblica qui titre : « Au secours, le grand Brésil arrive ». Les relations entre la sélection italienne et la presse nationale sont très tendues. Deux ans plus tôt, l’Italie déçoit lors du championnat d’Europe disputé à domicile avec une élimination au premier tour. Pire, le championnat national est secoué par le scandale du Totonero, où des matchs sont truqués pour des paris illégaux. De nombreux joueurs sont suspendus, dont Paolo Rossi, qui clame pourtant son innocence. Le buteur de Pérouse, qui aurait reçu trois millions de lires pour un match nul contre Avellino, est suspendu trois ans, sanction ramenée à deux ans, notamment grâce à l’intervention du sélectionneur Enzo Bearzot. Paolo Rossi revient à la compétition en mai 1982 et peut ainsi être convoqué pour la Coupe du Monde. « Je ne suis pas le sauveur, n’espérez pas de miracles de ma part, mais vous pouvez compter sur moi », déclare alors Paolo Rossi. La sélection de Paolo Rossi est critiquée par son propre coéquipier, le milieu de l’Inter, Gabriel Oriali, qui juge : « Avec Paolo Rossi en attaque, nos chances de remporter la Coupe du Monde sont réduites ». Le début de tournoi donne raison à Oriali puisque Paolo Rossi ne marque aucun but lors du premier tour. Le sélectionneur Enzo Bearzot est jugé comme dépassé, le capitaine Dino Zoff trop vieux et la prime accordée aux joueurs pour la qualification au second tour est critiquée, y compris par des hommes politiques. Lorsque la presse relaie des rumeurs de relations homosexuelles entre certains athlètes, les joueurs italiens entament une grève du silence et ne lui parlent plus. En raison de la forme différente des équipes, l’efficacité et le spectacle du « carrousel brésilien » selon Tostão face au jeu poussif des Italiens, la Seleção est favorite, mais ne cède pas à l’excès de confiance. Dans le livre Sarriá 82, o que faltou ao futebol-arte ?, de Gustavo Roman et Renato Zanata, le journaliste Mauro Beting explique : « Le Brésil n’a absolument pas sous-estimé l’Italie et n’a pas non plus joué de manière si ouverte, comme tous aiment le dire. Telê n’était pas fou, il savait que l’Italie, même si elle ne jouait pas bien dans cette Coupe du Monde, était une grande équipe, peut-être inférieure à celle de 1978, mais quand même une grande équipe ».

Épisode 2 :  Derniers préparatifs avant la Coupe du Monde

Avec l’avantage du match nul, le Brésil peut se poser la question de la stratégie à adopter, mais Telê reste fidèle à ses principes : « Nous n’allons pas changer maintenant, nous n’allons pas défendre parce que nous ne savons pas jouer comme cela. Nous allons imposer notre rythme et c’est comme cela que nous allons détruire n’importe quelle arme de l’adversaire ». Du côté de l’Italie, Enzo Bearzot adopte des principes différents, mais une attitude similaire : « La sélection italienne doit être fidèle à elle-même. […] Le système tactique que nous utilisons, qu’ils aiment ou non, est celui d’un jeu en contre-attaque et il ne peut en être d’une autre manière. En faisant autrement, nos chances diminueraient considérablement ». Telê craint la liberté du libéro Gaetano Scirea et demande à Zico de gêner la relance. « Telê a fait son discours d’avant-match et nous a dit ce que nous devions faire. Le changement était de ne pas laisser jouer Scirea. […] Telê a demandé que je ferme au milieu lorsque Scirea avait le ballon. Et Sócrates, Falcão ou Cerezo, quelqu’un devait couvrir l’espace à droite avec Leandro », explique Zico. Falcão, qui confie à la presse avant le match que « l’Italie est dangereuse sur contre-attaque », suggère de faire jouer Zico à droite : « Le latéral gauche Cabrini aurait toujours eu quelqu’un sur lui, c’était un joueur qui venait apporter le soutien offensivement, si bien que le premier but italien est venu de l’un de ses centres ».

Serginho encore maladroit

Sur la pelouse de Sarrià, Paolo Rossi est alerté en tout début de match, mais il ne peut conclure dans la surface. Le Brésil contre-attaque rapidement avec des passes courtes, en talonnade pour Sócrates, mais Leandro, n’ayant personne avec qui combiner à droite, choisit le centre dans la surface. L’Italie récupère le ballon et remonte vers la droite, avant que Bruno Conti ne renverse le jeu vers le latéral gauche Cabrini. Dans le livre Sarriá 82, o que faltou ao futebol-arte ?, Leandro explique : « Sur le but de l’Italie, j’étais sur Graziani et ils ont lancé le ballon vers Cabrini. Il est arrivé libre et je ne pouvais pas défendre sur les deux. Je n’ai pas eu le temps d’arriver, Cabrini centrait déjà ». Paolo Rossi échappe au marquage de Júnior et marque de la tête son premier but du Mondial. Comme face à l’URSS et l’Écosse, le Brésil se retrouve mené au score, mais réagit rapidement. Cinq minutes après le but, Serginho est trouvé en pivot et se bat au milieu de trois Italiens. Le ballon rebondit sur Zico et arrive dans la surface, mais Serginho se précipite et, de son mauvais pied, croise trop son tir, s’attirant les reproches de Zico, également bien placé pour conclure.

Dans son livre Tragédias, Batalhas e Fracassos, as derrotas brasileiras nas Copas do Mundo, Leonardo Turchi Pacheco écrit : « Zico aurait difficilement marqué ce but sans Serginho, qui, maladroit, est arrivé devant lui, l’a gêné et a tiré bizarrement à côté, souriant ensuite, se lamentant de l’erreur. Pour cette action et d’autres, Serginho a été identifié par les supporters comme l’un des principaux fautifs ». Un sentiment qui s’étend à la presse, à l’image de ce commentaire sévère d’Oldemário Touguinhó : « La Seleção de 1982 a produit le plus beau football de la Coupe du Monde en Espagne. Il y avait de grands artistes, comme Falcão, Zico, Sócrates, Cerezo et Júnior. De l’autre côté, il y avait Waldir Peres dans une phase difficile et le médiocre Serginho Chulapa à la pointe de l’attaque. Un joueur valeureux, généreux et rien de plus ». Quadruple meilleur buteur du championnat paulista et meilleur buteur du Brasileirão 1983, Serginho Chulapa avait des qualités de buteur, mais du haut de son mètre quatre-vingt-quatorze, n’était pas au niveau technique de ses partenaires, entraînant les regrets du joueur lui-même, comme il l’explique à Wladimir Miranda dans le livre O artilheiro indomável : « Si je pouvais revenir dans le temps, je jouerais de la façon dont j’ai toujours joué, dont j’aimais jouer. Cette équipe avait beaucoup de joueurs techniques et j’étais orphelin. En plus, il y avait le groupe des paulistes, des cariocas et des gaúchos, une absence totale d’union ».

Épisode 3 : La samba arrive en Europe

La titularisation de Serginho est une surprise au regard d’une déclaration de Telê Santana, dès sa prise de fonction en 1980 : « Je donne la préférence aux joueurs techniques. Mon avant-centre sera un crack, comme l’a été Tostão en 1970. Je veux une attaque avec des joueurs doués avec le ballon ». Pour Leandro, « notre équipe avait un jeu de passes rapide et précis. Il n’y a pas un match où Serginho vient toucher le ballon, combiner avec les autres. Il jouait presque isolé de l’équipe. Sans vouloir le négliger, c’était un mec qui n’avait pas la même facilité technique que les autres ». Dans le livre Sarriá 82, o que faltou ao futebol-arte ?, Júnior donne une indication sur le motif de la sélection de Serginho : « Telê aimait Serginho, qui était un finisseur. Il y avait beaucoup d’actions qui passaient par nos latéraux pour aller au centre, peut-être qu’il voulait Serginho devant pour conclure. Au Mundialito, Serginho avait été très bon. S’il a fait une bonne Coupe du Monde ou non, c’est une autre histoire, mais jusqu’ici, il avait été très bon ».

La supposée absence d’union est quant à elle mise à mal par les déclarations de nombreux joueurs. Falcão parle d’un « groupe responsable aussi bien sur qu’en dehors du terrain », alors que pour Júnior, « ce qui est resté, c’est la joie immense d’avoir fait partie de ce groupe de joueurs. […] Je me considère comme privilégié d’avoir pu jouer dans cette équipe. Ce sont des moments inoubliables, il y a eu la musique “Voa canarinho, voa”, une ambiance qui a renforcé l’union. Tout cela a marqué nos vies ». Les deux principales stars de l’équipe, le pauliste Sócrates et le carioca Zico se respectent énormément, comme le dit Zico dans le livre Zico conta sua história : « Sócrates était un cas à part parmi les grands talents du football. Je ne vais pas parler de son intelligence, sa culture, ses préoccupations sociales… Vivre avec lui était très enrichissant, Sócrates agissait toujours pour le groupe, jamais pour lui-même. Ce n’était pas quelqu’un qui voulait se faire voir tout seul, il se sentait mieux et récompensé, en renforçant le groupe. Magrão et moi étions si amis que je me suis arrangé pour le faire venir ensuite à Flamengo. […] L’équipe de 1982 était une équipe où j’aimais jouer, il y avait un peu la même ambiance que nous avions à Flamengo ».

Le Brésil qualifié pendant treize minutes

Deux minutes après la frappe ratée de Serginho, Sócrates alerte Zico, qui se débarrasse du marquage autoritaire de Claudio Gentile et complète le une-deux dans la profondeur pour Sócrates. Le Doutor tire au premier poteau et réalise « une nouvelle œuvre d’art éternisée dans l’histoire de la Coupe du Monde », selon Marcelo Mora dans son livre Telê e a Seleção de 1982, da arte à tragédia. Sócrates célèbre son but les deux bras levés, mais a une sensation étrange, comme l’explique Mauro Beting dans le livre Sócrates de Tom Cardoso : « Sócrates n’a jamais été un mec mystique, au contraire, il avait l’habitude de se moquer de certaines croyances, très communes dans le football. Mais il m’a dit qu’après le but, il a ressenti quelque chose d’étrange, de négatif, un coup de froid, un “ange triste”. La sensation a été si forte qu’il s’est dit à lui-même : “Bordel, on a perdu la Coupe”. Il avait rêvé avant la Coupe du Monde qu’il marquerait le premier but du Brésil et le dernier, celui du titre. Mais en marquant contre l’Italie, il a eu la certitude que c’était le dernier du Brésil ». Le Brésil égalise et reprend provisoirement la première place du groupe. Dans la foulée, Claudio Gentile reçoit un carton jaune pour un tacle par-derrière sur Zico. Suspendu pour une éventuelle demi-finale, Gentile ne peut alors plus défendre avec la même brutalité.

Comme attendu, le Brésil a la maîtrise du ballon, mais l’Italie est efficace défensivement et ferme les espaces. Conti bloque les montées de Júnior, Graziani contient Leandro alors que Cabrini gêne Sócrates à la création et Collovati est au marquage de Serginho. À la vingt-cinquième minute, Cerezo réalise dans son camp une passe imprécise entre Falcão et Júnior, Paolo Rossi récupère et marque. En raison de cette action, Toninho Cerezo est l’un des accusés de la défaite, y compris par son entraîneur Telê Santana : « Toninho Cerezo a tenté une transversale dans une zone dangereuse. Le pire, c’est qu’il l’a fait à ras de terre ». Brillant au cours du tournoi, Cerezo reste dépité au milieu du terrain, Júnior déclarant au Jornal da Tarde : « Il y a une scène que je n’arrive pas à oublier. Quand l’Italie a marqué le deuxième but, j’ai regardé Cerezo et il était en train de pleurer. J’étais fou de rage. Je suis allé le voir et je lui ai dit : “Si tu n’arrêtes pas de pleurer maintenant, je vais te frapper. C’est un match pour les hommes”. On perdait le match, il fallait égaliser et tu vois le mec pleurer, ça ne peut pas arriver ».

Moins convaincant après le but italien, le Brésil aurait pu obtenir un penalty en fin de première mi-temps, Claudio Gentile retenant Zico dans la surface, au point de déchirer son maillot. « Le penalty a eu lieu sur une action roublarde. Gentile m’a retenu au moment où le ballon était ailleurs. Je me suis mis en mouvement, j’ai couru pour recevoir la passe, mais Sócrates ne m’a pas donné le ballon et à ce moment-là il m’a retenu. Je pense que l’arbitre ne l’a pas vu, s’il l’avait vu, il aurait été obligé de siffler. Je n’ai pas senti de malhonnêteté de la part de l’arbitre », explique Zico dans le livre Zico, 50 anos de futebol de Roberto Assaf et Roger Garcia. La première mi-temps s’achève sur un ultime corner brésilien et un cafouillage dans la surface italienne, Serginho ne parvenant pas à reprendre le ballon. Le Brésil est provisoirement éliminé, mais produit quarante-cinq minutes de très haut niveau, suivant la philosophie de son sélectionneur. Dans le livre Zico conta sua história, le numéro 10 brésilien poursuit : « Telê était passionné par le beau football, bien joué. Il consacrait beaucoup de temps aux matchs d’entraînements, il savait qu’une équipe a besoin de se connaître. C’est comme cela que le schéma de jeu naît, ou se consolide, il faut laisser les mecs jouer ensemble le plus possible. […] Peu d’entraîneurs donnent autant de libertés au joueur sur le terrain. C’est comme cela qu’on crée des espaces, des actions créatives qui font la différence ».

Le Brésil reprend l’avantage…

En seconde période, le Brésil continue de dominer et est proche d’égaliser, mais la frappe croisée de Júnior passe juste à côté du poteau de Zoff. L’Italie réagit, Graciani trouve au deuxième poteau Paolo Rossi, qui ne cadre pas sa frappe. Le match s’équilibre, Júnior joue au milieu de terrain, mais le Brésil ne parvient plus à trouver Sócrates ou Zico, qui explique vingt ans plus tard : « Si j’avais été au Flamengo, les choses se seraient passées différemment, car quand j’étais marqué, les joueurs me donnaient le ballon quand même. Au début du match, Gentile a commencé à faire la même chose avec moi qu’avec Maradona. […] Les joueurs voyaient que j’étais marqué et ne me donnaient pas le ballon. J’étais révolté, je criais pour qu’on me fasse jouer, parce que je pouvais créer de l’espace. Bearzot a mis un joueur sur moi, mais ceux qui m’ont neutralisé ont été mes propres coéquipiers, qui ne m’ont pas actionné comme ils auraient dû le faire. Je réclamais, mais c’est instinctif, le mec voit un autre joueur libre et lui donne le ballon. Cela te sort du match ».

Le Brésil parvient à trouver Serginho en pivot, qui perd deux ballons successifs sans obtenir de faute. En milieu de seconde période, le long dégagement de Dino Zoff est magnifiquement réceptionné par le pied gauche soyeux de Falcão. L’action se poursuit sur le côté gauche avec Júnior, qui retrouve dans l’axe le joueur de la Roma. Falcão profite du dédoublement de Cerezo pour gagner un peu d’espace et déclenche une frappe en dehors de la surface. Le Brésil égalise, il est virtuellement qualifié. La suite du match suppose une largesse de la Seleção, qui sous-estime l’Italie en continuant d’attaquer alors que le résultat la qualifie pour la demi-finale. Dans le livre As melhores seleções brasileiras de todos os tempos de Milton Leite, Zico dément : « C’est naïf de penser comme cela. Nous avons vu le match de l’Italie conte l’Argentine, Telê nous a montré tous les détails. Ce qu’il s’est passé, c’est qu’ils ont su profiter de nos erreurs. […] Les gens ne s’en souviennent plus, mais Telê a fait entrer Paulo Isidoro à la place de Serginho, en faisant monter Sócrates, justement pour fermer le milieu. Ce changement a eu lieu juste après la deuxième égalisation du Brésil ». Telê est en revanche critiqué pour ne pas avoir mis sur la feuille de match le milieu défensif Batista, préférant les latéraux Edevaldo et Pedrinho. « Je pense qu’il a manqué contre l’Italie un joueur avec mes caractéristiques, plus efficace au marquage », juge Batista, qui aurait pu donner plus de densité au milieu de terrain que Falcão ou Zico.

Le bourreau Paolo Rossi

Seulement six minutes s’écoulent entre l’égalisation de Falcão et le troisième but fatal de Paolo Rossi. Entre-temps, le Brésil ne change ni sa philosophie ni son style de jeu. Zico frappe au-dessus des buts à vingt mètres, mais le joueur de Flamengo rappelle une autre action : « Quand le score était à 2-2, j’ai donné un ballon à Éder. Il y avait Scirea, Sócrates et Éder. Sócrates était seul, Scirea n’était pas sur lui, il attendait Éder, qui a voulu dribbler et a perdu le ballon. C’était le ballon pour tuer le match ». Dans le livre Os 11 maiores laterais do futebol brasileiro de Paulo Guilherme, Leandro revient sur ces minutes cruciales : « L’équipe ne s’est absolument pas relâchée. Nous avions un groupe de joueurs expérimentés, capitaines dans leur club. Rien n’allait nous faire perdre notre concentration ». Sur un centre d’Antognoni, Cerezo tente de mettre en retrait de la tête pour Waldir Peres, qui ne peut éviter le corner, se saisissant du ballon à la limite de la ligne des six mètres. Tous les joueurs brésiliens reviennent dans leur surface pour le corner, où le ballon est dégagé par la défense brésilienne, mais revient dans les pieds de Graciani. Le ballon rebondit deux fois au sol et est repris par Paolo Rossi, couvert par Júnior, qui était au premier poteau. Paolo Rossi inscrit un triplé, l’Italie passe devant.

Avec ce troisième but encaissé, la Seleção de Telê est critiquée pour sa faiblesse défensive, Oldemário Touguinhó écrivant par exemple : « Telê a monté une équipe pour attaquer, il a oublié d’organiser le système défensif. Quand l’équipe avait le ballon, c’était une équipe parfaite. Des passes précises et vers l’avant. De l’art pur. Le problème était quand le ballon était dans les pieds de l’adversaire. Personne ne savait comme se placer pour défendre. […] Une défense perdue, il suffit de se rappeler des premiers matchs. Quand la défense a été sollicitée contre l’Italie, nous avons commis tant d’erreurs que cela a permis la consécration de Paolo Rossi ». Pour le défenseur central Luizinho, « nous avons manqué d’humilité. On voulait gagner alors qu’il nous suffisait d’un match nul. Au football, il y a des jours où, quoi qu’on fasse, on ne l’emporte pas. Ce n’était pas notre jour et on aurait dû assurer. Il n’y avait pas de leader sur le terrain pour dire : “Leandro, Júnior, restez derrière, resserrez les lignes”. On avait des joueurs et un entraîneur expérimentés et pourtant, personne n’a rien changé. À 1-1 ou 2-2, quelqu’un aurait dû intervenir ». Il est contredit par son partenaire en défense centrale, Oscar, qui explique que Falcão a suggéré de moins utiliser offensivement les latéraux. Telê obtient l’approbation du groupe entier en répondant : « Non, nous jouons bien comme cela jusqu’ici, on gagne en jouant comme ça ».

La fin du match est à l’image du reste de la rencontre, exceptionnelle dans l’intensité et la qualité technique. Sur un service de Leandro, Sócrates pense offrir le but salvateur du 3-3 au Brésil, mais sa réalisation est refusée pour un hors-jeu peu évident. L’Italie se voit également refuser un but litigieux, Antognoni ne semblant pas hors-jeu lorsqu’il marque le but qui aurait scellé le sort du match. Dino Zoff sauve ensuite l’Italie en s’interposant sur une tête d’Oscar, « une parade spectaculaire, qui est devenue un miracle en ne la relâchant pas devant Sócrates », selon Aluizio Moares de Freitas dans le livre Sócrates, o filosofo da bola. Au bout du temps additionnel, Éder tente un corner direct et l’arbitre siffle une faute pour jeu dangereux sur la bicyclette désespérée de Toninho Cerezo. Dino Zoff dégage le ballon, l’arbitre Abraham Klein siffle la fin du match, la moitié du stade de Sarrià pleure, le Brésil entier est inconsolable. La Seleção est éliminée de la Coupe du Monde, le futebol-arte vient de mourir.

 

Marcelin Chamoin
Marcelin Chamoin
Passionné par le foot brésilien depuis mes six ans. Mon cœur est rouge et noir, ma raison est jaune et verte.