Le football est souvent un mélange de joie et de drames. Le 20 juillet 2015, sur les collines de San Carlos de Apoquindo, l’émotion d’un père venait rappeler au Chili qu’il y a tout juste vingt ans, un drame avait frappé son football et laissé une trace indélébile. Celui de Raimundo Tupper, l'ange qui depuis, veille sur sa Católica.

Espoirs du peuple

Raimundo Tupper Lyon est né le 7 janvier 1969 à Santiago. Membre d’une fratrie de cinq garçons et une fille, il est très vite attiré par le ballon. « Il était fan de foot depuis qu’il s’est mis à marcher. Dès qu’il voyait un ballon, il ne s’en séparait plus. Quand on rentrait de l’école, il était solitaire, rentrait à la maison avec son ballon », raconte son frère Andrés. Pour celui qui deviendra Mumo, l’histoire footballistique ne peut passer que par la Católica, le club favori de ses grands-parents, son grand-père ayant été dirigeant à une époque quand sa grand-mère aidait au club. Il devient Cruzado, surnom des joueurs du club, alors qu’il n’a que onze ans, repéré par Alberto Fouillioux, légende du football chilien et du club, troisième de la Coupe du Monde 1962. Il gravit les échelons, sa vitesse éblouissant alors les observateurs. Lancé avec les pros en 1985 alors qu’il a tout juste dix-sept ans, il connait sa première véritable heure de gloire en 1987 avec la sélection des moins de vingt ans.

Pour la première fois de son histoire, le Chili dispute une phase finale de Coupe du Monde de la catégorie, qualifié en tant que pays hôte. Portée par un fol enthousiasme, la jeune sélection chilienne est dirigée par Luis Ibarra, ancien joueur de l’Universidad de Chile et sélectionneur des A, notamment lors de la Copa América 1983 qui voit la Roja manquer la qualification pour les demi-finales à cause d’un résultat nul au Venezuela alors qu’elle avait fait tomber l’Uruguay, futur vainqueur de l’épreuve. Dans ses rangs, on compte une génération qui deviendra celle de tous les espoirs à la fin de l’épreuve. Car le Chili de Raimundo Tupper, Luka Tudor, son ami d’enfance et sans doute plus grande promesse de la sélection, et autre Camilo Pino écrit une grande page d’histoire. Après une préparation de près d’un an et demi sous la houlette d’un Ibarra qui joue tantôt le rôle d’entraîneur, tantôt celui d’éducateur, ce groupe uni se hisse à la quatrième place du tournoi, tombant lourdement en demi-finales face à l’Allemagne de l’Ouest, qui elle-même sera vaincue en finale par la seule autre équipe à avoir battu le Chili, la Yougoslavie de Mirko Jozić dans laquelle évolue des joueurs tels qu’Igor Štimac, Zvonimir Boban, Robert Prosinečki, Predrag Mijatović et Davor Šuker. La performance est quasi unique dans l’histoire du football chilien. Pour preuve, une seule génération parviendra à faire mieux, celle des Alexis Sánchez, Arturo Vidal et Gary Medel, troisième de l’édition canadienne de 2007. C’est dire à quel point les espoirs portés sur ces jeunes pousses de 87 sont immenses.

Au sein de cette sélection, Raimundo Tupper occupe déjà une place de choix sur et en dehors du terrain. Sur le terrain, sa vitesse permet de casser des lignes, en dehors, sa maturité lui permet d’encadrer les plus jeunes. Déjà, ses qualités de leader naturel surgissent. De cette sélection, plusieurs auront une carrière professionnelle. Si aucun ne se hissera véritablement aux sommets du football chilien – sept seront tout de même internationaux A –, quelques-uns comme Luka Tudor laisseront tout de même une trace dans le championnat local. L’ami d’enfance de Mumo, avec qui il gravit les échelons à la Católica, est l’auteur d’un record jamais égalé, sept buts lors d’un seul match face à Antofagasta. Avant cela, il sera passé un temps par l’Europe mais aura aussi fait partie du Newell’s de Marcelo Bielsa finaliste de la Libertadores 1992.

Nouvelle ère

Alfonso Swett est entrepreneur depuis l’adolescence, la légende voulant qu’il a commencé à quatorze ans en vendant du fromage. En 1982, alors que la Católica sort d’une décennie compliquée, marquée par une crise économique et une relégation, Swett est élu à la présidence du club. Avec lui, la UC change de dimension. Sous sa présidence, l’Estadio San Carlos de Apoquindo devient réalité et entraîne une véritable renaissance sportive. Car si le stade est inauguré le 4 septembre 1988 lors d’un match opposant la Católica à River Plate (victoire des Argentins 1-0, but de Claudio Borghi), il vient marquer une décennie de retour sur le premier plan de la scène. À peine Swett à la tête du club, il faut trouver un successeur à Luis Santibáñez. L’homme des exploits d’Unión San Felipe et d’Unión Española dans les années soixante-dix sort d’une saison catastrophique à la tête du club. Place nette est faite, Ignacio Prieto s’installe sur le banc. Ancien joueur du club dans les années soixante, Nacho évolue ensuite au Nacional au sein duquel il décroche la Libertadores 1971 puis fera une belle pige en France, au LOSC puis à Laval, avant de revenir terminer sa carrière au club et raccrocher les crampons au moment où les années soixante-dix poussent leur dernier soupir. Pour sa première expérience sur le banc, Prieto fait des miracles : il décroche la Copa Chile 1983, la Copa República la même année, mais surtout, un an plus tard, met fin à dix-huit années d’attente avec un titre de champion du Chili en 1984. Le tout avec un groupe de joueurs principalement issus du club, comme Rubén Espinoza, Patricio Mardones, Juvenal Olmos ou encore un gamin nommé Mario Lepe, qui portera les couleurs du club pendant près de deux décennies, encadrés par des joueurs plus expérimentés et décisifs, René Valenzuela en défense, Miguel Ángel Neira au milieu et le duo Osvaldo Hurtado – Jorge Aravena devant. La même année, non contente d’avoir remporté un tournoi en Espagne, le Trofeo Ciudad de Palma 1984 en venant à bout du FC Barcelone de Terry Venables en finale, la Católica décroche une place de demi-finaliste de la Copa Libertadores, alors une phase de groupe dans laquelle figure le futur champion, l’Independiente du duo Bochini – Burruchaga. Les Cruzados ont véritablement changé de dimension. En 1987, toujours sous la direction de Prieto, la Católica décroche un nouveau titre au terme d’une saison où elle est intouchable, prenant le surnom de Máquina Cruzada. C’est en son sein qu’éclot la nouvelle génération de joueurs chiliens, celle de Luka Tudor et donc, de Raimundo Tupper.

El Mumo attend 1988 pour prendre une place de titulaire dans cette armada. Formé comme attaquant, passé meneur de jeu (enganche) puis milieu de terrain, il finit par exploser au poste de latéral, pouvant occuper les deux côtés. Immédiatement, ce qui marque les esprits, c’est sa maturité, sa façon toujours claire de parler peu mais bien. Rodrigo Gómez, l’un de ses coéquipiers : « Il était un leader naturel. Il n’avait pas besoin de parler beaucoup pour parvenir à ses fins, il était suffisamment intelligent et tenace pour décrocher ses objectifs et commander ». Surtout, Tupper n’a pas peur d’afficher ses opinions. Du haut de ses dix-neuf ans, il va aller jusqu’à s’opposer à ses dirigeants. L’anecdote est racontée par Marco Cormez à Frecuencia Cruzada. À quelques jours du plébiscite, qui vise à définir si Augusto Pinochet restera à la tête du pays, le directoire du club réunit l’ensemble des joueurs afin de leur mettre la pression et les inciter à voter pour le dictateur. « Nous étions tous muets et Raimundo s’est levé et a dit "non, je ne voterai pas pour lui". On s’est tous regardés en se disant à quel point c’était courageux de prendre une telle position quand aucun joueur expérimenté n’avait osé le faire ». Raimundo Tupper est un joueur atypique, timide, amateur de musées, il passe son temps à lire Julio Cortázar ou Gabriel García Márquez, emmène des « tonnes de livres » en déplacement, écoute en boucle Silvio Rodríguez et Joan Manuel Serrat. Enfant de classe aisée, il est préoccupé par les thèmes sociaux, ne croit pas en le football comme un moyen de s’élever et suit en parallèle des cours à l’université.

Reste que sur le terrain, il ne cesse de marquer les esprits au sein d’une Católica qui ne cesse d’écrire l’histoire. En 1992, Ignacio Prieto revient sur le banc du club, les Cruzados décrochent une place en Copa Libertadores 1993 au terme d’une Liguilla remportée sur un triplé de Juan Carlos Almada à l’Estadio Nacional face à l’Universidad de Chile. Cette campagne 1993 est historique. La Católica a beau tomber sur les toits de La Paz face à Bolívar, elle remporte son groupe et fait ensuite tomber sur sa route l’Atlético Nacional, Barcelona et l’América de Cali pour décrocher une place en finale. Il faudra la meilleure équipe du monde, le São Paulo de Telê Santana, pour empêcher les Cruzados d’ajouter leur nom au palmarès. Prieto a beau prendre conseils auprès de Marcelo Bielsa, victime de ce géant l’année précédente, rien n’y fait. Au Morumbí, la Católica est balayée 5-1 par les coéquipiers de Raí, la victoire 2-0 au retour ne suffit ainsi pas. Après ce dernier passage doré de Prieto, alors qu’Alfonso Swett quitte la présidence, la Católica franchit alors un nouveau palier. Jorge Claro s’installe à la direction du club, il nomme Manuel Pellegrini sur le banc et attire deux stars argentines, tout juste auréolées du titre en Copa América : Alberto Acosta et Néstor Gorosito. La conséquence est une incroyable lutte pour le titre entre la UC avec la U. Les deux équipes universitaires atomisent tout le monde sur leur passage, les Cruzados en passent par exemple huit à Everton, dix à Palestino, et le duel à distance entre Beto Acosta et un jeune Matador chilien nommé Marcelo Salas terrorise les défenses du pays. Si l’Argentin est sacré meilleur buteur à l’issue du championnat, inscrivant trente-trois buts en trente matchs, le but de son dauphin Salas lors du clásico universitario de la vingt-septième journée est décisif pour le titre qui file du côté de la U. Alors privée d’un titre qui lui semblait promis, la meilleure attaque et meilleure défense du tournoi chilien choisit finalement d'écrire l’histoire à l’international.

Double tenant de la Copa Libertadores, deux fois champion du monde des clubs, São Paulo refuse encore de participer à la Copa Interamericana, compétition qui oppose alors le vainqueur de la Libertadores à celui de la Coupe des clubs champions de la CONCACAF. L’édition 1993 n’ayant ainsi pas eu lieu, pour 1994, il est ainsi décidé que l’Universidad Católica, finaliste malheureux de la dernière Libertadores, affrontera le Deportivo Saprissa. Le 15 septembre, à l'Estadio Ricardo Saprissa de San Juan de Tibás, Raimundo Tupper et sa bande s’inclinent 3-1 face aux Morados. Le 1er novembre, l’heure du match retour a sonné. Les hommes de Pellegrini écrasent le match retour mais, gâchant un nombre incalculable d’opportunités, doivent attendre un but de Juvenal Olmos dans les ultimes instants pour arracher une prolongation au cours de laquelle, à dix contre neuf, ils parviennent à s’extirper, Ardiman et Barrera ajoutant deux buts. L’Universidad Católica décroche alors son premier titre international. 1994 reste l’année où tout sourit à Raimundo au point qu’il connait les joies de la sélection nationale. On le voit ainsi offrir un but à Iván Zamorano à Gerland face à l’équipe de France d’Aimé Jacquet. Mais ce que personne ne devine alors, c’est qu’intérieurement, la vie du Mumo est un calvaire.

Démons intérieurs

« Il était heureux, il riait beaucoup avec nous, il avait son groupe d’amis, sortait, voyageait, faisait ce qu’il aimait dans la vie, jouer au foot dans son club de cœur, être en sélection. Tout semblait montrer qu’il était heureux. Ce n’était malheureusement pas le cas. On ne savait pas comment réagir, que faire », raconte Andrés dans un documentaire dédié à son frère. Figure de son club, homme de la sélection, l’attention médiatique se braque sur lui. En même temps qu’elle peut éblouir, cette lumière provoque aussi des dégâts. Raimundo le discret entre alors dans un tunnel. « Il n’a jamais aimé être au centre de toutes les attentions, ni être aussi populaire. Il est probable que son côté introverti soit lié à sa dépression, il souffrait d’une dépression endogène liée à un déséquilibre chimique au niveau du cerveau. C’est une situation qu’il ne pouvait pas résoudre sans médication, qu’il a tenté de soigner sans y parvenir », explique ainsi Andrés Tupper, ajoutant, « il disait qu’il ne pouvait pas prendre de médicaments qui l’empêcheraient de jouer au football, qu’il ne voulait pas que cela soit rendu public. La dépression était un sujet tabou ». Victime de crises de mélancolie, Mumo inquiète sa famille qui ne sait alors pas comment gérer et se tourne vers des spécialistes. Une fois diagnostiquée, la dépression endogène nécessite un traitement radical qui s’oppose à la pratique sportive. Alors, si elle entraîne quelques crises, elle reste surtout latente. Un psychiatre envisage d'interner Raimundo, mais il s’y oppose. Un autre lui explique qu’il pourra le soigner sans traitement médical. Rien n’y fait, le mal intérieur ronge el Mumo. Légende de Colo-Colo, Marcelo Barticciotto revient au pays après une pige à l’América. Alors coéquipier de Tupper chez les Cruzados, il aurait pu lui venir en aide, ayant traversé une telle crise lorsqu’il avait vingt-et-un ans : « J’ai découvert que j’étais en dépression à vingt-et-un ans, donc je le comprends. Tout ce qu’on peut te dire pour te consoler te fait encore plus mal. Quand on te dit que tu as tout pour être heureux pour te donner de la force, au contraire, te culpabilise davantage ». Mais comme l’ensemble du groupe, à l’exception de Nelson Parraguez et Rodrigo Gómez, amis proches du Mumo, Barticciotto ne sait rien du mal qui ronge le latéral de la Católica. Car si le club l’accompagne, la seule communication officielle à son sujet évoque des troubles gastriques. Mumo sombre de plus en plus, il perd six kilos en deux semaines, ses coéquipiers notent quelques changements d’humeur. Manuel Lepe se souvient « il avait des hauts et des bas, une passe manquée, un contrôle raté, l’énervait beaucoup. On essayait de l’encourager. [...] Il disait, j’ai tout mais je n’ai rien. Je ne comprenais pas, je lui disais, tu joues bien au foot, tu es international, tu évolue dans la meilleure équipe du Chili, les filles te courent après. Il me disait, non, je n’ai rien Alberto », se souvient Beto Acosta. « Cela lui coûtait d’expliquer que même s’il avait tout, il ne pouvait être heureux. Je savais qu’il était en dépression, ses amis les plus proches le savaient, mais on était véritablement ignorants devant la question de savoir que faire pour l’aider » confesse Rodrigo Gómez. Inquiet, Manuel Pellegrini décide de l’écarter du groupe pour qu’il puisse prendre le temps de se soigner. Raimundo Tupper demande à être envoyé en équipe réserve. Le premier semestre se termine sans lui, mais Raimundo a un objectif, rejoindre le groupe destiné à se rendre au Costa Rica pour un amical face au Deportivo Saprissa. Pellegrini fixe une condition : qu’il retrouve sa forme physique. El Mumo y parvient, il est de la tournée alors que son père a comme un frisson prémonitoire : « Je lui ai dit, arrête le foot, ne va pas au Costa Rica. Mais il m’a dit qu’il voulait y aller. Je lui ai dit arrête le foot et entre à l’université. Il m’a répondu "non papa, je peux faire les deux, je vais faire les deux, ça ne peut pas être l’un ou l’autre" ». La veille du départ, autre signe, il offre un cadeau à chacun de ses proches et remet le double des clés de son appartement à son père.

Le 18 juillet 1995, l’équipe s’envole pour le Costa Rica. Elle séjourne à l’Hôtel Centro Colón de San José. Sergio Vázquez est alors son compagnon de chambre : « Manuel m’a dit que j’allais partager ma chambre avec Raimundo, car j’étais un mec jovial, extraverti. J’ai dit aucun problème. Ce jour-là, tout était normal, sans aucun problème. Puis on a parlé ensemble, chacun dans son lit, séparés par la table de chevet. Il m’a raconté ses problèmes, que je ne connaissais pas. En parlant avec lui, je me suis rendu compte qu’il se passait quelque chose dont je ne m’étais pas douté. Je voyais qu’il n’était pas bien, alors je le laissais parler. Je ne pouvais pas l’interrompre. Ce furent sept heures très difficiles. Jamais dans ma vie je n’avais parlé à quelqu’un qui se sentait si mal. Il m’a dit qu’il allait prendre une grande résolution très importante pour sa vie. J’ai pensé qu’il allait arrêter le foot. La discussion s’est arrêtée, c’était l’heure du petit-déjeuner. Il est allé se brosser les dents, j’y suis allé aussi. Quand je suis sorti, il n’était plus là ». Nous sommes alors le 20 juillet. Raimundo Tupper descend petit-déjeuner, puis retourne dans sa chambre. Barticciotto le croise dans l’ascenseur. Entre temps, sentant quelque chose, Vázquez cherche son coéquipier : « J’ai demandé où il était, on m’a répondu qu’il était parti chercher nos passeports. J’ai répondu que c’est moi qui les avais. Je me suis rendu compte qu’alors que je descendais, il était en train de remonter. Je suis parti en courant vers la chambre ». Tupper est remonté vers la chambre 621, il est 9h30. « Cinq minutes plus tard, el Pipo Gorositto arrive en criant que quelqu’un était tombé », se souvient Barticciotto. Nelson Parraguez racontera plus tard qu’il se doute alors que l’accident concernait Raimundo. « On est sorti et on a vu qu’il était au sol. Je n’ai pas pu m’approcher. Un conducteur de voiture l’a vu au onzième étage, regarder en bas, reculer et s’élancer. Il avait vingt-sept ans, c’était terrible » poursuit Barticciotto. « Mes jambes ont lâché. Je me suis écroulé en pleurant, je me suis rendu compte que j’avais pu rien y faire », confie Vázquez. Le monde vient de s’écrouler sur la Católica, les joueurs sont sous le choc. La nouvelle se répand, elle arrive au Chili. Ne pouvant contenir ses larmes, le président Jorge Claro annonce la nouvelle en conférence de presse et évoque la possibilité d’un suicide. La tournée est bien évidemment annulée.

Le 21 juillet 1995, à 23h20, une foule immense vient accueillir l’avion qui ramène Mumo auprès des siens. Au son des « El Mumo no se va », les larmes coulent sur le peuple de la Católica. Les funérailles se déroulent dans l’enceinte même du club devant ses coéquipiers encore assommés et 9 000 personnes, témoignage de l’ampleur du choc provoqué au Chili par la perte d’un de ses footballeurs. Au son des chants des sympathisants du club, el Mumo se dirige vers sa dernière demeure au Parque del Recuerdo. « Ce fut un coup immense, jamais nous n’avions envisagé que cela pourrait se passer. Encore aujourd’hui, on se demande pourquoi », témoigne Alberto Acosta près de vingt ans plus tard. Une certitude, une partie de la Católica est restée à jamais au Costa Rica. Mario Lepe raconte la suite : « Nous avions passé deux jours à essayer de digérer ce qu’il venait de nous arriver. Au pays, on a pris un nouveau coup sur la tête. Devoir de nouveau se souvenir de tout ce qu’il s’était passé en voyant le soutien de la foule était pénible. Ensuite, cette longue marche depuis l’église, quand on a vu le stade, ce fut un nouveau coup qui a été ressenti trois fois plus fort que ce que nous avions enduré au Costa Rica. Il y avait tellement de gens au cimetière. Même nous ne pouvions entrer ». Les lendemains sont terribles pour l’équipe qui est forcément totalement assommée. « Le groupe s’est fortifié, on a chacun cherché à rebondir de la meilleure des manières », raconte Lepe, « nous avons changé en faisant en sorte d’être comme Raimundo aurait souhaité que nous soyons. On a affronté cette douleur, nous avons parlé entre nous, nous sommes soutenus, on a continué à s’entraîner ». Chaque entraînement, chaque match qui suit verra l’ombre du Mumo planer. « Nous n’avons pas seulement pensé à la Católica, mais nous avons aussi pensé à sa famille. Ce fut pour eux que nous avons davantage travaillé, Raimundo nous a aidés depuis le ciel, je crois que nous avons bien répondu » ajoute Beto Acosta. Le 14 septembre, les Cruzados remportent la Copa Chile. La Católica attendra seize ans pour en remporter une nouvelle.

La pire mort est l’oubli. Alors, comme en écho à cette supportrice de la Católica interrogée par la télévision chilienne lors de la diffusion du retour du Mumo à Santiago, « Raimundo n’est pas mort, il est toujours vivant », la Católica n’oubliera jamais son latéral, son « cruzado de corazón ». En 2009, le complexe sportif devient Complejo Deportivo Raimundo Tupper Lyon. Son nom continue d’être sur les lèvres des plus jeunes, même s'ils ne l'ont jamais vu jouer. Le souvenir se transmet, il est inscrit dans l'ADN de tout supporter cruzado, des chants portent son nom et sortent régulièrement des tribunes des supporters. Le jour du vingtième anniversaire de sa disparition, son mémorial est ainsi inauguré sur les hauteurs de San Carlos de Apoquindo. « Pour moi Raimundo est un ange » dit Sergio Vázquez. Alors depuis, du haut des montagnes surplombant l’Estadio San Carlos de Apoquindo, l’ange Mumo veille sur la Católica.

 

Article publié dans le LOmag n°11 (disponible en version numérique ici)

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.