Si le service militaire n'existe plus en France depuis le 28 mai 1996, il demeure encore effectif dans nombreux pays et impacte la carrière des footballeurs. Il y a quelques années, Mohamed Salah était concerné par le service militaire dans son pays avant d’être exempté de service afin de poursuivre sa carrière. Cette situation qui paraît extraordinaire en Europe ne l'est pas en Asie et particulièrement en Corée du Sud, centre de notre sujet. Nous allons ainsi vous présenter un club bien particulier : Sangju Sangmu FC.
En conflit avec son voisin du nord, la Corée du Sud maintient encore le service militaire obligatoire (faisant partie des quatre devoirs constitutionnels avec les impôts, le travail et l'éducation) pour tous les garçons coréens âgés de 18 à 31 ans. La durée du service militaire actif dépend du corps d'armée dans lequel il est effectué (Armée de l'air, Armée de terre, Marine, Corps des Marines) mais dure plus ou moins 2 ans. La durée est équivalente si le service militaire est non actif c'est à dire effectué pour rendre service à la société (dans la police ou chez les pompiers par exemple).
Une fois les deux années de service accomplies, le jeune coréen retourne à la vie civile mais chaque année pendant sept ans, il doit subir une remise à niveau : pendant deux jours et trois nuits il retrouve son statut de militaire et s'entraîne à nouveau. Il existe néanmoins plusieurs cas de figure pour en être exempté comme le fait d'être atteint d'une maladie grave (physique ou mentale), d'être couvert de tatouages (signe d'appartenance à un gang) ou alors posséder un casier judiciaire.
Un frein pour la progression des joueurs en Europe
Avouez que dans ces conditions, il est difficile pour un joueur de football professionnel de poursuivre sa carrière au haut niveau lorsqu'il est pratiquement certain que pendant deux années il devra s'absenter de son club pour effectuer son service militaire. C’est pour ces raisons que le club anglais de Liverpool, entre autres, a été refroidi par les obligations envers son pays de la star sud-coréenne, Son Heung-min, qui s’est alors engagé avec les Spurs de Tottenham. Ces cas de figure sont fréquents pour les joueurs sud-coréens souhaitant évoluer en Europe. S’il est vrai que les Sud-Coréens accordent énormément d’importance à l’image qu’ils renvoient dans le monde et son très fiers de voir les leurs réussir en Europe et notamment en Bundesliga et en Premier League, il est vrai aussi que les célébrités dont les sportifs se doivent d’avoir une image exemplaire en réalisant leur service militaire comme tout homme sud-coréen comme le rappelait récemment Ki Sung-yueng, capitaine de la sélection, dans une interview pour The Sun : « C'est quelque chose que nous respectons tous. Ce n'est pas juste de dire « nous sommes des joueurs de football célèbres, nous n'avons pas à le faire ». Sonny (Son Heung-min) et moi ne pouvons recevoir de traitement spécial parce que nous sommes joueurs de Premier League. Il y a d'autres Sud-Coréens qui ont des jobs bien plus importants que de taper dans un ballon ». Mais certains essayent d'y échapper.
En 2011, Park Chu-young quitte Monaco pour s’engager avec Arsenal après avoir fait espérer Lille. Les négociations autour de la réalisation de ce transfert ont bien entendu porté sur le devoir militaire que devait réaliser le joueur… en 2013 ! Monaco réclamait une somme que Lille, et même Bordeaux, ne voulaient pas aligner en argumentant qu’un joueur devant s’éloigner pendant deux ans du football ne pouvait pas engendrer un investissement conséquent. Park Chu-young a bien tenté de négocier avec son pays un report son service militaire à la fin de sa carrière, en déclarant « ce n’est pas en faisant mon service militaire dès maintenant que je peux apporter à mon pays », mais cette demande n’a pas été acceptée avant son transfert. C’est finalement Arsenal qui décroche la signature du Guerrier Taeguk en proposant une clause « service militaire reporté » à Monaco. En mars 2012, Park Chu-young parviendra à repousser la date de son service militaire en 2022 lorsqu’il aura 37 ans, lorsqu’il sera trop âgé pour le réaliser. La raison de ce report ? Park Chu-young a obtenu un visa de 10 ans à Monaco. Mais cette démarche est très mal accueillie au pays où la polémique est lancée à tel point que le sélectionneur de l’équipe olympique Choi Kang-hee ne le sélectionne pas, dans un premier temps, pour les Jeux Olympiques de Londres. Il est même demandé au joueur de tenir une conférence de presse pour expliquer son choix et s’excuser auprès du pays. Finalement, il participera aux Jeux et décrochera la médaille de bronze…et une exemption pour son service militaire ! Il réalisera néanmoins quatre semaines d’entraînement dans un camp militaire en juillet 2013 au cours duquel il vit comme un simple soldat. Ki Sung-yueng, lui aussi passé par cet entraînement d'un mois en 2016, explique brièvement en quoi cela consiste : « Nous étions réveillés tous les jours à 6h et les journées étaient longues. J'ai jeté des grenades, des vraies qui explosaient. Tu dois entrer dans une chambre à gaz avec un masque. Tu dois marcher partout aussi. C'est un vrai entraînement. J'ai oublié que j'étais un joueur de Premier League. J'étais un soldat, et tu dois te comporter comme tel tous les jours. Pour tous les repas on devait se rassembler et aller au restaurant en marchant. Il n'y a pas de liberté. Tu dois faire exactement ce qu'on te dit de faire ».
Pour ne pas avoir à effectuer deux ans de service militaire, les sportifs de hauts niveaux coréens peuvent obtenir une dérogation après avoir effectué une performance sportive : une médaille aux Jeux Olympiques ou une médaille d’or aux Jeux Asiatiques. Raison pour laquelle la Korean Football Association fait des pieds et des mains pour avoir l'autorisation de Tottenham afin que Son Heung-min participe aux Jeux Asiatiques 2018, lui qui a déjà manqué deux occasions de décrocher une médaille olympique : en 2014, le Bayer Leverkusen ne l'avait pas libéré pour les Jeux Asiatiques et en 2016, la Corée du Sud s'est inclinée en quart de finale face au Honduras.En 2002, après le parcours de la Corée du Sud lors de la Coupe du Monde (4e), le Président Kim Dae-jung avait pris la décision d'exempter tout l'effectif de service militaire dont un certain Park Ji-sung (PSV, Manchester United). Une mesure exceptionnelle en récompense d'une performance qui l'était tout autant.
Dans le sens inverse, d’autres grands joueurs coréens n’ont pas échappé à leurs obligations. C’est le cas notamment de Lee Dong-gook, aujourd’hui encore meilleur buteur en activité du pays, à 39 ans. Né en 1979, Lee Dongè-gook débute en K League en 1998 avec les Steelers de Pohang, club de la ville où il est né. En janvier 2001, il connait sa première expérience en Europe lors d’un prêt au Werder Brême où il ne fera que quelques apparitions. De retour à Pohang six mois plus tard, et non sélectionné pour la coupe du Monde au pays l’année suivante, Lee Dong-gook décide, comme un symbole, de débuter son service militaire de 2 ans le 1er juillet 2002, lendemain de la finale de la Coupe du Monde qui verra le Brésil titré et les 23 joueurs sud-coréens sélectionnés exemptés de tout service militaire pour leur quatrième place.
Encore promis à un avenir prometteur en tant que footballeur, à seulement 23 ans, Lee Dong-gook n’abandonne bien sûr pas le football, puisqu’il rejoint Gwangju Sangmu, club dans lequel les joueurs peuvent continuer à exercer le football à un niveau semi-professionnel durant leurs deux années de service militaire. En 2 ans, Lee Dong-gook y jouera 46 matchs et marquera 12 buts. Mais mieux encore, il aura la chance de voir passer le club sous le statut professionnel lors de l’année 2003, statut qu’il a encore aujourd’hui sous sa nouvelle version : Sangju Sangmu.
En effet, tandis que Lee Dong-gook a retrouvé son club de Pohang en juillet 2004 après avoir réalisé son devoir envers son pays, il aura la chance en 2007 de découvrir la Premier League sous les couleurs de Middlesbrough pendant 18 mois, sans grand succès certes, mais chose qu’il n’aurait pas pu réaliser à cet âge si le club ne lui avait pas permis de réaliser son service tout en continuant à jouer au football en conservant un certain niveau d’exigence. Finalement, c’est à 30 ans que Lee Dong-gook, débutera la meilleure partie de sa carrière sous les couleurs de Jeonbuk où il évolue encore aujourd’hui.
Les JO de Séoul 1988 à l’origine de Sangmu
Ce club de Gwangju Sangmu a connu plusieurs noms et statuts. Sa date de fondation sous le nom Sangmu FC et son premier statut semi-professionnel remonte à 1983. L’objectif est alors de ne pas freiner la progression des sportifs en âge de passer leur service juste avant les Jeux Olympiques de Séoul 1988. Il ne s’agit alors pas d’un club de football uniquement mais multisports, qui aujourd’hui encore accueille tous les plus grands sportifs non exemptés. Vingt ans après sa création, en 2003, le club de football rejoint quant à lui la K League et le milieu professionnel. Il y débute dans la seule division professionnelle existante à l’époque où, jusqu’en 2010 sous le nom de Gwangju Sangmu FC, il y terminera très souvent dernier ou avant dernier au terme de la saison.
À la fin de l’année 2010, le club, toujours sous la propriété de la Division des Sports des Forces Armées Coréennes, rejoint la ville de Sangju située au centre du pays pour devenir le Sangju Sangmu FC. Ce déménagement intervient après la volonté de la ville de Gwangju de disposer d’un club professionnel à part entière dans lequel il était possible de construire une équipe compétitive sur le long terme. Même si peu connue, la ville de Gwangju est la sixième plus peuplée de Corée du Sud avec environ 1,4 millions d’habitants. Si le stade de Gwangju et ses 44 000 places devaient permettre aux joueurs sous service militaire d’avoir l’impression de rejoindre à nouveau la société le temps des matchs, il est difficile d’en dire autant à Sangju, région très rurale, et ne disposant que d’un stade de 15 000 places.
Depuis 2012, Sangju Sangmu fait l’ascenseur entre première et seconde division. Avec la création de la K League Challenge, seconde division professionnelle, les résultats du club l’ont vite soumis à la descente, mais il n’a néanmoins pas perdu de temps pour retrouver sa place, s’offrant par la même occasion le premier titre de son histoire en emportant la K League Challenge 2013. De nouveau relégué en 2014, Sangju Sangmu a de nouveau remporté la K League Challenge en 2015 avant de réaliser un petit exploit en K League Classic 2016 sous la direction du regretté Cho Jin-ho, en devenant le premier promu à accrocher un top six.
Les sportifs rejoignant cette institution suivent d'abord un entraînement spécial de quatre semaines avant de rejoindre l'effectif du club où ils connaissent la routine du simple soldat comme le lever à 6 heures, les inspections et même le salaire tout en bénéficiant d’un emploi du temps aménagé pour leurs entraînements de bon niveau comme l’indique l’attaquant international Lee Keun-ho lorsqu’il encourage les jeunes athlètes sud-coréens à rejoindre Sangju Sangmu : « Le système et les installations de Sangju Sangmu sont si bonnes que les athlètes peuvent y suivre de bons entraînements. Aussi, jouer au football tout en remplissant son devoir militaire permet de mûrir ». Les joueurs peuvent même y connaître la joie de la promotion comme c’est le cas de Lee Keun-ho passé du grade de Caporal à celui de Sergent lors de son séjour au sein du club en 2013-2014. Jusqu'à présent non soumis à la règle des joueurs de moins de 23 ans sur la feuille de match (deux présents sur la feuille de match, dont un titulaire), Sangju Sangmu sera obligé de s'y plier dès 2020. Les jeunes footballeurs seront ainsi contraints de rejoindre les rangs de l'armée plus tôt et ne pas attendre une potentielle exemption.
Les footballeurs sud-coréens ont jusqu’à 28 ans pour commencer leur service militaire s’ils veulent évoluer sous les couleurs de Sangju Sangmu durant deux ans et continuer leur carrière professionnelle. Mais pour cela, il ils doivent d'abord avoir évolué au moins pendant 6 mois en K League au cours de leur carrière. Ce qui explique les retours au pays de certains expatriés lorsqu'ils ont 26 ou 27 ans comme récemment Yoon Bit-garam, Kim Min-woo ou autre Lee Myeong-ju. Une condition que n'a pas rempli Son Heung-min, ni même Suk Hyun-jun. Pour ceux qui attendent 30 ans, âge maximal d’engagement, il s’agit alors d’un service militaire classique qui signifie alors une retraite de footballeur quasi inévitable, du moins à un niveau professionnel.
Ainsi, la plupart des équipes de Sangju Sangmu sont composées en majorité de deux générations, âgés de 28 et 29 ans, se renouvelant chaque été et hiver. Lorsqu’une ou deux générations voient ses meilleurs joueurs exemptés comme ce fut le cas avec la victoire de la Corée du Sud lors des Jeux Asiatiques 2014, cela annonce une baisse de niveau inévitable de l’équipe durant deux à trois saisons. Les joueurs coréens effectuant un service militaire non actif peuvent rejoindre Asan Mugunghwa (anciennement Ansan Police FC), club moins performant que Sangju Sangmu puisqu’il n’a jamais connu la K League 1, et évolue actuellement en K League 2.
Régulièrement appelé en sélection de Corée du Sud, les footballeurs-militaires sont reconnaissables par leur attitude sur le terrain. Que ce soit pendant l'hymne national avant le match, après avoir marqué un but ou en sortant du terrain, ils effectuent le salut militaire comme le fit Lee Keun-ho au Brésil en 2014. En Russie en 2018, ils seront trois à représenter l'armée : Hong Chul et Kim Min-woo pour Sangju Sangmu et Ju Se-jong pour Asan Mugunghwa.
Une voie vers le succès inhabituelle
À côté de cela, certains footballeurs sud-coréens n’hésitent pas à réaliser leur service militaire beaucoup plus jeunes. C’est le cas de Ahn Hyeon-beom (23 ans), meilleur espoir de la K League 2016, Hwang In-beom (21ans), jeune très prometteur ciblé par certains clubs européens, qui ont rejoint Asan Mugunghwa, en fin d'année 2017 ou encore Lee Jeong-hyeop. Ce dernier, attaquant né en 1991, buteur plutôt peu décisif (2013 : première saison professionnelle à Busan, 2 buts en 27 matchs; 2014 : 24 matchs à Sangju Sangmu, 4 buts) était totalement inconnu du public coréen qui s’intéresse peu à la K League. En janvier 2015, Uli Stielike l’a retenu dans les 23 sélectionnés pour la Coupe d’Asie 2015 en remplacement de Lee Dong-gook et Kim Shin-wook tous deux blessés, notamment pour ses qualités physiques. Appelé à la surprise générale, le joueur ne perdra pas de temps à rendre la confiance accordée par son sélectionneur et mettre toute la nation derrière lui en inscrivant l’unique but du match d’ouverture (1-0 contre l’Australie, pays hôte) et le second but de la demi-finale de la Corée du Sud (2-0 contre l’Irak).
Malgré la défaite en finale contre l’Australie au terme des prolongations (1-2), Lee Jeong-hyeop s'est fait un nom en Corée du Sud de par son parcours pour le moins atypique. Les Coréens, avides de ce genre de « contes de fées » n’ont pas perdu de temps pour lui donner le surnom de « Gunderella », jeu de mots entre « Gundae » (armée en Coréen) et « Cinderella ». Malheureusement pour lui, sa carrière n'a jamais vraiment décollé puisqu'après un passage raté avec Ulsan, Lee Jeong-hyeop est retourné à Busan I'Park où il a manqué de peu la montée en K League 1. Aujourd'hui, il évolue au Japon dans le club de Shonan Bellmare.
Tonio et Baptiste pour Lucarne Opposée