À l’heure où l’Argentine entière est sommée de prendre son parti, il en est qui ne savent pas où donner de la tête ! C’est le cas à Bell Ville dans la Province de Córdoba, qui mélange sans complexes torchons et serviettes.

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À Bell Ville, solide bourg d’une trentaine de milliers d’âmes idéalement placé à équidistance de Córdoba et Rosário, on est certain de deux choses. La première est que le ballon de football moderne y fut inventé à la toute fin des années vingt par Romano Polo, c’est en tout cas ce qu’affirme avec une relative objectivité la page Wikipédia de la municipalité. Une fierté locale qui pousse son orgueil jusqu’à l’édification d’un Monumento a la Pelota de Fútbol ainsi qu’à l’organisation d’une fiesta nacional de la Pelota de Fútbol. La seconde, qui nous intéresse ici et qui pour le moins originale au pays de D10S, c’est qu’il est tout à fait possible de soutenir à la fois River ET Boca. On vous explique.logo

Bell Ville, comme une foultitude de villes argentines, est dotée d’un club de football, le singulièrement nommé : Club Atlético y Biblioteca River Plate. Jusqu’ici, tout va bien. Sauf que ! Sauf que les couleurs de cet autres River, ne sont autre que le bleu et le jaune, apposées sur le maillot à l’identique de celui de... Boca Juniors ! Attendez, puisqu’on vous dit qu’on vous explique.

En 1923, au moment de la naissance de l’institution bellvillense, les membres fondateurs ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur le nom et les couleurs de leur future équipe. Vous l’aurez compris, quand les uns souhaitaient rendre hommage aux Millonarios, les autres désiraient témoigner de leur amour pour les Xeneizes. À cette impasse fut trouver une solution : Deux papiers griffés chacun du nom de l’un des deux clubs porteños seraient placés dans un seul et même chapeau. L’heureux élu par une main innocente, baptiserait de son patronyme le nouveau-né, à la seule condition que le perdant obtiendrait le droit de façonner le club à son image, à ses couleurs. River baptisa et Boca colora.

Si aujourd’hui le président René Mangini déclare fièrement à Olé : « Je suis supporter de Boca Juniors, mais c’est avec fierté que je peux dire que je suis le président de River », c’est que la particularité du River de Bell Ville a su résister à des contacts insistants en provenance de Buenos Aires, leur intimant parfois en l’échange d’une somme d’argent, de changer de nom ou bien de couleur. En vain, que ce soit Antonio Vespucio Liberti dans les années trente pour River, ou Alberto J. Armando dans les années cinquante pour Boca, les deux géants de la capitale se heurtèrent aux statuts du club ainsi qu’à une opposition farouche des supporters bellvillense. Clin d’œil de l’histoire, les deux géants de Buenos Aires se sont affrontés un jour à Bell Ville. C’était en 1949 et River s’imposa 5-3 avec notamment un triplé d’un certain Alfredo Di Stéfano.

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Reste à savoir en l’honneur de qui battront les cœurs de Bell Ville ce dimanche. Une chose en revanche, rien ne les empêchera de regarder ensemble ce Superclásico car, comme le déclarait l’ancien président Augusto Fabro en 2016 : « Aujourd'hui, nous acceptons cela [le mélange des deux rivaux] et les socios partagent le même espace. Quand se joue un River-Boca, il y a toujours une ou deux vannes au siège du club, mais rien de plus. Jamais une agression, il n’y a jamais eu de problème de fanatisme ».

Gageons à ce sujet, que le petit club des divisions amateurs inspire les hinchas de nos deux larrons, et que cet historique évènement ne soit pas gâché par la bêtise et la violence.

 

 

Article initialement publié le 09/11/2018, mis à jour le 07/05/2023

 

Simon Balacheff
Simon Balacheff
Médiateur culturel, travailleur humanitaire et bloggeur du ballon rond tourné vers l'Amérique Latine. Correspondant au Brésil pour Lucarne Opposée