À l'heure où les communautés chrétiennes du Moyen-Orient se réduisent comme peau de chagrin pour diverses raisons (conditions économiques, instabilité politique, discriminations, voire même génocide...), nous avons voulu faire la lumière sur ces footballeurs qui arborent la croix en terres musulmanes et qui chantent leur hymne national avec autant de ferveur que leurs compatriotes.

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Le Moyen-Orient, berceau du monothéisme, a vu défiler dans sa longue histoire prophètes et charlatans, fois ardentes et hérésies, conciles et inquisitions pour finalement s'éparpiller en une myriade de cultes si proches et pourtant si lointains les uns des autres. À l'époque des empires romains d'Orient et d'Occident, le christianisme régnait sur le Levant, l'Arabie, la Mésopotamie et l'Afrique du Nord. L'apparition et l'expansion de l'islam bouleversa la face de la région et rebattra les cartes. Désormais, les chrétiens étaient minoritaires, vivant tantôt en harmonie, tantôt en conflit avec leurs voisins musulmans. Chaldéens, Assyriens, maronites, melkites, nestoriens, jacobites, arméniens, tous faisaient partie du paysage, tantôt participant à l’essor de la culture musulmane, tantôt subissant les foudres de ses esprits les plus obscurs.

À l'orée du XXe siècle, la carte du monde arabo-musulman avait bien changé. Désormais, les chrétiens autochtones n'étaient plus implantés qu'en Turquie, en Égypte, en Syrie (la Grande Syrie de l'époque, comprenant les actuels Liban, la Jordanie, Israël, la Palestine et la Syrie), l'Iraq et l'Iran. Agissant souvent en tant qu'intermédiaires entre les pays occidentaux autoproclamés protecteurs et leur patrie, ils accueillaient souvent les progrès et les nouveautés de l’Europe avec avidité. Dès lors, lorsque les marins britanniques apparurent et s’amusèrent à se passer un ballon avec les pieds, ils s'enthousiasmèrent rapidement pour ce jeu tandis que les autorités musulmanes regardaient cette nouvelle importation anglaise d'un mauvais œil. Ainsi, les premiers clubs de l'Empire ottoman étaient composés de joueurs arméniens, juifs, grecs, français ou italiens, les Turcs étant interdits de pratique. Ironie de l'histoire, après la création des trois mastodontes stambouliotes, chaque communauté se choisit un club: les Grecs choisirent le Galatasaray, les Juifs le Fenerbahçe et les Arméniens le Beşiktaş.

Petit à petit, clubs et associations autochtones voient le jour et commencent à captiver aussi les citoyens musulmans. Des institutions dont nous avons parlé dans les articles sur la signification des noms arabes (partie 1, partie 2) développent leur fan-base et attirent de nombreux spectateurs de toutes confessions. L'après-Première Guerre Mondiale et l'onde de choc qui suivit les décisions internationales (fin et démembrement de l'Empire ottoman, accord Sykes-Picot, partage des pays arabes entre la France et l'Angleterre, Iran passant sous joug britannique) redessinèrent la carte des communautés et des influences culturelles. Ainsi, au Liban, les premiers clubs sont majoritairement constitués de chrétiens, tant dans l'équipe que dans les gradins (Al-Nahda créé et supporté par les orthodoxes, American University of Beyrouth, émanation du prestigieux établissement fondé en 1866, Al-Sikka ou encore les équipes arméniennes). Mais le Liban est un pays à part où les chrétiens ont toujours joué un rôle majeur et ne sont pas une minorité esseulée. Il y a d’ailleurs dix-neuf communautés au Liban, dont onze chrétiennes ! Un melting-pot et une richesse couplée à un équilibre fragile fait de la nation libanaise, un élément à part dans le monde arabe. Citons éventuellement les grands noms de l’équipe libanaise, essentiellement à ses débuts, Joseph Abu Murad, les Arméniens Levon Altonian, Mardek Chabarian, Joseph Nalbandian ou encore la star de Football Manager Wartan Ghazaryan.

En Iran, où vivent près de 300 000 chrétiens, le christianisme est enraciné depuis belle lurette. À l'époque byzantine, l'empire sassanide qui régnait en Iran offrit protection aux chrétiens nestoriens considérés comme hérétiques par Byzance. Des siècles plus tard, le Shah Abbas fit venir d'Arménie des dizaines de milliers d'Arméniens (afin de profiter de leurs talents d'artisans et de commerçants) et les installa à Isfahan dans le quartier de la Nouvelle Julfa (en référence à la ville de Julfa dont provenaient la majorité d'entre eux). Aujourd'hui, les chrétiens font partie intégrante du paysage iranien et le football n'échappe bien sûr pas à la règle. Arrivé en Perse vers la fin du XIXe siècle, le football se jouait initialement entre les Britanniques installés sur place et des équipes arméniennes. Le premier match joué par l'Iran à l'étranger comptait dans ses rangs Herand Galusetiyan, pensionnaire du Armenian Sport Club. Il faut attendre les années soixante-dix pour voir émerger la première génération dorée iranienne (trois Coupes d'Asie consécutives et une qualification pour le Mondial 78) et certains Arméniens en firent partie dont le roc défensif Andranik Eskandarian, futur joueur des New York Cosmos. Il suit la grande lignée des Karo Haghverdian, George Markarian, Garnik Mehrabian ou Garnik Shahbandari qui, tous, étrennèrent le maillot iranien. Par la suite, Markar Aghajanyan, Edmond Akhtar, Edmond Bezik ou encore Robert Markozi revêtirent la tunique de la Team Melli mais ils n’étaient rien comparés au plus grand joueur arméno-iranien de tous les temps, Andranik Teymourian. Celui-ci était tellement bon qu’il eut l’insigne honneur d’être le premier chrétien capitaine d’une équipe nationale d’un pays musulman. Signe de la vitalité des Arméniens en Iran, le mythique club Ararat Teheran renaquit de ses cendres il y a quelques années. Espérons le voir au plus haut pour célébrer cette incongruité culturelle. Récemment, Steven Beitashour, un assyrien des États-Unis fut appelé en équipe nationale et devint le premier joueur de cette communauté à jouer pour l’Iran. Communauté qui a également donné aux USA le légendaire tennisman André Agassi !malki

En Syrie, les chrétiens représentaient avant la guerre entre dix et quinze pourcents de la population. Ce pourcentage a dramatiquement chuté avec le chaos qui y règne, contribuant au départ d’une partie de l’histoire des Syriens. Après tout, le siège de l’église orthodoxe n’est-il pas situé en Syrie ? N’appelle-t-on pas son autorité « patriarche de la Syrie et de tout l’Orient » ? Que dire de ces villages, Ma’lula, Sednaya, Qara, où l’on parle encore l’araméen, langue parlée à l’époque du Christ ? Michel Aflaq, Syrien fondateur du parti Baath et chantre des Arabes, ne confessait-il pas la foi de Jésus ? L’étendue du patrimoine légué par les chrétiens à la Syrie est immense. Malgré cela, bon nombre de chrétiens syriens originaux choisirent la voie de l’exil, bientôt remplacés par leurs confrères arméniens. Ceux-ci fournirent à leur pays d’adoption deux joueurs de talent, le milieu Kevork Mardikian considéré comme l’un des meilleurs joueurs syriens et son fils Mardik (actif à Al-Jazeera en Jordanie). Les Assyriens, qui considèrent également la Syrie comme leur chère et tendre patrie, ont envoyé des contingents de joueurs nés à l’étranger (souvent nés en Suède) défendre les couleurs syriennes. Citons ainsi : Gabriel Somi, Ilyas Merkes, George Mourad, Louay Chanko ou encore l’immense Sanharib Malki.

En Jordanie, peu nombreux sont les chrétiens à avoir fait la une des pages football. On les retrouve plutôt dans la rubrique finance ou politique pour citer leur contribution au pays. Ils y jouissent d’un grand respect et d’une liberté totale. Parmi les footeux, citons Jeris Tadrus, l’ex-bomber d’Al-Faisaly, ou encore Stéphanie al-Naber, la meilleure joueuse arabe et l’une des pionnières du football féminin en Jordanie.

La Palestine est un cas à part, en raison d’une histoire plutôt compliquée. Quiconque regarde la composition des dernières années sera étonné de trouver des prénoms – voir des noms – plutôt latins (Roberto Bishara, Yashir Pinto, Nicolas Cantillana…). Souvent, ils font partie de ces Chiliens ou Argentins d’origine palestinienne mais qui ne sont pas des réfugiés de 48. En effet, à l’époque de l’Empire ottoman, les chrétiens (ainsi que d’autres minorités) subirent moult persécutions ainsi que des famines orchestrées, ce qui poussa beaucoup d’entre eux à prendre le chemin de l’exil, le plus souvent vers le Nouveau Monde. Sur place, ceux-ci se fondirent rapidement dans la population, au point d’avoir donné aux Amériques des businessmen, artistes, ministres et même présidents ! Niveau football, outre le club Árabe Unido (Panamá) et l’Atlético Mineiro (présidé autrefois par la famille brésilo-libanaise Kalil), le Club Palestino au Chili attire l’attention. Il fut fondé par ces primo-arrivants et maintenu par leurs descendants. Aujourd’hui encore, les liens entre le club et la Palestine sont extrêmement forts, au point de faire figurer la carte de la Palestine historique au dos de leur maillot (lire L’histoire d’un nom (18) : Club Deportivo Palestino). Du côté des joueurs, on ne trouve pas trace de joueurs palestinien chrétien ayant joué pour la Palestine, par contre nombreux furent les latinos à revêtir le maillot des Fida’i.

L’Iraq, pays à l’histoire ô combien mouvementée, est probablement notre plus beau cas de figure. Nombreux sont les chrétiens à porter la tunique des Lions de la Mésopotamie et à en avoir écrit les plus belles pages alors que leur existence même était remise en question. En politique, la logique préférée des Anglais a été de diviser pour mieux régner. Et en Iraq où bruissent de nombreuses communautés et dont la perfide Albion avait hérité, quoi de plus normal que de faire d’un groupe son bras armé au détriment des autres : les Iraq Levies. Initialement composés de Turkmènes, de Kurdes et d’Assyriens pour contrer l’émergence de l’armée régulière irakienne plutôt composée d’Arabes, elle fut finalement entièrement dévolue aux Assyriens qui furent nommés protecteurs de la base de la Royal Air Force à Baghdad. Le virus du football fut également apporté par les Anglais et bientôt tout le pays commença à taper dans la balle. Dès 1948, la Fédération se mit en place ainsi que les clubs. ammobabaLes Assyriens qui vivaient dans la base de la RAF à Habbaniya y commencèrent leur carrière et Youra Eshaya devint la première star irakienne à jouer à l’étranger en s’engageant avec les Bristol Rovers en 1954. Un autre grand nom de la RAF Habbaniya fut Emmanuel Ammo Baba, un des meilleurs joueurs irakiens de tous les temps. Pisté par de nombreux clubs britanniques dont Chelsea et le Celtic, Ammo Baba préféra privilégier sa vie et sa famille en Iraq. Même sa carrière de coach fut prolifique : il souleva de nombreux trophées tant en club qu’avec l’Iraq (trois coupes du Golfe, une Coupe des nations Arabes, les Jeux Asiatiques de 1982, le championnat du monde militaire ou une quatrième place en Coupe d’Asie). Son seul regret, ne pas avoir pu diriger le pays lors de sa seule apparition en Coupe du Monde en 1986. Un autre grand nom en Iraq est celui de Basil Gorgis, un des acteurs de cette Coupe du Monde justement, produit du fameux club Al-Athouri (qui signifie les Assyriens). Ce club, fondé en 1955 après que les Assyriens aient quitté la RAF pour s’installer à Baghdad (la base ayant été rendue par les Anglais aux Irakiens à l’indépendance), produisit pléthore de talent qui s’illustrèrent tant sous ce maillot que sous celui de l’Iraq. Il serait trop long de tous les nommer, citons donc certains passés à la postérité tels Ayoub Odisho, le grand Aram Karam et, parmi les autres Assyriens célèbres à avoir joué pour l’Irak, mentionnons Edison David, Saeed Easho (passé par la réserve de Manchester United dans les années soixante), Saadi Toma ou encore le bomber Thamer Yousif. Puis le chaos. Le trou noir occasionné par l’embargo, l’invasion américaine et l’apparition de l’Etat islamique a eu des conséquences désastreuses sur les chrétiens d’Iraq et nombreux furent ceux-ci à trouver le salut dans la fuite. La population chuta dramatiquement. Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, on estime que le nombre de chrétiens est passé de 1,5 millions à 250 000 personnes… Heureusement, certains joueurs nés ou ayant grandi à l’étranger ont décidé de représenter leur patrie récemment. Ainsi, Rebin Sulaka, Frans Dhia Putros ou encore Justin Meram, star de la MLS, ont revêtu le maillot vert. Espérons les voir encore plus nombreux dans un futur proche.

L’Égypte est probablement le cas le plus sombre dans notre sujet. Les Coptes, non contents d’être victimes de discriminations diverses, sont également persona non grata dans le milieu du foot. Un ostracisme hallucinant, illustré par le nombre ridicule de Coptes ayant évolué dans l’élite égyptienne depuis sa création. Cinq. Cinq malheureux joueurs, dont le grand Hany Ramzy, le seul à avoir porté la tunique nationale. L’un deux, Mohsen Abdelmassih, expliquait qu’on lui avait fermé les portes de l’équipe nationale pour n’avoir pas su lire le Coran. Récemment, de nombreuses personnalités égyptiennes comme les légendes Ahmed Hossam ou Mido ont levé leur voix pour faire cesser cette discrimination absurde et appeler les clubs à donner une chance à leurs compatriotes chrétiens. Espérons que leur appel sera entendu.

Boris Ghanem
Boris Ghanem
Chroniques d'un ballon rond au Moyen-Orient, de Beyrouth à Baghdad, de Manama à Sanaa, football sous 40 degrés à l'ombre d'un palmier.