En 1988, en demi-finale de Coupe des Clubs Champions, il y avait un club roumain, un néerlandais, un portugais et un espagnol. Normal, il n'y avait que les champions. En 1988, en demi-finales de Libertadores, il y avait trois pays représentés, la Colombie, l'Argentine et l'Uruguay. Le suspense était entier. En 1988, dans ce football beaucoup plus mondial que global, Nacional devient Champion du Monde, le dernier de huit titres pour les uruguayens en vingt-sept éditions. Avant que l'argent n'emporte ses footballeurs ailleurs.

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Les clubs uruguayens ont été pionniers dans leur apport à la Coupe Intercontinentale, considérée à l'époque comme un véritable championnat du monde. Peñarol s'impose à plusieurs reprises durant les premières éditions (1961, 1966) avant que Nacional rejoigne la danse avec des titres lors des éditions 1971 contre Panathinaïkos puis en 1980 contre les Anglais de Nottingham Forest. Après son titre contre l'América de Cali en Copa Libertadores 1987, Peñarol s'incline à Tokyo contre le FC Porto lors d'une finale absolument improbable, homérique, jouée malgré une bonne dizaine de centimètres de neige sur le terrain, empêchant la balle de rouler. Mais avec la distance parcourue par les deux équipes pour venir jouer ce match, aucun report n'était envisageable. Au bout de la prolongation, à la 110e minute, c'est l'Algérien Rabah Madjer qui délivre Porto d'un ballon astucieusement lobé sur une action qui semblerait digne du beach soccer. L'équipe d'Oscar Washington Tabárez n'est donc pas championne du monde, et laisse la chance l'année suivante à son rival de toujours, le Club Nacional de Football.

La Copa Libertadores 1988 voit en effet s'imposer le club bolso au terme d'une édition de premier ordre, durant laquelle voit s'affronter deux clubs de chaque pays, ainsi que Peñarol qualifié d'office pour le troisième tour en tant que champion en titre. Les premiers tours voient deux équipes d'un pays affronter deux équipes d'un autre pays au sein d’une poule de quatre. Fut un temps où il existait encore une justice et un certain sens de l'honneur, ne permettant pas à une douzaine de Brésiliens de participer. Nacional est donc dans son groupe avec Wanderers de Montevideo mais aussi avec deux clubs colombiens, Millonarios et l'América de Cali. Ces derniers, récents finalistes, sont favoris dans le groupe traversant une période dorée. Nacional gagne ses trois matchs à domicile, et malgré une lourde défaite six buts à un à Cali, se qualifie au second tour en tant que deuxième du groupe. Dans les autres groupes, les duos chiliens, argentins, boliviens s'imposent sur les équipes paraguayennes, équatoriennes et vénézuéliennes. Seul deux groupes sont partagés entre une équipe de chaque pays, celui du Nacional donc et le groupe entre Péruviens et Brésiliens, avec les qualifications de Guarani et de l'Universitario. Au tour suivant, Nacional vient à bout de la Católica avant déjà de devoir affronter le favori de la compétition à ce niveau: Newell's. Le club champion d'Argentine en titre n'a encore jamais remporté la plus prestigieuse des compétitions, mais se présente avec des ambitions en cette année 1988, menée par son entraîneur José Yudica. Les deux clubs font matchs nul à l'aller, avant que Nacional ne l'emporte au Centenario et sa qualifie donc pour les demi-finales...tout comme Newell's, puisque dans un format alambiqué, il y a trois quarts de finale et qu'il faut donc un autre club pour jouer les demies. Au classement du meilleur perdant, Newell's devance Peñarol malgré l'égalité à la différence de but, mais grâce à ses deux buts marqués sur les deux matchs, dont un par Nacional contre son camp... Le destin sait être un bon scénariste.

En demi-finale, Nacional retrouve l'équipe qui l'avait battu au premier tour, l'América de Cali, pendant que Newell's affronte San Lorenzo dans un duel argentin. Nacional s'impose à l'aller un à zéro sur un but dès la première minute de jeu de Yubert Lemos, avant d'aller arracher à Cali un match nul un but partout sur un but de renard de Juan Carlos de Lima qui se jette sur le gardien alors que ce dernier se jetait également sur le ballon. Déjà, le gardien Jorge Seré est héroïque au retour du haut de son mètre quatre-vingt-un. De l'autre côté du Rio de La Plata, Newell's s'impose un à zéro à l'aller sur un but de Roque Alfaro et deux buts à un au retour face à San Lorenzo, avec un but de Juan Rossi et un autre d'un jeune attaquant, qui marque là son premier but en compétition continentale, un certain Gabriel Batistuta.

Le jeune Batistuta s'impose en pointe, et joue donc la finale en tant que titulaire au côté d'autres joueurs plus expérimentés comme Sergio Almirón, Roque Alfaro, mais aussi le métronome de cette équipe au milieu du terrain, Gerardo Martino. Lors de la finale aller, à Buenos Aires, Newell's s'impose un à zéro sur de Jorge Gabrich. Le match retour se joue au Centenario devant plus de soixante-dix mille personnes le 26 octobre 1988. Contrairement aux éditions antérieures de Libertadores, il n'y a plus de match d'appui. Si Newell's perd, il n'y aura pas de troisième match comme l'année précédente pour Peñarol mais une prolongation. Et Nacional ne laisse pas respirer son adversaire, un adversaire ayant perdu son jeu et ne sachant pas exactement que faire après sa victoire au match aller. Ernesto Vargas ouvre le score dès la treizième minute, avant que le milieu Santiago Ostolaza marque le deuxième but à la trente-sixième minute de jeu. Hugo de León, le capitaine amplifie la domination du Nacional à la soixante-dix-huitième minute sur penalty, victoire trois à zéro, plus gros écart en finale de Libertadores de l'histoire à l'époque. Fin du temps réglementaire, victoire du bolso. Et pourtant, les deux clubs jouent une prolongation que Newell's doit gagner pour s'imposer. En effet, si les Lépreux ne gagnent pas, c'est Nacional qui l'emporte à la différence de but sur les deux matchs. Scénario improbable, mais les joueurs du bolso se regroupent dans leur camp et n'encaissent pas de but. Malgré le début d'une bataille générale à la cent-quinzième minute, et après deux expulsions, le match s'achève sur le score de trois buts à zéro, puis zéro à zéro sur la prolongation, ce qui octroie le titre à Nacional, sa troisième Libertadores.

Nacional est donc le club invité à participer à la Coupe Intercontinentale, qui se joue depuis quelques années à Tokyo, sur un match, sous les hospices de Toyota, qui sponsorise l'événement. Il fait face au champion d'Europe en titre, le PSV Eindhoven, qui avait gagné ce trophée en cinq tours, éliminant successivement Galatasaray, le Rapid Vienne, les Girondins de Bordeaux (au terme d'un match plus que contesté), le Real Madrid en demies, puis Benfica en finale au terme d'une séance de tirs au but s'achevant sur le score de six à cinq. Jean Marc Ferreri termine co-meilleur buteur de la compétition avec quatre réalisations. Alors que Nacional joue la Coupe Intercontinentale quelques semaines après son titre, le PSV la joue plus de six mois après, et voit notamment l'apport d'un jeune joueur qui pose ses valises en Europe au sein du club néerlandais, Romário. Et c'est une armada qu'affronte le Nacional en ce onze décembre, avec non seulement l'attaquant brésilien qui vient donner du génie à cette attaque, mais aussi une base très solide composée d'Eric Gerets, de Ronald Koeman ou le gardien Hans van Breukelen. Ces deux derniers font d'ailleurs partie de l'équipe des Pays-Bas championne d'Europe en 1988. L'entraîneur Guus Hiddink manie son équipe à merveille. C'est dans ce contexte que le PSV arrive en favori à Tokyo pour jouer le onze uruguayen.

Le match sera tendu de la première à la dernière minute, par la faute notamment d'un arbitrage pour le moins étrange. Ostolaza ouvre le score sur corner, sur une erreur du gardien néerlandais parti trop rapidement au premier poteau, avant que Romário n'égalise après l'heure de jeu sur une touche jouée comme un corner, sur laquelle Seré est également mal sorti, le petit brésilien en profitant au deuxième poteau pour le tromper de la tête. Prolongation. Alors que les Uruguayens ont repris petit à petit la mesure du match, Romário obtient un penalty peu évident que Koeman transforme à la 110e minute. Les carottes pourraient être cuite, mais pas pour un club uruguayen. Le onze de Nacional pousse avec à la base son capitaine De León, qui passe la fin du match à jouer pour ainsi dire en numéro dix au côté de Cardacio. À la 119e minute, l'arbitre siffle un corner peu évident pour le Bolso, et toute l'équipe monte. Yubert Lemos le tire, comme le premier, le ballon va au deuxième poteau, van Breukelen est trop court, Ostolaza non. Sa frappe de la tête est puissante, mais un néerlandais repousse depuis sa ligne, ou derrière. L'arbitre ne doute pas, et accord le but au Nacional. Montevideo, à trois heures du matin et quelques kilomètres de là, peut mugir de plaisir. Il y aura bien des tirs au but. Les Néerlandais crient au scandale. Sur le ralenti latéral, il semblerait bien que la balle entre. C'est l'heure pour ce que Muñoz, commentateur uruguayen, appelle la loterie des tirs au but. C'est l'heure de Superman.

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Jorge Seré n'est pas un grand gardien. Ni au sens propre, il ne mesure qu'un mètre quatre-vingt, ni au sens figuré. Il a commencé sa carrière au Danubio, avant de rejoindre Nacional. Il partira ensuite au Brésil, puis reviendra au pays, sans autre fait de gloire. En cet après-midi de 1988 à Tokyo, il est déjà à moitié chauve à seulement vingt-sept ans. Pour ce finale, Seré va faire ce qu'il sait mieux faire au monde, arrêter les tirs au but. Il arrête tout d'abord le deuxième tir, celui du champion d'Europe Kieft, qu'il va presque chercher dans la lucarne. Superman vole. Il doit ensuite s'employer au cinquième tir au but néerlandais, car deux des siens, Careño et Moran, ont aussi vu leur tir soit arrêté par van Breukelen, soit envoyé dans le ciel pour Careño, et si le Danois Lerby (célèbre pour avoir fait un doigt d'honneur à l'arbitre en finale de la Coupe des Clubs Champions) marque, la match s'arrête là. Lerby s'élance et sa frappe puissante est arrêté d'une manchette de Seré. Le capitaine De León transformant le sien, la séance continue. Les sixièmes et septièmes tireurs marquent, et Eric Gerets se présente au point de penalty. Il frappe sur le gardien, qui pour une fois n'a pour ainsi dire à s'employer. Malheureusement, Saldanha frappe sur la barre transversale et la série continue. Les neuvièmes tireurs marquent leur tentative, et c'est au tour de Berry van Aerle de se présenter face à Superman. Pour la quatrième fois de la soirée Seré part du bon côté (toujours sur son côté droit) et arrête la tentative du Néerlandais. Seré n'en profite pas, et part crier au milieu de terrain que c'est à lui, c'est à lui de tirer le dernier tir ! Mais non, il reste Tony Gómez en joueur de champ, et c'est bien le latéral qui s'avance face au grand gardien van Breukelen. Gómez la met hors de portée du gardien, et Nacional remporte pour la troisième fois la Coupe Intercontinentale. Grâce au Basque Ostolaza, grâce au Bocha Cardacio, grâce au capitaine De León, mais surtout grâce à un gardien devenu Superman un jour, pour toujours. Il est quatre heure et demi du matin en Uruguay et la foule célèbre le titre sur l'avenue du 18 juillet. L'Uruguay est à nouveau champion du monde, de la main, cette fois, du Nacional.

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba