Il reste celui qui a envoyé la Colombie en Coupe du Monde après près de trois décennies d’absence. Il est celui qui a offert la première Libertadores de l’histoire à son pays. Le 11 février 2004, Albeiro Usuriaga perdait la vie. Et avec lui s’envolait un pan de l’histoire du football cafetero.

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La vie d’Albeiro Usuriaga tourne autour de son quartier de 12 de Octubre à Cali, là où il joue au foot avec les gamins du quartier, là où il a grandi. Ce quartier qu’il ne voudra jamais quitter, comme il le confiera à l’un de ses amis d’enfance : « ceux qui quittent 12 de Octubre sont ceux qui sont morts ». C’est ici qu’est né son surnom, el Palomo, la colombe. Il le doit à ce jour où il est élu joueur du match lors de l’une de ses premiers apparition. Le prix est un costume d’une marque reconnue au pays. Lorsqu’il va chercher ce costume avec l’un de ses amis, il craque devant un ensemble totalement blanc. Lorsqu’il revient à 12 de Octubre pour l’anniversaire de sa sœur et qu’il apparait vêtu de blanc, il est accompagné des rires au son du « ¡Ahí viene el Palomo! ».

12 de Octubre, les amis, l’innoncence, c’est aussi grâce à cela que tout a commencé. Né le 13 juin 1966, Albeiro Usuriaga López est d’abord un joueur de basket, son sport favori, mais poussé par ses amis, il part effectuer un essai organisé par l’América, son histoire de footballeur débute. C’est avec les Diablos Rojos qu’il débute chez les pros en 1986, à l’époque de « Los Pitufos », ces joueurs souvent jeunes et remplaçants qui sont alignés en championnat pendant que les grands sont focalisés sur la Copa Libertadores (l’América en perdra trois consécutives en finale entre 1985 et 1987). Du haut de son mètre quatre-vingt-douze, il détonne et marque les esprits. Car le garçon longiligne est aussi un grand technicien, capable de gestes incroyables comme le raconte James Cardona, l’un de ses coéquipiers à l’América : « je me souviens d’un amical contre Millonarios, el Palomo arrive à l’entrée de la surface, élimine trois défenseurs, se retrouve le long de la ligne et marque au premier poteau. C’était un joueur avec des fulgurances géniales ». Il ne reste qu’un an et après être passé par Tolima et Cúcuta Deportivo, il fait partie de l’Atlético Nacional de Pacho Maturana qui décroche la première Copa Libertadores de l’histoire du football colombien. El Palomo marque le but du 2-0, celui qui au final, offrira la séance de tirs au but aux siens (dont il sera le deuxième tireur, après Andrés Escobar). Quelques mois plus tard, il vole encore. Le 15 octobre 1989, dans une équipe où figurent des futures légendes telles que Valderrama, Rincón, Asprilla ou Valencia, il est l’unique buteur du double duel face à un représentant de l’Océanie nommé Israël. Usuriaga devient alors celui qui envoie donc la Colombie à la deuxième Coupe du Monde de son histoire, la première depuis vingt-huit ans. Ce sera son seul but en sélection.

Car malheureusement pour lui, la Coupe du Monde italienne se fera sans lui. Pacho Maturana l’écart, au prétexte que son rendement n’est plus suffisant. Il se dira qu’il n’a pas été convoqué car a quitté le rassemblement pour aller jouer au foot avec ses copains du quartier et que son manque de discipline était impardonnable pour Maturana. Au point qu’Usuriaga ne sera plus jamais rappelé en sélection. Alors il émigre. Une année passée à Málaga avant un retour chez les siens, à l’América, son quartier lui manquant trop. El Palomo reprend alors son envol, décroche son deuxième titre de champion de Colombie. Et reste toujours dans son quartier. On l’y voit offrir des vêtements à ses voisins, payer les études de plusieurs jeunes, en emmener aussi à l’entraînement, « on l’entendait arriver à trois ou quatre pâtés de maison, musique à fond, accompagné de motos qui l’escortaient » raconte Alex Escobar, l’un de ses coéquipiers. El Palomo est un garçon différent, qu’importe la célébrité, il reste ce gamin de 12 de Octubre : « C’était un enfant dans sa tête, il était toujours accompagné d’enfants. On l’a envoyé chez un psy qui a diagnostiqué qu’Albeiro se comportait comme un gamin de quinze ans » raconte Álvaro Guerrero, qui s’occupe du club alors. Un discours auquel Miguel Ángel Brindisi souscrit « C’était un garçon différent. Pour moi, c’était un adolescent, il avait la bonté d’un ado mais aussi ce côté espiègle dès qu’il était sur le terrain ».grafico

Brindisi sera son coach chez un autre géant : Independiente. Après avoir ramené l’América au sommet, Usuriaga est venu à d’autres diables, ceux d’Avellaneda. Il doit alors de nouveau s’éloigner de son barrio. Il sera chapeauté par un ancien de l’América, Ricardo Gareca, qui lui avait offert une paire de chaussure quand Albeiro était gamin. L’adaptation est difficile mais elle se fait. Il était dit qu’el Palomo ne brillerait que vêtu de rouge. « Sur le terrain, c’était un bon joueur jusqu’à un match où je me suis dit “ce garçon ne quitte plus l’équipe”. C’était face au Ferro, en face, le gardien était Burgos, aujourd’hui adjoint de Simeone à l’Atlético. Il lui a mis un golazo. C’est ici qu’il a commencé à devenir une idole du club » raconte Brindisi qui poursuit « c’était un vrai grand, parce qu’il a confirmé au niveau international. Il nous a permis de gagner la Supercopa Sudamericana contre le Boca de Menotti qui avait une grande équipe. El Palomo était notre atout gagnant. Il a été la meilleure recrue pour cette équipe, il s’installé titulaire dès son quatrième match et n’a plus quitté le onze. Sa force c’était l’impression qu’il dégageait, l’impact qu’il avait par sa vitesse et l’explosivité qui faisait la différence ». Il confiera rêver de faire la une du Grafico, ce sera chose faite. Car avec Independiente, el Palomo décroche le Clausura 1994, marque à quatre reprises en Supercopa Sudamericana qu’il remporte la même année et dont il conserve le titre l’année suivante. Il intègre alors l’équipe type de l’année sur le continent. Après un nouveau titre, la Recopa Sudamericana décrochée face au champion du monde, le Vélez de Chilavert, c’est la fin de la première aventure avec le Rojo. Le temps de filer décrocher un titre de champion du Mexique avec d’autres rouges, ceux de Necaxa, sans parvenir cependant à s’y adapter. Il fait deux piges à Barcelona et à Santos avant de retrouver ses diables d’Avellaneda. Malheureusement pour lui, c’est le début de la fin.

À toute vitesse

Car la vie d’el Palomo Usuriaga est celle d’un gamin dans un corps d’adulte, d’un garçon qui croque la vie à pleine dent sans jamais penser à demain. Certains parleront d’indiscipline, ses excès en dehors du terrain alimentent la presse qui en fait ses choux gras. Jusqu’à ce terrible jour de 1997 où un contrôle anti-dopage révèle des traces de cocaïne dans ses urines. Albeiro Usuriaga est alors suspendu pour deux ans, subit une campagne de presse féroce, certains iront jusqu’à parler d’addiction, forçant son avocat à prendre la parole pour défendre son joueur. Privé de ses ailes, el Palomo se coupe du monde, déprime, se réfugie dans son quartier où il s’occupe de sa fille prénommée Lady Daiana. Il fera son retour deux ans plus tard, ne pouvant se passer du football. On le retrouve ainsi en Torneo Argentino A sous les couleurs de General Paz Juniors de Córdoba. Il déclare alors à Ole : « Je n’ai jamais eu d’addiction, on a tous commis des erreurs. C’est la seule fois que j’en ai consommé. Je ne me suis pas senti soutenu, mais Maradona, Caniggia et el Cabezón Ruggeri m’ont aidé ». Sur le terrain, Usuriaga brille et permet au Poeta de décrocher une place en deuxième division argentine pour la première fois de son histoire. Il évoluera ensuite à All Boys, au Sportivo Luqueño et terminera son voyage footballistique au Venezuela.

Le 11 février 2004, des coups de feu retentissent dans le quartier 12 de Octubre au coin de Calle 52 et Carrera, à quelques pas de chez lui. La veille, sa sœur ainée avait reçu un mystérieux appel lui annonçant qu’ils allaient venir tuer el Palomo. Deux ans plus tard, on apprendra que Jefferson Valdez Marín l’un des leaders d’un groupe de criminels, avait ordonné son exécution au motif qu’il fréquentait son ancienne petite amie. Ce 11 février, Albeiro Usuriaga est assassiné de treize balles alors qu’il jouait aux cartes et aux dominos avec ses amis. C’était un mercredi, c’était l’une de ses dernières fois à la maison avant le départ vers une nouvelle aventure. Le vendredi, il devait s’envoler pour le Japon. Il avait 37 ans.

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Initialement publié le 11 février 2019, mis à jour le 11 février 2020.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.